Alex Taylor (II)

Enfin bon, en tout cas je m'amuserais pas à faire la sieste dans les bois comme toi. C'est des coups à se retrouver mort au réveil.

Sous la frange des feuilles de saule, la rivière balbutiait et tremblotait, se frayait un chemin hésitant dans son lit tel un pasteur ivre récitant un verset si souvent déclamé qu'il a perdu toute vérité et toute force.

De petites bourrasques mordantes harcelaient la neige poudreuse et le soleil d'hiver gisait bas dans le ciel comme un bout de viande mâchée.

C'était une terre sinistre et ancestrale sertie dans le bijou insensible de l'hiver.

Il avait observé à travers une lentille de Leeuwenhoek les guerres microscopiques, les grincements des animalcules, les gelées aveugles et le plasma muet qui se tortillaient dans une violence mutine. Il comprenait que les terreurs les plus macabres du monde demeuraient parfois inconnues en raison de leur taille - la terre sous un ongle pouvait contenir une légion de bacilles de peste et la mort pouvait trouver refuge dans la graisse des cheveux d'un seul homme, si bien qu'un mouchoir souillé devenait un instrument de vengeance plus radical que l'épée.

Bertram cracha un filet de tabac entre les oreilles de son mulet.
- Le temps qu'il fait, ça n'est pas un problème, dit-il. Ce sont plutôt les temps qui courent qui me tourneboulent.

Sur sa tête, il arborait une toque bigarrée cousue à partir de peaux de castor, de vison et de belette, de sorte qu'il paraissait assailli par une horde de bêtes, et sa cape en peau de moufette empestait l'air de relents graisseux à peine adoucis par la tresse de tabac.

Des flocons de neige parsemaient sa fourrure, de sorte que la créature paraissait empêtrée dans la lumière des astres, une bête qui aurait troqué son cuir contre les cieux étoilés (...)

Il avait passé tellement de temps seul dans les montagnes qu'il lui semblait avoir fait des réserves de paroles, gardées auprès de lui telles des brisures d'or, et il craignait à présent de les avoir prodiguées trop librement, ou à un coût trop bas.

Etant à la fois dyspeptique et péteur impenitent, le mulet était connu pour venter par les deux extrémités

Vous êtes plus cinglé qu'un rat de chiottes.

Le routier se pencha en avant, posant ses mains sur le fauteuil, ses doigts blafards évoquant une flore anémique prenant racine dans le grain sombre du bois.

J'ai toujours pensé que les gens s'en sortiraient un poil mieux s'ils se comportaient plus souvent comme le ginseng. Mais non. Ils prennent racine quelque part un moment et ils se tirent sans laisser de trace s'ils pensent que la terre est plus fertile ailleurs.

Il regarda Daryl sur son perchoir devant le bar, assis comme un roi négligent dans une chambre des comptes avec le sang pour devise, un homme qui ne traitait qu'avec la mort en personne.

Elle inclina une dernière fois son mug, le fond de whisky lui brûlant la gorge, puis elle le posa sous le fauteuil et leva les yeux vers lui dans la semi-obscurité, son ombre se déployant sur elle telle la bure d'un moine dérangé, de sorte qu'elle se trouvait enveloppée dans la noirceur qu'il traînait dans le monde.

Puis il jeta l'arme par terre et s'éloigna clopin-clopant dans les arbres, les épaules enveloppées dans le châle du clair de lune.

[...] Sa narcolepsie avait le potentiel de provoquer des hallucinations, c’était son explication pour repousser les fantômes, mais il savait qu’il ne pouvait faire de même avec l’homme du ferry. Il était mort et Beam l’avait tué et c’était l’abrupte vérité.

[...] Tu es jeune, ça ce voit. Un type de ton âge, il croit que le monde va se briser s’il tape assez fort. Il croit qu’il peut tenir tête, mais c’est pas comme ça que ça marche.

[...] On ne pouvait pas revenir d’avoir tué un homme.

[...] Tu dois quitter cet endroit, et tu dois partir ce soir.