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Critiques de Alberto Moravia (266)
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L'Amour conjugal

Dans ce court roman, Alberto Moravia va parler d’amour bien sûr, mais aussi de désir et de création littéraire : l’amour, le désir, éros et l’inspiration de l’artiste, du créateur.



Silvio est le ‘créateur’, ou du moins se voudrait créateur, écrivain. Au début du roman c’est un homme riche, oisif, mondain, critique littéraire à ses heures qui a épousé Léda, une femme très belle qu’il se plaît à nous décrire minutieusement, jusqu’à nous révéler sa laideur lorsqu’elle grimace d’une certaine façon. Est-ce annonciateur d’une des facettes de la personnalité de Léda, c’est la question que le lecteur se pose en début de roman.



Silvio se met en tête d’écrire lui-même un roman, de créer, et pour ce faire, se retire dans une villa en Toscane avec Léda qui l’encourage dans ses vélléités d’écrivain. Silvio décide d’écrire un roman sur l’amour conjugal, belle mise en abyme ! Cependant après quelques semaines il pense que son inspiration, son énergie créatrice est amoindrie, sinon tarie par une vie sexuelle nocturne intense. Ce qui est pour le moins étrange car d’ordinaire la création est souvent alliée à éros, les muses sont plutôt la force d’inspiration des artistes. Il est encouragé par Léda qui voudrait que l’écrivain qui est en lui se révèle, elle accepte donc de pratiquer l’abstinence le temps de la rédaction de son roman. Tout se déroule à merveille et Silvio semble avoir trouvé un rythme et un nouveau souffle littéraire jusqu’à ce que Léda se plaigne des avances sexuelles à peine voilées du barbier qui vient raser Silvio quotidiennement.



C’est un récit introspectif sur la création, l’inspiration, le jugement que l’on porte sur son œuvre. Une belle mise en abyme d’un écrivain qui écrit sur un écrivain qui écrit une œuvre sur l’amour conjugal. Toutefois si l’amour et la création sont au centre du roman, l’infidélité et le pardon font aussi partie de l’Amour Conjugal dans ce récit un peu triste où les illusions de Silvio sur la valeur de son oeuvre tombent en même temps que celles sur la perfection de son mariage.

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L'Amour conjugal

Cela aurait pu s'appeler "les illusions perdues", mais un certain Balzac s'est brillamment approprié le titre ! Donc Moravia a intitulé son ouvrage "l'amour conjugal".

Cela tombe bien car c'est le titre qu'a choisi Silvio pour la nouvelle qu'il écrit.

Quel homme heureux que Silvio ! Fou amoureux de sa femme Leda, et certain d'en être aimé, il se sent pousser des ailes, Silvio.... En fait, non, il se sait simplement capable de sublimer son amour par l'écriture. Par le passé, il a déjà tenté d'écrire, mais sans succès. Et son esprit critique acéré lui a bien fait sentir l'inanité de ses efforts littéraires.

Mais maintenant, tout est différent. Porté par l'amour de Leda, il le tient son chef d'oeuvre ! Il sera écrivain, il est écrivain.

Dans le calme de sa thébaïde, le tranquille refuge que le couple s'est choisi, il écrit fiévreusement, se conformant strictement à un schéma d'existence rigoureusement établi, faisant fi de tout ce qui peut contrarier l'acte créatif auquel il s'adonne.

Si Moravia épingle avec humour et dérision l'existence étriquée de bourgeois aisés, oisifs et improductifs menée par Silvio et Léda, la critique sociale n'est pas pour autant le sujet de cet ouvrage.

Non, le propos de Moravia est autre. Il étudie, analyse les moindres pensées et actions de son héros. Dans cet exercice périlleux, il fait la preuve d'un savoir-faire exceptionnel car il est doué d'un talent remarquable pour décortiquer les méandres capricieux de l'âme humaine, ici en l'occurrence celle du mâle humain car Léda n'apparaît, ou presque, qu'à travers l'idée que son mari se fait d'elle.

Et là, les illusions engendrées par l'amour prennent un relief saisissant. On ne voit que ce que l'on veut voir en ignorant trop souvent les signes, certes minuscules, mais pour autant bien réels semés par l'autre autour de lui et que Silvio, tout à sa passion, celle, amoureuse, qui le lie à Leda, et celle, créatrice, qui l'attache à l'oeuvre en cours, refuse de considérer.



