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Citations de Akira Yoshimura (260)


L'appel se terminait enfin lorsque nous avons aperçu quatre silhouettes humaines avançant vers nous sur le lit du torrent noyé dans la brume blanche de la pluie.
Ils s'approchaient en marchant sur les pierres qui bordaient le torrent gonflé par les eaux. Trois d'entre eux avaient une pèlerine de paille et un chapeau de laîche. La dernière silhouette, vêtue de blanc, était battue par la pluie.
Ils commençèrent à gravir la pente qui menait au camp où nous nous trouvions. Je finis enfin par comprendre que la silhouette blanche battue par la pluie était celle d'une jeune femme. Et cette femme, en plus, marchait pieds nus.
Nous avons échangé des regards. C'était la première fois que des gens du hameau venaient jusqu'ici, nous sentions que l'aspect de cette femme n'était pas ordinaire, si bien que nous les regardions approcher, le corps raidi.
Les pieds de la fille glissant sur l'herbe mouillée de la pente, elle faillit tomber plusieurs fois. Une grande quantité de boue maculait l'ourlet de son vêtement blanc, et ses petits pieds nus en étaient recouverts.
Arrivés en haut de la montée, ils se dirigèrent sans hésiter vers l'endroit où nous nous trouvions. Etait-ce parce qu'ils portaient une pèlerine ? Les épaules des hommes paraissaient larges et vigoureuses.
Leurs yeux perçants sous les chapeaux de laîche nous lançaient des regards noirs.
Il y avait un vieillard bien charpenté au menton tanné, un homme d'âge mûr aux lèvres épaisses, et un jeune homme au teint pâle.
Pétrifiés, nous observions le visage des gens du hameau que nous découvrions de près pour la première fois.
Le chef d'équipe s'avança l'air méfiant :
- Vous désirez quelque chose ? leur demanda-t-il d'un ton courtois.
Mais ils continuaient de nous transpercer du regard en silence, le visage parfaitement immobile. Ensuite, brusquement, le vieillard secoua violemment la fille par l'épaule.
Elle releva la tête. La pluie roulait de ses cheveux vers ses joues et coulait dans son cou. Elle avait le visage blême, les lèvres bleues. J'eus instinctivement le souffle coupé devant ses traits nettement dessinés. Son visage aux cheveux collés des joues vers la bouche était d'une beauté incroyable, presque insoutenable.
Les yeux de la fille, comme si on l'y poussait, commencèrent à se déplacer sur nos visages. La pluie qui tombait dru et bruyamment rejaillissait aussi en vapeur blanche sur sa tête et ses épaules.
Soudain, ses yeux s'arrêtèrent sur un point. Sa main dont on voyait la peau en transparence du tissu détrempé s'éleva lentement pour indiquer une direction.
J'ai tourné la tête. Au bout du doigt de la fille se trouvait le visage apeuré d'un ouvrier de petite taille sous son ciré.
Je dirigeai à nouveau mon regard vers le visage de la fille. Elle fixait l'ouvrier d'un oeil plein de colère. Son corps frêle était pris de tremblements, qu'elle paraissait supporter en serrant les dents. Mais aussitôt son visage s'abaissa vers ses pieds dans un mouvement brusque. Je vis sur son profil, mélangée à la peur, une légère nuance de honte.
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Après avoir progressé pendant un certain temps, nous sommes arrivés au sommet d'une petite cascade. Nous l'avons descendue en nous agrippant aux rochers, et continuant plus avant, au détour de la vallée, notre vue se dégagea et nous vîmes s'élever d'épais nuages de vapeur.
- C'est là, cria l'homme de tête.
Nous avons couru vers la vapeur en nous disputant à qui serait le premier.
La source jaillissait du lit peu profond. Le sable fin dansait au fond de l'eau, étincelant comme des paillettes.
Nous nous sommes précipités pour y tremper l'extrémité de notre main. C'était chaud. Nous poussions des cris de joie. Et quand nous avons découvert dans un coin une vasque naturelle comme une grande baignoire en plein air, notre excitation monta d'un cran.
Quelques-uns d'entre nous se débarrassèrent de leurs vêtements pour y plonger tout nus. Ils s'aspergèrent avec ardeur, riaient comme des fous.
Le chef d'équipe était lui aussi d'excellente humeur. Jusqu'alors nous avions fabriqué un bassin en bois que nous remplissions d'eau chaude, et dans lequel nous ne pouvions nous laver qu'une fois tous les quinze jours. De plus, nous étions nombreux à l'utiliser, il se salissait vite, et l'utilisation de l'eau chaude était rationnée.
- Bon, on va en faire une vraie station thermale, proposa le chef d'équipe.
Nous sommes retournés au camp en courant. Du bois fut transporté sans tarder, des planches franchirent le torrent, un solide escalier fut construit à l'endroit de la petite cascade.
Dès que l'accès du bain fut aménagé, nous nous sommes plongés dedans. L'eau devait provenir d'une source légèrement alcaline, car au bout d'un moment, elle rendait la peau toute douce.
