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Citations de Agustina Bazterrica (128)


Lorsque Spanel a ouvert sa boucherie, elle imitait la découpe traditionnelle des bovins pour que le changement ne soit pas trop abrupt. On se serait cru dans une boucherie d'antan. Petit à petit, cela a changé, doucement mais sûrement. D'abord, il y eut les mains sous vide, sur le côté, cachées entre les milanaises à la provençale, l'aloyau et les rognons. La barquette portait l'étiquette de la viande spéciale, et dans un coin, la mention "extrémité supérieure", pour éviter stratégiquement le mot "main". Avec le temps, Spanel s'est mise à proposer des pieds en barquette, qu'elle présentait sur un lit de salade verte avec l'étiquette "extrémité inférieure", puis plus tard, un plateau avec des langues, des pénis, des nez, des testicules avec un petit panneau qui disait "Délices Spanel".
Au bout d'un moment, et en s'inspirant des morceaux du cochon, les gens ont fini par appeler "pattes avant" les extrémités supérieures et "pattes arrière" les extrémités inférieures. Grâce à cette licence et à ces termes qui abolissaient l'effroi, l'industrie les a classifiées ainsi.
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Les gens se confiaient souvent à lui. Il pense que c'est parce qu'il sait écouter et qu'il n'aime pas spécialement raconter sa vie.
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- Il faut respecter la nourriture, cavaler. Toute assiette contient de la mort. Prenez-le comme un sacrifice que d'autres ont fait pour vous.
De nouveau ses ongles ont frôlé sa main, un frisson le parcourt. Il a l'impression de pouvoir entendre les crissements sous la peau d'Urlet, ce hurlement sourd, cette présence qui cherche à sortir. Il avale les fresh fingers pour en finir le plus vite possible et s'en aller. Il ne veut pas deviser avec Urlet de ses théories artificielles. Il ne lui dira pas qu'un sacrifice, normalement, requiert le consentement du sacrifié, pas plus que si tout contient en effet de la mort, et pas seulement ce plat, alors lui aussi, Urlet, meurt à chaque seconde qui s'écoule, comme n'importe qui d'autre.
Il se surprend à constater que les doigts sont exquis. Il se rend compte à quel point manger de la viande lui manque.
Un assistant apporte un plat unique et le pose devant le chasseur qui a tué le musicien. Solennellement, il annonce :
- Langue d'Ulises Vox marinée aux fines herbes, servie sur son lit de kimchi et de pommes de terre au citron.
Tout le monde applaudit en riant. Quelqu'un dit :
- Quel privilège de manger la langue d'Ulises. Après tu nous chanteras l'une de ses chansons, on verra si ça rend pareil.
Ils éclatent tous de rire, sauf lui ; lui, il ne rit pas.
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Lui, il se demande toujours ce que ça doit faire de passer ses journées à mettre des cœurs humains dans des caisses. À quoi peuvent bien penser ces ouvriers ? Ont-ils conscience que ce qu'ils tiennent dans leurs mains étaient jusqu'à présent en train de battre ? Cela leur fait-il quelque chose ?
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Il sort de la tannerie et se sent soulagé. Une fois de plus, il se demande pourquoi il s'inflige cela. Et la réponse est toujours la même. Il sait pourquoi il fait ce travail. Parce que c'est lui le meilleur et qu'on le paie en conséquence, parce qu'il ne sait rie faire d'autre et parce que la santé de son père ne lui laisse pas le choix.
Parfois, on doit porter le poids du monde sur ses épaules.
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Monsieur Urami parle, déclame comme s'il révélait d'incalculables vérités à une foule. La salive fait briller ses lèvres ; des lèvres de poisson ou de crapaud. Il a quelque chose d'humide et de serpentant. Monsieur Urami tient de l'anguille.
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La première chose qu'il sent, à chaque fois qu'il entre, c'est une légère odeur d'urines et de médicaments. Ce parfum artificiel des produits chimiques qui permettent à ces corps de continuer de respirer. Les lieux ont beau être d'une propreté impeccable, il sait que l'odeur d'urine est presque impossible à éradiquer avec tous ces vieux qui portent des couches. Il n'appelle jamais les vieux "papi" ou "mamie".
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Son père ne parle presque plus. Il émet des sons. Des plaintes.
