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Critiques de Abdulrazak Gurnah (187)
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Adieu Zanzibar

En octobre 2021 lors de l'annonce du prix Nobel, je me suis ruée sur le site de la médiathèque pour réserver l'unique oeuvre disponible de Gurnah : Adieu Zanzibar. Je n'étais pas la première : ma réservation n'est arrivée qu'en... mai 2022.

Entre temps, j'ai lu Près de la mer. Ce roman m'a émerveillée.

Puis j'ai lu Paradis : encore meilleur que le précédent.

Et maintenant, Adieu Zanzibar : encore supérieur aux deux autres.

Car, si on y retrouve la description d'une société cosmopolite, tournée vers la mer et le commerce, dans la même écriture envoûtante propre à Gurnah, cette fois-ci pour parfaire la narration, on y rencontre des femmes (absentes ou presque des deux autres romans).

Leurs vies ne sont pas faciles ; elles sont les premières victimes des convenances religieuses et sociales.

Mais quels portraits fascinants !

Il y a d'abord Rehana, qui à l'aube du 20ème siècle va vivre pleinement une histoire d'amour interdite.

Puis il y a sa descendante, Jamila, qui dans les années 50 va porter le poids de la rébellion de sa grand-mère.

Car c'est encore une histoire de familles que nous conte Gurnah, familles dont il entremêle les destins, les époques, les narrations ; pour terminer avec ces deux frères, l'un resté en Tanzanie affronter les périls de l'indépendance, l'autre parti étudier et faire sa vie au Royaume-Uni (dans une partie qui semble très autobiographique).

Un roman déchirant, une oeuvre exceptionnelle.

Traduction parfaite de Sylvette Gleize.

Challenge Nobel
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Paradis

Yusuf, jeune garçon vendu par son père pour payer ses dettes à un marchand "oncle Aziz" est le fil conducteur de ce long et lent voyage à travers l'Afrique de l'est . Dans un premier temps confiné dans la boutique du marchand avec un autre esclave Khalil qui va le chaperonner, Yusuf découvre sa nouvelle vie et le jardin du maître. Puis gagnant la confiance du marchand il part pour un long périple avec la caravane de ce dernier. Ce voyage va l'ouvrir au monde, aux hommes, l'initier à la lecture, le faire grandir. Parmi les fils conducteurs du récit il y a l'esclavage qui est une longue tradition et la richesse des échanges commerciaux existants avant l'arrivée des européens.



Les personnages font la richesse de ce récit dépaysant qui nous montre une Afrique tournée vers l'Asie, le monde arabe et le commerce.
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Adieu Zanzibar

J'ai été attirée, par la couverture de Adieu Zanzibar de Abdulrazak Gurnah et aussi par son titre qui évoque le dépaysement.



C'est un récit, sur la place de la femme dans la société africaine. Les moeurs, les coutumes au sein de la famille et des villageois.



En 1899, une histoire d'amour entre un colon britannique Martin Pearce et une indigène Rehanna, aura des conséquences pour eux et leur descendance.

Dans un village de Tanzanie, Hassanali, se rend à la mosquée, dont il est le muezzin et devant lui s'écroule un "mzungu", harassé, perdu et à qui des guides Somaliens, pas très regardants, ont tout pris.

Il sera soigné par la famille de son sauveur, et récupéré par ses compatriotes.

Une fois remis sur pied, cet homme écrivain, voyageur et orientaliste, reviendra les remercier et fera connaissance de sa future épouse.

Mais ces mariages sont très mal vu d'un côté comme de l'autre. Rien n'est simple entre deux personnes, que tout oppose, culture, religion....

Cette zone était toujours aux mains des Anglais. Pour eux, les femmes africaines étaient justes bonnes pour leur besoin naturel ou les servir.

Ils avaient une condescendance envers le peuple africain, comme partout où il y a eu des colons. Ils étaient maltraités, pires que des bêtes.

J'abhorre, cette façon de traiter les peuples, qu'ils envahissent. Tout leur est permis. Je parle en connaissance de cause, malheureusement.

Des dizaines d'années plus tard, ça sera au tour de Amin et Jamila, la fille de Rehanna et Martin, issue d'une union désapprouvée. Cet amour ne pourra aboutir, car ça serait la honte pour la famille d'Amin.

Puis Rashid et Farida. Leurs histoires vous seront conté et vous comprendrez petit à petit les liens unissant tout ce petit monde.



Un livre intéressant, sur l'Afrique, la colonisation et la domination des colons. Bien écrit, sensible.

Mon seul reproche, est que le coeur de l'histoire tarde à arriver et la longueur de certaines explications.

Si vous aimez voyager, n'hésitez pas.
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Près de la mer

Une lecture inoubliable, un chef-d’œuvre, un monument littéraire.

Quelle écriture magnifique, subtile, puissante, avec des traits de pure poésie qui émerveillent, et des horreurs racontées en quelques mots sobres, qui serrent le cœur.

Trois chapitres nous racontent les destins liés de deux hommes exilés de Tanzanie : l'un déroule sa vie, puis c'est le tour du deuxième, et enfin leur rencontre permet à chacun de compléter les blancs de leurs histoires familiales.

Une intrigue qui semble, au début, n'être que prétexte à évoquer l'histoire de Zanzibar, ancienne place forte du commerce dans l'Océan Indien, puis livrée à la colonisation britannique, et enfin son indépendance et les exactions de gouvernements corrompus.

Mais Près de la mer, c'est beaucoup plus que cela.

À travers la destinée de ces deux familles, Gurnah nous dit sur quelles traditions et hiérarchies s'est construit l'Etat tanzanien, et nous fait sentir l'immense difficulté à "faire nation" sur la base de haines recuites, de spoliations d'héritage et de conflits d'honneur.

Ou, comme le souligne l'un des deux hommes : "Je hais les familles."

Parfaite traduction de Sylvette Gleize.

Challenge Nobel

Challenge Globe-trotter (Tanzanie)
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Paradis

Depuis plusieurs semaines, je dois rédiger cette note. Je m’y suis enfin mise. Entre chercher le vocabulaire et mettre en place mes idées, il m’a fallu tout ce temps.