Nous nous y trempions à tour de rôle, nous nous lavions puis, assis sur les rochers, nous regardions les parois qui se dressaient de chaque côté. Ici où là, à mi-pente de l'escarpement, poussaient des sélaginelles qui étalaient leurs branches, à un endroit ruisselait le filet d'eau qui tombait en cascade, et de temps à autre, au gré du vent, des gouttelettes arrosaient la vasque au creux des rochers.
- Des bains aussi luxueux, on n'en trouve pas si facilement, hein.
Ils contemplaient avec satisfaction la paisible vallée.
Ce jour-là, après le dîner, à la lumière d'une lampe-tempête, nous sommes descendus le long du torrent tous ensemble comme des curistes. Ainsi pendant deux ou trois heures avons-nous discuté joyeusement, ce qui apaisa notre humeur chagrine.
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Dans cette gorge constamment ravinée par la pluie, la vitesse à laquelle germaient les bourgeons printaniers était stupéfiante. Au début c'était comme si tout se couvrait vaguement d'une fine couche de poudre vert-de-gris, mais de jour en jour la couleur devenaient plus foncée, et bientôt les couleurs fraîches du feuillage printanier se répandaient dans toute la vallée.
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De vieux capuchons de paille flottaient çà et là dans les premières vagues. Quand les rouleaux s'écrasaient sur les récifs au loin sur la côte, l'écume arrivait par vagues successives aux pieds d'Isaku et la mer se cambrait pour venir s'écraser contre les rochers.
Il pleuvait et la surface de la mer fumait. Des gouttes de pluie mêlées d'écume passaient à travers les trous de sa capuche. La côte rocheuse était bordée d'une mince étendue de sable où venaient s'échouer les épaves.
Isaku attendit que la mer se retire pour s'avancer et attraper un morceau de bois coincé entre les rochers. Il était courbe et portait des marques de clous. C'était un peu lourd, il n'avait que neuf ans, mais il prit appui sur le rocher et tira du mieux qu'il put, si bien qu'il réussit à le faire glisser.
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La mort au combat qu'il appelait de tous ses vœux ressemblait dans son imagination à cette vision, une beauté tragique et solitaire dans la quelle il s'enfoncerait, avec à l'arrière plan un crépuscule aux couleurs éclatantes. L'idée que c'était cela, se sacrifier pour son pays, lui procurait une satisfaction infinie. p52
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Le lendemain matin, ils descendirent du camp, et guidés par Nogami entrèrent dans la maison du chef de village. Là, ils durent poser pas mal de questions qui leur permirent de savoir que dans les dix-sept habitations vivaient des familles de la même lignée sur plusieurs générations, si bien que la population du hameau dépassait les trois cents âmes. Les terres étaient réparties équitablement entre chaque famille, ils récoltaient dans les champs du millet et du panic, cultivaient le mûrier pour les vers à soie, et dans les montagnes cueillaient des plantes comestibles : angélique, armoise, osmonde, pousse de bambou, igname, pétasite, marron d'Inde ; ils ramassaient des plantes aquatiques, pêchaient et chassaient le lièvre ou le sanglier.
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Bientôt le crépuscule s'intensifia, et la brume commença à s'écouler au-dessus d'eux. Les silhouettes des habitants du hameau genoux fléchis se diluèrent comme de l'encre de Chine dans la brume.
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Je croyais qu'il y avait tapi au fond de moi quelque chose de mystérieux que je ne pouvais absolument pas contrôler. Une fois que la violence s'emparait de moi, elle s'exacerbait sans que je puisse l'arrêter, pour éclater soudain comme si une digue se rompait. Alors mon corps se remplissait comme d'eau chaude d'un vif plaisir.
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La position des étoiles avait évolué, tandis que la lune disparaissait derrière la cime des arbres. Isaku sut que l'aube approchait.
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Le moment le plus angoissant se situait juste après le lever du jour. Il s'enduisait le visage et les bras de terre avant de plonger sous les cadavres, habité par la crainte que l'aspect de son corps, même immobile, soit différent de ceux que la décomposition avait modifiés. Cette appréhension se dissipait en moins d'une heure, une fois qu'il était entièrement recouvert par les asticots et les mouches qui le rendaient semblable aux autres.
Les heures pendant lesquelles le soleil brillait lui étaient pénibles. Son corps inerte s'engourdissait et lui faisait mal. Les vers qui rampaient sur son visage entraient dans ses yeux, ses narines, ses oreilles. Sa peau s'imprégnait de l'odeur et du fluide issus des chairs pourrissantes.
Le soleil dardait sur lui ses rayons. Il appelait la pluie de ses voeux. Elle rafraîchirait sa peau brûlante et il pourrait attraper du bout de sa langue quelques-unes des gouttes qui couleraient sur ses joues. Mais l'astre s'entêtait à briller, comme s'il était déterminé à faire s'évaporer jusqu'à la trace des précipitations de la mousson.
Il relevait prudemment la tête à la tombée de la nuit. Une fois que son corps sortait de son engourdissement, il se débarrassait des asticots et observait les alentours avant de se mettre à ramper lentement dans la direction qu'il avait choisie.
