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Critiques de Adeline Dieudonné (2055)
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La vraie vie

« Les histoires, elles servent à mettre dedans tout ce qui nous fait peur, comme ça on est sûr que ça n'arrive pas dans la vraie vie »



Lorsqu'on a dix ans, qu'on est encore une petite fille vivant avec son père, sa mère et son petit frère de six ans, dans un lotissement paisible à la périphérie de la ville, les journées défilent, tranquilles, rythmées par le passage du glacier et son arrivée en fanfare, symboles de joie et de plaisirs sucrés.



La vraie vie, c'est celle que l'on voudrait avoir, une vie rêvée. Dans un lotissement où les gens ne seraient pas aussi gris que les maisons. Dans une habitation, où chacun aurait sa chambre, c'est bien, mais sans une chambre particulière pour les cadavres. Ces trophées que ramènent son père, à la fois chasseur et braconnier.



Dans la vraie vie rêvée d'une enfant de dix ans, le drame tragique n'existe pas, et surtout, si celui-ci doit arriver on ne reste pas livrée à soi-même, un petit frère à gérer pendant que son père, entre deux crises de violences, boit devant la télé ou écoute Claude Francois les larmes aux yeux, ni pendant que sa mère, entre les courses et les repas à préparer ne reste pas silencieuse, telle « une amibe », inexistante, telle « un vase », et manifesterait plus d'amour à ses enfants qu'à ses chèvres.



Avec pour seules occupations, les visites de la casse d'à côté, ce « cimetière de métal », et cette voisine un peu fantasque, c'est aussi tout un monde plein de promesses que l'on peut s'inventer, un monde dans lequel seuls resteraient les meilleurs moments de l'enfance.



Entre poésie de l'enfance et drame social, Adeline Dieudonné réussit le tour de force d'imprimer à son premier roman une atmosphère où l'étrange se mêle à une réalité désespérée.



Pour le sourire de son frère Gilles, on suit l'évolution, et le combat, de cette petite fille sur cinq étés consécutifs, qui ne rêve que de garder encore un peu de cette magie innocente de l'enfance.



Véritable Marie Curie en herbe, la science sera son refuge.



« Les lois de la temporalité » l'aideront-elles à maîtriser la chimie des corps et la physique des sentiments qui l'attendent.



Roman initiatique revêtu d'une noirceur sociale, une sorte de poésie macabre, dans lequel on sent le drame poindre à chaque page.



Une écriture parfaitement maîtrisée qui ne vous laissera pas de marbre.



« La réalité sauvage de la chair et du sang, de la douleur et de la marche du temps, linéaire, impitoyable. », mais « l'avenir veille sur toi », petite...



Lu en août 2018.



Mon article sur Fnac.com/Le conseil des libraires :
Lien : https://www.fnac.com/La-Vrai..
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La vraie vie

La vraie vie est un premier roman, écrit par une jeune auteure belge, Adeline Dieudonné. C'est une sorte de récit initiatique où le réel vacille à chaque instant, nous amène dans l'univers glauque et sordide d'une famille presque ordinaire, dépeint de manière détonante et acide par la narratrice, une adolescente, dont ne saura jamais le prénom. On pourrait qualifier aussi ce récit de guide de survie en milieu hostile d'une enfant devenue guerrière par la force des choses, avec l'innocence en bandoulière...

Tout d'abord, plantons un peu le décor.

Nous entrons dans le livre à pas de velours, mais je vous préviens : cela ne va pas durer très longtemps. Notre regard se pose peu à peu autour des personnages, dont celui du père, chasseur de gros gibier et qui, lorsqu'il ne chasse pas ou n'est pas au stand de tir, passe son temps à regarder la télé en buvant du whisky. La mère est absente, transparente, une sorte d'amibe comme le décrit la narratrice, une mère soumise aux humeurs violentes de son mari. Et puis il y a cette pièce encombrée des trophées de chasse empaillés du père : des daguets, des sangliers, des cerfs, des têtes d'antilopes, un lion entier, il y a même une défense d'éléphant, fierté du père. Et puis surtout il y a cette hyène, qui semble vivre encore, guetter, se délecter de l'effroi qu'elle suscite, dont la rage semble même à certains moments s'infiltrer dans la tête des membres de la famille...

Le lotissement où habite cette merveilleuse famille s'appelle le Démo. le Démo est un lotissement comme les autres. Ou presque. De temps en temps, les chats, les chiens disparaissent, on ne sait pas où, ni comment. C'est un lotissement peuplé de gens solitaires, prostrés devant leur télé, cultivant misanthropie, dépression, aigreur, dépression, diabète. Peut-être parfois tout cela en même temps.

Avec son jeune frère Gilles toujours espiègle, elle tente de déjouer ce quotidien saumâtre. Ils jouent dans les carcasses amochées des voitures de la casse d'à côté, là où forcément rode déjà la mort sinon pourquoi ces voitures seraient autant cabossées, et en guettant la petite musique qui annonce chaque après-midi l'arrivée du marchand de glaces. C'est la Valse des fleurs, de Tchaïkovski.

Mais un jour, un violent accident, à la fois tragique et cocasse, vient faire bégayer le présent. Et rien ne sera plus jamais comme avant.

Dès lors, Gilles l'enfant toujours enjoué, ne rit plus. Elle voudrait tout annuler, revenir en arrière. Retrouver son petit frère, celui qui enchantait le monde. Cette vie lui apparaît comme le brouillon de l'autre. La vraie vie.

Alors, en guerrière des temps modernes, elle retrousse ses manches et plonge tête la première dans le cru de l'existence. Elle fait diversion, passe entre les coups, se découvre femme et conserve l'espoir fou que tout s'arrangera un jour. Notamment, lorsque sa féminité et sa sensualité se révèlent, lorsqu'elle découvre son corps en plein éveil, ce sont des scènes décrites avec beaucoup de force, d'humour aussi et surtout de rage de vivre et de survivre.

