Citations de Agustin Gomez-Arcos (89)
Il se tait. Un de ces silences que sa guitare n'ose pas troubler.
Ketty (la maîtresse de Monsieur le chef de la police locale ) a mis son tailleur violet pour se rendre aux funérailles de son amant . Sa mère voulait qu'elle s'habille de noir . Ketty a dit non . Elle souffre profondément de cette mort , c'est vrai ; mais elle n'a que trente sept ans et ne se considère comme la veuve de personne . Elle pleure . Pas pour se vanter ou pour faire valoir ses droits de concubine .
Elle aimait ce mort d'un amour tendre . Il n'est pas question de lui refuser une larme le jour de son enterrement .
A sa façon à elle , Ketty se sent en deuil . Sur sa poitrine , là où son abondant nichon gauche cache les faiblesses de son cœur , elle arbore un bouquet de fleurs noires .......
Ce n'est pas le noir de la nuit qui la rend si noire. C'est le noir de ses vêtements noirs. Il a changé sa nature, la couleur de sa peau. Et sans doute, l'essence de son âme, sa couleur. Dénaturée, décolorée par le deuil.
Il essaie de se donner encore une possibilité de rêve. Ou de rêver. Mais tout en lui dénonce l'exclu, à commencer par sa pancarte. Pliée en quatre, elle cache le message qu'elle lance le reste du temps, mais ne réussit pas à dissimuler les auréoles suspectes de la chiasse des pigeons, de la pisse des chiens, plus dénonciatrices que la matraque du gendarme ou la phrase du gamin, le montrant du doigt : " Maman, c'est ça un pauvre? " Ils sont si nombreux les pauvres désignés par "ça", que les mamans ne se donnent plus la peine de répondre.
Comment savoir quand la pensée devient rêve, et le rêve pensée ?
Trente ans de silence, au jour, à l'heure, à la minute près. Trente ans de nuits. Bien sûr, elle disait bonjour et au revoir, que c'est gentil à vous et merci bien. Mais ça, ce n'est pas parler. C'est aggraver le silence
Un jour, il lui arriva une pénible aventure (il n'avait pas encore l'expérience requise d'un voleur de crottin). Un vieux chameau lui lança un crachat de gros calibre qui le recouvrit de bave; des œillères trouées permirent à la sale bête de reluquer l'aveuglon, en train de lui subtiliser la boule de crottin qu'elle venait de déposer par terre. Certains animaux possèdent un sens de la propriété plus féroce que celui des humains.
Le rêve est une façon de raconter ce qu’on a dans le cœur. On ne veut pas se raconter, mais on se raconte…
Il lisait trop. Sait-on jamais ce que cachent les livres, ce qu’ils dévoilent ?
Non, ce n’était pas juste, il le savait. Mais on ne doit pas attendre de la vie trop de justice ; si elle était juste, ça fait longtemps que ce monde serait un paradis. Et il ne l’est pas. Un endroit plus ou moins habitable où chacun s’en tire comme il peut.
Je regarde, hébété, cette floraison inattendue de rouge, jaune, rouge qui donne à la ville un air médiéval et évoque l'image d'un campement de nomades qu'on va démonter le lendemain matin pour le transporter ailleurs. ( Vu dans un livre.) Ce n'est pas possible qu'il soit là pour toujours, ce revêtement absurde qui travestir la ville et humilie la pierre et la chaux. Si j'étais un oiseau, j'aurais déjà foutu le camp à la recherche d'un paysage naturel. Mais non. Ils sont là, les oiseaux. Et ils chient sur les hampes (symbole).
Ta vérité, Ana Paucha, elle est bien simple. Il faut que tu commences à être. C'est ça ta vérité.
Monsieur le chef de la police locale avait lié avec le pouvoir des relations intimes qui n'étaient pas faciles à comprendre , le pouvoir exigeant une obéissance aveugle qu'il ne payait que d'une obéissance lucide . Une sorte de conflit dont il cherchait désespérément l'explication .