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A partir de cet instant, sa perception du monde avait changé du tout au tout. Les gens et la ville, tout s'était transformé en choses inorganiques aux couleurs passées, tandis que s'incrustait en lui un sentiment d'impuissance insurmontable, comme s'il n'avait rien à faire dans ce paysage, et bientôt il lui devint pénible de remuer ne serait-ce que les bras ou les jambes et d'éprouver des émotions qui ne le concernaient plus.

Voyage vers les étoiles
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On voyait souvent dans les journaux et les magazines des textes écrits par des esprits cultivés, dont certains insistaient sur le fait que la condition essentielle pour implanter la démocratie au Japon était d'infliger la peine capitale aux criminels de guerre.
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(...) ; il collectionnait les yeux à facettes des libellules qu'il rangeait comme des joyaux dans une petite boîte, enfilait des coccinelles pour faire des colliers, élevait des araignées en déposant des petits insectes sur leur toile, car il aimait observer comment elles les entouraient aussitôt avec leurs pattes d'une sorte de cocon.
(Voyage vers les étoiles)
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La mort n'était pour l'âme qu'une période de profond repos précédant son retour, et les villageois croyaient que se lamenter trop longtemps troublait la paix de l'âme du mort.
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"La procession ne se dirigeait pas vers le monde civilisé, elle s’enfonçait davantage dans les profondeurs de la montagne. Sur les sommets, la neige arrivait jusqu’à elle, étincelant tout autour. Elle s’y enfonçait, comme aspirée par la blancheur."
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Mais sur le moment, j'avais plutôt ressenti de la compassion pour Nogami, et j'avais frissonné devant la cruauté de ceux qui l'appelaient Wagonnet. S'évanouir ne constituait pas une preuve absolue de faiblesse. Moi-même, en entendant les os se briser et en recevant des éclaboussures de sang, j'aurais certainement perdu connaissance.
Mais, au fur et à mesure des jours, j'avais fini moi aussi par comprendre progressivement la nature du mépris des ouvriers pour Nogami.
Ceux qui s'engagent dans une équipe de travaux de construction d'un barrage embrassent une destinée où un simple accident doit être géré techniquement. Le chantier est plein de beaucoup d'éléments facteurs de danger pouvant aisément conduire un homme à la mort. Au-dessus des têtes vont et viennent sans arrêt des matériaux transportés par les grues, près des pieds jaillissent furieusement les quantités d'eau nécessaires au lavage de la dalle de béton. Les dumpers font tomber le remblai dans la vallée, et dans les tunnels, la dynamite fracasse la roche tandis que des foreuses géantes se déplacent sur des rails comme d'énormes tanks. Tous pris un par un sont des monstres capables de transformer le corps humain en cadavre.
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- Là-bas, c'est une mine aurifère. A l'époque d'Edo, les gens de la capitale qui n'avaient pas de domicile étaient amenés ici de force, où on les faisait travailler à l'extraction de l'or. Ce que tu aperçois là-bas, qui a été rogné, c'est la trace de l'exploitation de ces hommes à ciel ouvert, et dessous ils ont creusé un réseau d'innombrables galeries en forme de toile d'araignée.
(Le sourire des pierres).
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Le corps dont s'occupait le vieil homme était pratiquement réduit à l'état de squelette sur la paillasse. Au bout d'un crochet qui pendait du plafond, on apercevait les côtes, comme les pièces détachées d'une bicyclette, qui pendaient, légèrement de travers, vaguement blanches.
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Les morts lui souriaient. Ils avaient réussi à se transformer en points noirs qui sombraient dans le glorieux coucher de soleil garance.
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Il venait de s'élancer lorsque quelque chose s'était accroché à sa jambe. Il s'était raidi, avait regardé l'eau. Deux yeux brillants le fixaient. Un soldat encore vivant se trouvait au milieu des morts.
- Sors-moi de là, avait-il murmuré. Il était jeune, les traits de son visage blafard étaient étrangement nets.
Shinichi avait essayé de dégager son pied, mais l'homme n'avait pas lâché prise.
- Il y a des hommes du service de santé juste derrière moi. Ils sauront mieux vous soigner que moi.
Les mots avaient coulé d'eux-mêmes de sa bouche.
Le regard du soldat s'était fait dubitatif.
- Vraiment ? avait-il demandé d'une voix faible.
- Bien sûr ! Ils sont tout près d'ici, lui avait répondu le jeune garçon en se retournant comme pour regarder derrière lui.
Cela avait dû convaincre le soldat qui avait relâché sa jambe pour se laisser retomber dans l'eau.
Comment Shinichi avait-il pu inventer si facilement un mensonge aussi persuasif ? Le malheureux avait dû rendre l'âme en attendant les infirmiers, puis se fondre dans la masse des cadavres.
Le jeune garçon avait alors pris conscience du changement en train de s'opérer en lui. Le collégien qu'il avait été n'aurait pas pu mentir d'une façon aussi éhontée. Mais les mots étaient sortis de sa bouche d'eux-mêmes.
Etait-ce son expérience de la guerre qui l'avait transformé ? Il secoua la tête pour chasser de sa mémoire le regard implorant du soldat et referma les yeux en s'appuyant à nouveau contre le roc.
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