D’abord une remarque sur la forme, j’ai parfois été gênée par l’absence d’explication de nombreux termes non traduits. La langue maternelle de Gurnah est le Swahili, mais il écrit en Anglais. A noter que Paradis est le seul roman de Gurnah qui a été traduit en Swahili. Un peu ironique, non ? En effet Abdulrazak Gurnah est Tanzanien, réfugié en Angleterre, il écrit en Anglais, et donc ce roman est traduit de l’Anglais. Ce qui explique sans doute pourquoi, la traductrice Anne Cécile Padoux, a gardé les mots en Swahili et Arabe, qui existaient dans le texte anglais. Mais sans note de bas de page, de contexte, cela fait perdre une partie de l’ambiance / des parfums, …





Le roman narre l’histoire d’un enfant : Yusuf, vendu par son père pour éponger des dettes mais sans lui dire… Cet enfant se retrouve chez un « oncle », en fait un marchand qui prend des esclaves lorsqu’il n’est pas remboursé. On suit Yusuf dans ses aventures chez et avec cet « oncle ».



Il y a une partie initiation au monde adulte avec des voyages en caravansérail mais aussi l’observation d’un monde qui change, en pleine mutation. Car le marchand, venu du moyen orient, est également un trafiquant et pas seulement d’êtres humains. Et ce marchand se trouve en compétition avec de nouveaux concurrents les Allemands, qui colonisent cette partie de l’Afrique de l’Est. Gurnah raconte donc l’histoire de cette zone d’Afrique où cohabitent les Africains d’origine (animiste), avec des gens venus d’Inde (hindouiste), du moyen orient (musulman) qui vont ensuite être colonisés par les Allemands.



En parallèle, Yusuf va chercher à lier des liens avec un jeune homme, esclave comme lui, et sa sœur, domestique de la première femme de son « oncle » et la seconde femme de ce fameux « oncle ». Mais quel espoir dans un monde qui n’est pas sans foi (car l’islam est très présent) mais n’a pas beaucoup de loi, en dehors de celle du plus fort / riche.



C’est une histoire d’initiation. Une histoire, symbole de cette Afrique, qui est la proie de tous les fantasmes et qui souffre de tous les abus, tant par ses habitants les plus aisés que par les colonisateurs qui existent depuis fort longtemps (et bien avant que les Européens arrivent.).



Le style est à la fois poétique et imagé. Il est question de choix pour Yusuf qui va devoir choisir entre rester esclave (avec une certaine forme de sécurité et s’enfuir sans savoir si sa situation s’améliorera. Gurnah fait également passer des messages sur la religion, la tolérance vis-à-vis des différences.



Le titre indique une réflexion sur ce à quoi peut correspondre l’idée de paradis… qui varie fortement d’un individu à l’autre et puis ce paradis n’est-il pas parfois très proche de l’enfer !



J'ai mis un abécédaire de certains des mots que je ne connaissais pas ou pour me souvenir de ce roman...



A comme : Anna n.m. : une unité de monnaie anciennement utilisée en Inde et au Pakistan, égale à ¹⁄₁₆ de roupie. Le terme appartenait au système monétaire islamique. P 15



B comme : Bismillah : « Au nom de Dieu ». Formule employée par les musulmans comme un bénédicité ou avant d'entreprendre quelque chose



C comme : Caravansérail, on assiste à des voyages en caravansérail où le troc et le trafic sont étroitement liés.



D comme : Dhow : est un type de voilier arabe traditionnel en bois, à un ou plusieurs mâts gréés avec des voiles triangulaires ou trapézoïdale, originaire de la mer Rouge. Aussi appelé Boutre ou Daou.



E comme : équanimité : Égalité d'âme, d'humeur.



F comme : Fable, le roman est parsemé de diverses fables.



G comme : Gog et Magog : sont deux noms propres figurant dans le livre d'Ézéchiel, Gog est un nom de personne, Magog un nom de lieu. Ils apparaissent cinq fois dans la Bible et deux fois dans le Coran. Dans le livre d'Ézéchiel, les peuplades païennes Magog vivent « au nord du Monde », et représentent métaphoriquement les forces du Mal, ce qui l'associe aux traditions apocalyptiques.



H comme : Hérat : une ville de l'Ouest de l'Afghanistan proche des frontières de l'Iran et du Turkménistan. Elle est la troisième ville d'Afghanistan derrière Kaboul et Kandahar.



Ou comme Honneur qui est la raison invoquée pour supporter des maltraitances car un jour, un père a conclu un contrat et a vendu ses enfants. Et ces enfants se trouvent liés à ce contrat… On fait avaler beaucoup de choses aux pauvres en leur vendant l’HONNEUR.



I comme : Inde, certains des personnages sont d’origine indienne (Kalasinga).



J comme : Jacaranda ou arbre fougère



K comme : Kiswahili est la principale langue écrite de l'Afrique subsaharienne. D’après l’Unesco, il fait partie des 10 langues les plus parlées au monde, avec plus de 200 millions de locuteurs.



Kipande : jeu de type marelle.



L comme : latérite : sol rouge vif ou rouge-brun, très riche en oxyde de fer et alumine, formé sous climat tropical. (Ce sol se transforme en une cuirasse impropre à la culture sous l'effet de l'alternance saison sèche/saison humide.)



M comme : Maandazi forme de pain frit originaire de la côte swahili. Il est également connu sous le nom de bofrot ou puff puff dans les pays d'Afrique de l'Ouest tels que le Ghana et le Nigeria. C'est l'un des principaux plats de la cuisine du peuple swahili qui habite la région côtière du Kenya et de la Tanzanie.



Malai : type de crème caillée, originaire du sous-continent indien, utilisé dans la cuisine du sous-continent indien, notamment en ce qui concerne les friandises du sous-continent indien.



Mganga : guérisseur / docteur



Mofa : aucune définition trouvée mais d’après la phrase : c’est de la nourriture agréable (p43).



Mnyapara : contremaitre.



