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Critiques de Alberto Breccia (44)
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Buscavidas

Le style expressionniste d'Alberto Breccia est déroutant mais au combien juste dans cet excellent recueil de nouvelles graphiques. C'est un noir et blanc extrêmement contrasté qui colle à l'humour noir et à la caricature revendiqués par les scénarios. Méchanceté humaine, cruauté, ton grotesque et perspectives tortueuses me font penser à Terrain vague de Kaz, beaucoup plus contemporain.

La BD de Trillo est Breccia était toutefois publiée dans un autre contexte, qui a d'ailleurs présidé aux choix des auteurs : la dictature militaire en Argentine dans les années 70. Selon Carlos Trillo, la recherche d'un ton volontairement excessif dans l'humour noir permettait à la BD de passer entre les mailles d'une censure omniprésente mais déliquescente.
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Buscavidas

Du très noir argentin, des petites histoires cruelles, voir méchantes. Un style un peu gélatineux en noir et blanc, je n'ai pas accroché.
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Buscavidas

Petit catalogue des méchancetés humaines réalisées apr Breccia et Trillo alors que la dictature argentine commençait à se fissurer. C'est dire si ces histoires se veulent subversives.
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Che

Déçue par le dessin, le noir et blanc n'est pas un problème mais c'est parfois difficile à décrypter. Déçue aussi par l'écriture. Beaucoup de mots alignés sans qu'ils composent une véritable phrase. C'est sûrement un mode d'expression voulu par l'auteur mais déroutant pour moi. J'ai rapidement abandonné.



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Che

Une BD complexe, comme le fut la vie de Che Guevara. Indéniablement, il s'agit d'une hagiographie. Guevara nous est montré comme un homme sans défauts, offrant sa vie pour les pauvres et les nécessiteux.



Pour autant, ce n'est pas une biographie classique, académique, au contraire. La narration est très particulière : les textes prennent la forme de pensées, brèves, répétitives, parfois confuses. Tout comme les dessins, difficilement lisibles, presque informes, noyés sous des litres d'encre noire, reflet du pessimisme des auteurs, qui ont connu l'enfer des dictatures sud-américaines (Oesterheld et sa famille en mourront dans des conditions atroces...).



Nous sommes ici plongés dans la tête de Guevara et dans le feu de l'action. Le récit est comme haché, avec des allers-retours entre différentes temporalités. Les auteurs nous dressent là un portrait fragmenté et multiple, non linéaire.



Il est donc difficile d'appréhender cette BD, du fait de son côté elliptique, mais aussi pour prendre du recul face au personnage, dont la stature et le culte ne peuvent qu'écraser un lecteur contemporain.



Malgré tout, si l'on revient à ce pourquoi Guevara s'est engagé dans la révolution, on ne peut qu'être marqué par l'extrême pauvreté, le dénuement absolu et la santé terriblement précaire des peuples sud-américains auprès desquels Guevara s'est rendu.



Quelle que soit la vérité autour de la figure du Che, la situation en Amérique Latine ne pouvait que révolter. C'est l'un des mérites de cette BD, que de rappeler pourquoi Guevara s'est battu. C'est peut-être même la chose la plus importante à garder en mémoire.
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Che

Il est toujours bon de retrouver le Che. Cette BD, en noir et blanc, n’est pas d’un graphisme très attirant. La vie et la mort du révolutionnaire, en passant par sa révolte, en tant que médecin, en voyant les pauvres, sa rencontre avec Fidel Castro, la guérilla qui l’emmènera à travers l’Argentine, le Guatemala, Cuba et le Congo. Biographie fidèle.



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Dracula, Dracul, Vlad ? Bah...

Comme des vitraux qui auraient fondu, des couleurs froides une ambiance étrange, pas particulièrement angoissante, plutôt baroque, certaines illustrations sont magnifiques. C’est une adaptation muette, très libre, du mythe de Dracula. Breccia y glisse quelques raillerie, il y a un peu d’humour, mais le chapitre intitulé “Je ne suis plus une légende est sans fioritures, il est directement question de la dictature argentine (1976-1983). Ce Dracula un peu rococo, presque burlesque en devient finalement folklorique comparé à la réalité, cette réalité est-elle le fléau qu’il nous a apporté Sous la forme d’un général couvert de médailles (Videla ?) ou comme le laisse penser le titre du chapitre, le dépasse. Un panneau publicitaire dans un décor de misère “Todo va mejor con Coca Cola”. Cette bande dessinée toute jolie, baroque, burlesque, laisse de douloureuses questions, du grand Art !
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Dracula, Dracul, Vlad ? Bah...