Et tout ceci est ramassé dans un récit qui balaie cinq ans de sa jeune existence.

Dans cet univers étouffant, la narratrice cherche à protéger son petit frère Gilles qui, il faut l'avouer sous l'influence du père, semble lui échapper de plus en plus, jusqu'au jour où tout basculera...

Alors nous suivons, dans ce dédale à la fois poétique et cauchemardesque, la narratrice dans une forme d'intelligence magnifique pour survivre au sort qui lui est réservé... Et elle ne manque pas d'intelligence et d'ingéniosité. Passionnée par Marie Curie et aussi par la physique quantique, on ne sait pas trop comment cela lui est venue, mais gageons que dans son kit de survie, cela lui aura peut-être servi, elle se lie d'amitié avec son professeur de sciences physiques, Monsieur Young, qui a compris que cette jeune fille pourrait échapper à sa destinée malheureuse et presque fatale, pour peu qu'on l'aide.

Et puis il y a aussi Plume et Le Champion...

J'ai trouvé l'écriture fulgurante. Les personnages sont sauvages, entiers, attachants aussi. C'est un univers étouffant, à fleur de peau, tout en ombre et lumière. Il y a une poésie du cauchemar et du sordide qui se dégage de ce roman qui emporte tout sur son passage. C'est à la fois âpre, sombre et sensuel. Je n'ai pas pu lâcher ce livre dès lors que j'ai commencé à le lire !

Amateur de Stephen King, je suis sûr que vous aimerez... Les autres aussi, j'en suis persuadé, car ce livre fera grand bruit dans la rentrée littéraire, je n'en doute pas un seul instant.
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Librairie mon amour, H.S. 8

Une ode à l’amour... celui des livres. Une passion dévorante qui se traduit par ici des textes courts, tantôt émouvants, tantôt amusants, parfois incongrus ou complètement loufoques. Un bel hommage à ces milliers de pages que nous dévorons, nous lecteurs, libraires, auteurs ou amateurs de mots et qui nous transforment au quotidien.
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Kérozène

Personnellement, je ne me soucie guère de savoir dans quel genre littéraire il faut classer un livre. Mais lorsqu'à la fin d'une lecture, un léger malaise persiste, cette interrogation est légitime pour comprendre sa source. Kérozène n'est pas un roman. Sa structure narrative est beaucoup trop éclatée pour cela entre quatorze personnages, chacun son mini chapitre autonome pouvant se lire et se comprendre indépendamment des autres. Un des chapitres, Chelly, est d'ailleurs apparu comme une des nouvelles du Treize à table 2019-2020 en faveur des Restos du coeur ( je l'avais adorée ).



Kérozène n'est pas non plus un recueil de nouvelles car l'auteure cherche à connecter ses personnages dont les chemins convergent à 23h12 sur une aire d'autoroute des Ardennes. Tous en mouvement, tous en lutte avec leur destin, essayant d'échapper à quelque chose qui ne leur convient pas ou plus. Tous fracassés par la vie car la vie est fracassante. Tous profondément seuls à un moment où leur vie bascule. Il y a bien un personnage fil conducteur qui serait la nonagénaire Monica ( oui la Monica de la Vraie vie, vingt ans après ). Mais cela ne suffit pas à créer une unité d'ensemble convaincante. Il m'a manqué une vraie scène finale faisant l'amalgame. J'ai été surprise par cette fin abrupte alors que j'avais envie de lire un paquets de chapitres en plus.



En fait, la véritable bonne question lorsqu'on repose un livre est : « est-ce que c'est du bon ? ». Et, malgré cette fin qui n'en est pas une, la réponse est clairement « oui ». Je me suis régalée de cette galerie de portraits tous inquiétants et excessifs . Adeline Dieudonné est embusquée derrière l'intériorité de chaque personnage afin de réveiller notre regard critique sur la société contemporaine.



Comme des fables modernes pour raconter l'ultra violence née des rapports de domination : l'emprise de l'homme sur la femme ou vice-versa, sur les animaux, la lutte des classes, mais aussi de façon plus symbolique l'emprise que peut avoir sur nous nos pulsions, nos impulsions, la norme ordinaire. de ces bras de fer mordants, je retiens tout particulièrement certains : Chelly, la pole-danceuse qui s'est appropriée les codes de la virilité ; Alika, qui a abandonné ces enfants à l'autre bout de la planète pour élever ceux de ces patrons, sous les épouvantables injonctions du manuel de la nounou philippine ( il existe vraiment ) ; Pupute, sorte de vieux gigolo piégé par celle qui ne loge et nourrit ; Julie, engluée dans un environnement peuplé de mari et beaux-parents hygiénistes gynéco-obstétricien. Et surtout, Victoire, formidable personnage qui voue une haine féroce aux dauphins. L'auteure fore loin dans les affres contemporaines.



C'est radicalement cruel, avec sans doute moins de tendresse que dans La Vraie Vie, même si elle ressort par moment dans le regard porté sur ces malheureux, et notamment sur les animaux comme le cheval maltraité Red Apple. C'est très drôle aussi pour ceux qui goutent l'humour très noir. Une scène est géniale : celle où Monica, sur son fauteuil roulant, crache des noyaux de cerise en rythme avec la cadences d'ébats sexuels qu'elle mate sans aucune vergogne. Adeline Dieudonné a le sourire carnassier dans ce récit à l'électricité vivifiante, loin de toute bienséance. Ce livre est un feu d'artifices qui pétarade de partout en mode féroce, grotesque, caustique et trash. Il m'a juste manqué le bouquet final
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Librairie mon amour, H.S. 8

Chouette petit texte publié chez Lamiroy. Difficile decréer un climat en si peu de lignes mais exercice réussi par le gentil Thierry-Marie qui anime les soirées littéraires depuis des années à Espace Art gallery, reprenant le flambeau laissé depuis le décès de Robert Paul, père de ce projet. Comme toujours, Thierry-Marie déploie une écriture fine et fluide, pleine de sensibilité. Un petit livre qu'on lit en vingt minutes e forcément d'une traite. Idéal pour mettre dans sa poche (vu le format rikiki) et à lire dans le tram, le métro ou durant une heure de pause au bureau.
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La vraie vie

Voilà un livre qui s’est fait une place dans ma mémoire et ne veut plus en sortir depuis que je l’ai refermé.

