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Critiques de Abdulrazak Gurnah (182)
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Admiring Silence

Abdulrazak Gurnah, un nom, un écrivain venu à ma connaissance grâce au Prix Nobel de Littérature 2021. Étrange que ces deux dernières années deux lauréats , deux noms avec celui de Louise GLück, écrivain et poète qui semblent sortis de nul part, du moins pour moi.

Originaire du Zanzibar, musulman orthodoxe sunnite, Gurnah vit en Angleterre. Ce livre acheté peu après son prix, je l'ai choisi pour son sujet qui semble aussi celui de la majorité de son oeuvre, la condition d'un émigré noir dans un pays colonialiste, en l'occurrence ici l'Angleterre. Et dès les premières pages Gurnah attaque avec le médecin blanc qui le (le narrateur, je suppose son alter ego), diagnose sur la base de la couleur de sa peau , se trompant d'ailleurs de continent 😁 en le catégorisant d'Afro- caribéen. Très vite je suis happée par une langue lumineuse, simple et puissante d'une ironie mordante. Il n'y va pas par quatre chemins pour abattre les arguments de bienfaisance avancés par le colonisateur pour justifier ses actes vils , « Et notre part de cet engagement était d'être colonialisé, assimilé, éduqué, aliéné, intégré, subir des chocs de culture,gagner un drapeau et un hymne national, devenir corrompu, crever de faim, et se plaindre de tout cela. *»

Sa compagne Emma , une anglaise de la classe moyenne, dont les parents « adorent » l'opéra 😁, est toujours présente pour lui rappeler ses origines, particulièrement quand elle est fâchée avec lui 😁! Quand aux -parents c'est une autre paire , le père xénophobe le nommant de «  darky » à leur première rencontre.

L'humour décalé de Gurnah est irrésistible , et je pense que c'est la meilleure arme pacifique pour lutter contre la bêtise humaine, ici de surcroît le racisme et ses préjugés atteignant une impolitesse de niveau puérile. Ses conversations avec le beau-père avocat, qui est resté dans les fastes de l'Empire, cet Empire qui a apporté la civilisation aux cannibales 😁, et dans le retrait a été un désastre ( en vérité oui un désastre mais pas dans le sens qu'il l'entend 😆) sont hilarantes , surtout que ce dernier est incapable de déceler l'intelligence pleine d'humour du gendre.

Le narrateur se plonge dans le grenier à mil de ses souvenirs, dans cette vie laissée derrière lui, pour la confronter à sa vie actuelle, modifiant la version de son propre passé racontée à sa compagne. Déjà affligé de son destin d’immigré coincé entre deux cultures et deux continents, la désillusion et les circonstances de son retour au pays après vingt ans, va rendre sa situation encore plus complexe.

L'admirateur du silence va causer des dégâts sur les deux continents…..



Les jurés du Nobel ont eu le mérite d'avoir distingué un auteur qui raconte avec brio ce que signifie être loin de son propre peuple et devoir affronter jour après jour le mépris constant d'un monde occidental qui se considère comme supérieur. le dilemme étant que le retour au pays n'est plus un choix meilleur. Un sujet plus qu'actuel ! La structure du livre est aussi intéressante, que je vous laisse découvrir car l'expliquer serait aussi dévoiler un pan de l'histoire. Cet auteur nobélisé est une belle découverte, et même si ce livre-ci n'est pas encore traduit en français, mais je pense le sera très prochainement , vous pouvez l'aborder avec ses deux autres livres traduits.

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Paradis

Le nom de Ngugi wa Thiong'o etait sur toutes les levres, sauf sur celles des suedois, qui ont prefere prononcer celui d'Abdulrazak Gurnah. Intrigue, je me suis degotte son Paradis.





La lecture de ce livre fut facile et agreable. L'apres-lecture n'en finit pas de faire eclore differentes pistes, pour sa comprehension et son evaluation.





En premier lieu c'est le genre roman d'apprentissage, de croissance, qui m'a saute aux yeux: Youssouf, un gosse swahili, est confie par ses parents a un riche commercant caravanier en tant que “rehani", comme caution de dette. Il travaillera quelques annees au magasin de celui-ci, puis sera mis au service du tenancier d'un autre magasin dans un petit bourg, pour enfin prendre part a une expedition caravaniere a l'interieur des terres kenyatis, vers le lac Victoria, avec son maitre, le “seyyid" Aziz. L’expedition s'avere desastreuse, physiquement et economiquement. Au retour, Youssouf qui est devenu un beau jeune homme, est convoite par la vieille femme de son maitre et s'amourache quant a lui de la deuxieme femme, plus jeune, de celui-ci. La situation devient dangereuse pour lui et sur un coup de tete il s'engage dans les “askaris", les troupes indigenes que recrutent les allemands a la veille de la premiere guerre mondiale.





Au fur et a mesure de la lecture s'est impose a moi un autre dessein, qui surplombe et transcende cette intrigue: decrire et caracteriser une societe Est-Afriquaine (Kenya et Zanzibar) avant la colonisation europeenne et au tout debut de celle-ci. Une societe composite, ou s'entrecroisent sans vraiment se melanger les riches commercants esclavagistes de Zanzibar, musulmans originaires d'Oman, les swahilis autochtones du continent, islamises sur la Cote et animistes a l'interieur des terres, les hindous commercants et preteurs d’argent, et, derniers arrives, les europeens qui jouent sur les antinomies existantes pour instaurer un nouvel ordre grace a la superiorite ecrasante de leurs armes et s'emparent peu a peu des meilleures terres.



Gurnah decrit une jungle humaine. A l'interieur, des tribus guerrieres ranconnent les agriculteurs, raflent leurs femmes, volent leurs enfants pour les vendre comme esclaves aux caravaniers musulmans, et des fois les massacrent pour s’emparer de tous leurs biens. Sur la cote les musulmans font la loi, grace a l'economie caravaniere et esclavagiste qu'ils ont instaure.



Dans ce contexte, la decision de Youssouf de fuir son ancien maitre, qui lui etait malgre tout bienveillant, de fuir son ancienne vie, n'est peut-etre pas un acte dicte par la panique et le desespoir, un acte qui signe sa defaite, mais plutot un choix raisonne: il ne sait pas ce que lui reservent les allemands mais en tous cas il ne sera plus esclave. C'est la premiere decision qu'il ait pris pour lui-meme, jusque la c'etaient toujours d'autres qui decidaient de sa vie. Une decision qui abolit son servage et lui permet l'espoir d'une autre vie. Meilleure? Il ne sait, mais c'est son espoir.





Gurnah n'est pas tendre avec les colonisateurs europeens. Il ne laisse percer aucune illusion sur leurs buts ni sur les moyens qu'ils emploient pour les atteindre. Mais la societe afriquaine sur place qu'il decrit est terrible. Une societe cruelle, ou l'hostilite est le rapport humain le plus courant, asphyxiee par l'asservissement, par l'esclavage endemique, une societe qu'une minorite rapace vide de ses richesses. Une societe ou les imperialistes europeens ne feront, au pire, qu'intensifier l'oppression, mais pourront peut-etre aussi, pour certains autochtones, ouvrir de nouveaux horizons. Et je percois dans le titre du livre beaucoup de douleur. Parce que bien que l'auteur integre dans son livre une discussion entre musulmans et hindous sur ce qu'est le paradis promis aux justes, bien que nous soit decrit amplement le jardin paradisiaque du seyyid Aziz, pour moi le titre s'adresse et designe la societe decrite. Paradis? Vraiment? Si cela etait le paradis que sera l'enfer?