5 épisodes dont le héros/anti-héros est Dracula, qui se jouent de la représentation du personnage et le pastiche. Le dessin est chargé, très expressionniste et torturé. Il nécessite beaucoup d'observation pour comprendre certaines cases. Celles-ci s'adaptent à l'univers inquiétant, très gothique. Le traitement de la perspective est très impressionnante. Il faut avoir l'humour noir pour apprécier.
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Dracula, Dracul, Vlad ? Bah...

J’ai eu du mal, au départ, d’apprécier cet ouvrage, car j’ai détesté les dessins ! Ils sont horribles, comme les couleurs…



Le personnage de Dracula est grotesque, drôle, amusant… Loin de ce que l’on connaît. Je me suis même surprise à rire à la fin des différents récits qui composent cette bédé sans paroles.



Mais ce n’est pas vraiment le vampire de Stoker qui est visé, il sert plus d’avatar à l’auteur pour parler de la dictature et des disparitions (30.000 morts) qui eurent lieu durant les heures sombres en Argentine.



Évidemment, il vaut mieux le savoir au départ, et heureusement, dans la préface, c’est expliqué, sinon, sans ces données, le lecteur ne comprendrait pas l’analogie qui est faite entre ce vampire suceur de sang (et donc, assassin) et ceux qui firent régner la terreur.



Dracula sortant de son château, suivi par sa bande de loups, a sans doute aussi sa signification et les loups ne sont pas que les mammifères, que le Canis Lupus, mais les sbires des dirigeants, ceux qui faisaient le sale boulot…



Si les dessins sont moches, ils sont, en revanche, riches de détails funèbres et macabres, notamment dans le château du vampire.



Les nouvelles intitulées "La dernière nuit du carnaval", "Latrans canis non admortet", "Un coeur doux et éploré" et "Poe ?… Puaf !?" sont burlesques, amusantes, on sourit, on pouffe.



Par contre, changement de ton dans « Je ne suis plus une légende » car là, plus de doute, les despotes sont dessinés et le sang coule car ce sont eux qui tuent les gens et Dracula qui se retrouve couvert de sang. Les rôles sont inversés…



Il y a même une scène de torture, des corps entassés, des veuves pleurant au cimetierre, une scène de pédophilie, la famine règne, le tout sous une banderole qui proclame que "Todo va mejor con Coca Cola". On ne rigole plus.



Lorsque j’ai ouvert cette bédé et découvert ces dessins horribles et sans paroles, je pensais la lire et faire une chronique vite fait bien fait, persuadée qu’elle serait lapidaire… Ben non.



Oui, c’est horriblement mal dessiné (pas dans mes goûts) mais bordel de dieu, c’est profond et fallait être couillu pour réaliser cela en pleine dictature.



Une revisite du mythe Dracula avec humour car on découvre un Dracula amoureux, luttant contre un Superman, chez le dentiste, devenant chrétien…



Mais sous le couvert de l’humour, il y a de la profondeur et une attaque contre tous les dictateurs, despotes, tyrans, du monde.


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Dracula, Dracul, Vlad ? Bah...