Cette histoire m’a fait passer par tous les sentiments et toutes les émotions au côté de la jeune narratrice âgée de 10 ans lorsque nous la découvrons dans sa famille entre un père chasseur, avide de sang, parfois violent et une mère soumise qui reçoit les coups de son mari sans se révolter, seuls quelques cris ou gémissements lui échappent.

Au milieu du chaos, les enfants résistent plutôt bien, partageant leurs jeux dans les épaves des voitures de la casse voisine en attendant la musique annonçant le marchand de glaces, jusqu’à l’accident dont ils seront témoins, qui laissera le petit garçon au bord de la folie, perdu dans un monde où sa soeur n’a plus accès.



Dès lors la fillette n’a qu’une idée, remonter le temps pour annuler le drame et redonner « La vraie vie » à un petit garçon qui a perdu sa joie de vivre.



J’ai tout aimé dans ce premier roman, parfaitement maîtrisé, passionnant d’un bout à l’autre.

Je suis sous le charme de l’écriture faite de douceur lorsqu’il s’agit de l’amour d’une enfant pour son petit frère, « Gilles, ses petites dents de lait, son sourire », et de violence lorsqu’on sent venir le drame.

J’ai eu la gorge serrée, j’ai eu envie de protéger cette fillette intelligente et courageuse, de la prendre dans mes bras pour la rassurer.



Adeline Dieudonné signe un livre magistral, original et addictif dont l’atmosphère parfois nimbée de douceur, parfois irrespirable va me hanter encore longtemps.



Un coup de cœur.

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La vraie vie

Échapper à la réalité, remonter le temps pour effacer tout et « retrouver le rire de Gilles, ses dents de lait, ses grands yeux verts... » c'est le but de la jeune fille. Comme découvrir la vraie vie, surmonter ses angoisses et avoir le courage d’être soi, même si la violence de son père, la passivité de sa mère, la sidération muée en psychose de son frère semblent vouloir en décider autrement.



La survie en milieu hostile, le milieu familial et naturel s'entend, sujet très en vogue (cf My Absolute Darling, Helena, Trois fois la fin du monde) qui trouve ici un traitement digne d'un vrai roman noir ou d'un conte pour enfants pas sages. Habilité suprême d'Adeline Dieudonné qui parle de culpabilité, de parents toxiques, du désir, de l'envie de sauver ceux qu'on aime, avec un brin d'humour et beaucoup de finesse sans nous imposer les poncifs de rigueur.



Dans le flot des romans de la rentrée, un ton et une puissance assez inédits pour être soulignés qui laissent présager un bel avenir à cette jeune auteure.

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La vraie vie

« A la maison, il y avait quatre chambres. La mienne, celle de mon petit frère Gilles, celle de mes parents, et celle des cadavres. »

Il suffit de cette phrase , la première, pour être happé . Tout est là : le récit d’une fillette, une vie ordinaire, et puis l’irruption de la mort. Brutale, alors qu’on ne s’y attend pas. Pas question de vous révéler d’emblée la nature et l’origine de ces cadavres, juste qu’ils seront un fil rouge notable dans la suite du récit. Deuxième choc quelques pages plus loin, lorsque l’on apprend la puissance délétère de la crème Chantilly !



La violence est là, à chaque page, mais loin de toute complaisance, car narrée par une observatrice presque distanciée, qui analyse avec son point de vue d’enfant les faits tels qu’elle les affronte, en quête de stratégie visant à se préserver et à réaliser ses rêves. Des rêves d’envergure : devenir Marie Curie!



Récit d’une enfance volée, d’une famille impossible , de celles avec qui peuvent vous détruire ou vous armer. C’est le combat d’une gamine qui veut redonner à son frère le goût de vivre, qui refuse de devenir comme sa mère une enveloppe vide et qui veut modifier le cours de son passé.



Un vrai coup de coeur pour ce roman en passe d’être multiprimé. Le roman dont tout le monde parle en cette rentrée littéraire. Et c’est mérité . Non seulement on est accroché dès les premières phrases mais l’intérêt ne diminue pas au fil de la lecture.


Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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La vraie vie

Ce livre.



J’ai pris mon temps. J’ai tourné autour. Je l’ai pris. L’ai reposé. Il est resté longtemps sur ma table de chevet.



Ce livre. On en a beaucoup parlé. Du coup, il me fait peur. Il m’agace un peu.



Hier, pourtant, je l’ai débuté. Je n’ai pas lu les retours de lecteurs. Pour écrire un avis personnel et honnête.



Et il m’a englouti. Il m’a fait vaciller.



Jamais auteur n’a su si bien choisir son éditeur. L’Iconoclaste.



Tellement.



A la croisée des genres, Adeline Dieudonné propose un ouvrage à la fois terriblement réaliste et onirique à la fois. En réalité augmentée.



La frontière est mince, comme un film de David Lynch. J’imagine un décor de carton pate. Oui cette histoire se cache derrière un trompe l’œil. Comme quelque chose qui dégouline sur la réalité et nous montre ce qui se dissimile derrière … Un rideau déchiré …



Plus on lit, et plus sa substance nous pénètre. Comme un envoutement. Comme si quelque chose de terrible se cachait derrière ces mots.



N’ayez crainte, on a une vraie histoire, une vraie héroïne. De vrais sentiments.



Un vrai récit.



Je n’ai pu cesser de lire. Le temps d’arriver, ce matin, à la fin de ce récit. De le poser. De me reposer.