Finalement, c'est en ecrivant que je realise la presence d'un autre substrat dans ce livre. Les reminiscences d'une histoire mythique, idyllique, qui est ici transposee et tronquee, parce qu'ici, dans ce “paradis" elle ne peut bien finir. C'est l'histoire biblique de Joseph en Egypte. Youssouf est Joseph. Comme lui, il a ete vendu en esclavage par sa famille. Comme lui, il a des reves et son entourage le prend pour un fou ou pour un devin. Comme lui, il est d'une beaute angelique et la femme de son maitre tente de le seduire. Mais la s'arrete le parallelisme. Si Joseph devient un grand d'Egypte et sauve ce pays de la famine, Youssouf fuit celle qui le seduit et nul ne sait ce qu'il deviendra. Dans le “paradis" ou il se meut on ne peut envisager une fin aussi enchanteresse que celle du Joseph biblique. Encore une fois, je me dis que le titre du livre est empreint d'une certaine amertume. Paradis?





C'est en tous cas un beau livre. Facile a lire mais pas si facile a digerer. Si je juge par lui, le seul que j'ai reussi a trouver, l'academie Nobel s'est dotee d'une belle parure.

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Adieu Zanzibar

Alors que tôt ce matin de 1899, le boutiquier Hassanali se rend à la mosquée de sa petite ville d’Afrique orientale pour faire l’appel de la première prière du matin, il découvre avec stupéfaction, tel un mirage surgi du désert, la silhouette titubante du premier mzungu – « blanc » en swahili – qu’il ait jamais vu. Seul, à pied et sans bagages, l’homme « couverts de traces d’entailles et de piqûres d’insectes » s’écroule au bout de ses forces. Il a été dévalisé et abandonné par ses guides lors d’un voyage en Abyssinie. Bientôt remis sur pied par son hôte, cet Anglais qui s’appelle Pearce et se montre plus ouvert que ses semblables, bravant les conventions autant locales que coloniales, devient l’amant de la sœur d’Hassanali, scellant ainsi sans le savoir, puisqu’il ne devait pas tarder à reprendre ses esprits et à rentrer en Angleterre, le destin maudit de plusieurs générations métisses à venir.





C’est un demi-siècle plus tard, dans l’archipel du Zanzibar pour peu de temps encore sous la tutelle coloniale britannique, que le scandale refait abruptement surface, quand le narrateur et collégien Rashid voit son frère Amin se heurter dramatiquement à l’ostracisme qui frappe la descendance de la belle maîtresse indigène abandonnée. Vague alter ego de l’auteur, le jeune homme finira par partir faire ses études au Royaume-Uni avant de s’y retrouver durablement coincé par les troubles entourant l’indépendance du Zanzibar. Son récit marqué par la mélancolie et par la culpabilité se déploie sous le signe de l’abandon souligné par le titre original. Amours trahies et délaissées, pays abandonné à son sort par la débâcle coloniale, famille quittée pour un exil sans retour, l’histoire narrée nous plonge avec subtilité dans l’empreinte laissée par le colonialisme sur les populations locales, au coeur des déchirements vécus sur la ligne tectonique entre cultures et continents, et en confrontation directe avec le racisme :





« C’est la faute à l’esclavage, voyez-vous. À l’esclavage et aux maladies qui les minent, mais à l’esclavage surtout. Esclaves, ils ont appris l’oisiveté et la dérobade. Ils ne peuvent plus concevoir de s’impliquer dans le travail, d’assumer des responsabilités, même contre paiement. Ce qui passe pour du travail dans cette ville, ce sont les hommes assis sous un manguier à attendre que les fruits murissent. Regardez ce que la compagnie a fait de ces terres. Les résultats sont impressionnants. Des cultures nouvelles, l’irrigation, l’assolement, mais il a fallu pour y parvenir radicalement changer les mentalités. »





« C’est étonnant, n’est-ce pas, que ces gens aient vécu pendant des siècles sans avoir recours à l’écriture (...). Tout s’est transmis oralement. Il leur a fallu attendre que monseigneur Steere arrive à Zanzibar dans les années 1870 pour que quelqu’un songe à produire une grammaire. Je pense ne pas me tromper en disant que cela vaut pour toute l’Afrique. C’est stupéfiant qu’aucune langue africaine n’ait été écrite avant l’arrivée des missionnaires. Et je crois bien que dans nombre de ces langues, le seul ouvrage existant est la traduction du Nouveau Testament. Incroyable, non ? Ils n’ont même pas encore inventé la roue. Cela donne une idée du chemin qui leur reste à parcourir. »





« (...) j’en vins à me considérer avec un sentiment croissant de déplaisir et d’insatisfaction, et à me voir avec leurs yeux. À me regarder comme quelqu’un qui mérite l’antipathie qu’on lui porte. J’ai d’abord cru que c’était à cause de ma façon de parler, parce que j’étais médiocre et maladroit, ignorant et muet (...). Puis j’ai pensé que c’était à cause des vêtements que je portais, des vêtements bon marché, sans allure, pas aussi propres non plus qu’ils auraient pu l’être, et qui peut-être me donnaient l’air d’un clown ou d’un déséquilibré. Mais les explications que j’essayais de trouver ne m’empêchaient pas d’entendre les paroles offensantes, le ton irrité dans les rencontres au quotidien, l’hostilité contenue dans les regards fortuits. »





Jusqu’alors peu connue en France, l’oeuvre d’Abdulzarak Gurnah lui a valu le prix Nobel de littérature en 2021, ce qui a enfin motivé la réédition de ses livres traduits en français : une des plus grandes plumes africaines, toute en profondeur et en empathie, à découvrir sans faute pour casser les stéréotypes et, selon les termes du jury, « ouvrir notre regard à une Afrique de l’Est diverse culturellement, mais mal connue dans de nombreuses parties du monde ». Coup de coeur.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Paradis

Paradis, ce roman écrit par Abdulrazak Gurnah, prix Nobel de littérature 2021, nous plonge au début du vingtième siècle, dans cette partie de l'Afrique de l'Est qui couvrait à l'époque un territoire depuis le Tanganyika jusqu'à Zanzibar et qui forme l'actuelle Tanzanie.

Nous découvrons le jeune Yusuf, un adolescent dans sa douzième année qui vit dans la tranquillité d'une famille harmonieuse auprès d'un père secret et d'une mère aimante.

De temps en temps, l'oncle Aziz, un marchand prospère vient leur rendre visite dans leur petit village. Il a l'habitude de s'arrêter chez eux lors des longues expéditions qu'il entreprend régulièrement pour son commerce. Pour rembourser une dette qu'il a contracté auprès d'Aziz, le père de Yusuf fait croire à son fils que ce dernier va séjourner pendant quelques temps chez son oncle. Une joie immense envahit l'enfant, celle de prendre le train, découvrir une grande ville, changer d'air. Mais en réalité Aziz n'est pas son oncle. Et voilà Yusuf emporté loin du giron familial, victime d'un esclavage qui ne dit pas son nom, devenant captif d'un monde nouveau tout en abordant les rivages d'une nouvelle existence qui va le transformer.