Avec sa bouche lippue et ses allures grotesques, le Dracula d'Alberto Breccia n'a rien du vampire fascinant et ténébreux. Ses mésaventures improbables pétries d'humour et d'ironie sous-tendent pourtant une colère froide qu'une mise en contexte par le préfacier Carlos Sampayo permet de comprendre : "En 1982 et en Argentine, Alberto Breccia entreprit de dessiner sa version personnelle de Dracula ; il devait terminer un an plus tard, en synchronisme parfait avec la dernière période de la dictature militaro-financière qui avait mis le pays à genoux pendant sept ans. Encore que seul l'avant-dernier épisode faisait directement allusion à la férocité de cette organisation d'assassins, la totalité de cette oeuvre constitue la risposte personnelle de Breccia à la situation que vivaient à l'époque les argentins, dont le principal antagoniste était précisément le sang." (extrait de la préface). Travail donc engagé que cette bande-dessinée du talentueux dessinateur argentin. Entre autres situations cocasses, Dracula se bat contre Superman ou fait la rencontre d'Edgar Poe et de son corbeau. Ainsi les cinq histoires tragi-comiques imaginées par Alberto Breccia (La dernière nuit du carnaval, Latrans canis non admortet, Un coeur doux et éploré, Je ne suis plus une légende et Poe ?... Puaf !) parodient-elles subtilement sous des couverts de bande-dessinée humoristique, tous les despotes de la planète. Grâce à cet ouvrage, La dictature militaire argentine (1976-1983) personnifiée par le ridicule vampire de Breccia a donc trouvé un visage : celui d'un monstre caricatural toujours surpris la main dans le sac...



Dessiner la dictature en la dénonçant sans un mot (l'album est en effet totalement exempt de texte !), voilà un tour de force merveilleusement réussi par Alberto Breccia. Les planches superbes parlent d'elles-mêmes. Les dessins presque enfantins distillent ouvertement sur chaque planche des détails funèbres ou accablants qu'on ne peut pas ignorer et qui "trahissent" l'intention de Breccia. Donc à ceux qui seraient tentés de croire que ce livre relève de la littérature jeunesse, je confirmerai que ce livre ne se destine pas nécessairement à un jeune public. Quant à son traitement graphique, Breccia s'offre même le luxe d'une somptueuse mise en couleur comme s'il voulait conjurer le sombre sort des 30 000 desaparecidos arrêtés ou tués durant la sale guerre d'Argentine (drôle d'expression quand on y pense : avez-vous connaissance de guerres propres ?). Le style adopté ici par le dessinateur (Breccia a produit d'autres oeuvres qui n'ont aucun rapport. Cf. L'éternaute du même auteur) peut déplaire pour ses traits naïfs, grossiers ou ultra caricaturés. De mon point de vue, nous tenons avec ce Dracula une oeuvre de qualité qui convainc à la fois par ses illustrations et son intention. C'est divertissant, parfois drôle et paradoxalement léger. Bref, c'est à lire !



Quel dommage qu'Alberto Breccia ne soit plus. Cette belle mise en bouche me frustrerait presque tant j'ai aimé ce travail et que je sais qu'il ne publiera plus de nouvelles bandes-dessinées. L'éminent illustrateur qui a enseigné à la Escuela Panamerica de Arte tout comme de Hugo Pratt, était comme le montre ses collaborations avec Oesterheld ou ses travaux sur les oeuvres d'Edgar Poe (cf. Le coeur révélateur mais aussi dans le même esprit Le chat noir de Horacio Lalia), Umberto Ecco ou Lovecraft, passionné par la littérature (il était en l'occurrence attiré par les mêmes auteurs que moi). Les tomes de sa série Perramus sont introuvables ou hors de prix. Cet effet de frustration me donne d'autant plus envie de les lire. Mais je vais pour l'instant me contenter de lire les titres disponibles. Soit dit en passant, si une âme charitable voulait bien me prêter (je dis bien prêter) ses exemplaires de Perramus, je le bénirai jusqu'à la 30e génération (bon, je sais, je peux toujours rêver)...
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L'Eternaute

"L'éternaute" est une œuvre vraiment singulière. Etonnante, immersive, déroutante, cette B.D ne ressemble à rien de ce que j'avais pu lire auparavant.

Je n'ai lu que la 2nde version, datant de 1969, je ne peux donc pas faire de comparaison avec la série originelle publiée entre 57 et 59.



Le scénario de l'argentin Hector Oesterheld est solide, très bien maîtrisé. Cette histoire d'invasion extraterrestre à l'allure de post-apo et mâtinée de voyages temporels a une tonalité très particulière. L'atmosphère y est triste, presque désespérée, et inquiétante.