Les mots sont là, mais sous cloche. Ils pourrissent sous la folie.
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— Avez-vous déjà mangé un être vivant ?
— Non.
— Ça a une vibration, une chaleur douce et fragile qui le rend particulièrement délicieux. Mordre dans une vie. C’est le plaisir de savoir que, par votre intention, par votre action, cet être a cessé d’exister. C’est sentir expirer doucement cet organisme complexe et précieux, et qui a d’ores et déjà commencé à faire partie de vous-même. Pour toujours. Ce miracle me fascine. C’est une possibilité d’union indissoluble. 
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Pendant la Transition toutes les boucheries ont fermé, et ça n'a été qu'après, une fois le cannibalisme légitimé, que certaines ont rouvert. Mais elles restent réservées à une élite, tenues par des patrons intransigeants sur la qualité. Peu parviennent à avoir deux boucheries, et le cas échéant, la seconde est souvent gérée par un parent ou un proche digne de confiance.
La viande spéciale vendue en boucherie étant pratiquement inaccessible, s'est développé un marché noir où l'on peut en acheter de la moins chère ; moins chère, parce qu'elle échappe aux contrôles et aux vaccins, et parce que c'est de la viande facile ; de la viande avec un nom et un prénom. C'est ainsi qu'on appelle la viande illégale, celle qui est chassée puis transformée après le couvre-feu.
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Tout le monde dit qu’il est tombé parce qu’il a volé trop près du soleil, mais il a volé, tu comprends, fiston ? Il a réussi à voler. Peu importe que tu tombes si tu as été un oiseau, ne serait-ce que pour quelques secondes.
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— Après tout, depuis que le monde est monde, nous nous mangeons les uns les autres. Quand ce n’est pas symboliquement, nous nous dévorons littéralement. La Transition nous a offert l’opportunité d’être moins hypocrites. 
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En direction de la sortie, ils traversent le hangar des gestantes. Certaines sont dans des cages, d'autres sont allongées sur des établis, sans bras ni jambes.
Il détourne le regard. Il sait que dans beaucoup d'élevages, on mutile celles qui tuent leur fœtus en se cognant le ventre contre les barreaux ou en refusant de s'alimenter, bref en faisant ce qu'il faut pour que leur petit ne naisse pas et ne meure pas dans un abattoir.
(p. 39)
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Il est d'accord avec tout ce qu'elle dit, mais il ne supporte pas ses mots, qui sont comme de minuscules têtards qui grouillent en laissant derrière eux une traînée collante, qui rampent pour aller s'entasser les uns sur les autres, pourrir et vicier l'air d'une odeur rance. Il ne lui répond pas car il sait aussi qu'elle a peu d'employées femmes, et que si l'une d'entre elles tombe enceinte, elle la méprise et l'ignore.
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Il la remercie de l'avoir prévenu et lui dit qu'il passera dès que possible. Il raccroche et reste au lit en pensant qu'il n'a pas envie que cette journée commence.
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Pour faire référence à ces humains qui ne seront jamais des personnes, mais toujours des produits, il utilise les termes techniques. Il parle de quantité de têtes à transformer, de lot en attente dans la bouverie, de ligne d'abattage censée respecter un rythme constant et rigoureux, d'excréments à revendre pour fabriquer de l'engrais, d'ateliers de découpe. Personne ne doit plus les appeler 'humains' car cela reviendrait à leur donner une entité ; on les nomme donc 'produit', ou 'viande', ou 'aliment'. Sauf lui, qui voudrait n'avoir à les appeler par aucun nom.
(p. 21)
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Les gens se confiaient souvent à lui. Il pense que c’est parce qu’il sait écouter et qu’il n’aime pas spécialement raconter sa vie.
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Car la haine donne la force de continuer, elle soutient une structure fragile, tisse des fis pour empêcher le vide de prendre toute la place.
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Son père ne parle presque plus. Il émet des sons. Des plaintes.
Les mots sont là, mais sous cloche. Ils pourrissent sous la folie.
Il se rassied dans le fauteuil et regarde par la baie vitrée. Il lui prend la main. Son père le regarde comme s'il ne le connaissait pas, mais ne retire pas sa main.
(p. 80)
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Elle avait le regard humain de l'animal domestiqué.
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