Mukki : aucune définition trouvée mais d’après la phrase : préteur à gage



N comme : Nyundo un traducteur qui doit jongler avec les phrases et les sentiments des participants.



O comme : Ouzbeks. Les voyages emmènent certains jusqu’aux confins du monde musulman. Avec des « Rusi » (russes) qui s’étonnent qu’il existe des musulmans noirs. Tout comme ceux à qui la « Rusi » est narré s’étonnent de ces musulmans blancs.



P comme : Paradis le titre du livre… Mais de quel paradis parle-t-on ?



Q comme : Qasida : Poème arabe classique, d'au moins sept vers, à rime unique. (Précédé d'un prologue amoureux, il a pour thèmes un voyage, l'amour, la louange, la satire.)



R comme : Rikwama : longue charrette



S comme : Seyyid : titre honorifique traditionnellement appliqué aux gens reconnus descendants du prophète de l'Islam, Mahomet. Le mot signifie littéralement « seigneur », « prince » ou « maître », et il est aussi fréquemment donné à des musulmans de haut rang.



Shuka : Le Shuka Masai est un tissus traditionnel originaire d’Afrique de l’Est, porté par le peuple Maasaï au Kenya et en Tanzanie. C’est une étoffe à carreaux en coton sous forme de couverture, souvent de couleurs vives. Le rouge est la couleur la plus courante mais les Maasaï utilisent aussi le bleu pour envelopper leur corps. Ce tissus est connu pour être solide, durable et épais pour protéger les guerriers Maasaï contre le temps et les dangers de la savane.



T comme : Tanzanie pays de Abdulrazak Gurnah. Taskent où l’une des caravansérail passe.



V comme : Vibarua : ouvrier payé à la tâche.



W comme : Wallahi : Un serment par Allah, qui se fait généralement au moyen de l'interjection arabe « wAllah », signifiant littéralement « par Allah » ou par Dieu, consiste pour un locuteur de confession musulmane à prendre à témoin Allah pour prétendre que ses propos ne sont pas mensongers.



Washenzi : Paien / sauvage : p 18



Y comme : Yusuf le héros de cette histoire,



Z comme : Zanzibar : archipel de l'océan Indien situé en face des côtes tanzaniennes, formé de trois îles principales

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Paradis

« Les événements avaient décidé de sa vie, il avait gardé la tête hors de l’eau, les yeux fixés sur l’horizon le plus proche, préférant ignorer plutôt que savoir ce qui l’attendait. Il ne voyait rien qui pût le libérer de sa condition d’esclave. »

Sur la côte tanzanienne au début du XXe siècle, Yusuf, douze ans, est remis aux mains d’un marchand par ses parents afin d’acquitter une lourde dette qu’il leur est impossible de payer autrement. Le gamin effectue le voyage en train avec cet « oncle » Aziz jusqu’à son magasin tenu par un adolescent, Khalil, lui-même soumis aux mêmes conditions de traitement. Un soutien mutuel se développe entre les deux jeunes à travers les tâches quotidiennes à effectuer et un destin commun de plus en plus difficile à supporter en grandissant.

Paradis, c’est un roman d’apprentissage à la dure, la fin abrupte d’une enfance protégée par le cocon familial et soumise aux aléas d’une vie d’adulte, esclave de surcroît. Heureusement, le regard candide de Yusuf sur toutes choses, même les plus vilaines, permet au lecteur de respirer et de se laisser porter par les contes et superstitions qui sont légion dans cette partie du monde. Une fin ouverte, déstabilisante, vient conclure le récit et après réflexion, c’était la fin souhaitée pour un tel récit.

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Paradis

C'est la première fois que je lis un roman qui se passe en Tanzanie (ou plus exactement sur le territoire de l'actuelle Tanzanie). Ce n'est pas courant mais cela s'imposait avec le prix Nobel de littérature 2021 décerné à Abdulrazak Gurnah qui se justifie, selon le comité, pour "son récit empathique et sans compromis des effets du colonialisme et le destin des réfugiés pris entre les cultures et les continents".

"Paradis" raconte l'enfance et l'adolescence de Yusuf au début du XXème siècle. A douze ans, sa vie paisible va être bouleversée quand son père lui demande de suivre l'oncle Aziz pour voyager avec le riche marchand.

Seulement oncle Aziz n'est pas son oncle et le garçon va mettre du temps à comprendre qu'il est chez lui pour travailler afin de rembourser les dettes de son père. C'est un adolescent, le jeune Khalil, qui va l'initier quand il n'est pas sur le départ pour de grandes expéditions commerciales qui lui feront découvrir des régions nouvelles et des hommes prêts à toutes les compromissions pour le commerce. Il y découvrira aussi différentes cultures et des lieux merveilleux comme des cascades dans la montagne pourtant chasse gardée d'un colon allemand.

"Paradis" est donc un roman d'initiation mais contrairement à ce que j'imaginais le ton est presque léger pour évoquer le drame de l'esclavage et de la colonisation. Abdulrazak Gurnah sait se mettre à hauteur d'enfant avec innocence et humour pour raconter l'histoire de Yusuf qui m'a fait passer un bon moment de lecture.





Challenge XXème siècle 2022

Challenge ABC 2022/2023

Challenge Nobel illimité

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Paradis

A douze ans, le jeune Yussuf est vendu par son père à Aziz, un marchand à qui il doit de l'argent.

D'abord il est affecté au magasin, sous la coupe du jeune Khalil.

La maison d'Aziz est entourée d'un jardin somptueux qui attire Yussuf.

Un véritable paradis.

Puis il accompagne le marchand dans ses longues tournées à travers la Tanzanie.

Yussuf est très beau, il grandit comme touché par la grâce.

Cette histoire est très belle.

Outre celle de Yussuf, émouvante, on assiste à la colonisation de l'Afrique

Superstitions et croyances occupent une grande place.

Si les blancs colonisateurs sont une réelle menace, les différentes tribus ne se font pas de cadeaux non plus.

Un livre qui est une réelle immersion dans l'Afrique de l'Est au début du XXème siècle.

L'auteur a parfaitement su en restituer l'ambiance.