Cette ambiance est renforcée par les illustrations d'Alberto Braccia. Le noir et blanc est vraiment surprenant, l'auteur ayant recours à des techniques inattendues. Ces images, à la fois belles et dérangeantes, renforcent l'impression d'immersion dans le récit. Si elles sont parfois à la limite de l'abstraction, les illustrations transcrivent parfaitement l'atmosphère apocalyptique du récit et les sentiments des personnages. Certaines visions sont dignes des meilleurs récits d'épouvante et sont bien Lovecraftiennes.

Les planches de Breccia sont de véritables œuvres d'art pictural qui hissent "l'éternaute" au rang de sommet de la science-fiction dessinée.



Avec "l'éternaute" je découvrais à la fois le scénariste Oesterheld et le dessinateur Breccia. Je ne manquerai pas de m'intéresser plus avant à leurs travaux respectifs.



Challenge B.D 2017

Challenge Atout -prix 2017 - 6 (Prix Max et Moritz 92 pour l'ensemble de l’œuvre de Breccia)

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L'Eternaute

Absorbés par Lovecraft (Et donc Poe) et Casares (Et donc Borges), autant que par le cinéma américain et les combats politiques de leur époque, Alberto Breccia et Hector Oesterheld ont placé l'Argentine sur l'orbite haute de la bande dessinée, au frontispice de laquelle l'Éternaute est gravé parmi d'autres noms illustres.



L'argument de l'invasion extraterrestre prête comme il se doit à d'infinies exégèses, mais essentiellement, il permet à Breccia de produire des images saisissante gouvernées par la suggestion, spécialement lorsqu'il s'agit de dépeindre l'indescriptible. En bon plasticien, il compose des plans où interviennent frottages, grattages, lavis, photo-montages et inclusions dans les encrages. Des cases sont parfois abstraites, et le graphisme s'adapte aux situations et aux personnages, comptant sur la complicité du lecteur.



Un livre maîtrisé et passionnant, un fragment littéraire magnifiquement exprimé par les moyens spécifiques de la bande-dessinnée.
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L'Eternaute

Si Breccia est, par la diversité et le sens du trait, l'un des dessinateurs de BD les plus intéressants, L'Eternaute est sans aucun doute son oeuvre la plus aboutie. Plus resserré que dans la version de Lopez, le récit, limpide, brille ici par les fulgurances graphiques du maître argentin (même s'il est né en Uruguay) tout en noir et blanc somptueux. Un des sommet de la SF, tout bonnement inoubliable.
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L'Eternaute

Extrait de ma chronique :



"Par ailleurs, pour donner du relief à ses cases, donc les extirper du flux de la lecture (qui s'accommode mieux de cases "plates"), Alberto Breccia les scinde souvent en différents plans, l'action principale étant reléguée à l'arrière-plan pendant qu'un premier plan occupé par un cadavre (d'humain ou d'extraterrestre) nous saute à la figure (voir les planches 3 du 05/06/1969, 1 du 03/07/1969, 2 du 10/07/1969, 1 du 17/07/1969, 2 du 14/08/1969, 1 du 21/08/1969 ou 2 du 28/08/1969) – oui, c'est l'équivalent en bande dessinée du "montage dans le plan" pratiqué notamment par Orson Welles.





Sans surprise, puisque Breccia est de ceux qui ne recourent à une forme que pour servir un fond, cette primauté accordée à la vue était déjà présente dans le scénario d'Oesterheld, d'abord centré (comme Celui qui hantait les ténèbres, décidément) sur une fenêtre, par laquelle on voit tomber une neige mortelle, une fenêtre qu'il ne vaut mieux pas ouvrir donc – mais la suite de L'Eternaute 1969 est à l'avenant, avec ses innombrables scènes de reconnaissance militaire face aux extraterrestres, dont il faut déchiffrer les actions."
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L'Eternaute

J'ai découvert L'éternaute début des années 2000, dans l’édition des Humanoïdes Associés. A l’époque, leur collection luxueuse à jaquette se trouvait très facilement en occasion pour des prix somme toute modiques: l’équivalent de 7,50 euros qui me permirent d’acquérir les 2 derniers tomes d’Adam Sarlech de Bézian, Griffe d’Ange de Moebius et Jodorowsky et surtout les 3 livres d'Alberto Breccia: Dracula, Dracul, Vlad?, bah... , le Coeur révélateur et cet éternaute, rebaptisé plus tard, lors de sa réédition par Rackham Eternaute 69.