Lecture forte. Eprouvante. Passionnante. Dérangeante. Bizarre. Géniale.

Kaléidoscope d’images fugaces. De sons. Je suis sorti de ce livre comme on se réveille. D’un rêve ? D’un cauchemar ? Je ne sais pas. Je ne sais plus.



Suis-je revenue dans la vraie vie ?



Je ne sais pas.



Je ne sais plus.



Mais que ce fut bon !

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La vraie vie

La liste des prix littéraires récoltés par ce premier roman paru en 2018 est impressionnante, avec notamment les prestigieux Prix du roman Fnac, Prix Renaudot des lycéens ou encore le Grand Pris des lectrices Elle.



Dès les premières pages, j'ai été saisie par l'univers à la fois percutant et singulier de cette jeune auteure belge, tout particulièrement par son écriture, très évocatrice, jouant avec des métaphores organiques souvent frappantes lorsqu'il s'agit de caractériser les personnages et les lieux à travers les yeux de la narratrice :



– le père a des « mains qui auraient pu décapiter un poussin comme on décapsule une bouteille de coca »

– la mère « devait ressembler à une forme de vie primitive, unicellulaire, vaguement translucide. Une amibe. Un ectoplasme, un endoplasme, un noyau et une vacuole digestive »

– les pavillons gris de son quartier sont « alignés comme des pierres tombales »



Adeline Dieudonné abuse certes un peu trop de ce procédé imagé en le systématisant mais ses métaphores étonnantes et décalées créent une ambiance lourde et inquiétante, toujours tendue, une sorte d'étrange fantaisiste qui tranche avec une réalité familiale sordide très naturaliste.



Car en fait, c'est d'un roman d'apprentissage sur la fin de l'enfance et l'entrée dans le monde des adultes, dont il s'agit. On y suit la narratrice de ses dix à ses quinze ans, magnifique personnage de jeune fille en construction, à l'instinct de survie phénoménal dans un environnement familial dysfonctionnel et violent. Comme dans un conte de Perrault, elle devra affronter des épreuves pour s'extraire physiquement et intellectuel de l'emprise de son père, pour fuir le huis clos familial étouffant. Comme dans un conte, il y a un ogre, le père, cruel, brutal, tyran domestique passionné par la chasse et sa « chambre des cadavres aux multiples trophées » Et il y a des bonnes fées comme le professeur de physique-chimie qui incarne l'espoir d'une autre vie.



A partir de cette quête initiatique vers l'affirmation de soi, l'auteure construit un récit très original qui mêle sens du tragique et du grotesque à des tonalités fantastiques : les passages où la hyène empaillée semble prendre vie pour pénétrer dans le corps du petit frère de la narratrice et pour pourrir son psychisme sont remarquables pour dire le traumatisme de l'enfance blessée et les terreurs enfantines qui galopent lorsque la réalité est terriblement glauque.









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Reste

Dans un chalet au bord d’un lac, la narratrice et son amant (M) se retrouvent en secret, l’amant subit une crise cardiaque et laisse sa maitresse au bord de l’effroi. Cette dernière, sous le choc, ne veut pas quitter son défunt amant, elle l’emmène avec elle dans sa voiture au bord de l’implosion tout en clandestinité. Elle écrit une lettre à son épouse pour expliquer son choix, pour expliquer son amour infini pour M. Recèle de cadavre, la narratrice nous décrit son parcours amoureux auprès de cet homme marié. Leur coup de foudre, l’évidence de cette relation adultérine. L’héroïne, mère d’une petite fille de sa précédente relation, tombe sous le charme de ce quarantenaire. Elle quitte tout et se lance à corps perdu dans une relation sans promesse, sans lendemains définis. Elle accepte l’amour et la tendresse que son amant ressent pour son épouse, elle explique son besoin de solitude, son refus de subordination dans une relation où tout le monde se mélange, une relation comme madame et monsieur tout le monde, elle accepte le manque, l’absence. Cela devient sa raison de vivre. Elle attend son amant. A son décès, l’héroïne perd toute raison et M, mort devient une obsession.



Adeline Dieudonné nous livre ici un roman épatant sur les lignes d’une histoire d’amour hors norme, où l’amour ne se commande pas, où les choix semblent impossibles. Peut-on aimer deux femmes en même temps? Peut-on se satisfaire d’une histoire à mi temps? Roman à la fois sociologique et psychologique, Reste marque les esprits torturés. Les scènes en huit clos s’impriment et ne s’oublient pas. On frissonne devant cette double décomposition, autant du mort que de cette femme qui ne peut se résoudre à quitter son amant, à le rendre à son épouse. Des flashs musicaux accompagnent ces jours d’angoisse, d’amour impossible. Des passages par dizaine résonnent, cognent, nous font arrêter la lecture pour en savourer toute la puissance narrative et introspective.



L’épilogue est une pure merveille, comme ces scènes dramatiques et tragiques d’un western américain.

Comment peut finir une telle histoire ? Seule l’autrice à l’écriture singulière en détient la réponse. On reconnait la patte d’Adeline bien évidemment. Son attrait pour le monde animal est toujours omniprésent dès les premières pages, son humour, sa finesse, sa grandiloquence narrative, c’est Adeline Dieudonné, c’est elle, sans fausse note, sans lourdeur, sans temps mort. On avale les pages de ce dernier roman, Reste sans voir le temps défiler. On tremble, on comprend qu’il est possible d’aimer autrement, d’aimer un homme qui n’est pas libre, de l’accepter sans rien attendre, de tout prendre quand il est là, tout donner, tout graver dans sa mémoire, sur sa peau, sur son coeur.


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Kérozène

Une station service. Un soir d'été. 23h12. Ils vont tous s'arrêter dans cet endroit d'où s'émanent odeurs d'essence et d'asphalte. Ils vous regardent. L'oeil. Monica. Adeline. Vous.