Moravia voit tout, lui, sait tout de l'amour conjugal ainsi que de la création littéraire et il nous le fait âprement ressentir, ce qui, au final, laisse au lecteur un goût bien amer.

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L'Amour conjugal

A mon sens, ce roman s'inscrit dans une trilogie, avec le Mépris et la Femme-Léopard, où Moravia s'interroge sur deux sujets: la création artistique et l'épouse moderne, avec en toile de fond la question de la jalousie. Ce roman rend assez bien la campagne Toscane, avec ses racontars et ses personnages souvent peu recommandables, venus de tous les coins de l'Italie. Les analyses psychologiques de Moravia sont toujours aussi acérées.
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L'Amour conjugal

C'est un roman qui pourrait ne rien dire et en fin de compte il dit tout (de manière très policée) sur les relations conjugales . Une petite histoire écrite avec une plume Sergent major tout en finesse !
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L'Amour conjugal

La Feuille Volante n° 1244

L'AMOUR CONJUGAL- Alberto Moravia – Folio.

Traduit de l'italien par Claude Poncet.



Le titre est déjà tout un programme et, dans le domaine de la littérature notamment, a fait couler beaucoup d'encre. On le verra vers la fin, ce roman, qui parle d'un autre roman qui porte le même titre et parle du même sujet, est une sorte de mise en abyme. Silvio est un être un peu oisif, vaguement critique littéraire, qui voudrait devenir écrivain, mais qui est surtout amoureux fou de sa femme Léda. Il voudrait bien écrire un roman mais il a toujours douté de lui et pour l'heure, il pense que l'amour qu'il porte à son épouse l'en empêche, imagine que l'abstinence pourrait favoriser sa créativité mais refuse cette posture. Comme c'est souvent le cas dans le mariage, on épouse quelqu'un qu'on ne connaît pas vraiment et ce ne sont que les années de vie commune qui permettront cette prise de conscience de la réalité, ce qui ne va pas, évidemment, sans désillusions. Silvio n'échappe pas à la règle. Il la supposait indifférente à ses velléités artistiques, mais c'est elle qui maintenant le pousse à écrire et lui, avec quelques réticences, accepte à la demande de Léda de mettre son désir entre parenthèses, de faire chambre à part le temps d'accoucher de son roman. L'idée est plutôt bonne puisque il se met à écrire sans désemparer. Il est maintenant un autre homme et enfin un véritable écrivain grâce aux encouragements de son épouse. Elle devient sa muse et sans doute mieux, puisque c'est elle qui le pousse à être enfin lui-même. Du coup, il la voit avec d'autres yeux sans pour autant cesser de l'aimer, bien au contraire et il semble vouloir prolonger artificiellement cet état second dans lequel il crée pour mieux posséder charnellement sa femme à nouveau, son roman achevé. Ce couple n'avait pas d'enfant et j'ai eu le sentiment que leur amour commun se matérialiserait vraiment, non dans la naissance d'un bébé comme c'est le cas pour la plupart des gens, mais dans l’écriture de ce livre, inversant au passage le rôle de chacun. Ça c'est pour les apparences.