Pourquoi avoir ajouté ce 69 au titre ? Pour insister sur le fait, passé sous silence dans la préface de l’édition Humanos, qu’il s’agit d’un remake d’une série réalisée entre 1957 et 1959 par le même scénariste, Hector Oesterheld, et le dessinateur Francisco Solano Lopez. Mais, en 1969, Oesterheld décide de reprendre son scénario et de confier l’illustration au génie du noir et blanc: Alberto Breccia. Pourquoi reprendre cette histoire ? Sans doute pour être le témoin de la dégradation de la démocratie en Argentine, qui connaît une période politique particulièrement trouble.





couverture du tome 2 de l'édition française de l'Eternaute 59

La version de 69 fut éditée en feuilleton dans le très conservateur Gente, l’histoire fut sabordée alors que les auteurs n’en était qu’au tiers du récit, si on compare l’intrigue à celle de la version de 59. A la fin d’un chapitre, l’Eternaute, qui raconte son histoire à l’alter ego de Oesterheld, s’excuse soudain de devoir négliger des événements et les auteurs doivent alors condenser l’équivalent de 250 pages dans la version originale en une dizaine de planches. La préface reste aussi très allusive sur les raisons qui ont amené cette version de 69 à être tronquée de la sorte. Il est fait mention de rejet du public devant une oeuvre assez extrême, ou du manqué de lisibilité du dessin de Breccia. Il faudrait aussi et surtout signaler que l’hebdomadaire très conservateur qui publiait cette histoire voyait d’un très mauvais oeil le tour politique q’elle prenait. Parce qu’Oesterheld, par rapport à la première version, fit de son héros un personnage plus engagé, à l’image de ses propres convictions. On peut vraiment parler de censure.



La situation politique argentine ne cesse de se dégrader, et, en 1976, Oesterheld s’associe de nouveau à Solano Lopez pour réaliser une troisième version de l’histoire de l’éternaute, encore plus engage politiquement, ce qui mit à mal ses relations avec Solano Lopez. En 1977, Hector Oesterheld, connu pour ses opinions progressistes et une biographie exaltée de Che Guevara, illustrée par Breccia père et fils, réalisée en 1968, suite au choc de l'exécution du révolutionnaire, rejoint le rang des 30.000 disparus de la dictature. Une partie de sa famille connut le même sort. Solano Lopez ne dut son salut qu’au fait qu’il accepta de quitter le pays.



Che de Oesterheld et A & E Breccia

Après la mort d’Oesterheld, le scénariste Alberto Ongaro et le dessinateur Oswal réalisèrent L’Éternaute III (1983). Par la suite, la saga est reprise par Pol (Pablo Maiztegui) et Solano Lopez dans L’Éternaute : Le Retour. Ces albums sont restées inédites en français, et sont généralement peu appréciés des amateurs qui jugent qu'elles ne seraient que simples récits de SF, sans la charge subversive qu'a acquis l'oeuvre au fil de ses versions.

Toujours est-il que, pendant longtemps, la seule version disponible en français fut celle de 69. La version originale fut traduite voici quelques années par Vertige Graphic. Une bonne manière de mieux combler les trous dans l’intrigue de la version tronquée de 69. Mais pourquoi s’intéresser à cette version de 69, alors que la version originale et complète est désormais disponible ? D’autant que la version de 59 est loin d’être déshonorante.

Simplement parce que la version de 69 s’impose comme une merveille absolue… un diamant noir de la bande dessinée mondiale, autant pour le scénario d’Oesterheld que pour le travail d’Alberto Breccia, qui réalise des planches d’une puissance rarement égalée.





Pour la petite histoire, Breccia aurait vu sa vision de la bande dessinée bouleversée par la découverte des texte des HP Lovecraft, et plus précisément de The Dunwich Horror. Les histoires de Lovecraft laissent une place centrale à l’indicible. Imaginez le challenge pour un dessinateur. Comment dessiner l’indicible ? Ce sera le défi permanent de Breccia, qui expérimentera toute sa carrière. On pourra citer son travail sur les noirs, en mélangeant son encre avec diverses substances pour obtenir des nuances uniques (malheureusement rarement perceptible devant la piètre qualité d’impression, voir à ce sujet le massacre de Mort Cinder dans l’édition Glénat), ou son recours au collages et superposition. Si vous avez l’opportunité de voir ses planches, je ne peux que vous encourager à le faire, c’est impressionnant.