Ils sont là, ces quelques êtres en proie avec leurs démons intérieurs, leurs phobies, leur classe sociale, leur solitude, leur folie, l'essence même de ce qui les définit.

Préparez vous à soulever le voile sur la transe humaine.



J'appelle Chelly, une prof de pool dance qui ne supporte ni les perdants ni les mangeurs de chips ni les sempiternels apitoiements de son homme. Ça fait boum.



J'appelle Victoire, mannequin, seule sans amis qui erre dans les couloirs de son psychisme et qui surtout, voue une haine féroce contre les dauphins, l'eau où baignent ces mammifères, se « lave » avec des lingettes et ingurgite 2l de lait par jour. Boum.



Obligée d'appeler Julie qui termine chez la famille foldingue gynécologue, qui mange aux frottis et au doigter vaginal comme on mange du chocolat, ne fait l'amour qu'entre 7h et 7h08. Boum.



Vous avez ici un kaléidoscope sous forme de puzzle qui nous dévoile toute la diversité humaine, dans sa perversité la plus macabre et surtout très jubilatoire. Car le phrasé d'Adeline est à présent reconnaissable parmi tous. Ce qui la place en rang d'honneur parmi ces auteurs singuliers tels une Amélie Nothomb.



Dans Kerozene, Adeline Dieudonné continue sa perfusion féroce à l'intérieur des mots. Les mots exultent et explosent pour former une image qui accroche, ricoche et fait mouche. « Un tête à tête avec un cadavre de phoque en décomposition. » «L'effet d'une injection de jus de purin dans l'artère fémorale. ». Ça cogne, ça envoie. C'est une écriture instinctive, spontanée, viscérale.

On retrouve une forme de fascination, déjà présente dans La vraie vie pour le monde animal. Les animaux sont partout, dauphins, truie, cheval, acariens, ils grouillent de toute part comme l'oeil qui vous regarde où que vous soyez.

Étonnant ici, une certaine obsession pour le sexe, souvent trivial, bestial. le passage du couple sur le parking en plein débat pendant que la vieille mange ses cerises est incroyable. C'est d'un voyeurisme poussé à son paroxysme. Je te vois semble être le créneau de ces 258 pages.



Ce roman aurait pu me dérouter pour son côté « nouvelles » mais c'est sans compter la grandiloquence de la plume de l'auteure qui marie avec maestro humour, lubricité et émotions. C'est brut au décoffrage, c'est du neuf dans la littérature. Et c'est un régal de se rouler et se laisser rouler dans un style aussi frais et abouti.
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Kérozène

Le coup de la panne.

Après la vraie vie, Adeline Dieudonné autopsie une dizaine de solitudes qui fuient leur existence et se retrouvent par une nuit d’été dans une station-service.

Lieu impersonnel qui brasse toutes les classes sociales qui ne se distinguent que par les cylindrées, croisée des chemins de transhumance et point de transit pour faire le plein et le vide, cet espace hors du temps ne manque pas de romanesque. Un tableau à la Hopper.

D’un livre à l’autre, Adeline Dieudonné n’a pas perdu son goût pour la férocité, sorbet deux boules parfumées au macabre et à l’humour, cornet planté au milieu du front. Ce n'est pas un roman Diesel, Ségolène !

Comment ne pas succomber à un quelqu’un qui déteste les dauphins ? Ne pas aimer les cétacés, c’est comme ne pas aimer Thomas Pesquet. Amoral et jubilatoire. Comment ne pas devenir complice de cette prof de Lap-dance qui transporte le corps de son mec dans le coffre de sa voiture parce qu’elle ne supporte plus de l’entendre geindre et bouffer des chips dans le paquet ?

Et puis, il y a aussi un cheval, Red Apple, le plus humain de la bande, Joseph, le représentant en acariens et à pas grand-chose d’autre, Alika, la bonne qui vient des Philippines que des familles bourgeoises se prêtent via Facebook comme une esclave 2.0. Et il y a les autres. Que des farfelus qui trainent une caravane de traumas et que la station-service va réunir le temps d'un mauvais café, d'une pause pipi ou d'un coup de pompe.

Derrière cette galerie de portraits de dominants et de dominés, la romancière décrit l’humanité comme une brousse où les lions dévorent les gazelles. La loi du plus fort. Adeline Dieudonné a la prose impitoyable. La liberté se gagne à coups de griffe et l’égalité n’a rien de génétique. Juste une déclaration.

De ce recensement d’azimutés si bien esquissé, j’attendais un dénouement à la hauteur de cette concentration de folie et je dois avouer qu’il m’a manqué une apothéose dans le récit. Un 14 juillet sans feu d'artifices. Un peu frustré d’en rester aux préliminaires. Je pense que c’est ce petit goût d’inachevé qui modèrent certains billets comme le mien et qui m'a donné parfois l’impression de lire plus un recueil d’histoires courtes réunies opportunément dans un lieu unique qu’un roman. Stationnement gênant.

Il reste un vrai talent d’écriture, une imagination débridée et des personnages qui sortent de mon ordinaire de lecture.

En résume : Essence avec plomb, Aisance avec aplomb.

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La vraie vie

La vraie vie, tout un paradoxe entre un enfer sur terre et un paradis imaginaire.

Pour ces enfants, la vie tourne noir, voire très noir. Les chambres sont des tombeaux où on entasse des carcasses animales, la forêt perd de sa candeur et devient le lieu d'une traque sanguinaire, le tintamarre joyeux du glacier résonne aux cris de la mort, les animaux sont éperdus de douleurs, la mère prodigue son amour aux chèvres oubliant ses enfants, le père pleure Claude François entre deux assauts de violence.

Bienvenue en enfer.



Les mots sont une pioche judicieuse, cinglants dans une apothéose de prose tragico-poétique macabre, les mots glissent et glacent.

Les mots sont pendus au cou de la nature, prête à se suicider devant le spectacle infernal d'une humanité échouée.

