Cet âge difficile où la fillette n’est plus et où s’opère, hélas, l’éveil de la jeune femme, un éveil qu’on pourrait qualifier de conflit armé entre l’âme et le corps, entre Dieu et Satan, une sorte de guerre sainte à laquelle aucune jeune fille n’échappe et où c’est donc à la Foi et à elle seule que revient la tâche délicate de trouver le juste milieu entre les deux pôles de l’humaine nature : esprit et chair, d’assouplir le fil tendu entre les antipodes pour éviter les tiraillements de la concupiscence, car si la femme est faite pour donner des hommes à la terre, comme nous le savons tous et comme l’Église l’enseigne, cela ne peut se faire hors du cadre du mariage, ni sur le seul terrain du sexe comme beaucoup paraissent le penser de nos jours
Je n’arrive plus à aplatir sa poitrine gonflée comme un panaris, à contenir ses hanches par bâbord et tribord… Je crois que nous allons bientôt avoir des problèmes avec elle. La loi de la nature, je veux bien. N’empêche que je suis inquiète : elle grandit trop vite.
Pour grandir normalement, une enfant a besoin de savoir distinguer le bien et le mal, l’abîme de différences entre vice et vertu.
Dans cette famille où la seule maladie héréditaire consiste à naître femelle, la chose la plus urgente à préparer, dès l’âge de raison, c’est le mariage. Ici on vit de la terre, et la terre a besoin d’hommes.
Mais non, mon ange, tu ne vas pas pleurnicher pour quelques gouttes de sang ! Ça s’appelle les règles, mon bouquet de jasmin, rien à voir avec une maladie. Ou alors nous toutes, les femelles, sommes des malades incurables, à l’article de la mort ou peu s’en faut. Car tu es devenue une petite femelle, une petite cruche pleine qui se vide, une petite fontaine qui s’éveille.
Il faudra une fois pour toutes se faire à l’idée qu’elle devient femme. À cet âge, même si le comportement reste enfantin, la nature change.
Elle préfère le monde des adultes, les affaires de la terre et du bétail qu’elle conduit d’une main ferme, en vrai homme qu’elle est.