La structure narrative de l'éternaute, que se soit dans sa version de 59 ou 69, reste la même. Un scénariste de bande dessinée voit se matérialiser dans son bureau un homme épuisé, qui se présente comme l'éternaute. De l'intrusion de cette anomalie dans la routine d'un homme ordinaire naît un premier malaise. L'éternaute entreprend alors de raconter sa vie, celle d'un homme normal qui va voir sa vie basculer dans l'horreur.



toute la richesse de la technique de Breccia se retrouve dans cette planche

Elle commence également dans la routine d'un homme ordinaire. Juan Salvo, bon père de famille, passe la soirée avec ses amis à jouer aux cartes, comme chaque semaine. Portrait banal de la vie petite bourgeoise de l'Argentine. Puis, une étrange émission de radio qui annonce une invasion extraterrestre, et une neige fluorescente qui se met à tomber.

Chaque flocon se révèle mortel et, de l'intérieur de la maison, ils assistent, médusés, aux effets de cette attaque. Naufragés au sein de leur propre maison, ils vont tenter de s'organise avant d'être embrigadés par d'autres survivants, qui s'organisent pour résister à l'envahisseur.

L'argument est le même pour les deux versions, mais le traitement de Solano Lopez est plus classique. Le trait est réaliste , les cadrages efficaces, à défaut d'être inspiré. Les deux versions souffrent sans doute d'une progression assez linéaire, et de la nécessité de scinder son récit en sections de 5 pages, ce qui impose à la narration un rythme parfois artificiel, qui impose des ralentissements ou des accélérations brusques pour rester dans le canevas.

Mais il est intéressant de comparer certaines séquences pour bien comprendre la maestria de Breccia et la différence de ton entre les deux versions.

L'apparition de l'éternaute selon Breccia:









Et selon Solano Lopez:







Cette autre séquence montre le décès de Polski, traité encore une fois de manière très différente par les deux dessinateurs. Encore une fois, la vision de Solano Lopez est purement illustrative alors que l’innovation et l’originalité de Breccia donne à cette scène une force et un impact autrement plus fort.





La mort de Polski, par Breccia



La même séquence selon Solano Lopez



Au vu de ces deux exemples, on comprend mieux à quel point le travail de Breccia est exceptionnel. Il joue sur les styles, cadrages et textures. Il construit un univers étrange en mélangeant dessins réalistes, collages, représentation grotesques. Cette juxtaposition d'éléments disparates tend a traduire l'étrangeté angoissante de la situation. Le bestiaire (à peine effleuré, on ne croise que fugacement les Gurbes et le "Main") qu'il crée est autrement plus effrayant que celui de Solano Lopez. Chez ce dernier, les créatures apparaissent comme des assemblages d’animaux existants, alors que Breccia, en jouant sur les textures, les effets de transparence et des cadrages originaux, réussit à donner corps à des créatures réellement effrayantes qui semblent vraiment issues d'un autre monde.





Les Gurbes de Breccia



Les Gurbes de Solano Lopez





Dans le ton, la version 59 tient plus de la série B, même si le spectre de la guerre froide et l'instabilité politique apparaît en filigrane. Ce n'est sans doute pas par hasard si l'envahisseur n'apparaît jamais, préférant utiliser les peuples qu'il a asservi lors de précédentes conquêtes. On peut y percevoir une allusion aux luttes par procuration entre USA et URSS ou Chine, l'un armant l'opposition qui tente de renverser le régime mis en place par l'autre. La version de 69 est plus politisée, faisant de Juan Salvo un personnage plus conscient politiquement. De plus, il y est clairement expliqué que l'Amérique du Sud est sacrifiée aux envahisseurs par les autres puissances terrestres. Ce qui vaut entre autres un discours enflammé d’un des protagonistes, Favalli, qui fustige entre autres les USA pour leur interventionnisme.C'est sans doute le genre de discours critique qui fit peur à l'époque. Mais l'Histoire a montré que ce discours reflétait pourtant beaucoup plus fidèlement la réalité.