Les mots enserrent la haine, la peur, le déséquilibre entraîné par la noirceur omniprésente.



Drame social au bord de l'écoeurement.

Maltraitance de l'enfance.

S'enfoncer plus loin en enfer pour que la vie reprenne sa forme naturelle.



Bravo Bruxelles, bravo Adeline Dieudonne, vous troquez vos services au bar, vos sexe-toys et votre costume d'hotesse pour une plume qui vous réussit à merveille. Longue vie et vraie vie à vous !
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La vraie vie

Un pavillon de banlieue non loin du bois des Petits Pendus. Une famille peu banale : un père taciturne, violent et chasseur qui empaille ses trophées dans une pièce qui leur est dédiée ; une mère absente, craintive, transparente, passionnée par le jardin et les chèvres miniatures et dont la seule occupation est de faire à manger ; une fille aînée dont le quotidien est rythmé par les balades dans le bois ou dans l'immense cimetière de métal, par ses visites chez sa vieille voisine, par l'arrivée tout en musique du glacier et par le rire de son petit frère, Gilles. Un rire qui bientôt va s'effilocher... Un rire que la sœur n'aura de cesse de vouloir réentendre...



À la fois fresque sociale, roman d'apprentissage et roman noir, La vraie vie nous plonge dans le quotidien de cette famille excentrique. Un quotidien baigné dans la violence, aussi bien incarné par le père que les animaux morts empaillés, auquel la jeune narratrice tentera d'échapper. Adeline Dieudonné traite avec pertinence et finesse divers thèmes tels que l'adolescence, le désir, l'intelligence, la violence conjugale et familiale... Ce roman, à l'atmosphère tantôt douce et câline, tantôt étouffante et oppressante, donne vie à des personnages entiers, à fleur de peau. Un roman noir servi par une plume sauvage et étincelante...
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Kérozène

Une station-service, le soir. Une douzaine de personnages, un cheval et un cadavre y sont présents en même temps. Nous allons lire l'histoire de chacun d'eux. ● J'ai été enthousiaste tout au long de ma lecture, qui s'est faite à un rythme d'enfer car je ne parvenais pas à poser ce livre, et considérablement déçu par la fin. Je pensais que par un ultime coup de magie tous les personnages allaient se trouver rassemblés dans un finale collectif aussi éclatant que leurs histoires individuelles. ● Il est indéniable qu'Adeline Dieudonné, tout en n'étant pas une grande styliste, possède une imagination complètement débridée et a le don d'inventer des personnages (et des animaux) hors du commun, ainsi que des récits haletants. ● Néanmoins ici il y a tromperie sur la marchandise : il s'agit d'un recueil de nouvelles et non d'un roman. Les nouvelles ont été bricolées pour donner l'illusion d'un roman, mais cela ne doit tromper personne. Il aurait été préférable de publier ces histoires en recueil : le contrat avec le lecteur aurait été clair – mais d'un point de vue marketing c'était bien sûr moins vendeur…. Je me suis senti floué.
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La vraie vie

Certains récits nous font penser à d'autres ambiances retrouvées au fil de nos lectures.

Celui-ci a rappelé à mes souvenirs Trois jours et une vie de Pierre Lemaître et My absolute darling de Gabriel Tallent. de par la similarité des intrigues bien évidemment mais aussi par le prisme choisi par l'auteur pour traiter la violence domestique et les tragédies.



Mais trêve de ressemblances furtives car dans son récit Adeline Dieudonné allie authenticité et liberté de ton, faisant voir sans filtres la noirceur de certaines âmes, donnant du rythme aux dialogues explosifs et de la voix aux peurs et à la tragédie.



Si le récit est aussi captivant c'est aussi pour la mélancolie sèche qui s'en dégage. La force de ce roman est une éclatante et saine colère, heurtant et parfois heurtée, qui n'épargne personne.



Cette histoire est un fleuve emportant nos certitudes, qui nous laisse pantois et secoués. Un drame tragique et impitoyable qui s'achève pourtant sur une touche d'espoir.





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Kérozène

Une station-service sur une aire d’autoroute : pas de quoi faire rêver, non ? Et pourtant, s’y installer pour observer ses congénères comme un éthologue scrute l’activité d’une fourmilière est une occupation riche d’enseignement. Et pour peu que l’observateur soit doté d’une imagination efficace, il y a là de quoi alimenter la trame d’histoires diverses et variées dont le point commun est la présence, à un moment donné de l’ensemble des protagonistes sur la dite aire.



De la jeune femme lassée de l’apathie de son compagnon, au gendre chargé de déménager sa belle-mère menacée d’expulsion, en passant par le cheval en transit et le dauphin lubrique, tous ces personnages auront ce soir là une fraction de leur histoire en commun.



L’écriture est addictive, et Adeline Dieudonné a le sens de la formule, ce qui ponctue le récit d’éclats de mots qui touchent. Humour plus ou moins sombre, traits d’ironie, l’art d’appuyer là où ça fait mal.



A mi-chemin entre le roman et le recueil de nouvelles, Kérozène est une très agréable moment de lecture qui confirme le talent de la jeune autrice.


Lien : https://kittylamouette.blogs..
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La vraie vie

La vraie vie…Incantation pour une vie meilleure ou constat amer d’une vie terrifiante loin, très loin des idéaux heureux comme le montrent à foison les publicités ? L’adjectif « vrai » est ambivalent, il prendra sens à la toute fin du récit lorsque la mort permettra de mettre fin à une situation impossible, glauque, sordide, d’une violence extrême et d’accoucher d’une possibilité de vie enfin plus authentique, plus sereine, plus apaisée.