Et il a dressé un très beau portrait d'adolescent qui peu à peu perd son innocence.

Malgré les violences, j'ai lu avec une certaine douceur.
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Adieu Zanzibar

La construction de ce roman est habile même si elle ne m'a pas plu : 3 parties, trois époques : d'abord 1900 à Zanzibar : c'est l'histoire d'une jeune femme dont le mari s'est enfui et qui finira par rencontrer un européen qui arrive un beau matin gravement blessé.

L'histoire est passionnante dans ce pays colonisé par les européens et qui est encore sans volonté d'indépendance

La deuxième partie se passe 50 ans plus tard : on suit trois frères et soeur dans leur adolescence jusqu'au départ pour le Royaume-uni du plus jeune pour ses études. On ne comprend qu'à la fin de cette partie le lien avec la première.

La dernière partie se passe également trois décennies plus tard : son thème en est l'exil : celui du plus jeune frère qui n'a jamais pu rentrer dans son pays natal devenu la Tanzanie.

L'écriture est intéressante, je relirai cet auteur. Ce livre ne m'a pas enthousiasmée ; j'ai du mal en général avec les romans qui parcourent 100 ans en faisant trois parties très éloignées dans le temps : une fois arrivée à la fin de la première partie j'ai été frustrée de passer à la deuxième en restant sur une impression désagréable qu'il y avait encore tant à apprendre sur ce zanzibar avant de lui dire adieu.
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Paradis

Le prix Nobel de littérature permet de mettre en lumière des auteurs peu connus du grand public et le challenge correspondant me permet de découvrir ces auteurs car il est certain que je n’aurai jamais lu ce roman sans ces deux incitations. Je ne suis d’ailleurs pas la seule dans ce cas puisque c’est également l’occasion pour les éditeurs français de rééditer ce roman qui était jusqu’alors épuisé.



Il s’agit d’un roman initiatique dans lequel le jeune Youssouf se voit arraché à ses parents par un riche marchand en tant que caution d’une dette. A travers son regard, son expérience, ses rencontres mais surtout son amour pour la nature, on découvre la Tanzanie au début du XXème siècle. Youssouf est à l’âge charnière entre l’enfance et l’adulte. Il perd progressivement ses illusions et se retrouve confronté à la réalité du travail et des règles imposées par l’argent et les codes sociaux. Pourtant il tente de garder une part de poésie dans le regard qu’il pose sur le monde qui l’entoure.



Ses rencontres sont l’occasion pour le lecteur de découvrir toute une galerie de portraits qui composent l’entourage du jeune garçon. Leur variété en fait un tour d’horizon intéressant même si on peut regretter le manque de femmes. Cela vient bien évidemment de la société qui reste cloisonnée et de l’univers très masculin des caravanes de marchands.



J’ai apprécié l’écriture fluide et simple de l’auteur et j’aimerai lire bientôt son roman plus connu Près de la mer pour poursuivre ma découverte de son œuvre.
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Paradis

Personnage biblique et coranique, Joseph (que la femme de Putiphar accusa d'agression car il s'était refusé à elle) est ici Yusuf, et il connait la même destinée. Vendu enfant comme esclave en paiement d'une dette à un riche marchand, il grandit à son service, d'abord dans un magasin, puis en accompagnant une expédition caravanière - et ses relations compliquées avec les villages de l'intérieur.

Yusuf est beau et angélique comme dans le mythe, et suscite de nombreuses convoitises, tout en restant chaste et réservé. C'est l'observateur silencieux de ce milieu commerçant où se côtoient plusieurs origines, langues et religions. Tous ces personnages font l'objet de portraits saisissants, d'une grande finesse, à travers leurs débats et leurs plaisanteries.

Les lieux sont peu définis : "sur la côte", "dans la montagne", "la grande forêt", mais c'est avec des yeux de poète que Yusuf les découvre et les décrit : la cascade merveilleuse, la lumière verte de la montagne... sont ses propres images du paradis, tout comme le jardin clos du riche marchand.

Sa vision du monde extérieur lui vient des contes (à l'Ouest, le pays des djinns) ou des propos de voyageurs, le soir autour du feu (la Russie, où l'on peut marcher sur les fleuves gelés) ; mais aussi des récits qui entourent la présence croissante, envahissante, des colonisateurs européens (qui mangeraient du métal).

C'est un extraordinaire voyage initiatique, de l'esclavage vers une liberté amère. Mais c'est aussi pour Gurnah l'occasion d'un voyage à travers la Tanzanie du début du 20ème siècle, retraçant comment la colonisation a marqué la fin d'un commerce caravanier séculaire en Afrique de l'Est.

Belle traduction d'Anne-Cécile Padoux.



Challenge Nobel

LC thématique d'avril 2022 : ''La Nature dans tous ses états”
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Paradis

Le jeune Yusuf a douze ans, et admire son oncle Aziz, riche commerçant qui ne manque jamais de donner une petite pièce au garçon lors de ses passages. Lorsque ses parents lui annoncent qu’il va partir en voyage avec cet oncle, il en est donc ravi, et mettra un certain temps à se rendre compte qu’Aziz n’est pas réellement son oncle, mais que ses parents avaient une dette envers lui, et qu’il devient ainsi l’un de ses esclaves. Yusuf s’habitue peu à peu à une nouvelle vie sans ses parents, où il aide à tenir une boutique. Il est très curieux de la grande maison avec jardin de son « oncle », où il n’a pas le droit d’entrer… mais Yusuf va devoir encore repartir sur les routes de Tanzanie.



C’est une découverte que ce roman du tout récent prix Nobel Abdulrazak Gurnah, écrit en 1994 et réédité tout récemment.

J’ai aimé découvrir la Tanzanie au travers du regard d’un jeune garçon déraciné. Il est un peu difficile de s’attacher à ce jeune personnage, sa naïveté m’en a empêché dans une certaine mesure. Sa personnalité demeure assez longtemps malléable et presque inconsistante, contrairement aux personnages secondaires, qui ont plus d’épaisseur. Certains sont d’infatigables conteurs et grâce à leur volubilité, ouvrent les yeux de Yusuf sur le monde qui l’entoure. Et quel monde ! La société tanzanienne est en effet très cosmopolite, les indigènes swahilis y croisent de riches Omanais, des Hindous, et enfin des colonisateurs allemands, chacun essayant de s’approprier richesses, productions locales et main-d’œuvre à bon marché. Il va sans dire que la paix n’y règne pas.

