Citations de Alexis de Tocqueville (380)
J'ai pour les institutions démocratiques un goût de tête, mais je suis aristocratique par l'instinct, c'est-à-dire que je méprise et crains la foule.
J'aime avec passion la liberté, la légalité, le respect des droits, mais non la démocratie. Voilà le fond de l'âme.
Je hais la démagogie, l'action désordonnée des masses, leur intervention violente mal éclairée dans les affaires, les passions envieuses des basses classes, les tendances irréligieuses. Voilà le fond de l'âme.
La liberté est la première de mes passions. Voilà ce qui est vrai.
J'ai toujours pensé que pour un homme qui se destine à la vie publique, la véritable dignité ne consistait pas à éluder des interpellations mais à y répondre.
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...Je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux,qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer des petits et vulgaires plaisirs dont ils remplissent leur âme...Au-dessus d'eux s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leurs jouissances et de veiller sur leur sort. ...Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche au contraire, qu'à les fixer irrémédiablement dans l'enfance. Il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur, mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages, que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?...
Celui qui a enfermé son coeur dans la seule recherche des biens de ce monde est toujours pressé, car il n'a qu'un temps limité pour les trouver, s'en emparer et en jouir. Le souvenir de la brièveté de la vie l'aiguillonne sans cesse. Indépendamment des biens qu'il possède, il en imagine à chaque instant mille autres que la mort l'empêchera de goûter, s'il ne se hâte. Cette pensée le remplit de trouble, de craintes et de regrets, et maintient son âme dans une sorte de trépidation incessante qui le porte à changer à tout moment de desseins et de lieu.
Il y a en effet une passion mâle et légitime pour l'égalité qui excite les hommes à vouloir être tous forts et estimés. Cette passion tend à élever les petits au rang des grands ; mais il se rencontre aussi dans le coeur humain un goût dépravé pour l'égalité, qui porte les faibles à vouloir attirer les forts à leur niveau, et qui réduit les hommes à préférer l'égalité dans la servitude à l'inégalité dans la liberté.
Si de longues observations et des méditations sincères amenaient les hommes de nos jours à reconnaître que le développement graduel et progressif de l’égalité est à la fois le passé et l’avenir de leur histoire, cette seule découverte donnerait à ce développement le caractère sacré de la volonté du souverain maître. Vouloir arrêter la démocratie paraîtrait alors lutter contre Dieu même, et il ne resterait aux nations qu’à s’accommoder à l’état social que leur impose la Providence.
Le livre entier qu’on va lire a été écrit sous l’impression d’une sorte de terreur religieuse produite dans l’âme de l’auteur par la vue de cette révolution irrésistible qui marche depuis tant de siècles à travers tous les obstacles, et qu’on voit encore aujourd’hui s’avancer au milieu des ruines qu’elle a faites.
Le désir de l'égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l'égalité est plus grande.
Il n'y a rien de moins indépendant qu'un citoyen libre. Un citoyen libre n'est pas indépendant précisément parce qu'il est toujours pris dans une collaboration avec les autres citoyens. Et c'est de cette collaboration que peut naître le bien-être collectif.
S’il était permis enfin de supposer que toutes les races se confondissent et que tous les peuples du monde en vinssent à ce point d’avoir les mêmes intérêts, les mêmes besoins, et de ne plus se distinguer les uns des autres par aucun trait caractéristique, on cesserait entièrement d’attribuer une valeur conventionnelle aux actions humaines ; tous les envisageraient sous le même jour ; les besoins généraux de l’humanité, que la conscience révèle à chaque homme, seraient la commune mesure. Alors, on ne rencontrerait plus dans ce monde que les simples et générales notions du bien et du mal, auxquelles s’attacheraient, par un lien naturel et nécessaire, les idées de louange ou de blâme.
Ce que je dis de l’Amérique s’applique du reste à presque tous les hommes de nos jours. La variété disparaît du sein de l’espèce humaine ; les mêmes manières d’agir, de penser et de sentir se retrouvent dans tous les coins du monde. Cela ne vient pas seulement de ce que tous les peuples se pratiquent davantage et se copient plus fidèlement, mais de ce qu’en chaque pays les hommes, s’écartant de plus en plus des idées et des sentiments particuliers à une caste, à une profession, à une famille, arrivent simultanément à ce qui tient de plus près à la constitution de l’homme, qui est partout la même.