En bon écrivain qu'il est, Moravia-Silvio analyse ce travail d'écriture, son cheminement parfois lent, parfois fulgurant et ce qui en résulte, une fois l’œuvre terminée, une sensation d'apaisement, mais aussi, plus subtilement, le doute qui s'insinue en lui avec l'inutilité, la folie, une absurdité révélatrice de lui-même, une sorte de lucidité que le critique littéraire qu'il redevient pour sa propre œuvre lui souffle. Il y a , en effet, dans le fait d'écrire une sensation parfois avérée d'une impossibilité de s'exprimer pleinement et de n'enfanter que des fadaises. Face à son roman terminé, Silvio le juge mauvais, se montrant pour lui-même sans complaisance, même si Léda lui exprime son soutien amoureux. L'auteur parle avec fougue de cet amour de Silvio pour Léda en en soulignant aussi la fragilité et tout ce qui le menace. Avant de l'épouser il l'avait crue réservée, mais lui révélant un moment de son passé où il n'était pas, elle se montra à lui sous un tout autre jour, une amante sensuelle et fougueuse, l'avertit à demi-mots de la vulnérabilité de leur relation qu'elle choisit cependant de trahir, mais lui, aveuglé par cet amour ne veut rien voir. L'être humain est complexe et quand, dans sa légitime quête du bonheur, il choisit de s'unir à quelqu'un d'autre, les choses se compliquent, les duplicités se révèlent, les fantasmes se réveillent, le mensonge et l'hypocrisie s’installent et ce qu'on croyait définitif est bouleversé. De cela on ne sort jamais indemne, quelque soit l'attitude qu'on choisit d'adopter face à ces révélations et ce d'autant plus qu'à l'absence de scrupules de Léda, son appétit de l'instant, répond la naïveté de Silvio. Cette découverte, c'est autant la certitude de s'être trompé que celle de n'avoir rien vu venir parce que sa passion pour cette femme a été la plus forte et qu'il choisisse de ne rien lui révéler de ce qu'il sait désormais pour tenter d'oublier ce moment d'égarement, m'étonne. Pour autant Silvio prend conscience de la réalité et le sentiment de médiocrité, d'inutilité qu'il avait ressenti face à son roman terminé se trouve ici renforcé. Même s'il refuse cette évidence, cela est désastreux pour lui, remet les choses à leur vraie place et même s'il choisit unilatéralement de passer outre, cela augure mal de leur avenir à tous les deux. Même s'ils restent ensemble, planera toujours sur leur couple cette désillusion amoureuse de Silvio qui verra dorénavant Léda avec d'autres yeux même si l'écriture pourra être pour lui un exutoire, avoir une fonction cathartique .

J'ai retrouvé avec ce roman cet écrivain, croisé il y a bien longtemps déjà et toujours apprécié. J'ai aimé son style fluide, poétique dans les descriptions et agréable à lire, cette façon de distiller un certain suspens dans le récit, mais aussi sa manière de disséquer les sentiments humains qui, dans le domaine choisi ici, illustre parfaitement un des travers les plus marquants de l'espèce humaine et le regard lucide qu'on peut y porter, même si j'avais imaginé un autre épilogue et que je ne partage pas exactement l'attitude de Silvio.

© Hervé GAUTIER – Mai 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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L'Amour conjugal

Avec L'amour conjugal, Alberto Moravia nous offre une réflexion sur la création littéraire et la relation amoureuse, les deux thèmes étant traités en parallèle.



Silvio, le narrateur s'est isolé dans une villa de Toscane, avec sa femme Leda.

Silvio, critique littéraire, s'est donné pour ambition d'écrire une œuvre.

Malgré le cadre idyllique de la villa toscane, il ne trouve pas l'inspiration.

Partageant tout avec sa femme, ils se mettent d'accord pour cesser leurs ébats amoureux le temps de la création artistique.

Une période de chasteté nécessaire et qui a été profitable aux plus grands auteurs, selon Silvio. Leda accepte cette condition sans sourciller.

Si le couple semble heureux en apparence, cette abstinence va faire naître les soupçons de jalousie chez le narrateur.

Et Leda, même si elle semble feindre le contraire, ne peut réprimer son désir.

Elle va se livrer à un homme à la fois rustre et laid pour assouvir son appétence sexuelle.

Parallèlement, Silvio parvient à créer un roman et son projet aboutit, pour son plus grand plaisir.



Mais, sur le point de partager son plaisir avec sa femme, le temps de la désillusion le frappe de plein fouet.

En effet, il va découvrir l'infidélité de sa femme, aussi improbable cela lui peut-il lui paraître.

Et surtout, il s'attache à relire lui-même son œuvre pour la passer au filtre de la critique, comme il le fait au quotidien. Et le résultat n'est guère satisfaisant.