[...]

L’écriture de Abdulrazak Gurnah fait merveille pour décrire les paysages de la Tanzanie, du désert à la forêt tropicale ou à l’atmosphère urbaine de Zanzibar, pour évoquer les différentes langues qui permettent de commercer et d’échanger, pour représenter les différentes communautés et leurs conflits, pour montrer les petites choses de la vie quotidienne du jeune Yusuf.

Un voyage, à la fois dans le temps et dans l’espace, très intéressant.
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Adieu Zanzibar

Magnifique voyage aux confins de l'Afrique Coloniale.



Adieu Zanzibar, c'est l'histoire de l'amour entre 2 êtres et des conséquences que cet amour engendre pour eux mais aussi pour les générations futures : ce pourrait être une histoire simple. Quoi de plus simple que 2 personnes qui s'aiment ? Seulement il n'en est rien. Nous sommes au début du XXème siècle, en Afrique, dans une province de Tanzanie exactement, une zone toujours colonisée par les Britaniques et les amours entre un colon et une indigène ne sont jamais bien perçus.



Tout commence lorsque Martin Pearce, égaré et dépouillé par des guides somaliens peu scrupuleux, arrive épuisé et en loque dans un petit village de Tanzanie.

Il s'écroule dans la rue et ne doit la survie qu'à la générosité de Hassanali qui en chemin pour la mosquée le voit s'effondrer et décide de le ramener chez lui.

Hassanali va rapidement douter de la justesse de sa décision.

Ramener un européen chez lui alors que sa maison est toute petite, et que sa femme et sa soeur sont présentes. Il est inconvenant pour une femme de se trouver en présence d'un homme autre que son mari ou un membre de la famille.



Cette décision va t-elle jeter l'opprobe sur la famille d'Hassanali ?

Très vite, cette information fait le tour de la ville et les britanniques viennent chercher Pearce.



Quelques jours plus tard, remis de cette mésaventure, Pearce viendra dans le village remercier Hassanali et sa famille de l'avoir accueilli et nourri. Une amitié naîtrat très vite de cette sincérité et de ce profond respect entre les 2 hommes.

Au delà de cette amitié, c'est l'amour qui va saisir Martin Pearce. Un amour partagé par Rehanna la soeur d'Hassanali. Mariée et abandonnée par son époux, elle doit être encore plus vigilante à ses fréquentations.

Mais l'amour est plus fort, et Rehanna et Martin vont devoir partir pour Monbassa pour vivre leur amour.



Quelques décénnies plus tard, dans une autre famille, l'histoire d'amour entre Jamila et Amin ne pourra être vécue car elle sera source de déshonneur et de honte pour la famille d'Amin.

Jamila est la descendante de Rehanna et Martin, issue d'une union désapprouvée.



L'auteur excelle à nous conter l'Afrique, la colonisation, les dégats de cette domination, la place de la femme dans la culture africaine.



Des destins qui s'entrecroisent, et des décisions qui impactent des générations d'hommes et de femmes.

C'est d'abord l'histoire de Pearce et Rehanna, puis celles d'Amin, Rashid et Farida, puis d'Amin et Jamila qui nous sont contées. Et les liens apparaissent progressivement.

Une écriture, sincère, poétique, profonde.



Un très beau voyage.













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Adieu Zanzibar

Un homme blanc, à bout de force, fait irruption sur la place d’une petite ville de Zanzibar, alors sous protectorat anglais. Il est recueilli par Hassanali, boutiquier indo-africain et soigné par Rehana, la sœur de celui-ci. Cet homme s’appelle Martin Pearce. C’est un explorateur anglais et un orientaliste. Son court séjour va perturber à jamais l’équilibre de cette modeste famille et de ses descendants, avec des répercussions tragiques que l’auteur nous conte habilement en nouant les fils de plusieurs destins infléchis par la rencontre de Martin Pearce et de Rehana et leur amour impossible.

A travers ce récit où s’entremêlent plusieurs thèmes, l’auteur évoque la situation politique de Zanzibar avant et après l’indépendance, les conséquences du colonialisme sur les rapports humains et la difficulté pour les jeunes africains issus des anciennes colonies à s’intégrer dans une société européenne où le sentiment de supériorité est tellement ancré dans les mentalités qu’il n’est jamais remis en cause. Ces questions sont traitées à travers les différents destins des personnages de ce roman complexe et riche en émotions. S’inspirant de sa propre expérience d’exilé, Abdulrazak Gurnah a insufflé dans son roman un réalisme puissant qui nous éclaire sur un passé qui n’en finit pas de nous hanter. Un écrivain à découvrir.

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Les Vies d'après

On l'oublie trop souvent, l'Allemagne fut aussi une puissance colonisatrice : en Afrique, Namibie, Cameroun, Togo et d'autres pays dont la Tanzanie actuelle furent colonisés par ce pays jusqu'à la défaite du IIe Reich en 1918. C'est là, en Tanzanie, que se déroule l'histoire que nous conte Abdulrazak Gurmah, prix Nobel 2021 : celle de « natifs », pris dans le tumulte de l'Histoire en ce début de XXe siècle, devant subir la colonisation allemande, brutale comme toutes les colonisations, le bouleversement de la guerre de 14-18 qui s'invita jusque là-bas, l'arrivée des Anglais et leur domination jusqu'à deuxième guerre mondiale.

L’intérêt réside dans le destin et le regard de personnages différents, tous issus de la même culture, et soumis aux événements qu'ils affronteront différemment. Deux jeunes garçons s'engageront plus ou moins volontairement dans les troupes allemandes jusqu'à se battre contre les leurs, l'un d'entre eux parviendra à refaire sa vie en sortant de l'analphabétisme. Une jeune fille soumise aux coutumes, aux traditions et au poids de la religion parviendra à s'en affranchir en partie. Un homme mûr autodidacte, fera son trou peu à peu à force d'intelligence et de sagesse.

