Citations de Alexandra Lapierre (304)
D'instinct, Mourochka cherchait à séduire. Mine de rien, sans même y songer, elle enjôlait les hommes, elle les fascinait, elle les tentait. Elle adorait lire la passion dans leurs yeux. Elle jouait avec le feu. Elle aimait plaire. Et pas seulement aux messieurs. Plaire à tout ce qui bougeait. Elle ne minaudait pas, non, elle ne faisait pas de manières. Aucune simagrée. Pas de chichis, pas de mignardises. Mais elle avait soif d'hommages et travaillait à mobiliser l'attention.
Sa Haute Noblesse avait développé une théorie selon laquelle on ne devait jamais, au grand jamais, épouser quiconque par amour : la règle valait pour les deux sexes. D'expérience, seuls les mariages d'intérêt perduraient. L'intérêt bien compris, de part et d'autre.
La frustration et les contrariétés l'avaient vieillie. La graisse alourdissait sa silhouette, envahissant sa gorge, ses joues. Les excès de sucreries et d'alcool la marquaient durement. Pour le reste, on devinait encore qu'elle avait été belle femme. Sa chevelure, aujourd'hui d'un blond cendré, se détachait, lumineuse, du bois noir de son dossier. Et son chignon, qu'elle portait haut sur le sommet de la tête comme le voulait la mode, restait épais, ondoyant et moussu. Quant au regard, toujours du même vert acide, il ne flamboyait qu'avec plus de pénétration entre les paupières trop lourdes.
Nous attendons, nous attendons de vivre, et cette attente nous tue. Nous tenons des propos sans intérêt, nous allons à droite, nous allons à gauche, pour avoir l'air de dire ou de faire quelque chose. Mais nous sentons bien que l'essentiel est ailleurs. Alors, nous scrutons l'horizon et nous continuons d'attendre. Et les années s'écoulent. Et rien ne se passe. La joie ne vient pas. Rien ne vient. Nous attendons encore… Et notre vaine patience finit par nous détraquer le cerveau. Que veux-tu, devant un tel vide, nous perdons la tête. Nous devenons même complètement folles.
Maria Nicolaïevna était de ces femmes qui divisent pour régner. À ses yeux, l'humanité se répartissait en deux catégories : les êtres auxquels les mérites ou la beauté donnaient droit de cité dans ses affections ; et le reste, sans importance et sans réalité.
Maria Nicolaïevna elle-même, élevée en Pologne, ne s'exprimait qu'en français. Quant au reste, elle avait la réputation d'aimer le luxe et de se venger des infidélités de son mari en lui rendant la pareille. Une mentalité de courtisane, aux dires des épouses de ses voisins. Impossible de se montrer plus légère avec les hommes qui lui rendaient visite. Quant aux femmes… elle les considérait comme ses rivales, sans exception.
Elle savait certes écrire, et même compter. Lire, bien sûr. Mais, peu portée sur les idées, encore moins sur le savoir, elle ne s'absorbait ni dans les romans ni dans les poésies dont regorgeaient les journaux pour demoiselles. Elle était en revanche douée de beaucoup d'intuition et d'une formidable jugeote. Grande, élancée, instinctivement élégante, Margaret faisait l'admiration du quartier. Sa réserve et sa dignité plaisaient. Et rien dans ses rêves de jeune fille ne l'avait préparée au coup de foudre pour un rebelle irlandais – catholique de surcroît –, aux déchirements de la révolte devant l'opposition paternelle, aux doutes quant à l'honnêteté de sa conduite, au mariage à la sauvette, et à l'installation au cœur de la misère de Dublin. Rien, sinon sa flamme et sa fureur de vivre.
Elle-même usa de la construction romanesque avec une telle maestria qu'elle finit par appartenir tout entière à la légende, au mythe et à l'imaginaire. Les faits, la réalité objective comptèrent si peu pour elle. Elle ne fit jamais aucun cas de la Vérité. Sinon de la sienne.
Toutefois, les documents d'archives révèlent que cette femme appartient à l'Histoire.
Femme aux mille visages, femme aux mille facettes : les uns chantèrent sa tendresse, son affection sans faille et sa fidélité jusqu'à la mort. Les autres dénoncèrent ses trahisons constantes.