Que sait-on vraiment de la personne avec qui l'on partage sa vie ? La réponse est donnée à Silvio par Leda elle-même, lors de l'épilogue.
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L'Amour conjugal

Le narrateur se trouve au comble du bonheur, il a épousé la femme qu'il aime et vit avec elle une existence harmonieuse et paisible. C'est compter sans la jalousie qui va s'insinuer dans le couple et transformer ces moments de tranquillité en un enfer de plus en plus intolérable pour le mari... Évidemment à force de craindre l'infidélité, on la mérite, et cette découverte, superbement décrite dans une scène quasi surréaliste, plonge le narrateur dans un désespoir amer. Le bonheur peut-il exister sur cette terre ? Ne le détruisons-nous pas nous même à force d'en douter ? Moravia ou l'impossible paix de l'âme.
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L'attention

Un très bon Moravia dans laquelle l'écrivain italien nous entraîne dans une mise en abîme complexe mais pertinente. Le livre est le journal intime d'un écrivain-journaliste. Il le rédige pour alimenter un futur roman (celui que nous lisons donc ?). Le journal intime contient des faits "authentiques", d'autres non. Moravia questionne la réalité face à l'imagination, l'honnêteté de l'artiste envers lui-même et les autres, l'implication dans la vie quotidienne, dans son style précis et implacable, le tout dans un univers très personnel (le désir interdit, la critique de la bourgeoisie, la difficulté de création).
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L'attention

Lors de sa sortie, ce livre devait sans doute condenser à peu près tout ce qu'on trouve comme réflexions sur la littérature, le roman, la vérité, l'authenticité d'un auteur, de ses personnages, de l'histoire racontée, des processus narratifs, des procédés narratifs... A sa sortie, ce livre devait sans doute être un genre de bombe. Un peu comme à son époque, La vie est un songe de Calderón. Ou Hamlet... Même si en 1966 une blinde de livres et textes ont sans doute quand même déjà exploré et explosé les thématiques.



Pour moi, le prologue est parfait, j'ai adoré le ton, les idées... Ensuite le développement journal-roman me semblait plus dilué, moins riche et fort.



Un livre qui parle d'une humanité décidément bien curieuse. L'humain EST une bête curieuse. Y apporter ou ne pas y apporter son attention, telle est la question.



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L'attention

La Feuille Volante n° 1247

L'ATTENTION - Alberto Moravia – Flammarion.

Traduit de l'italien par Claude Poncet.



Quand j'ai pris ce volume sur les étagères d'une bibliothèque, le titre évoquait plutôt un sujet de cours de ma lointaine année du bac de philo mais en réalité, c'est un roman rédigé à la première personne par un narrateur, Francesco, journaliste de son état mais se pique aussi d'être romancier, prend conscience que son mariage est un échec et fuit Cora, son épouse, grâce à ses voyages professionnels qui lui procurent un dépaysement et un éloignement bienvenus. Quand il l'a épousée, c'était une fille du peuple, pauvre, différente de lui et même un peu prostituée. Au début il l'a aimée mais les choses ont vite changé et maintenant il lui témoigne de l'inattention, c'est à dire qu'il l'ignore tout en restant officiellement avec elle, le divorce étant à l'époque (nous sommes dans les années 50) interdit en Italie sous la pression de l’Église. Espérant que l'écriture l'aidera à exorciser ce fiasco matrimonial, il entreprend d'écrire un roman mais n'y parvient pas, illustrant cette hantise de l'écrivain de vouloir s'exprimer pleinement par l'écriture et de ressentir un réel désespoir par la prise de conscience de ne pouvoir y parvenir. Après 10 ans d'une telle vie de séparation, il décide la tenue d'un journal intime qui relatera son quotidien et sera, dans son esprit, le prétexte du roman qu'il projette d'écrire et dont il sera le personnage principal. Il souhaite sans doute profiter du rôle cathartique de l'écriture qui l'aidera à accepter cette situation faite de désamour, d'amours impossibles, de regrets, d'imagination, de déprime... Lors d'un de ses retours à Rome où il habite, il reçoit une lettre anonyme l'informant que Cora est proxénète et prostitue sa propre fille Baba, ce qui s'avère être vrai, mais, entre sincérité et hypocrisie, il choisit néanmoins de s'installer durablement au sein de sa famille: Voilà donc le sujet de son roman qui va se trouver nourri par les faits recueillis dans son journal et dont le texte qui en résultera tiendra à la fois du fantasme, du désir, de l'invention, de la confession, de l'hésitation et de la retenue, sans oublier l'imagination et l’uchronie qui en découlera.