Comme dans le livre de Lize Spit récemment lu, ce livre belge recèle une écriture trash, claquante tel un fouet, aux images si surprenantes, à la fois sombres et sensuelles, sordides et poétiques, qu’elles en deviennent inoubliables. Des images qui vous effleurent l’âme laissant l’émotion émerger à fleur de peau. Serait-ce la marque de la littérature belge ? Il me plait de le penser. J’ai aimé découvrir Adeline Dieudonné avec son premier roman multiprimé. Dès l’incipit, le ton est donné, le lecteur happé :



« A la maison, il y avait quatre chambres. La mienne, celle de mon petit frère Gilles, celle de mes parents, et celle des cadavres. »



La vraie vie ce serait aussi celle que nous pourrions avoir si nous pouvions revenir en arrière avec une machine à remonter le temps pour effacer les événements traumatiques. C’est ce que tente de faire l’adolescente que nous découvrons.

Elle pose, dans un premier temps, son regard sans concession sur le monde familial qui l’entoure : un père chasseur de gros gibier, adepte du stand de tir, de la télé et du whisky, un être violent, assoiffé de sang ; une mère absente, transparente, soumise aux humeurs violentes de son mari, une sorte d’être unicellulaire, une amibe comme la qualifie sa fille, remplie de craintes ; un petit frère Gilles au rire solaire avec lequel la jeune fille passe beaucoup de temps à vagabonder dans le quartier pour tenter d’oublier ce quotidien angoissant. L’école n’est pas en reste dans cet examen implacable.



Cette famille vit dans un pavillon au sein d’un lotissement morne appelé La Démo. Il se passe d’étranges choses à La Démo, des animaux semblent disparaitre et les gens qui y habitent sont étranges, marqués qui du sceau de l’alcoolisme, qui de celui de la misanthropie, qui d’un passé terrifiant au point de devoir porter un masque…Une ambiance bien particulière, désolée, dévastée, sentant les lisières des villes, cet entre-deux, ni ville ni campagne qu’un Olivier Adam décrit si bien. Le seul moyen de s’évader un peu de ce lotissement dortoir est d’aller éventuellement se promener au bois d’à côté, le Bois des pendus où se trouve la maison de Monica, une jolie maison mangée par le lierre et où le soleil tombe dessus à travers les branches tels des doigts caressants. « Je n’ai jamais vu les doigts du soleil sur ma maison. Ni sur les autres maisons du quartier ».

Au sein de leur maison, une chambre est réservée aux trophées du père, la fameuse chambre des cadavres, regorgeant d’animaux empaillés, dont une mystérieuse hyène au regard scrutateur dont l’âme semble s’infiltrer dans celle des membres de la famille distillant alors rage, gout du sang, instinct de chasse, et une défense d’éléphant qui fait la fierté du père, le plaçant en haut de la hiérarchie des chasseurs eu égard à la taille de l’animal abattu.



« J’ai aidé ma mère à préparer le repas. J’avais remarqué que, quand mon père devenait nerveux, elle servait de la viande rouge. Comme si elle espérait que la chair sanglante calmerait sa rage. Moi, je savais que le sang ne le calmait pas. Il fallait qu’il pénètre la chair vivante, que ce soit avec son poing ou une balle de 22 millimètres ».



Un événement particulièrement traumatisant permettra à la hyène de s’emparer de l’âme de Gilles, de lui faire perdre son rire solaire, de le rapprocher du père. La narratrice va tout faire pour tenter de retrouver son petit frère, pour le sortir des marais dans lesquels son esprit semble s’être englué, et pour cela la construction d’une machine à remonter le temps, qui requiert d’importances connaissances scientifiques, est nécessaire pense-t-elle avec un espoir tout enfantin qui nous touche en plein cœur.



« D’habitude, les frères et sœurs, ça se dispute, ça se jalouse, ça crie, ça chouine, ça s’étripe. Nous pas. Gilles, je l’aimais d’une tendresse de mère. Je le guidais, je lui expliquais tout ce que je savais, c’était ma mission de grande sœur. La forme d’amour la plus pure qui puisse exister. Un amour qui n’attend rien en retour. Un amour indestructible ».



Ce roman est un roman initiatique féministe qui permet de mettre en valeur la façon dont l’héroïne dompte ses peurs, se bat, se prend en main pour devenir libre, ce qui est d’autant moins évident dans cette communauté de chasseur où être femme est être immédiatement une proie. C’est un combat à la fois terrifiant et poétique, glauque et sensuel. C’est le récit d’une lutte, celui d'une enfance volée, d’une féminité naissante piétinée, d'une famille dysfonctionnelle qui peut anéantir ou, au contraire, armer l’enfant que vous êtes, l’adulte en devenir.

Une histoire marquante assurément sur les êtres qui volent la joie, qui assombrissent la vie et desquels il faut se tenir loin, une histoire belge, c’est-à-dire menée de façon délicieusement, poétiquement et sombrement trash.



« Les histoires, elles servent à mettre dedans tout ce qui nous fait peur, comme ça on est sûr que ça n’arrive pas dans la vraie vie ».



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Respirer le noir

Voici déjà le quatrième tome de cette collection délicieusement noire, développée autour de nos cinq sens et cette fois dédié à celui de l’odorat. Après « Ecouter le noir », « Regarder le noir » et « Toucher le noir », Yvan Fauth du blog littéraire EmOtionS nous invite donc à « Respirer le noir » en compagnie d’auteurs de renom, le temps de douze nouvelles qui devraient pouvoir réconcilier les plus sceptiques avec le genre.



1. R. J. Ellory – le parfum du laurier-rose

Qui de mieux que le maître du noir et grand fidèle de cette collection pour ouvrir ce bal olfactif ? R.J. Ellory invite à suivre les pas d’Anderson, un ancien policier qui sort de prison après une très longue détention pour un crime dont les souvenirs et les odeurs le poursuivent. Une histoire enveloppée d’un parfum de vengeance où l’odeur du sang se mélange régulièrement à celle du laurier-rose. Un récit parfaitement maîtrisé mêlant justice et crime !