J'ai été embarqué dans cette histoire, dans les pas de Yusuf, traversant les paysages de ce texte, depuis l'océan jusqu'aux montagnes, vers les lacs et les forêts, franchissant des terres parfois plus arides. Mais les paysages les plus beaux sont les contrées qui mènent jusqu'au coeur des personnages, jusqu'aux abîmes intérieurs.

J'ai beaucoup aimé ce texte totalement inclassable et c'est sans doute ce qui en fait une de ses particularités pour ne pas dire son charme. Ceux qui aiment les romans qu'on peut facilement ranger dans une case bien précise en seront ici pour leur frais...

Ne pas savoir dans quelle catégorie situer cette lecture qui oscille comme une vague, comme des sables transportés par le vent du désert, pourra déstabiliser certains lecteurs. Ce signe distinctif m'a au contraire séduit. J'ai été pris dans l'oralité tourmentée de cette histoire comme si un griot venait me la chuchoter dans le creux de l'oreille rien que pour moi, parmi le son des tambours et la clameur des cris au loin.

Est-ce un conte oriental ? Un roman d'apprentissage ? Un récit sur l'exil et la mémoire ? La transposition contemporaine d'une fable biblique ? Une méditation sur la nature humaine ?

Croisement des chemins entre Hindous et Musulmans comme les caravanes se croisent dans le sillage des femmes et des hommes qui ont façonné cette Afrique multiple... C'était avant que le colonialisme ne vienne poser un joug supplémentaire, tandis que les marchands cupides couraient après l'or et l'ivoire, tandis que les religions s'affrontaient déjà, faisaient du mal, tandis que l'esclavage déplaçait le destin des enfants et que le chagrin de leurs mères inconsolables continuait de résonner longtemps après dans le silence du ciel et de la terre.

Yusuf est ce bel adolescent qui va grandir dans le fracas d'un monde qui lui échappe. Sa naïveté l'amène à poser sur ce monde en pleine mutation un regard singulier, à la fois attachant et détaché, sans bruit, presque muettement.

C'est l'éducation d'un adolescent, d'un jeune homme qui grandit et perd en chemin son innocence, en même temps qu'il va apprendre la liberté.

J'ai aimé l'amitié qui va se nouer entre Yusuf et Khalil, sortes de « frères ennemis » qui vont se taquiner, s'affronter, s'admirer dans cette captivité qui les a déracinés à jamais...

Ce que j'ai aimé aussi, c'est ce regard sans concession de l'auteur sur sa terre natale, la terre de ses ancêtres, qui, au nom de la sacrosainte tradition, permettait la traite des enfants séparés de leur famille, enlevés, rendus esclaves pour payer la dette de leurs parents, mais aussi les violences subies par les femmes, l'oppression douloureuse des religions.

L'appétit avide des colons viendra plus tard, avec le bruit de la guerre qu'on entend déjà au loin...

Brusquement, une porte s'entrouvre sur un jardin clos et je m'y suis engouffré parmi le parfum des orangers et la fragrance du jasmin. Je suis entré dans ce jardin, moment sensuel pour retrouver la Maîtresse du lieu, une étrange femme âgée qui est comme un oiseau en cage à chantonner le soir tristement. Elle est peut-être devenue folle, mais Yusuf sait lui donner de la joie, comme s'il avait un don.

Mais c'est Abdulrazak Gurnah qui a un don, celui de nous transporter ailleurs, dans un paradis bientôt perdu.

Il y a dans ce récit une tristesse fracturée de lumière, ou bien peut-être c'est l'inverse. Je ne sais plus...

J'ai été dévoré par les insectes, j'ai été écorché par les épines des buissons. J'ai traversé des paysages et j'ai été traversé par des personnages qui demeurent en moi comme l'écho d'une magnifique et poignante histoire emplie d'humanité.

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Paradis

Peu connu du public francophone, Abdulrazak Gurnah est le deuxième écrivain d’Afrique noire subsaharienne à remporter le prix Nobel de littérature. Les lecteurs français ont eu l’occasion de le découvrir pour la première fois en 1995 dans « Paradis », le premier de ses trois romans traduits dans notre langue.



J’ai également découvert Abdulrazak Gurnah en lisant « Paradis ». J’ai été séduit par son écriture simple mais élégante et vivante. Dans ce roman, Gurnah esquisse le panorama de son pays au début du XXe siècle et s’intéresse aux destins d’individus vulnérables que l’histoire et la géographie malmènent. A travers l’odyssée du jeune Yusuf, vendu par son père en règlement d’une dette, réduit ensuite en esclavage par son « oncle » Aziz, puis lancé à dix-sept ans, au péril de sa vie, sur la route des caravanes à l’intérieur du pays, l’écrivain scrute les innombrables facettes de la servitude, dessinant le portrait d’une population africaine exploitée et menacée par des intérêt puissants.



Le roman crée un espace de réflexion sur la société précoloniale et coloniale de l’Afrique de l’Est où existait déjà, avant l’arrivée des Européens, Allemands, Italiens et Britanniques, une société métisse transculturelle, faite d’éléments culturels et langagiers arabes, africains et hindous, et l’auteur crée une sorte d’interlangue pour représenter un univers métissé des langues et des cultures. L’intrigue se déroule au début du XXe siècle, à mi-chemin entre la domination arabe et la colonisation allemande, au moment où des Européens commencent l’occupation de la côte est-africaine. Le texte déconstruit le mythe de l’Eldorado précolonial en soulignant l’implication swahili — société métisse faite d’éléments arabes, indiens, persans, africains — dans la traite des esclaves.



À travers le regard, souvent ironique de Yusuf, le récit s'efforce de restituer ce qu'ont vécu les populations de l'Afrique de l'Est à un tournant de leur histoire, et décrit le piège et l’impasse que porte une idéologie récente dont l’obsession est de dénoncer la colonisation européenne en exaltant la résistance indigène et son exploitation. Les conflits linguistiques, religieux ou ethniques existaient bien avant la colonisation européenne et subsistent encore bien après.

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Paradis



Puisque le rapprochement entre le Yusuf de Abddulrazak Gurnah avec le Yusuf de la douzième sourate du Coran, et avec le Joseph de la Genèse, cités par l’auteur, a été évoqué par d’autres lecteurs, il me semble plus intéressant d’étudier le titre même : Paradis.

Lorsque Yusuf, le petit ingénu arrive avec son oncle Aziz dans la maison de celui-ci, après avoir pris le train construit par les Allemands, il a la vision fugace « d’un jardin d’arbres fruitiers, de buissons en fleur, de reflets dans un bassin ».

Lorsqu’il arrive, enfin, (parce que le jardin est clos) à y entrer, il découvre LE jardin, avec bassin au centre et des canaux dans les quatre directions des points cardinaux, et une grotte aussi, ainsi qu’une abondance de fleurs.

C ‘est exactement la description du Paradis/jardin inventé en Mésopotamie : l’eau reflète le ciel, elle s’élève vers lui dans les fontaines, elle retombe en cascade, elle coule sur les terrasses, elle enchante l’oreille par ses clapotis, elle assure l´éclosion des fleurs parfumées et des arbres fruitiers( les orangers, les bananiers) et cela, métaphoriquement, pouvant s’étendre aux quatre coins du monde.

Ce jardin d’Eden, terrestre, donne une idée pour l’Islam du septième ciel crée par Dieu, lui –même partagé en sept niveaux, comme les jardins suspendus ou les jardins à terrasses de l’Inde.