Or, l’industrie, qui amène souvent de si grands désordres et de si grands désastres, ne saurait cependant prospérer qu’à l’aide d’habitudes très régulières et par une longue succession de petits actes très uniformes. Les habitudes sont d’autant plus régulières et les actes plus uniformes que la passion est plus vive.
Ils sont sujets, il est vrai, à de grandes et continuelles vicissitudes ; mais, comme les mêmes succès et les mêmes revers reviennent continuellement, le nom des acteurs seul est différent, la pièce est la même. L’aspect de la société américaine est agité, parce que les hommes et les choses changent constamment ; et il est monotone, parce que tous les changements sont pareils.
Il semble que rien ne soit plus propre à exciter et à nourrir la curiosité que l’aspect des États-Unis. Les fortunes, les idées, les lois y varient sans cesse. On dirait que l’immobile nature elle-même est mobile, tant elle se transforme chaque jour sous la main de l’homme. À la longue cependant la vue de cette société si agitée paraît monotone et, après avoir contemplé quelque temps ce tableau si mouvant, le spectateur s’ennuie.
Ils aiment les livres qu’on se procure sans peine, qui se lisent vite, qui n’exigent point de recherches savantes pour être compris. Ils demandent des beautés faciles qui se livrent d’elles-mêmes et dont on puisse jouir sur l’heure ; il leur faut surtout de l’inattendu et du nouveau. Habitués à une existence pratique, contestée, monotone, ils ont besoin d’émotions vives et rapides, de clartés soudaines, de vérités ou d’erreurs brillantes qui les tirent à l’instant d’eux-mêmes et les introduisent tout à coup, et comme par violence, au milieu du sujet.
La misère morale et politique d'un gouvernant le rend de fait illégitime.
Le passé n'éclairant plus l'avenir, l'esprit marche dans les ténèbres.
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Je vois clairement dans l'égalité deux tendances: l'une qui porte l'esprit de chaque homme vers des pensées nouvelles, et l'autre qui le réduirait volontiers à ne plus penser. Et j’aperçois comment, sous l'empire de certaines lois, la démocratie éteindrait la liberté intellectuelle que l'état social démocratique favorise, de telle sorte qu'après avoir brisé toutes les entraves que lui imposait jadis des classes ou des hommes (aristocratie sous les régimes monarchiques), l'esprit humain s'enchainerait étroitement au volontés générales du grand nombre.
Si, a la place de toutes les puissances diverses qui gênaient ou retardaient outre mesure l'essor de la raison individuelle, les peuples démocratiques substituaient le pouvoir absolue d'une majorité, le mal n'aurait fait que changer de caractère. Les hommes n'auraient point trouver le moyen de vivre indépendant; ils auraient seulement découvert, chose difficile, une nouvelle physionomie de la servitude. Il y a là, je ne saurais trop le redire, de quoi faire réfléchir profondément ceux qui voient dans la liberté de l'intelligence une chose sainte, et qui ne haïssent point seulement le despote, mais le despotisme. Pour moi, quand je sens la main du pouvoir qui s’appesantit sur mon front , il m'importe peu de savoir qui m'opprime, et je ne suis pas mieux disposé à passer ma tête dans le joug, parce qu'un million de bras me le présente
L'égalité, en effet, a pour effet de ruiner la légitimité des autorités traditionnelles, et cette évolution, qui favorise dans un premier temps l'autorité des individus, dévalorise du même coup les pensées différentes de celles de la masse, ce qui explique pourquoi, faute de pouvoir penser par lui-même sur tous les sujets, l'individu démocratique s'en remet le plus souvent à "l'opinion publique" pour penser à sa place: "A mesure que les citoyens deviennent plus égaux et plus semblables, le penchant de chacun à croire aveuglément un certain homme ou une certaine classe diminue. La disposition à en croire la masse augmente, et c'est de plus en plus l'opinion qui mène le monde"
Le temps fait toujours naître à la longue, chez le même peuple, des intérêts différents, et consacre des droits divers... C'est donc seulement à la naissance des sociétés qu'on peut être complètement logique dans les lois. Lorsque vous voyez un peuple jouir de cet avantage, ne vous hâtez pas de conclure qu'il est sage ; pensez plutôt qu'il est jeune.
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