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°°° Rentrée littéraire 2019 #25 °°° Rouch, je suis soufflée et très impressionnée par l'audace dont fait montre cette jeune auteure argentine qui ose un premier roman au postulat de départ complètement dingue : le cannibalisme légal. Dans un monde d'anticipation qui ressemble furieusement au nôtre, les animaux ont été décimés par une pandémie, la GGB ( Grande Guerre Bactériologique ), rendant la consommation de leur chair impossible. Les autorités du gouvernement de type totalitaire ont convaincu la population de manger de la viande humaine. Cela fait très longtemps que je n'avais pas lu des pages au bord d'un malaise quasi nauséeux ( depuis certaines scènes des Bienveillantes, je pense ) et j'ai la couenne plutôt coriace en général. Mais là, dès les premiers mots « Demi-carcasse. Etourdisseur. Ligne d'abattage. Tunnel de désingection. », uppercut direct, pas de préliminaires lubrifiants ton esprit pour le préparer au choc. le descriptif minutieux, clinique, du développement industriel de la consommation de chair humaine, de l'élevage à l'abattage, est insoutenable. L'écriture d'Agustina Bazterrica est polysensorielle, au fil des mots, des visions, des odeurs surgissent, des sons aussi, tu as beau les refouler, ils sont bien présents, et tenaces. Oui. Tous les lecteurs ne pourront pas supporter ou n'auront pas envie de s'y plonger. Normal. Normal, mais j'ai pourtant dévoré ( ha ha ) ce roman en quelques heures. Pas par masochisme mais parce que derrière l'atroce, il y a du fond. L'horreur n'est pas gratuite juste pour jouir de son caractère quelque peu fascinant. Agustina Bazterrica décrypte avec pertinence les ressorts du totalitarisme comme la propension du quidam à croire un discours officiel et à accepter de faire des choses inimaginables sans se poser plus de questions de cela sur la propagande déversée qui présente cela comme une solution à la pauvreté ou la surpopulation. La novlangue de ce cannibalisme institutionnalisé censure des mots perçus comme aussi subversifs que le fait d'avoir des relations sexuelles avec un de ces êtres humains élevés pour être manger : on ne peut plus dire « homme » mais « tête », on parle de « viande spéciale », d'"extrémité supérieure » pour éviter le mot « main » etc. Derrière cette façade totalitaire, on peut également lire une critique sans concession de notre société de consommation tout court, bien évidemment de la consommation de viande et des méthodes actuelles d'élevage et d'abattage des animaux, même si le pamphlet vegan va bien au-delà de ce simple point. Tout est dérangeant dans ce roman, mais ce qui est évident, c'est le talent de cette auteure pour construire avec brio un récit glaçant, pour nous faire accepter comme réel un postulat ignoble et dingue. La montée vers l'horreur finale est d'autant bien maitrisée qu'elle s'appuie sur un personnage principal à laquelle notre empathie s'accroche comme une bouée lumineuse dans le chaos. On a tellement envie de voir en lui un peu d'humanité que la fin nous cueille, terrible. + Lire la suite |