L'incarnation de la loyauté.
L'incarnation du mensonge.
Elle fut adorée par ceux qu'elle aima. Elle fut haïe par ceux qui la jugèrent trouble : aussi dangereuse qu'insaisissable.
La vie sous toutes ses formes. La vie à n'importe quel prix. La vie quand même !
« She was a survivor. » La phrase revient éternellement dans les témoignages et les interviews : « Elle était une survivante. » La langue française ne rend qu'imparfaitement la notion de lutte et l'idée du triomphe final qu'évoque le mot anglais.
Déterminée à survivre dans la tempête de la Révolution bolchevique qui éradiqua sa classe et ses pairs, Moura le demeura son existence entière. Déterminée à survivre – et très bien – parmi les décombres d'un monde disparu.
Les mortiers, les chaudrons, les godets, tous les instruments de son art gisaient à l'abandon. "Ça suffit, la peinture!" Avec le temps, les recherches esthétiques lui paraissaient l'apanage d'autrui, de Caravage, d'Orazio Gentileschi...La beauté lui semblait une entité trouble, inquiétante. Une souffrance. Presque un remords.
Les grandes robes de chambre , dont ils se sont revêtus pour se protéger des éclaboussures et se défendre du froid, les recouvrent tout entiers. Leur corps se noie dans les plis, sous les taches; ils n'ont plus de sexe, ils n'ont plus d'âge. Ils avancent, ils reculent: toujours debout pour juger de leur travail. Quelquefois ils vacillent et perdent l'équilibre. Ils se postent alors, un pied devant l'autre, le buste perpendiculaire à la toile, la main dans le dos, ou le poing sur la hanche. Ils se fendent tels des duellistes. Mais ce n'est plus l'un contre l'autre qu'ils ferraillent. le pinceau tendu, ils luttent côte à côte contre les mêmes adversaires: la médiocrité, l'oubli.
Vendre, mais non pas tant pour faire fortune et pour s'élever, que pour établir la réputation d'une oeuvre.
L'or est la mesure de notre richesse esthétique. Il ne sert qu'à cela : crier au monde la valeur d'un peintre.
Il l'avait épiée avec trop d'attention, il connaissait de trop près les étapes de sa métamorphose, pour ne pas reconnaître que les charmes et les fastes d'Isabel Barreto n'étaient désormais qu'un souvenir. Et que ce souvenir-là n'impressionnait, n'émouvait ou n'exaspérait plus aucun membre de l'équipage.
Fini depuis belle lurette, l'étalage des dentelles éclatantes que le vent ne pouvait chiffonner ! Terminée l'époque des jupons craquants et des fraises empesées qu'elle promenait sur le pont ! Révolu le temps des frisons et des bouclettes, de ses coiffures si hautes et si luisantes, arrimées de tant d'épingles et de tant de peignes, que même les bourrasques ne parvenaient pas à les déranger !
Aucun homme ne peut revivre sa jeunesse…
Impossible ! Lorenzo n'est pas Jerónimo… Lorenzo n'a pas besoin de prendre une femme par la force. Il est beau. Il est aimable. Il peut avoir toutes les servantes qu'il veut, toutes les esclaves comme tu le dis toi-même. Et les autres, les filles ou les épouses de colons. Et cela, parce qu'elles sont toutes amoureuses de lui ! Pourquoi forcerait-il un laideron comme Elvira ? Une petite sans grâce, sans esprit, sans beauté, sans fortune ?
Délicieux de courir, après tous ces mois en mer !
À son seul contact, l'amour devenait un mal contagieux, une véritable épidémie. On ne parlait que de cela à bord. D'amour…
Quand elle sentait sous ses pieds le navire qui filait allègrement, elle-même éprouvait une joie sans égale. C'était un bien-être nouveau, une plénitude physique, quelque chose d'instinctif et de sensuel qu'elle n'avait jamais éprouvé.
La vie était décidément étrange ! Et les voies du Seigneur, impénétrables…
Un rêve… Au fond, c'est un réconfort que Dieu ait créé des hommes aussi chimériques que vous. Vous vous riez des cannibales, vous vous gaussez des fièvres, des naufrages, du désespoir, de la mort… Pour ne songer qu'à ce que vous ne voyez pas !