C'est avec une grande simplicité que l'auteur éclaire ce pan de l'Histoire trop ignoré, sans effet de style, avec une grande empathie pour ses personnages.

Un seul regret, la fin : les toutes dernières pages, donnent l’impression d'être bâclées.
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Près de la mer

Un homme âgé, Saleh Omar, débarque en Angleterre pour demander l'asile politique muni d'un faux passeport et prétendant ne pas parler anglais. Il ne correspond pas au profil du migrant et il est pris en charge par une jeune femme qui va s'occuper de lui trouver un logement et se lier d'amitié avec lui. L'accueil des migrants est traité de manière sarcastique, d'autant plus lorsqu'il apparaît que le vieil homme est à la fois cultivé et bilingue. Installé dans une petite ville du bord de mer, il raconte les raisons de son exil, ses promenades dans les magasins de meubles et comment il s'est approprié la petite phrase de Bartleby " Je préfère ne pas".



Dans la deuxième partie du roman, sous la fausse identité de Rajab Shaaban Mahmud, il est mis en relation avec Latif, un universitaire exilé, fils du véritable Mahmud. C'est alors Latif qui prendra en charge la majeure partie de la narration. Il aborde la situation politique du Tanganyiaka, ancienne colonie allemande qui s'est unie avec l'île de Zanzibar, sous protectorat britannique. La question du colonialisme, de la persécution des communautés musulmanes, des alliances commerciales et des trahisons est mise en parallèle avec l'histoire plus intime d'une famille. Les rivalités, jalousies et mesquineries feront alors le lien entre les deux hommes qui partagent qui à la fois une histoire nationale et une histoire privée. Chacun interprète cette histoire commune à son avantage, apportant des informations complémentaires et des révélations étonnantes.



La plume d'Abdulrazak Gurnah est très littéraire et plutôt classique, avec une pointe d'auto-derision qui accentue l'humanisme de son roman. Quelques longueurs cependant dans l'histoire de la Tanzanie, lorsque l'on ne connaît pas tous les méandres.
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Près de la mer

Challenge autour du Monde : direction la Tanzanie et plus précisément l'île de Zanzibar.

Ce livre sauvé in extremis de l'incinérateur est une belle découverte.



Qu'est ce qui pousse un vieil homme à quitter son île de Zanzibar pour demander , sous une fausse identité, l'asile politique en Angleterre? Arrivé dans les années 90 en Angleterre Omar Saleh qui ne semble parler que le Swahili, se voit attribuer par les services d'aides aux réfugiés, un traducteur originaire lui aussi de Zanzibar, Latif Mahmud. Ces deux hommes ne sont pas des inconnus et leur destin est étroitement lié.



Par l'évocation de leurs souvenirs respectifs se met en place, petit à petit, le scénario qui a poussé Omar Saleh à se réfugier en Angleterre

Histoire d'honneur et d'héritage, de trahison et de vengeance, tout ceci sur fond de décolonisation, Vers la mer nous entraîne de l'île de Zanzibar et ses croyances, jusqu'en Angleterre, terre d'exil en passant par l'Orient et ses marchands et la RDA, terre d'accueil pour les étudiants originaires des "pays frères".



J'ai vraiment été séduite par ce livre. On se demande parfois où tous ces souvenirs vont nous conduire mais on se laisse facilement emporter par la belle écriture d'Abdulrazak Gurnah.
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Paradis

Après avoir lu 'Adieu Zanzibar', je n'ai pas hésité à cocher 'Paradis', lors de la Masse Critique littérature et j'ai eu la chance d'être sélectionnée. Je remercie Babelio ainsi que les éditions Denoël.

Abdulrazak Gurnah nous propose un long voyage à travers l'Afrique de l'Est, au début du XX siècle. Dès les premières pages, nous faisons la connaissance de Yussuf, douze ans qui vit pauvrement avec son père et sa mère. Il n'a jamais quitté sa famille et puis un jour, on l'envoie vivre chez oncle Aziz. Pour Yussuf la déception sera grande. D'abord il va apprendre que son père l'a vendu pour rembourser une dette trop lourde et ensuite découvrir que celui qu'il croyait être son oncle, est en réalité un riche marchand. On va suivre son parcours lorsqu'il s'installe chez Aziz et travaille avec Khalil. Beaucoup de rencontres l'attendent lorsqu'il va voyager avec les marchands. C'est l'occasion pour le lecteur d'avoir un aperçu de l'Afrique de l'Est dans les débuts de la colonisation. On découvre l'accueil des autochtones, la violence qu'ils montrent envers les marchands, les dangers, les superstitions, la lutte pour survivre...

Même si le rythme est lent, je n'ai pas eu le temps de m'ennuyer. J'ai beaucoup apprécié cette lecture que j'ai trouvé agréable.

Une belle découverte.
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Près de la mer

Un livre qui démarre comme une histoire de réfugié en Angleterre, mais qui se construit progressivement autour de deux hommes et de leur histoire familiale, quelque part près de la mer, dans la Tanzanie decolonisée d'après guerre.

L'intrigue nous emmène sur quelques dizaines d'années dans ces deux vies où l'argent, les affaires, les coups tordus, mais aussi des amitiés et des histoires d'amour à peine effleurées, se télescopent dans une ambiance à la fois nonchalante et violente.

L'écriture est subtile, la psychologie très juste, il y a de l'humour (la description d'un intérieur anglais étriqué et crasseux est savoureuse) et le choc des cultures (de)colonisés / européens est toujours en toile de fond.

Un très beau livre, qui prend son temps, sans jamais cesser de nous intéresser à toutes les détours de ces deux vies presque ordinaires.

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Près de la mer

« Près de la Mer » est un des rares romans de Abdulrazak Gurnah a avoir été publié en français, après avoir été traduit par Sylvette Gleize (2006, Editions Galaade, 313 p). Histoires compliquées de cet auteur et de ce pays, la Tanzanie. Hélas, la maison d’édition, fondée par Emmanuelle Collas, spécialiste de l’Antiquité, l’a dirigée jusqu’à la cessation de son activité en 2017. L'auteur vient d'être couronné par le prix Nobel.