L’Afrique Orientale Allemande, aujourd’hui Tanzanie reçoit depuis toujours les influences de l’Inde, de Boukhara, Tachkent d’Hérat, d’où lui vient le culte nouveau des jardins et de l’intériorité de l’Islam ; c’est par Zanzibar aussi que les explorateurs cherchant la source du Nil, Speke, Burton, Grant, Stanley, pénètrent, alors que les caravanes se dirigent de l’intérieur vers la côte : caravanes sans chameau, (malgré ce que pourrait nous faire croire la couverture du livre,) emportant l’or et les esclaves vers d’autres rivages .

La caravane de l’Oncle Aziz, à laquelle participe Yusuf, est une caravane marchande, portée par des volontaires payés pour le faire. Ils rencontrent au fur et à mesure de leur périple la présence des Européens, ce sont eux les nouveaux maitres. Aziz ajoute que ces étrangers font la même chose que ce que les arabes faisaient avec la traite, et ce que lui aussi fait, commercer.

Pourtant, les Allemands, introduits par Emin Pacha, ami de Stanley, ont instauré un régime un peu plus sévère que le commerce : taxes, interdictions, pendaisons, dans un pays où l’esclavage avait été la règle et où chacun pouvait vendre fils ou cousins.



Paradis, le livre Nobelisé en 2021, nous fait aussi voyager à l’intérieur des forêts et villages tanzaniens- j‘avoue ne pas avoir réussi à localiser Tayari, Mkata, Mkalkali, Mikosomi, , peu importe, la musique suffit parfois-( sauf Kilwa, ville côtière avec une Grande Mosquée somptueuse) et nous fait vivre la sortie de l’enfance de Yusuf, parti avec Aziz , qui en fait n’est pas son oncle, mais un marchand qui s’est payé de la dette de son père.

Il découvre donc qu’il est esclave, il entre dans le bosquet du désir, il devine maintenant ce que son maitre Aziz pense, ses angoisses et ses déconvenues, son calme et sa sérénité en toutes circonstances, essaie peu à peu de se sentir moins coupable quand il apprends sa propre histoire, et, finalement, ne choisit pas une liberté hasardeuse mais bien l’aventure des caravanes.

Livre pas plaisant au premier abord, un peu lent comme ces caravanes commerçantes, un peu tout azimut aussi, mais dont le charme discret se révèle à la relecture : Comme Aziz, un maitre zen africain, Gurnah donne à voir un monde feutré, et à la fois ouvert aux influences diverses venues du Moyen Orient, et aux pénétrations barbares, les ascaris, ou troupes africaines étrangères donc prêtes à tout .

Enfer.

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Paradis

D'un Nobel à l'autre, d'un bout du palmarès à l'autre, me voilà dans la découverte du Nobel 2021, Abdulrazak Gurnah. Un quasi illustre inconnu quand il obtint le premier, lui-même en fut surpris parait-il. Heureusement, grâce au challenge Nobel, j'avais de bons échos qui me prédisaient une lecture agréable.



Les premières pages me déstabilisèrent. Certes le sujet, un jeune garçon qui voit basculer sa destinée dans l'esclavage est fort. Certes le contexte historique et géographique, la Tanzanie à l'époque des débuts du colonialisme allemand, est intéressant et original.Mais le style paraît assez passe partout, pas mal écrit du tout mais rien qui ne sorte de l'ordinaire, ni flamboyance ni innovation particulière.



Et puis au fil de l'histoire, je commence à comprendre le génie : c'est l'histoire, le récit qui est roi ici. Gurnah rend tout au long du livre hommage aux conteurs, à ceux qui racontent des anecdotes au coin du feu, aux bavards légèrement mythomanes, aux passeurs de légendes. Et pour ces hommes, c'est bien l'histoire en elle-même qui fait toute la force de leur art, pas forcément besoin d'artifice, pas de nécessité d'être original puisque l'histoire doit traverser le temps à travers eux. Difficile d'ailleurs d'extraire des citations qui puissent rendre ce ressenti de lecture, hormis certains dialogues peut-être. Mais ils ne prennent vraiment leur force que par la connaissance qu'on acquiert de ces personnages, par le parcours initiatique dans lequel on accompagne Yousouf.



Côté message, Gurnah donne tout pouvoir au lecteur. J'ai vu sur sa fiche Wikipedia que ce livre était considéré comme une charge contre le colonialisme… Soit nous n'avons pas lu le même livre, soit la subjectivité du lecteur a vraiment une importance capitale. Bien sûr Gurnah fait souligner par certains de ses personnages l'hypocrisie du colonisateur qui compte mettre fin à l'esclavage et aux pots de vin… mais avec le but avoué de prendre le contrôle du pays. Mais quand on observe ceux qui portent cette dénonciation, qui voit on ? Des musulmans du Yémen ou d'Oman, principaux organisateurs de l'esclavage, des Indiens commanditaires qui récupèrent les bénéfices, des tribus qui fournissent assez facilement certains de leurs congénères si le prix payé est satisfaisant, des familles autochtones endettés qui laissent partir leurs enfants en gage. Tout le monde est renvoyé dos à dos à ses propres turpitudes et chaque personnage rencontré passe son temps à critiquer et à appeler à la méfiance contre chaque communauté.



Et au cœur de tout ça j'en oublierais presque le héros, ce Youssouf prophète des temps modernes, directement inspiré du Joseph biblique et du Youssouf coranique, jeune homme loué pour sa beauté, dont les pouvoirs magiques sont espérés… mais surtout frappé, convoité, attouché, peut-être violé si Gurnah a fait le choix de ne pas tout nous dire… Un personnage au centre de tout, mais comme on est au centre de la tempête, sans aucune possibilité de choisir, qui semble parfois dans le confort de n'avoir à rien assumer mais parvient au fil du temps à mesurer la valeur de cette liberté qu'il ne peut connaitre puisqu'il n'a jamais eu à l'exercer.



Pour finir, le Paradis du titre, où peut on le trouver : s'il serait selon certains personnages présent quelque part sur Terre mais protégé des intrusions, selon Amina, autre esclave du seyid (maître) c'est bien l'Enfer qui est sur Terre, avec la vie qu'ils sont obligés de subir. Si le Paradis doit être trouvé, il est dans la nature visitée lors des expéditions dans l'intérieur du pays et que Youssouf admire, sans doute parce qu'elle est encore en majeure partie préservé des folies de l’humain.

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Près de la mer

Livre assez paradoxal. Tout l'intérêt réside dans le style de l'auteur, dans sa manière de mener la narration à travers le prisme des personnalités de ses deux protagonistes.

Alors que leur histoire est épique en elle-même, ce n'est pas sur ce plan factuel que mise l'auteur pour faire pénétrer dans son univers africain. Il choisit deux regards, deux façons d'être, deux manières d'appréhender la vie qui vont nous narrer une seule histoire.

Quelque part, notre histoire tellement on peut se sentir concerné par les soubresauts de l'humanité partout où des intérêts s'affrontent, des sentiments s'exacerbent.

On y trouve un humour léger, presque acerbe.

S'il fallait retenir une raison de lire ce livre, ce serait le regard posé par l'auteur sur ces trajectoires individuelles prises dans le mouvement global des civilisations.