L'auteur veut sans doute nous dire qu'il vaut mieux se marier à l'intérieur de sa classe sociale et que si on enfreint cette règle non écrite on va vers la catastrophe et ce d'autant plus que l'amour est comme tout ce qui est humain, quelque chose qui s'use et qui passe avec le temps. Quant au mariage, passés les premiers temps marqués par l'optimisme béat et les illusions, le bonheur est rarement au rendez-vous. Il y a bien des côtés ambigus dans cette relation entre Cora et Francesco mais bien plus encore entre lui et Baba qui n'est pas son enfant légitime et dont l'attitude tient parfois bien plus à celui de la maîtresse potentielle que de la fille qu'il aurait voulu adopter. La tentation d'être l'amant de Baba est forte pour lui et Moravia fait volontiers dans l'érotisme quand il évoque leurs rapports, cultivant ainsi l’ambiguïté qu'il tisse par rapport au lecteur, mais comme nous sommes dans un roman, on ne sait vraiment pas où s'arrête la réalité et où commence la fiction. Pour Francesco qui est à la constante recherche de l’authentique, c'est un paradoxe que ce rapport quasi-incestueux et il le qualifie « d'inauthentique », comme est d'ailleurs celui qu'il entretient avec Cora, Ce concept permet à l'auteur, non seulement de se livrer à une analyse psychologique des personnages mais aussi d'explorer certaines pistes d’écriture et certaines postures différentes suivant qu'il se place en tant qu'homme ou en tant que romancier. Il y a aussi cette notion de dédoublement des personnages, celui de Baba, mais aussi celui de Cora, cette volonté de Francesco de savoir pour comprendre et cette idée de culpabilité et d'expiation avant la maladie et la mort. Son retour au sein de sa famille fait de lui un autre homme qui tourne une page de sa vie et entraîne dans sa démarche Cora et Baba, comme s'il était un acteur déterminant dans la recherche de contrition de ces deux femmes.

Les romans de Moravia sont très « existentiels », parlant de sexe, de religion, d'argent, des thèmes très courants dans la première partie du XX° siècle en Italie auquel il faut ajouter la solitude et l'ennui qui sont des thèmes constants de l'espèce humaine, malgré les apparences. L'auteur renoue aussi dans ce roman avec deux de ses obsessions, la maladie et le voyage. S'y ajoute ce curieux sentiment d'être étranger, indifférent et donc inattentif au monde extérieur et de l'angoisse de vivre qui va avec, mais j'ai bien aimé son style toujours aussi fluide, poétique et cette subtile mise en abyme qui maintient le lecteur dans une ambiance complexe entre fiction et réalité.

© Hervé GAUTIER – Mai 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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L'ennui

La Feuille Volante n° 1096

L'ennui – Alberto Moravia – Flammarion.

Traduit del' l'irtalien par Claude Poncet.



Dino est un peintre abstrait raté de 35 ans. Fort heureusement pour lui c'est un riche bourgeois romain qui n'a pas besoin de cette activité pour vivre ou plus exactement un oisif dont la mère qui l'adore a beaucoup d'argent. Célibataire, il choisit cependant de s'éloigner de cette femme un peu étouffante, de s'installer dans un appartement qui lui servira aussi d'atelier mais sans pour autant couper définitivement les liens avec elle. Pourtant il choisit d'abandonner la peinture. Un peu par hasard, il rencontre Cécilia, un modèle de 17 ans qui posait auparavant pour un vieux peintre qui vient de mourir dans des circonstances suspectes et naturellement, ils deviennent amants. Pourtant, après une relation passionnée qui a duré deux mois, il veut la quitter sans raison valable, mais se ravise et la soupçonne de le tromper. Dès lors sa méfiance se fait plus précise d'autant qu'elle invente tout et n'importe quoi avec un grand naturel, de sorte qu'elle épaissit elle-même le mystère qui flotte autour d'elle. Elle devient insaisissable, inattendue, et pratique le mensonge avec désinvolture, ce qui a pour effet d'aiguiser encore la jalousie de Dino qui ainsi s'attache davantage à elle.