2. Sophie Loubière – Respirer la mort

Déjà présente dans « Ecouter le noir », Sophie Loubière raconte les déboires de Willy, qui a développé un odorat hors norme suite à un accident de jeunesse. Un très bon récit qui débute la tête enfoncée dans une bouse de vache et qui développe des capacités olfactives pour le moins surprenantes au fil des pages…



3. Franck Bouysse – Je suis un poisson

Nouveau venu au sein de cette collection, Franck Bouysse se base sur une pathologie certes rare, mais bel et bien réelle pour nous conter le calvaire d’un homme atteint du Fish-Odor Syndrom. Malgré une chute assez prévisible, j’ai particulièrement apprécié la superbe plume de cet auteur qui invite à partager la solitude de cet individu souffrant d’un manque d’amour, incapable de nouer des relations sociales à cause de l’odeur nauséabonde qu’il dégage…



4. Mo Malø – Cristal qui sent

C’est sans grande surprise que Mo Malø décide de nous emmener au Groenland, région qu’il affectionne particulièrement au cœur de ses romans, pour une expédition visant à retrouver le carnet d’expédition d’un climatologue disparu depuis 90 ans. Un décor qui a le mérite de rafraîchir un peu le lecteur en cette période de canicule et un périple enneigé qui va révéler l’existence d’un cristal diffusant une odeur qui rend vite accro. Un bon récit dont la thématique se rapproche peut-être très/trop fort de la nouvelle de Sophie Loubière…



5. Dominique Maisons – Deux heures et trente minutes

Cet auteur que je découvre à l’occasion de cette nouvelle nous emmène dans les coulisses de l’Elysée, où la découverte d’un corps va mettre les sens de la sécurité nationale en alerte. Une enquête certes classique, mais parfaitement maîtrisée et un auteur dont je note le nom.



6. François-Xavier Dillard – Happy World

Ah, la voilà, la nouvelle qui va vous faire tourner les pages un peu plus vite et augmenter votre rythme cardiaque. « Happy World » est un parc d’attraction où une famille de quatre s’apprête à passer une journée de rêve…sauf qu’un étrange commando s’apprête à y perpétrer un attentat terroriste. Le bon père de famille que je suis a retenu son souffle en suivant les efforts de ce papa essayant de sauver sa famille… Une montagne russe d’émotions ! Bravo François-Xavier Dillard (« Prendre un enfant par la main ») !



7. Adeline Dieudonné – Glandy

L’autrice de l’excellent « La Vraie Vie » partage toute la misère d’Alexandre Glandy, un homme amoureux qui noie sa misère dans l’alcool. Si cette nouvelle parvient à restituer les odeurs fétides liées à la condition de cette homme désagréable buvant le peu d’argent que sa femme tente de mettre de côté, je n’ai malheureusement pas accroché à cette histoire. Probablement que l’incapacité de pouvoir m’attacher à un tel personnage n’y est pas étranger…



8. Hervé Commère – le monde d’après

Hervé Commère dresse le portrait d’une petite bourgade sur le déclin depuis que l’unique entreprise du coin a été contrainte de fermer ses portes. Si L’auteur de « Sauf » décrit avec grand brio l’amertume et les difficultés des habitants de ce bled croulant sous le chômage, le lien olfactif de cette nouvelle m’a par contre semblé bien léger. Bien aimé !



9. Vincent Hauuy – Miracle

Vincent Hauuy (lisez le « Le tricycle rouge » !) propose une nouvelle plus futuriste qui invite à plonger dans le cerveau d’un meurtrier comateux afin d’élucider un meurtre. Un récit d’anticipation qui invite le lecteur à découvrir la mémoire des odeurs afin de résoudre une enquête. Pas mal.



10. Jérôme Loubry – Les doux parfums du cimetière

Cette nouvelle de Jérôme Loubry (lisez « Les refuges » !) se déroule dans un cimetière en compagnie d’un gamin venant régulièrement se recueillir sur la tombe de sa mère. Si l’environnement sied donc parfaitement à l’ambiance noire de cette collection, le récit s’avère cependant le plus lumineux de tous. Outre ce petit garçon particulièrement attachant qui associe les autres visiteurs endeuillés à une odeur spécifique, j’ai beaucoup apprécié l’humanité qui accompagne ce petit conte tendre et poétique.



11. Chrystel Duchamp – L’amour à mort

En trois chapitres très courts, l’autrice de « Le sang des Belasko » et « Délivre-nous du mal » invite à suivre les déboires d’un homme victime d’une rupture amoureuse, qui passera du paradis à l’enfer via un passage par le purgatoire, poursuivi par l’odeur d’un bien étrange hôpital. Surprenant !



12. Barbara Abel & Karine Giebel – Petit nouveau

S’il y a un duo que l’on prend grand plaisir à retrouver au sein de cette collection qui m’aura incité à lire des nouvelles, c’est bien celui-ci ! Un récit à quatre mains inspiré d’un fait réel, qui réunit une nouvelle fois deux reines du polar, l’une française, l’autre bruxelloise. La cerise sur le gâteau, la touche finale de noirceur qui vous invite à refermer cet ouvrage la peur au ventre, presque avec l’envie de remettre cet horrible masque et à vous désinfecter les mains toutes les deux minutes, juste au cas où quelque chose de pire que le COVID viendrait menacer notre société… Brillant !



Ancré dans les problématiques de notre société actuelle grâce à plusieurs nouvelles très proches de la réalité, « Respirer le noir » propose des nouvelles certes inégales, ce qui est inhérent au genre, mais dans lesquelles je vous invite néanmoins à plonger le nez, surtout dans celles de François-Xavier Dillard et de Barbara Abel et Karine Giebel. Personnellement, je me prépare à goûter à nouveau du noir avec le cinquième et dernier volet de cette collection.



Et si vous n’avez pas encore eu votre dose de nouvelles, je vous invite vivement à lire « Chambres noires » de Karine Giebel… du très haut de gamme !
Lien : https://brusselsboy.wordpres..
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