Le pays tous d’abord, c’est la réunion de l’ancien Tanganyika et de l’île de Zanzibar. Comme tout pays, il a une capitale officielle, Dodoma, située à l’intérieur du pays, mais c’est Dar es Salam, le grand port sur la côte qui forme le pôle économique. Zanzibar City est l’ancienne capitale de la grande île. Deux autres îles, Pemba et Mafia, au nord et au sud, sont rattachées au pays. Anciennement colonie allemande, le Tanganyika s’est donc réuni avec Zanzibar, qui était sous protectorat britannique, et qui servait essentiellement de réservoir d’esclaves pour le sultanat d’Oman. Le premier président de la nouvelle république, en 1964, Julius Nyerere essaye de mettre en place un régime, plutôt socialisant, avec une société égalitaire et un gros effort sur l’éducation. Des communautés villageoises, les Ujamaas, sont organisées sur des principes collectivistes. Le développement se fait non sans mal, avec des déplacements de population à la chinoise. Nyerere se retire en 1985. Des nouvelles élections ont lieu et actuellement le pays est dirigé par l’ancienne vice-présidente, Samia Suluhu depuis mars 2021. Le pays a deux langues officielles, l’anglais et le swahili. Tout comme la culture qui est sous influence allemande, avec des chrétiens luthériens, des animistes et des musulmans, ces derniers étant notamment à Zanzibar. La découverte et l’exploitation d’hydrocarbures apportent une certaine richesse au pays.

On comprend donc que la vie de Abdulrazak Gurnah n’a pas toujours été facile, puisque né sur l'île de Zanzibar, il appartient à une communauté arabe persécutée. Il part à 18 ans pour l’Angleterre, change de langue en passant du swahili à l’anglais, langue de son écriture. Il obtient un doctorat à Université of Kent avec une thèse « Criteria in the Criticism of West African Fiction ». Une dizaine d’ouvrages publiés, dont trois traduits, qui traitent tous de ses thèmes préférés : l'appartenance, le déracinement et les migrations, suite au colonialisme, ainsi que de la mémoire.

« Près de la Mer » raconte l’histoire de Saleh Omar, originaire de Zanzibar, qui se présente à la douane à Gatwick, à sa descente d’avion avec un faux passeport. « Je suis un réfugié, un demandeur d'asile. J'ai débarqué à l'aéroport de Gatwick en fin d'après-midi le 23 novembre de l'an dernier ». Le passeport est au nom de son ancien ennemi Rajab Shaaban Mahmud, le propriétaire de Hussein, un marchand persan qui l’a floué.



Tout commence avant la réunification du pays. Omar Saleh, trente et un ans est propriétaire d'une entreprise de meubles prospère. Il se lie d'amitié avec Hussein, un marchand marin de Bahreïn sans scrupules. Omar accepte de lui prêter une grosse somme d'argent, en échange de quoi on lui donne en garantie les titres de propriété de la maison de Rajab Shaaban Mahmud, le propriétaire de Hussein. Le marchand avait prêté une somme d'argent identique et avait reçu ces titres en gages. Comme Omar le soupçonne, Hussein disparait et Omar est obligé de réclamer le remboursement de la dette. Là-dessus se greffe une sombre histoire de tante qui joue double jeu. Elle orchestre une campagne pour discréditer Omar et le faire arrêter et envoyer en détention, d’où il libéré onze ans plus tard. Sa famille s’est dispersée. Ruiné, Omar, se fait passer pour Rajab Shaaban Mahmud, et obtient l'asile politique en Angleterre. Sa seule richesse, un petit sac dans lequel se trouve son bien le plus précieux : une boîte en acajou contenant de l'encens (ud-al-qamari).

C’est un homme déjà âgé de 65 ans, qui apparemment ne parle que swahili, qui débarque dans les années 90 en Angleterre. On lui trouve un traducteur, lui aussi originaire de Zanzibar, Latif Mahmud. Les deux hommes ont a priori des relations communes. « C'est un point culminant, mineur et familier de nos histoires que de quitter ce qu'on connaît pour arriver dans des lieux étranges, emportant avec soi pêle-mêle des bribes de bagages, bâillonnant des ambitions secrètes et embrouillées ».



En fait, ce roman d'Abdulrazak Gurnah, le sixième, aborde deux points particuliers de l'écriture actuelle en Afrique, tout comme dans les cinq autres rpmans. En effet, l’auteur se penche tout d’abord sur les sur le fonctionnement de la mémoire et pour cela il décrit la manière dont elle traduit les récits historiques.

Dans le roman, on trouve face à face Omar Saleh et Latif Mahmud. Ce dernier a complètement coupé les liens avec sa famille à Zanzibar. Il mène une vie confortable en Angleterre en tant que poète et professeur à l'Université de Londres. Par comparaison, Saleh Omar est dans l’esprit de Latif, l'homme qui a ruiné sa famille et leur a volé leurs biens dans les années qui ont précédé l’indépendance de Zanzibar. Il a cependant déchu d’une situation de prospère homme d’affaires, puis progressivement petit commerçant, suivi d’un long séjour en prison comme prisonnier d'État, puis enfin migrant sans papiers à Londres dans un pays qu’il ne connait pas.

L’auteur montre tout d’abord le fonctionnement de la mémoire et son façonnement de l'histoire. Puis, il donne un aperçu du rôle des modes culturels islamiques dans la formation de l'identité nationale avant et après l'indépendance et la révolution. On retrouve alors la vie à Zanzibar avant la réunification lors de courts flashbacks. Naturellement, ces récits des vies antérieures des deux hommes à Zanzibar sont assez contradictoires.