En réalité, j'ai bien l'impression que Dino est un insatisfait chronique que la vie oisive et insipide, quelque forme qu'elle prenne, ennuie profondément. Ses relations avec cette jeune nymphomane sont complexes et l'ennui qui en résulte pour lui tire son existence d'une incapacité à la posséder réellement ce qui génère chez lui une douleur insupportable. Il devient jaloux d'elle, de sa relation avec Luciani, un acteur sans le sou alors même qu'il avait décidé de la quitter. Ce roman se veut être consacré à l'ennui, soit, mais j'ai aussi lu de grandes digressions sur le mensonge, les soupçons, la jalousie et l'angoisse de l'attente puisque Dino, loin d'abandonner Cécilia, se met à l'espionner maladivement, ce qui nous réserve pas mal de longueurs. Le plus étonnant est sans doute que malgré l'amour impossible qu'il éprouve pour Cécilia, il admet la vénalité de la jeune femme et accepte de financer ses relations avec son autre amant. Ainsi se reconstitue le traditionnel triangle amoureux où Cécilia semble jouer un rôle passif, se donnant indifféremment à ses deux amants, alternant mensonges et vérités pour mieux vivre cette relation face à un Dino bizarrement compréhensif. Pourtant, ce dernier, dans le seul but d'échapper à cet ennui, se résout à la demander en mariage mais cette démarche ne plaît guère à la jeune femme qui refuse, ne pouvant ou ne voulant pas choisir entre es deux amants. Dino s'aperçoit alors que la possession même du corps de la jeune femme ne le satisfait pas, qu'il en conçoit même un certain ennui, mais refuse cependant de mettre fin à leurs relations. Il se révèle être un homme à la fois obsédé par cette femme et jaloux d'elle mais accepte cependant la réalité après avoir recherché le moyen définitif d'échapper à tout cela. C'est là un des thèmes centraux de l’œuvre de Moravia, le rapport de l'homme avec la réalité qu'il peine à accepter ce qui a aussi, dans son cas des accents autobiographiques autant que sociologiques, la société des années 1960, date de publication de ce roman, entrant dans la consommation à outrance et le néocapitalisme.

Tout le roman se décline en un long monologue mettant en évidence la déliquescence de la société bourgeoise ainsi que l’obsession du sexe et de son rapport avec l'argent. Les descriptions du corps et des postures de Cécilia ne sont pas exemptes d'un certain érotisme discret, mais, même si la littérature a largement illustré le thème de d'ennui, les longues digressions philosophiques auxquelles se livre l'auteur, dignes d'une dissertation du baccalauréat, ancienne section de « philosophie », m'ont parfois un peu ennuyé. C'est dommage parce que j'ai toujours beaucoup apprécié l'univers créatif de Moravia. C'est un peu comme si cette relecture, que je ne pratique pourtant pas volontiers, remettait un peu en cause l'intérêt que je lui porte.

© Hervé GAUTIER – Décembre 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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L'ennui

C'est un livre qui est bien écrit, bien construit mais d'une construction lente. J'ai eu du mal à entrer dans cette histoire cynique et scabreuse, surtout pour l'époque où le livre a été écrit !

Alberto Moravia est un auteur reconnu mais qui a perdu de sa notoriété, en France du moins car je ne sais ce qu'il en est, en Italie.

Je vais peut-être persévérer avec son livre le plus connu « le mépris » pour avoir un avis plus objectif.



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L'ennui

Le livre porte bien son titre !

Surtout ne pas commencer par cet ouvrage pour découvrir l'auteur.

Choisir : Le conformiste , L'automate .
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L'ennui

Un livre étonnant. D'un côté, le sentiment d'être face à une histoire relativement "médiocre", celle d'un "amour" non réciproque et purement physique... Et d'autre part, des phrases magnifiques et une vie intérieure remarquablement décrite et "analysée".

L'ennui... un sentiment attaché à l'absurde et à l'angoisse, envahissante,

un beau roman de Moravia.
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L'ennui

Dino est un bourgeois, fils d'une femme très riche, qui professe un souverain mépris pour l'argent. Peintre raté, car dilettante, il est affligé d'une navrante inertie, d'une incapacité à s'employer à être hic et nunc, qui lui fait éprouver un invincible ennui pour toute chose. Une jeune femme, Cécilia, maîtresse de son voisin artiste, autre gâcheur de toile dans son genre plus faunesque, lui adresse jour après jour des regards appuyés assortis d'un sourire Jocondesque. À la mort de son collègue érotomane le voilà qui devient l'amant de ladite. Commence alors une relation complexe, Dino intellectualisant tout, obsédé par l'idée de posséder cette femme auprès duquel il ne peut s'empêcher d'éprouver un sombre ennui, ce qui lui permettrait à son idée de s'en débarrasser plus commodément. Mais comme le dit le duc de Mantoue dans l'opéra Rigoletto, "la donna è mobile" , Cécilia toujours fuyante, difficilement cernable dans son emploi, élevé au rang d'art, de la tautologie, ne l'aide guère à se sortir de ses ratiocinations. 