Alberto Breccia reste pour moi un auteur majeur de la bande dessinée mondiale, et chacun de ses livres m'a touché, qu'il soit dans une veine très réaliste, ou dans une veine plus "grotesque". Il allie virtuosité graphique, sens de la narration et conscience de l'importance de la bande dessinée. Avec lui, la bande dessinée devient artistique, politique et consciente, sans jamais cesser d'être accessible. Le génie, tout simplement.
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L'Eternaute

Le graphisme est dans le style des BD des années 50 en apparence, mais beaucoup plus poussé, avec des traitements à la manière de gravures en eau forte se mêlant avec des trames et des formes parfois géométriques, intégrant des conceptions de l’Art contemporain des années 50-60. Certains points de vues sont très cinématographiques, et parfois allant jusqu’à l’abstraction. Les contrastes sont forts, marqués, l’ambiance est angoissante. C’est la version de 1969 dessinée par Alberto Breccia, car il y a eu une version antérieure dessinée par Solano Lopez. D’après ce que j’ai vu de cette dernière, celle de Breccia est résolument plus audacieuse. C’est une histoire d’invasion extra-terrestre, cela se passe à Buenos Aires, La première attaque se fait sous la forme d’une neige tueuse, entre fascination merveilleuse et horreur absolue. La trame de l’histoire monte progressivement, s’accélère, la ville argentine est très présente, on ressent au travers de l’aventure de SF des préoccupations politiques locales, ce sentiment d’abandon de l’Amérique du Sud par les pays riches, la notion de totalitarisme… La structure de l’aventure avec le personnage qui vient dans le passé proche pour raconter l’effroyable histoire à un scénariste et une idée alléchante qui nous laisse dans une sorte de mystère, est-ce sorti de l’imagination du scénariste qui se met lui-même en scène, ou faut il croire l’éternaute. J’ai aimé ce petit jeu de paradoxe qui donne du piment à l’histoire. Les personnages sont subtilement présentés, autour de cette partie de cartes du début, puis l’action se déploie, au fil de l’histoire, l’aspect intimiste laisse la place au récit de survie, de guerre, d’angoisse et de courage. C’est une très bonne bande dessinée de post apocalyptique qui n’a pas pris une ride malgré son âge (le scénario a été écrit en 1957).

Il existe une suite à cette histoire que je vais tenter de dénicher.
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L'Eternaute

L'Éternaute, navigateur de l'éternel, est condamné à parcourir le temps et l'espace à la recherche d'une cause perdue. Tout commence à la fin des années 60 lorsque Buenos Aires est victime d'une invasion extra-terrestre. Par simple contact, une neige assassine a soudainement décimé la plupart des habitants de la ville. Rares survivants de la subite attaque, Juan Salvo, sa femme et sa fille (Hélène et Martha) ainsi que deux de ses amis (Favalli et Lucas), mettent au point des combinaisons isolantes contre la neige mortelle pour fuir leur retraite devenue trop dangereuse... Publiée dans le magazine Gente en 1969, cette série imaginée par Hector Oesterheld et initialement illustrée par Francisco Solano Lopez, a été reprise par le scénariste en collaboration avec Alberto Breccia pour cette version. Censurée à l'époque suite aux mécontentements des lecteurs du magazine conservateur, cette seconde mouture de l'Éternaute (rééditée en France en 1993 par Les Humanoïdes Associés pour la présente édition) accentue le désaveu croissant d'Oesterheld pour la politique argentine d'alors...