En effet , le pouvoir , considérant que le pays entier s'enlisait dans la " coulpe " ( totalitaire par nature , il ne se gêne pas pour emprunter aux églises leur terminologie criminelle ) , certaines erreurs d'appréciation pouvaient se produire , spécialement des erreurs concernant le choix des victimes .
Mais Monsieur le chef de la police locale , qui interprétait les ordres du pouvoir en fonction de son apocalypse personnelle , ne se trompait jamais , convaincu comme il l'était qu'il n'existe pas d'individu qui , tôt ou tard , ne se rende pas coupable de sédition contre l'ordre établi . car tout individu couve en lui , un anarchiste , une bombe prête à exploser dans les entrailles de la société .
comment saurait-elle qu'on naît à la mort comme on naît à la vie, dans l'innocence, dans l'effort ?
Ana Paücha ne sait pas , n'a jamais su ce que c'est d'avoir un droit. En outre, elle n'en veut pas. Elle n'en a plus besoin. La chose qu'elle veut (sans en avoir clairement conscience), c'est traverser le pays du Sud au Nord, pas à pas, pour que cette terre indigne, qui a mis au monde les assassins de ses hommes, sache enfin qu'elle existe, qu'elle a quitté le trou où elle se terrait, et qu'elle marche, tache noire, vers la mort. Debout. Sur ses deux pieds.
Pour les gens qui n'ont pas à souffrir de la vieillesse, de la pauvreté ou de la laideur, ceux qui se rendent toujours à un endroit précis et honnête comme la mairie, le cimetière, l'église ou chez des amis, pour ceux-là la route est toute tracée. Pour les autres, tout ce qu'ils font, c'est du terrorisme, c'est bien connu. Du terrorisme et rien d'autre. Les autres, c'est sa chienne, c'est elle-même. C'est la gale de sa chienne. C'est sa propre détresse.
Je t'aime. Les yeux fermés, j'ouvre la bouche pour dire ces mots neufs - des mots qui sont comme des chiffons usés dans la bouche des autres, mais qui s'inventent dans la mienne ; je les articule soigneusement pour ne pas risquer de perdre une syllabe dans le vide, pour ne pas risquer un cataclysme. Je découvre que, pendant ces sept ans de mon manque de toi, je suis parvenu à la sérénité. La maison est prête, je suis prêt. Le printemps est né. Je n'ai plus besoin d'ouvrir les yeux tant que je n'entendrai pas tes pas résonner sur le gravier du jardin, ta clé tourner dans la serrure, tes mains pousser la porte. Les yeux fermés... en ce début de printemps qui s'annonce comme un miracle... Je t'attends... mon frère... mon frère amour.
La nuit sentait le Paradis. Jasmin et fleur d'oranger embaumaient l'air. Le relent à graisse de mouton s'estompait. Le feu s'était éteint, le silence s'éveillait. Un chien perdu aboya au loin. On entendit la mélopée du muezzin, apportée par la brise : des lambeaux de la prière du soir, égarés dans les ruelles.
La voie ferrée. Route moderne des pèlerins de la misère. De nouveau les cailloux aiguisés, les traverses rongées par les intempéries, les rails brûlants que des cheminots vérifient à longueur de jour. Les chiffons qui enveloppent les pieds d'Ana Paücha fument comme sous un fer trop chaud. Petite. Voûtée. Ana non. On dirait d'un diable minuscule sur un chemin d'enfer traînant après soi sa part de fumées infernales. Elle serre sur son ventre son paquet enfermant un pain aux amandes, huilé, anisé et fortement sucré (un gâteau, dirait-elle), que le temps a desséché. Un pain-pierre. Comme Ana Paücha : une femme pierre.
Ma solitude, c'est quatre lits où s'épanouissaient quatre corps d'hommes, jadis. Vides, les lits. Morts, les hommes. Ma solitude, c'est une barque blessée dans son corps, qui se dessèche au bord de la mer, barque désertée que n'accueille plus le salut des mouettes tous les petits matins de la joie du retour. Ma solitude, c'est ce nom heureux que je ne pourrai pas donner à mes petits-enfants, morts avant d'être nés. Ma solitude, c'est ce nom de grand-mère que je n'entendrai jamais, sauf dans le trou noir de mes rêves.