Je préférerais ne pas le faire.
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Près de la mer

Ils sont deux. Deux hommes africains, originaires d'une contrée considérée comme à l'autre bout du monde – le terme de Zanzibar fait toujours rêver - à se retrouver en asile au Royaume Uni.



Le premier porte un faux nom. Il se fait appeler Rajab Shaaban Mahmud, porte avec lui un sac de vêtements, un coffret en acajou qui recèle un bien précieux, et il est doté d'un conseil – bon ou mauvais on le saura plus tard : en dire le moins possible, et faire semblant de ne pas parler tandis qu'il maîtrise parfaitement la langue.



Le second est un peu plus jeune. Ironie de l'histoire – et on verra pourquoi par la suite – c'est le fils du vrai Rajab Shaaban. Il est arrivé un peu plus tôt au Royaume Uni et vit en tant qu'universitaire à Londres.



Abdulrazak Gurnah va nous faire vivre dans la tête du premier : qu'est-ce qui peut en effet pousser un homme de plus de 60 ans à tout quitter pour demander l'asile dans un pays dont il ne semble même pas parler la langue ? On comprendra plus loin que, après une vie de riche commerçant, il a fait de prison et aspire à la sérénité.



Ce sera ensuite le tour de Latif, d'abord appelé comme interprète pour traduire la langue de son compatriote, et surtout bien curieux de comprendre pourquoi l'homme qui lui fait face a emprunté l'identité de son père décédé.

Car les deux hommes, sans se connaître profondément, ont de forts liens communs.



On ne dira rien de ce qui les lie, pour ne pas divulgacher aux lecteurs le plaisir de lire ce conte qu'on pourrait croire issu des mille et une nuit.

Mais surtout on aura apprécié la langue : nul doute que c'est ce qui fait la force du récit de Abdulrazak Gurnah, couronné d'un Prix Nobel bien mérité.

En lui décernant le prix Nobel de littérature à l'automne 2021 pour les dix romans qu'il a publiés depuis 1987, l'Académie suédoise en effet souhaitait récompenser une oeuvre qui explore de manière « empathique et sans compromis les effets du colonialisme et le sort des réfugiés pris entre cultures et continents ». Bien vu.



L'écriture est ample, elle prend son temps, et cherche à décrire la subtilité des liens entre les êtres, fût-ce la haine ou le ressentiment.



On croisera aussi le personnage de Bartlleby que Melville a fait naître et qui restera célèbre pour son « je ne préfère pas ». Les deux hommes connaissent cette référence, qui a quelque chose à voir avec leur histoire à tous deux.



Peu de personnages secondaires (Rachel, qui s'occupe des réfugiés, un autre homme qui aura été providentiel pour l'asile politique) mais peu importe : c'est avec beaucoup de sagesse que l'auteur nous raconte ses vies que le destin forge de toute part.



Devenu spécialiste des études postcoloniales à l'Université du Kent, à Canterbury, aujourd'hui à la retraite, Abdulrazak Gurnah s'est intéressé à des écrivains comme Wole Soyinka, Salman Rushdie ou encore Conrad nous dit-on.

C'est quoi qu'il en soit une réelle découverte pour moi : ce roman sur fond de thématique très contemporaine ne devrait laisser aucun de ceux qui se soucient de littérature indifférent.


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Paradis

Joseph et la femme de Putiphar est un thème très courant dans la peinture religieuse mais, sans l'auteur de "Paradis", je n'aurais pas pensé à creuser l'histoire de ce personnage biblique même pas prophète quoique très populaire. Joseph, donc, rêve beaucoup, de ces rêves inspirés par Dieu, au grand dam de ses frères jaloux qui le vendent à un marchand d'esclaves. Acheté par Putiphar, il suscite le désir de sa femme qui, éconduite, l'accuse d'avoir voulu la violer. Envoyé en prison, il ravira Pharaon par la précision de ses rêves, en deviendra le premier ministre et finira riche, se payant le luxe de pardonner à ses frères contrits.

Or, si le Coran reprend souvent des personnages bibliques, il développe dans une sourate entière l'histoire de Joseph -désormais Yûsuf- qui n'échappe à la tentatrice qu'en lui laissant un morceau de sa chemise qu'elle déchire (C'est chaud!). Comme le pan abandonné correspond à la partie arrière de la chemise, Aziz, le mari, en déduit que c'était bien sa femme qui courait après le jeune esclave et non l'inverse. Yûsuf va pourtant en prison, mais, selon la version coranique, c'est de son plein gré, pour échapper aux turpitudes de ce monde.

Dans "Paradis", le héros est beau et pur comme un dieu, il suscite le désir de tous et se prénomme Yusuf. Son père l'a vendu à son créancier, le riche marchand Aziz. Et la femme d'Aziz déchirera la chemise de Yusuf...

Bien sûr, Abdulrazak Gurnah ne se contente pas de transposer cette histoire populaire pour le plaisir du clin d'oeil. Son roman évoque le basculement de l'Afrique de l'est dans la colonisation, lorsque son économie fondée sur le commerce caravanier devient impossible, et que les contes narrés par les porteurs autour du feu remplacent peu à peu les djins par les Allemands.

La destinée de Yusuf accompagne cette évolution. Arraché à sa famille, il accompagne son "oncle" Aziz, homme doux et protecteur qui n'en reste pas moins son maître, et croise tous ceux qui ont mis le pied en Afrique: Grecs, Arabes, Indiens, Sikhs, dans ce paradis mis à mal par la cupidité des hommes.

Par la cupidité des hommes et aussi par leur fatalisme. Yusuf aime Amina mais renonce à fuir avec elle. Abdulrazak Gurnah suggère que si Zanzibar est tombé sans grande difficulté dans le giron des Européens c'est parce que ses traditions esclavagistes ont préparé les âmes à l'acceptation. Le maître de Yusuf est aussi son père de substitution: quand Aziz lui pardonne, Yusuf a perdu toute capacité à se révolter. Tandis que son homonyme choisissait de fuir en prison pour mieux se rapprocher de Dieu, le héros de Gurnah fuit son maître et son amoureuse, fuit le lâche qu'il est devenu, et rejoint volontairement la colonne de prisonniers emmenés par les Allemands. Yusuf ne le sait pas, mais le lecteur devine qu'il finira en chair à canon, quelque part à la frontière franco-allemande.

Ce très beau roman, roman de l'exil et du renoncement, écrit dans une langue parfaite de classicisme, est enfin édité en français, grâce aux jurés du Nobel qui viennent de couronner son auteur. Qu'ils en soient remerciés!
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Les Vies d'après

Abdulrazak Gurnah, on en parle ?

À vrai dire il ne faudra pas vraiment compter sur moi, je le connais à peine. Prix Nobel traduit depuis peu par ici, je n'ai lu de lui que « Près de la mer » avant de me plonger dans ces «  vies d'après », qui sont plutôt des vies d'avant à l'échelle temporelle de notre modernité, mais qui font ressentir beaucoup de choses via les traumas géopolitiques, et leur cohorte de scories transgénérationnelles.