Dans l'Ennui on retrouve la propension d'un narrateur à ressasser des idées obsédantes déjà observé dans le précédent roman Alberto Moravia. Dino, dans cette malsaine volonté de possession d'un être qu'il pense acter par les rapports sexuels et les cadeaux, étant encore plus retors que le scénariste du Mépris, la lecture peut s'avérer pénible pour certains lecteurs, même s'il faut bien reconnaître l'acuité et la finesse de l'auteur dans l'analyse de la psyché masculine. 
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L'ennui

D'abord une longue préface de Gilles de Van, intéressante en ce qu'elle situe L’ennui dans l'ensemble de l'oeuvre de Moravia et développe cette métaphysique qui domine dans ce texte, mais qui aurait dû plutôt figurer en postface car elle présente l'inconvénient, majeur à mon sens, de résumer brièvement l'intégralité de l'histoire, privant ainsi le lecteur de laisser aller son imaginaire jusqu'au bout en compagnie du héros, Dino.



Celui-ci, personnage central, est intéressant à bien des niveaux. Il rejette sa mère dont il a besoin pour son aide financière dont il prétend n'avoir que faire mais qui lui est nécessaire. Il est en interrogation permanente sur chacun de ses actes, sur ceux des personnes qu'ils côtoie au point d'imaginer des motivations et des situations pour chacune d'elles.



Et précisément, c'est dans les bras d'une jeune fille, Cecilia, qu'il ira au bout de ses interrogations, de ses frustrations, de son rejet d'une société bourgeoise dont il a besoin, de l'analyse de son ennui, de son amour. Tout le roman se structure autour de la négation de tout besoin, du rejet de presque tout, de l'indifférence à tout, et, en même temps du besoin quasi-permanent de tout ce qui est ainsi rejeté.



La personnalité de Cecilia est passionnante et Moravia lui donne, sous sa plume sans concession, une dimension physique et onirique qui ne peut laisser indifférent. Elle aime l'amour, elle aime faire l'amour, elle jouit merveilleusement tout en étant indifférente à tout ce qui l'entoure. Elle est simple, sans cruauté, se partage entre deux hommes naturellement, sans y voir le moindre problème ce que ne peut comprendre Dino.



Les dialogues entre eux sont à la limite de l'absurde et les réponses de Cecilia au questionnement pernicieux de Dino sont d'une simplicité qui le déroute dans leur absence de sens.



L'ensemble du roman est baigné dans cette atmosphère hors norme où le réel côtoie l'irréel, particulièrement dans les pensées de Dino, jamais dans celles de Cecilia.



Un très bon roman d'un écrivain talentueux tant dans l'art de son écriture, de ses phrases élaborées que dans son développement de cette thématique de l'ennui, de l'argent et de la finalité de la vie.