Omar décrit le parfum de l'« ud-al-qamari » comme « la sensation d'une expérience », car l'odeur de l'encens déverrouille une série de souvenirs passés qui reviennent et déclenchent son processus d'introspection. C’est en quelque sorte la madeleine de Proust revisitée par Omar. « C'est peut-être cela vieillir, quand le soleil et la pluie ont effacé les uns après les autres les contours et changé les images en une ombre pelucheuse. Même si tout ce flou et ce vague laissent encore des traces, fragments, toujours plus rares de ce qui constituait le tout : le regard chaleureux d'un visage oublié, un parfum, une musique dont la mélodie échappe, une chambre, alors que le souvenir de la maison ou son emplacement nous fuit, une prairie le long d'une route au milieu du néant ». Omar Saleh, c'est un « raiiya », un citoyen arrivé de l’île de Zanzibar car contraint de fuir sa maison, qui réclame le statut de réfugié qu'il obtient, et qui finit par vivre en exil dans une petite ville anglaise au bord de la mer.

Omar Saleh se replie dans le mutisme pour contrer toute « contamination » européenne, toute pollution de son intégrité et de son monde originaire. Comme cet Angolais, Alfonso, rencontré dans un centre de détention qu’il refuse de quitter tant qu’il n’aura pas fini d’écrire son livre, par crainte de perdre le fil de ses souvenirs au contact des Anglais. « Parfois, je pense que c'est mon destin de vivre dans les décombres et la confusion de maisons en ruine ». Il a choisi de ne pas parler anglais et se conforme au rôle imposé du réfugié sans défense, à l’histoire toute tracée. Il rejoint en celà ses compagnons de rencontre : Alfonso l’Angolais, Ibrahim du Kosovo, Georgy un Rom de Tchéquie et Ali le Guinéen.

Latif Mahmud a suivi une autre voie. Il part pour l'Allemagne de l'Est grâce à une bourse en 1966, donc juste après la réunification, et le début d’une vie socialisante. Très vite, il se rend compte de s’être fourvoyé. Il s'échappe de la République démocratique allemande, déguisé en réfugié politique et arrive en Grande-Bretagne. Là, il préfigure ironiquement la fuite d'Omar de Zanzibar. Cependant, entre temps, il est devenu professeur à l’Université de Londres, donc, c’est quelqu’un de respectable. Il a complètement coupé les liens avec sa famille à Zanzibar. C’est une appropriation de l'histoire, tout comme des politiciens sans scrupules et égoïstes l’ont fait en Tanzanie, plus soucieux d'assurer leur propre avenir que celui de la nation naissante. Cela apparait encore plus fortement dans ses derniers romans, dans lesquels Gurnah décrit de façon cinglante le despotisme irrationnel des nationalistes africains. C’est cette dénonciation d’absence de tout discours hégémonique est récompensée par la Nobel.



Le second point important des romans de Abdulrazak Gurnah traite du rôle des modes culturels islamiques et leurs implications dans les modifications des identités traditionnelles africaines. Et ceci avec le point de vue de la Tanzanie, nation pourrait-on dire au passé double avec Zanzibar et la Tanganyika, malgré son colonialisme allemand. Sur ce point, le roman est écrit du point de vue musulman. En effet, les pratiques musulmanes de Zanzibar sont le ciment qui unit la société, mais qui elles peuvent devenir gênantes si elles deviennent trop oppressives pour le reste de la nation. Tout d’abord, il y a le passé de l’île, qui a été longtemps un point de passage des négriers du Golfe Arabique et un lieu d’échange et de commerce maritime. « Il était une fois des cartes commerciales coloniales qui transformaient la corne de l'Afrique, affectant les petites villes le long de la côte avec leurs balisages. Après l'indépendance de ces pays, les commerçants sont brusquement partis, laissant les villes au bord de la mer dans le désarroi, ne faisant plus de commerce du ghee et de la gomme, des chiffons et des bibelots grossièrement martelés, du bétail et du poisson salé, des dattes, du tabac, du parfum, de l'eau de rose, de l'encens... ». Cette coexistence entre africains, arabes et indiens ne va pas sans poser des problèmes. Il y a eu à Zanzibar une révolte des natifs contre les Omanais. Les rabes commencent à coloniser la côte de Zandj, comme ils la nomment, à partir du Xeme siècle, installant des comptoirs commerciaux actifs durant tout le Moyen Âge. Ils assurent le commerce et les relations de l'Afrique de l'Est avec le monde arabo-persan du Nord-Est, mais aussi avec l’Indonésie et la Chine. D’ailleurs, Sayid Saïd, imam de Mascate (1804-1856) se fait construire un palais à Zanzibar, où il séjourne fréquemment, en faisant sa véritable capitale à partir de 1840.

L’Afrique de l'Est est alors un espace de migrants, avec des relations quelquefois très éloignées des jeux de pouvoir politique. Cela se répercute sur les relations à l’intérieur même des familles. Gurnah traduit ce contexte par des narrations multiples. Le tout est enveloppé dans un contexte d'ironie, de coïncidences involontaires, avec des silences et des élisions. C’est un peu le jeu double que pratique la tante qui orchestre une campagne pour discréditer Omar, le faire arrêter et envoyer en détention d’où il sortira ruiné.

Il faudra que les deux hommes, Omar et Latif, se retrouvent en Angleterre, après une quinzaine d’années pour que la discussion se rétablisse et que la vérité soit enfin révélée. Il a fallu pour cela que le terrain change, que ce soit dans un pays « neutre », loin de l’Afrique de l’Est. Entre ces deux épisodes, il y a eu bien des désertions, de pays, d’amis de rencontre, et des reniements, envers son pays, mais aussi sa famille. Les premières rencontres sont pleines de suspicion et presque de haine. Ruine pour l’un, perte de son identité pour l’autre, avec en plus des conflits provoqués par la famille.



Par ailleurs, le livre est plein d'allusions explicites à Bartleby dans la nouvelle éponyme d'Herman Melville « Bartleby » traduite par Michèle Causse (2012, Flammarion, 201 p). C’est l’histoire d’un employé qui commence à travailler dans un bureau, puis refuse d'effectuer diverses tâches, puis tout son travail, et enfin décide de rentrer chez lui en disant à chaque fois «I would prefer not to » (Je préférerais ne pas).



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