Nous sommes en Tanzanie au début du siècle dernier, en pleine crise d'hégémonie européenne tournée vers les colonies. Allemands, britanniques, portugais, belges (pas trop de français de ce côté-ci de l'Afrique de l'Est) se livrent à des combats sans merci, entre eux ou envers les habitants. Les locaux seront le plus souvent écrasés par les askaris dans les rebellions freinant les avancées, ou plus simplement affamés par les pénuries et les razzias allemandes orchestrées dans les villages. Parmi eux il y a Ilyas, enlevé tel un simple fétu de paille par un soldat allemand sur le quai d'une gare, pour simplement l'avoir à portée de main d'esclavagiste. Ilyas ne reverra pas sa famille, même s'il finira par retrouver sa jeune soeur Afiya expédiée en famille d'accueil au décès de ses parents. Avant de repartir au combat, volontaire cette fois dans la Schutztruppe. Il y a aussi Hamza, empêtré dans la servitude envers un officier allemand, lui même empêtré dans la guerre envers les locaux ou les britanniques. Hamza sera lui aussi libéré, une vilaine blessure en souvenir. L'occasion de retrouver la grande ville où il a vécu et je n'en dirai pas plus, contrairement à la 4ème de couv qui prend ses aises en résumant les grandes lignes. Même s'il peut être bon de savoir que le reste naviguera plus souvent entre espoir et amour que précédemment, par le biais de personnages marquants tel Khalifa au grand coeur camouflé, « bourru sentimental attentif aux autres et aux torts qui leur sont faits »

LA grande force de ce roman me paraît être sa facilité à nous immerger dans un monde éloigné qui nous deviendra familier et sensible, à travers une écriture sans flonflon ni fioriture, essentiellement factuelle, pouvant même paraître neutre. Pas de détours ni de doutes, Abdulrazak Gurnah entre essentiellement dans ses personnages par leurs actions, mais il ressort de son art de conter une maîtrise et une forme de détermination, on embarque sans retenue dans ses destinées d'avant augurant celles d'après, en éprouvant leur sensibilité. le genre d'auteur qui ne perd pas son temps, car il a tout simplement des choses à nous dire, et nous faire ressentir.
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Adieu Zanzibar

Nouveau coup de coeur avec Gurnah, j'ai vraiment hâte que paraissent de nouvelles traductions de ces romans.



Toujours les thèmes de l'identité, de la singularité et la richesse des cultures, des traces et blessures laissés par le colonialisme, des frontières mentales qui ne se franchissent jamais.

Ici, c'est par l'intimité d'une famille et sur le long temps de son histoire que ces thèmes sont abordés, à travers plusieurs générations.

J'ai adoré la première partie, au tournant du siècle à Zanzibar, où le quotidien du timoré commerçant Hassalani se voit perturbé par l'arrivée d'un "gwunzu", un Européen blessé, que sa soeur va soigner et dont elle va, perturbation ultime, tomber amoureuse. En donnant la parole à tour de rôle à chacun: Hassinili, sa soeur Rehana, l'Anglais recueilli et son supérieur, Gurnah redonne grâce à l'intelligence de sa plume toute l'intensité du réel à cette colonie cosmopolite du bout du monde, et met en relief avec une précision chirurgicale l'impossibilité de concilier les regards des locaux et des dominants, tout en faisant voler en éclats cette barrière infranchissable avec l'amour impossible de Rehana et Pearce. Cette partie-là est une magistrale leçon d'ouverture et de tolérance, un vrai bonheur à lire.

Puis la parole est donnée aux descendants, ceux qui partent et ceux qui restent, tous marqués jusqu'au fond d'eux-mêmes par l'éducation reçue, les interdits appris et les mantras sociaux subis, et pourtant chez chacun Gurnah met en relief avec une finesse exquise la singularité de leur personnalité propre, transcendant toutes les dominations tout en préservant les cultures.

Un prix Nobel vraiment mérité, qui porte haut la part d'universel qui caractérise (la plupart du temps) l'esprit de ce prix.
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Près de la mer

Étrange, parfois, les hasards de la vie. Je prédisais l'attribution du prix Nobel à Ngugi wa Thiong'o mais, étant dans l'impossibilité de trouver un de ses livres à ma bibliothèque locale, je m'étais rabattu sur Près de la mer, un bouquin d'Abdulrazak Gurnah. Ironiquement, c'est ce dernier qui a été sacré. J'avais lu un de ses livres cet été, j'avais éprouvé de la difficulté à accrocher à l'histoire mais quelque chose m'avait tout de même plu et je m'étais promis de lire autre chose de lui. Voilà pour la petite histoire.



Je ne peux pas dire que ce roman est un coup de coeur mais il m'a laissé une bonne impression, c'était une lecture intéressante, pertinente.



Près de la mer commence avec Saleh Omar, un homme d'un âge certain arrivant à Londres et demandant asile sous une fausse identité, celle de Rajab Shaaban Mahmud. Là, il plonge dans ses souvenirs en racontant son histoire aux autres réfugiés du camp où il a été emporté, sinon au traducteur parlant le kiswahili (langue parlée à Zanzibar) dépêché sur place pour communiquer avec lui. Et ce dernier en fait autant. Éventuellement, la narration passe au véritable Rajab Shaaban Mahmud qui, lui aussi, cherche refuge au Royaume-Uni (plus légalement, via un visa obtenu en Allemagne).



Près de la mer, c'est l'histoire de ces gens, promenés par la vie, par l'existence. C'est surtout l'histoire des membres de leurs familles (pères, grands-pères) et de leurs amis. Ainsi, à travers leurs destins, l'on découvre le Zanzibar et la Tanzanie du début du siècle dernier, avec ses marchands qui commerçaient sur leurs dhows jusqu'en Inde, jusqu'en Malaisie. Cela, jusqu'à ce que les Anglais et autres puissances occidentales ne se montrent de trop féroces compétiteurs, ruinent les marchands locaux.



Tout un pan du roman est supposé faire un lien avec un autre roman (une nouvelle, plutôt) ou son protagoniste, Bartleby the Scribe, mentionné à quelques reprises. J'ai lu ce roman mais il y a tant d'année que l'histoire est un peu floue dans ma tête. Conséquemment, le lien m'est passé au-dessus de la tête. Tant pis.



Pour le reste, Près de la mer, c'est la colonisation anglaise et ses conséquences sur le quotidien des gens. Mais bon, tout n'est pas si mal et certains n'ont qu'eux-mêmes (ou leur propre famille) à blâmer pour leur ruine. Et puis il y a la révolution qui apporte son propre lot de conséquences. Entre autres, la persécution puis la déportation des Omanais (individus d'ascendance arabe). À mon avis, c'est surtout un roman sur l'histoire personnelle, l'identité, la famille et l'exil. Ce dernier thème en particulier, le sort des migrants, leurs conditions, devrait résonner chez plus d'un.



Abdulrazak Gurnah ne fait pas que décrire, raconter la colonisation : il fait le lien avec le présent. Tous les événements racontés sont passés (ils peuvent paraître très lointains pour le jeune lecteur des années 2020), toutefois, ils ont encore des conséquences aujourd'hui. Par exemple, avec cet homme qui cherche asile en Angleterre, sur qui il est et sera. L'histoire n'est pas terminée. L'histoire n'est jamais terminée.
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Paradis

En lisant Paradis de Abdulrazak Gurnah, j'avais un peu cédé à l'appel du titre et à celui de son auteur, écrivain d'Afrique de l'Est que je souhaitais découvrir. J'avoue que je n'ai pas trouvé dans ce roman ce à quoi je m'attendais...

La thématique de départ me plaisait : celle du voyage initiatique d'un jeune garçon Yussuf, arraché à sa famille pour rembourser une dette paternelle et confié à "oncle Aziz", un riche marchand, qui va faire de lui son serviteur.