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L'ennui

J'adore l'écriture de Moravia, ses talents de conteur, son habileté à construire la tension amoureuse et à la rompre, ses formules gravées en taille douce par l'acide de son intelligence, tout ça. Mais Moravia est aussi un sacré manipulateur. Non ce roman ne parle pas du couple. Ce roman parle de la lutte des classes. Un peintre trentenaire vit aux crochets de sa richissime maman et s'interroge sur son incapacité à peindre et à aimer. L'Ennui, publié en 1960 - décolonisation, révolution cubaine, PCI deuxième parti d'Italie, faut voir le contexte – est un essai de théorie critique marxiste des moeurs, un pamphlet sarcastique et violent contre la bourgeoisie capitaliste, déguisé en histoire d'amour et de jalousie. Car le Marx du Capital évoque peu le coeur et les moeurs. L'Ennui comble ce vide. C'est dans le chapitre IV.3 de « La Sainte Famille, ou Critique de la critique critique » que Marx (sans Engels) esquisse une théorie de l'amour. Les époux ou les amants se rassurent de leur existence mutuelle, même s'ils sont éloignés et même si leur relation est fragile car l'amour est un besoin humain par essence, une clef du matérialisme. En effet, l'amour « plus que toute autre chose apprend à l'homme à croire au monde objectif en dehors de lui, et fait non seulement de l'homme un objet, mais même de l'objet un homme ». L'être aimé manifeste la réalité objective du monde extérieur à notre esprit. C'est le dérèglement de ce mécanisme chez les bourgeois, que Moravia appelle ironiquement « ennui ». L'ennui c'est l'incapacité du bourgeois à rentrer en communication avec le monde, objets animés ou inanimés. L'ennui c'est son incapacité à aimer. En déniant au bourgeois cette faculté, décrite par Marx comme essentiellement humaine, Moravia déshumanise l'ennemi de classe et légitime le mépris, qui sourd à chaque page de l'Ennui. Celui qui a tout, n'a rien. Il ne s'intéresse qu'à ce qu'il ne peut pas avoir. le cocufier c'est lui rendre service. le bourgeois est coupé de « toute donnée vivante, tout immédiat, toute expérience sensible, plus généralement toute expérience réelle, dont on ne peut jamais savoir à l'avance -ni d'où elle vient ni où elle va». L'argent le maintient dans un caisson d'isolation sensorielle. Comme la « Critique critique » décriée dans La Sainte Famille, le bourgeois est condamné à un idéalisme auto-centré, qui aboutit au ridicule de tout ce qu'il entreprend, notamment en matière artistique : coupé du monde, il n'a d'autre choix que l'abstraction, et pour finir, comme l'anti-héros grotesque de l'Ennui, il préfère la toile vierge à tout tableau. On retrouve derrière le ricanement de Moravia sur l'artiste bourgeois, le conflit politique sur l'art contemporain, la guerre froide que se livrent après 1945 le réalisme socialiste promu par le KGB ou les artistes comme Fernand Léger membres du PC et l'expressionnisme abstrait de Pollock et Rothko promu activement comme outil de propagande par la CIA.

Bel article sur le sujet:

https://www.independent.co.uk/news/world/modern-art-was-cia-weapon-1578808.html
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L'ennui

C'ÉTAIT MON PREMIER DE MORAVIA ET JE DOIS DIRE QUE JE SUIS TOMBER EN AMOUR AVEC CETTE AUTEUR ... LA MANIÈRE DONT IL DÉCRIT SAIT PERSONNAGE SONT MAGNIFIQUE JE RECOMMANDE AVEC PLAISIR CE ROMAN .ENNUIE PEUT TOURNER EN OBSESSION PAR MOMENT ..
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L'ennui

Ce roman est à éviter absolument, sous peine de regarder sa vie avec un regard désabusé. Le rapport à la réalité que nous peint Moravia avec son personnage principal est d'un cynisme tel qu'on se demande à la fin du livre si vraiment la vie vaut la peine d'être vécue. Quel découragement devant toutes nos actions à accomplir, toutes ces rapports humains vains et finalement solitaires. La réalité apparaît quelquefois bien plus grande que les hommes qui la peuplent. Une belle leçon d'humilité !
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L'ennui

L'intrigue est simple. Un jeune homme, peintre raté, issu de la haute bourgeoisie romaine devient l'amant d'une jeune fille, son modèle. Relation qui s'enlisera peu à peu dans une jalousie féroce de la part de l'amant lorsqu'il s'apercevra de l'inconséquence de la jeune fille. Remise en question de ses origines bourgeoises également face aux origines modestes de la fille. Roman très riche. A une époque, le tournant des années 60, où la société de consommation arrive en Italie, où les valeurs traditionnelles laissent la place à une société basée sur l'apparence et la vulgarité, modifiant également l'ensemble des rapports sociaux. Tout cela apparaît plus ou moins directement dans ce roman. La chair et le sexe sont également des thèmes abordés ici par Moravia. Sexe de consommation, sans amour possible, ne suscitant que lassitude et ennui. Malheureusement pour notre peintre, on n'échappe pas à sa condition sociale. Les personnages de second plan comme la mère du peintre et les parents de la jeune fille me semblent aussi rendre compte de toute la dimension sociale déterministe du roman.

Encore une fois, Moravia s'en prend aux valeurs italiennes bourgeoises à travers le personnage de cette mère intransigeante qui ne comprend pas le désarroi de son fils, qui n'a que la transgression pour échappatoire, confinant presque à la folie.

Du très grand art.
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