Alberto Breccia ou l'explorateur graphique de l'épouvante

"La bande-dessinée n'a jamais eu pour vocation - aux yeux des éditeurs - d'être un média dérangeant. Avec Alberto Breccia, dont le clair-obscur produit sur notre œil l'effet d'une ingestion d'acide lysergique diethylamide, l'épouvante prend corps et, soutenue par un texte d'une efficacité non moins redoutable, annule soudain tous les repères d'une lecture convenue. La structure du récit entame, de la façon la plus traîtresse, ce parcours cauchemardesque au cours duquel le plus rétif d'entre nous perd son assurance." (p.11). Voilà un extrait jubilatoire de la préface de Jean Rivière qui devrait donner l'eau à la bouche à quelques amateurs. De la même façon que pour d'autres de ses œuvres comme Le cœur révélateur ou Dracula (dont je recommande également la lecture), le dessinateur argentin, en insatiable explorateur de l'art graphique, s'est approprié l'histoire en jouant avec les textures, en jonglant avec les techniques et en exploitant les contrastes de noir et blanc avec une maîtrise remarquable (notamment ses superbes peintures au couteau qui se prêtent particulièrement à l'ambiance apocalyptique de l'Éternaute). Et son art qui distille insidieusement le venin de la terreur, sert à merveille un scénario-cauchemar de science-fiction des plus vertigineux...



L'Éternaute, le récit d'une dystopie illustrée ?

Et puisque le succès de ce titre ne tient pas uniquement aux dessins de Breccia, soulignons également l'inquiétant scénario d'Oesterheld. Plus qu'une histoire de science-fiction, l'Éternaute augurait comme une sombre prémonition, l'imminence d'un désastre politique (qui devait causer deux décennies plus tard la disparition brutale du scénariste). Peut-on dès lors parler de l'Éternaute comme le récit d'une dystopie illustrée ? Peut-être que oui, peut-être que non. Toujours est-il qu'il marquera durablement son temps par sa modernité et son côté visionnaire... A (re)lire !
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Le coeur révélateur

Chaque récit – cinq ici, réalisés à des périodes différentes – a son ambiance propre et Alberto Breccia, en esthète soucieux du détail, tente par son dessin de restituer toute leur force et de la rendre palpable pour le lecteur. Plus que restituer des images d’ailleurs, l’auteur tente de s’approprier l’esprit des textes d’Edgar Alan Poe afin d’en livrer sa vision.
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Le coeur révélateur

Quand l’un des artistes les plus doués et intéressants du medium s’attaquait à l’un de plus grands écrivains de fantastique !







De la vengeance mortelle et surnaturelle d’un chat maltraité à l’épidémie qui frappe sans discernement les pauvres abandonnés dehors et les riches enfermés pour une orgie, en passant par cet homme mourant qui, hypnotisé, va tromper la Faucheuse, le potentiel horrifique des écrits d’Edgar Allan Poe n’a rien perdu de sa force !







Par delà l’intérêt intrinsèque de la vision de Breccia des récits de Poe, c’est tout un pan du talent du dessinateur argentin que l’on peut apprécier ici. Etalées sur une décennie, les histoires couvrent les styles majeurs auquel l’artiste s’est frotté.





D’un noir et blanc expressif à la narration répétitive innovante (je mettrais ma main à couper que le Cœur révélateur a été une source d’inspiration majeure de Frank Miller période Sin City !) aux expérimentations de matière que Breccia a développé sur ses adaptations magistrales de Lovecraft, en passant par des peintures colorées, burlesque,s osées et suggestives (Le Masque de la mort rouge et ses ambiances dignes du Fellini période Roma), ce recueil est un véritable catalogue du talent de Breccia et de son apport manifeste à la Bande dessinée mondiale.







Un accompagnement musical adéquat à retrouver ici: http://bobd.over-blog.com/2020/05/au-coeur-de-la-peur/le-coeur-revelateur-vs.black-belly-of-the-tarantula.html
Lien : http://bobd.over-blog.com/20..
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Les mystérieux voyages de Cornélius Dark

L'illustrateur autodidacte s'efface et est supplanté par l'expérimentateur. [...] Ce recueil occupe une place à part dans la carrière de Breccia. C'est une création sur-mesure, exécutée sans contrainte.
Lien : https://www.bdgest.com/chron..
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🎬 Alors qu'il s'apprête à démissionner de ses fonctions de shérif pour se marier, Will Kane apprend qu'un bandit, condamné autrefois par ses soins, arrive par le train pour se venger. Will renonce à son voyage de noces et tente de réunir quelques hommes pour braver Miller et sa bande. Mais peu à peu, il est abandonné de tous... Ce film de Fred Zinnemann, avec Gary Cooper s'intitule "le train sifflera ... "

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