Quand je me suis rendue au Salon du Livre de Wallonie de Mons, j’ai eu l’excellente surprise qu’Adrien Mangold me reconnaisse. Cet homme a une mémoire de dingue sachant qu’on s’était rencontré en 2020 à Bruxelles. Ce salon draine tellement de monde, ça m’a impressionné, surtout que je suis du genre discret. Sa présence annoncée sur les réseaux de L’Homme sans nom pour la Foire du Livre de Bruxelles, j’ai sorti Journal intime d’un dieu omniscient de ma PAL.
Bienvenue sur Astria ! Le dieu éponyme endosse le rôle de guide touristique pour nous faire découvrir sa planète. Enfin, pas totalement, car c’est à travers les écrits de son bras droit, Ysmahel, que l’on explore ce monde où les créatures élémentaires évoluent.
Le début de ce roman est excellent. Le divinité y interpelle son conseiller pour retranscrire ses pensées. C’est vivant, comique, dynamique, plaisant dès la première page. On perçoit de suite la relation particulière entre ses deux êtres et une partie de leur caractère respectif.
L’univers bâti pour l’auteur, oups, Astria (sait-on jamais qu’il m’entendrait) est original. Il a réfléchi à tout, de la répartition de ses contrées à l’action du soleil, du jour et de la nuit. Les aspects de la planète (climat, rotation, reproduction) sont contrôlés avec l’œil du chef d’orchestre qui empêche la disharmonie, car la divinité craint de reproduire les erreurs de son homologue qui gérait la Terre. Une paranoïa qui enclenche des prises de décision parfois…radicales, malgré son amour pour ses enfants dont il adore suivre la vie.
C’est d’ailleurs sur l’observation de quelques âmes que la narration est basée. Des chapitres minuscules (rarement plus de 2 pages) alternés avec des explications de type encyclopédiques sur le monde ou des intermèdes entre Astria et Ysmahel. Les commentaires sur le world-building m’ont fait penser au travail des auteur.ices de fantasy, ce qui m’a fait sourire. Ces passages permettent de comprendre le fonctionnement de la planète et les relations entre les créatures élémentaires jusqu’à leur système de non-reproduction. En ce cas, l’approche d’Adrien Mangold est intéressante, car il nous propose un monde où le sexe n’est pas source de danger et d’insécurité pour la femme (je vais le dire clairement, hein !). Toutefois, il n’élimine pas la hiérarchie des sexes, il s’amuse à les inverser jusque dans leur conception et à jouer sur les valeurs qui nous sont connues.
Astria est un Reinaume dont la nouvelle couronne vient de monter sur le trône. Les clans sont régis sous le signe du matriarcat, où le foyer et l’éducation des marmots sont considérés comme nobles tandis que les hommes et le travail sont des tâches ingrates. Tout comme les Terriennes le ressentent encore aujourd’hui, les mâles d’Astria regrettent et dénoncent cette domination. Ils revendiquent le droit de participer à l’enseignement et à la paternité ! On voit le contraire également, via Exalée, une nibérienne qui veut devenir charpentière ! Elle incarne la femme qui ose exercer des métiers d’homme. Elle est considérée comme impure, car elle s’abaisse à ça !
Le journal est empli de petites thématiques qui jouent sur les combats et les problématiques de notre terre. Je vous laisse découvrir tout cela parmi les bâtisses religieuses de tissus, les montagnes qui ont la bougeotte et les sous-marins de croisière vivants. Comme dans Prototype, Adrien Mangold déploie une imagination gargantuesque. Il sculpte de décors époustouflants qui amuseraient plus d’un illustrateur ou graphiste de cinéma.
Le rythme et les choix scénaristiques en font un OLNI. On parcourt Astria tel un.e explorateur. ice avec l’impression de suivre un long fleuve tranquille connaissant quelques remous qui dissimulent des cascades vertigineuses. Dont une fin des plus…amusante, à l’image de l’introduction.
Un humour présent dans les joutes verbales entre Ysmahel et Astria. Le conseiller n’hésite pas à le reprendre, le contredire et à le confronter à ses choix, notamment quand il s’inspire un peu trop de la Terre. Il commente avec cynisme en note de bas de page, ses propos. J’ai adoré son personnage et pas seulement parce que j’aimerais avoir un scribe pareil qui écrirait mes pensées avant qu’elles ne s’échappent de mon cerveau à tout jamais.
La plume du romancier est toujours aussi incroyable. Les tournures, les expressions sont originales et fournies. Le vocabulaire inventé pour ce monde teinte le texte et nous dépayse. On a l’impression d’y être et de parler peu à peu astrian !
En bref, Journal intime d’un dieu omniscient est un livre extra-ordinaire. Adrien Mangold joue avec les codes du métier d’auteur.ice en fantasy et les problématiques sociétales actuelles pour construire un roman unique qui ne plaira clairement pas à tout le monde. Si vous tentez l’aventure, démunissez-vous des attentes liées au genre. Ce livre est un défi. Un pari réussi pour moi.
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