Et le roman de nous faire suivre les mille et une tribulations de Yussuf, au gré des longs voyages de caravaniers qu'il va accompagner en compagnie d' oncle Aziz, un personnage haut en couleurs et bienveillant qui sera plus pour lui un mentor qu'un maître.

J'ai aimé la peinture de l'ambiance de ces transhumances humaines, avec leur cérémonial et une galerie de portraits très pittoresques des nombreux personnages qui y participent depuis les musiciens qui ouvrent la marche jusqu'aux porteurs, chargés comme des animaux de bât mais pourtant très investis de leur mission. C'est un véritable spectacle auquel assiste tout le village, à la grande fierté d'oncle Aziz qui ferme la marche...

Le cadre de l'histoire, à l'orée de la colonisation européenne de l'Afrique de l'Est est également bien rendu avec ses luttes ethniques très violentes entre bergers des montagnes et agriculteurs des plaines, entre Indiens et Arabes dont les conflits sont récupérés et attisés par les colonisateurs. Tous ces faits sont rapportés dans un récit qui s'apparente plus pour moi à un récit de voyage avant tout soucieux d'exactitude, qu'à un récit romanesque plus centré sur des personnages auxquels on s'attache au gré de leur évolution et des situations auxquelles ils doivent faire face.

Pourtant le récit ne manque pas de vie car il emprunte assez souvent les codes du conte oral, notamment dans les dialogues des autochtones évoquant de façon drolatique les méfaits des colonisateurs. Mais dans l'ensemble l'écriture reste "sage" voire conventionnelle même lorsqu'elle évoque les magnificences d'un mariage indien ou la beauté de paysages naturels idylliques.

La structure est également un peu répétitive et j'avoue qu'à la fin du 3ème voyage, j'étais contente de retrouver le port d'attache de Yussuf et le magnifique jardin d'oncle Aziz dans lequel il passe alors le plus clair de son temps.

C'est d'ailleurs à partir de là que l'on bascule dans un autre univers : celui du conte oriental. Yussuf va quitter son jardin enchanté et tomber sous le charme ensorceleur d'une mystérieuse femme (l'épouse cachée d'oncle Aziz). Tous les ingrédients du conte oriental se mêlent avec bonheur e,t en même temps que se crée un certain suspense, l'auteur nous livre certaines clés du roman, notamment celles relatives à l'attachement familial, la quête identitaire et la liberté...

Mais au moment même où je me réjouissais d'avoir retrouvé un plaisir de lecture plus grand, est arrivé le dénouement qui m'a laissée complètement perplexe...

D'ailleurs si une lectrice ou un lecteur peut m'éclairer sur cette fin qui reste pour moi énigmatique, je suis preneuse !



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Adieu Zanzibar

Petit topo d’histoire-géo pour comprendre Abdulrazak Gurnah et son roman Adieu Zanzibar. Situé à une quarantaine de kilomètres de la côte d’Afrique de l’Est, l’archipel de Zanzibar a été soumis au cours des siècles à de multiples colonisations. Sa population est un melting-pot métissé de peuples originaires des quatre coins de l’Afrique, du Moyen-Orient, de l’Inde et de l’Europe. Zanzibar a été un sultanat indépendant jusqu’en 1890, puis un protectorat britannique jusqu’à une nouvelle indépendance en 1963. Une indépendance éphémère : après un coup d’État communiste en 1964, Zanzibar est intégré au Tanganyika, au sud du Kenya. Le nouvel Etat a pris le nom de Tanzanie.



Né à Zanzibar, Abdulrazak Gurnah a quitté son île en 1968, à l’âge de vingt ans, pour suivre des études littéraires à Londres. Il est resté par la suite en Angleterre, où il a mené une carrière d’universitaire et d’enseignant. Auteur de plusieurs romans écrits en anglais, il était peu connu en 2021, lorsque le prix Nobel de littérature lui a été attribué. Adieu Zanzibar est la traduction récente en français d’un roman publié en anglais en 2005 sous le titre Desertion.



Le roman est divisé en trois parties. La première prend place en 1899, dans une petite ville côtière du Kenya. Tout semble délabré, à l’abandon. Un voyageur britannique blessé est recueilli par une famille locale modeste, dévouée, soumise, un peu obséquieuse. Faisant à l’inverse preuve de morgue et de suffisance, l’administrateur du protectorat prendra en charge son compatriote, désireux de lui offrir un confort digne d’un Européen. Mais les distances de classe et d’origine n’empêchent pas les romances…



La deuxième partie se déroule à Zanzibar tout au long des années cinquante. L’île est resplendissante. Dans une famille locale, le père et la mère sont tous deux enseignants à l’école du protectorat. Pratiquant un islam fervent, ils se montrent aussi très soucieux de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas. Ils élèvent avec ambition leur fille Farida et leurs deux fils, Amin et Rashid. Une petite bourgeoisie autochtone, cultivée mais rigoriste, résolue à n’entretenir aucune relation sociale avec la grande bourgeoisie coloniale, qui vit luxueusement.



La dernière partie est consacrée à Rashid, parti en Angleterre au début des années soixante pour des études de haut niveau. On comprend que Rashid est le double de l’auteur. Admis dans une université londonienne, il est confronté à la condescendance de ses condisciples à la peau blanche. Après l’obtention de son diplôme, il s’installera comme enseignant dans une petite ville du sud de l’Angleterre. L’accomplissement d’un enfant des colonies ?



Par le biais d’une correspondance tardive et affective avec son frère Amin, Rashid prendra connaissance des événements douloureux qui ont suivi l’indépendance de Zanzibar. Coup d’État, saccages, arrestations. Tensions et tueries raciales, exacerbées par les infiltrations et les manipulations exportées par l’ancien empire soviétique.



Amin révèlera aussi à Rashid son grand amour de jeunesse pour Jamila, une femme divorcée plus âgée que lui. Une relation clandestine torride dont tu auras lu les détails, lectrice, lecteur, dans la deuxième partie du roman. Un amour jugé inconvenant par les parents, en raison d’une liaison évoquée dans la première partie du livre et ayant fait scandale soixante ans plus tôt.



Un livre dont on ne perçoit le sens nostalgique que lorsqu’on arrive à la fin. Les deux premières parties se lisent agréablement, les personnages sont décrits dans toute leur sensibilité, mais j’ai eu du mal à comprendre où l’auteur m’emmenait. Abdulrazak Gurnah grave joliment et poétiquement les souvenirs d’une enfance heureuse, de promenades rêveuses autour de plantes luxuriantes et de vestiges d’anciennes civilisations.



Mais « il étouffait ici, disait-il : l’obséquiosité des rapports sociaux, la religiosité qui relevait d’un autre siècle, les mensonges sur l’histoire ». Il s’en veut toutefois d’être parti loin de ceux qu’il chérissait, de les avoir abandonnés. Une manière de désertion qui le hante.


Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Paradis

Adolescence africaine d’autrefois, un roman du Nobel de littérature 2021

Ce n’est pas vraiment le paradis, puis que le jeune Yusuf de 12 ans a été confié à Oncle Aziz, un riche marchand, en échange d’une dette. Il est donc esclave, mais sa vie n’est pas bien différente de ce qu’elle aurait été dans sa famille, si ce n’est qu’il n’a pas l’affection de sa mère. Il n’est pas maltraité, il est bien nourri et travaille comme il aurait pu le faire chez lui.



Devant l’adversité, le garçon semble un peu froid, stoïque, mais fait d’horribles cauchemars la nuit. Il accompagnera le marchand dans une expédition commerciale périlleuse à travers le pays. Devenu un jeune homme très beau, il s’attirera les regards concupiscents, aussi bien des femmes que de certains hommes.



Un roman qui transporte ailleurs, mais malgré le dépaysement de la situation, on touche des sentiments universels. Demeurer un esclave ou être libre de partir? Et rester dans un lieu, un pays où le hasard m’a fait naître, m’attacher à ce sol parfois ingrat ou à cet emploi monotone, n’est-ce pas ce que font les gens partout dans le monde ? (Il faut que la situation soit vraiment difficile pour que les migrants partent en masse…)



Un bon roman, mais qui ne séduit pas d’emblée, car l’apparent détachement de Yusuf peut rendre plus difficile de s’attacher à lui au départ. (On peut aussi penser que la réaction de Yusuf ressemble à celle d'une victime post-traumatique..)

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Paradis

Babelio m'a fait découvrir avec ses petits insignes que je lisais pas mal de livres se passant en Afrique ou écrit par un(e) auteur(e) africain(e). Je n'en avais pourtant pas la sensation... Quand j'ai dit ça à mon cher et tendre, il a bien ri, pour lui c'était une évidence....

Donc évidemment quand le Prix Nobel de Littérature est attribué à un auteur africain et que l'un de ses livres est proposé dans ma librairie préférée, j'avoue je n'ai pas hésité....

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Afrique de l'Est, début du 20e siècle. La colonisation par les Européens se met en place.

On suit un jeune garçon acheté en remboursement des dettes parentales par un riche commerçant. On va suivre cet enfant puis ce jeune homme et découvrir cette période. Plus particulièrement on va l'accompagner dans les périples d'une vie de négoce (ces longues caravanes qui vont de lieux en lieux pour acheter et vendre).

Lecture en demie teinte pour moi. J'ai aimé cette description de la vie en caravansérail. Le retour dans la demeure du maître et la fin m'a paru s'étirer, traîner sans arriver à conclure... Donc une légère déception.....
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Les Vies d'après

Personne ne porte aussi bien la voix des oubliés de l'histoire et de ceux auxquels la civilisation occidentale n'a pas donné la parole qu'Abdulrazak Gurnah, dont chaque roman que je découvre depuis l'attribution du Nobel (celui-ci est le quatrième) est une merveille d'empathie qui chacun me plonge dans des vies d'avant, d'après, mais surtout d'ailleurs comme seul lui sait le faire.

Le cadre en est toujours l'Afrique orientale et la Tanzanie, cette fois-ci au dernier quart du 19ème siècle où les guerres coloniales font rage sur des terres et des peuples qu'elles ravagent sans toutefois parvenir à en expulser l'âme.

Plusieurs vies volées se croisent dans ce beau et douloureux récit, celle d'Hamza embarqué à son corps défendant dans les forces allemandes et les horreurs de la domination raciale, celle d'Afiya vendue comme esclave à une famille qui lui volera sa jeunesse, celle d'Ilyas so frère perdu. La reconstruction sera longue, incomplète, bancale, traversée de lumière pourtant.

Gurnah c'est un regard différent sur le monde, une autre focale de lecture et de compréhension qui touche autant au coeur qu'à l'esprit, et qui enrichit.

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Près de la mer

L'auteur a, apparemment, pour habitude de décrire les différends entre les réfugiés qui fuient leur pays et leurs traditions, et les us et coutumes des pays destinataires. Et ce livre ne fait pas exception : nos deux héros quittent leur pays en plutôt mauvais terme, mais le hasard les fera se rencontrer en Angleterre sous d'autres identités. Après tant d'années, ils vont devoir s'expliquer sur leurs attitudes passées. Écriture d'une grande fluidité grâce à laquelle, en plus, on en apprend sur le colonialisme britannique en Afrique noire. Écriture efficace qui d'ailleurs vaudra à A. Gurnah de se voir décerner le Prix Nobel de Littérature 2021.
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Près de la mer

Ce roman s'ouvre sur l'arrivée au Royaume-Uni d'un demandeur d'asile. On ne saura pas tout de suite qu'il vient de Zanzibar*, comme Abdulrazak Gurnah, d'ailleurs l'île et la ville ne sont même pas nommées, si je me souviens bien. On ne comprendra qu'à la fin les raisons de son exil, à un âge avancé. Dans la première partie, ce narrateur nous fait découvrir le début de son histoire familiale et professionnelle. Un narrateur différent raconte dans la deuxième partie son départ de la même île pour des études en RDA et son arrivée en Angleterre. La dernière partie, on s'en doute, fait se croiser les histoires de ces deux émigrés.



Ce qui m'a frappé dès le début est le ton des récits: les narrateurs sont passés par des épreuves douloureuses, mais ne s'en plaignent jamais vraiment, gardent du recul par rapport à leur histoire, souvent racontée avec humour. Rassurez-vous, futurs lecteurs : la lecture n'est jamais ni difficile ni douloureuse (faites juste bien attention aux noms et prénoms des personnages, une fausse identité est importante dans le récit). Le plus admirable peut-être dans ce magnifique roman est la façon de faire découvrir au lecteur petit à petit le détail et les motivations d’événements anciens. Les personnages principaux ne connaissent pas toutes les informations nécessaires et, surtout, doivent reconnaître peu à peu que leur mémoire imparfaite et nourrie de points de vue extérieurs ne leur donne pas une compréhension correcte de certaines étapes décisives de leur vie. Cette révélation progressive avec des rebondissements inattendus m'a tenu en haleine pendant toute la lecture



La toile de fond est très intéressante aussi : dès le début, les officiers d'immigration se demandent, et le lecteur avec eux, ce qui a poussé un homme de plus de 60 ans à tout quitter pour demander l'asile dans un pays dont il ne semble même pas parler la langue. Cette question soutient toute la narration, qui est alimentée par une vision de la colonisation puis de la décolonisation extrêmement prenante, même si elle comprend distance, tolérance et parfois humour. Outre ce point de vue politique, le livre revient régulièrement, mais toujours discrètement, sur le rôle de la religion (ici islamique) dans la vie privée et publique.



J'ai été un peu surpris au début par le choix de la traductrice Sylvette Gleize de garder de nombreux mots sans même les traduire par une note ni les grouper dans un glossaire. Mais cela ne nuit pas du tout à la compréhension, peu importe qu'un lecteur ignorant du kiswahili ne sache pas exactement ce qu'est telle ou telle pièce d'habillement, par exemple. Et je viens de réaliser que le lecteur du texte anglais original se trouve dans la même situation que moi.



Pour finir, il faut mentionner la référence fréquente à Bartleby (une bonne occasion de lire ou relire cette nouvelle de Melville, qui me fascine autant que le narrateur principal?) Puis-je conclure qu'il est toujours intéressant de découvrir un auteur récemment lauréat du prix Nobel (surtout avec le challenge de Meps) ? Peut-être pas, mais Gurnah est déjà pour moi un grand auteur.



*profitez-en pour réviser votre géographie et votre histoire ; je ne savais même pas ou plus (honte sur moi) que ça se situait en Tanzanie.
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