Citations de Alice McDermott (108)
Le calme parloir du couvent, baigné par le son étouffé de la pluie, était teinté d'une sorte de sépia - par l'heure, par le temps, par le velours marron du sofa et les boiseries sombres de la pièce. Mme Odette se parlait à voix basse dans la cuisine. L'odeur de cannelle et de pommes se mêlait au parfum d'encens et de vieux bois du couvent. On entendait une rumeur de circulation dehors, assourdie par la grisaille.
" La vie d'une soeur soignante est l'antidote aux ambitions du diable. Une vie pure et immaculée.
Tous les matins, nous envoyons des sœurs immaculées de part les rues, n'est -ce pas ?
Un tissu propre à appliquer sur le Monde Souffrant ."
De l'intérieur de sa coiffe blanche, ses petits yeux, les petits yeux délavés d'une vieille femme, passaient sur nous. Une seconde, quelque chose d'affectueux, de joyeux même, en chassa le chagrin, mais une seconde seulement. Quand l'ombre grise revint, nous reconnûmes en elle non pas une lueur transitoire, aussi brève qu'un clignement d'yeux, mais une douleur qui avait toujours été là dans le cher et vieux visage. "Dieu, connaît mon cœur, dit-elle. Donc, je n'ai pas besoin de Lui demander son pardon, voyez." (p281)
La vie passe en un clin d'œil. Pas besoin d'imagination pour la convaincre qu'elle était déjà passée. (p186)
Au cours des trente-sept ans qu'elle avait passés dans cette ville, sœur Saint-Sauveur s'était constitué un réseau de gens capables de contourner les nombreuses règles et règlementations - les règles de l'Eglise , les règlements municipaux...
Elle ferait enterrer le mari de cette femme à Calvary. Si tout se passait bien, elle réussirait.
Le ciel était dépourvu de couleur, tout comme le trottoir et la rue. L'odeur de fumée imprégnait encore la brise froide, à moins qu'elle ne s'attardât seulement dans les narines. Il y avait quelques flocons de neige dans l'air.
Nous sentîmes le plaisir que nous lui procurions, familier lui aussi, le plaisir que lui procurait notre présence, nous qui vivions et respirions – un tonique contre tout chagrin.
Il existe une faim, avait dit sœur Illuminata à la fille.
« Une faim de réconfort », selon l’expression que se rappelait notre mère.
Mais le vocabulaire de la sœur en ces matières – le corps, la chair, ce qui se passait entre les hommes et les femmes – était limité. Tout comme son expérience.
« Je l’aime comme ma fille, dit-elle, sans atténuer la dureté de son ton, comme si l’amour était aussi un devoir désagréable. Le mariage la canalisera peut-être. Pas le couvent. »
« Certaines femmes se marient sans avoir la moindre idée de ce qu’implique le mariage, dit-elle. Et certaines souffrent. Portent des bébés tous les ans. D’autres imposent la souffrance à leur mari. »
« La souffrance ne dissimule pas la vraie nature de quelqu’un, ajouta-t-elle. Au contraire, elle la révèle. »
Peut-être pas une beauté, mais possédant de beaux cheveux bruns qui étaient mouillés et plaqués en rubans noirs ici et là sur son front pâle et sa gorge blanche. Malgré le bruit de la pluie dehors, il entendait les voix douces des religieuses dans la chapelle. Elles chantaient « O Salutaris Hostia », un cantique qu’il connaissait depuis l’enfance.
« Une enfant de couvent, ce n’est pas comme un chat de couvent. Elle n’est pas un animal domestique. »
La folie avec laquelle la souffrance était distribuée dans le monde défiait toute logique. Rien n’était aussi mal réparti. Mauvaise fortune, mauvaise santé, mauvais moment. Des enfants innocents étaient touchés aussi souvent que des hommes malfaisants. Des jeunes mamans étaient fauchées, tandis que des vieilles grincheuses survivaient. Des vies agréables s’achevaient dans la confusion, le désespoir ou l’extrême désolation.
Prononcer ses vœux signifiait laisser tout le reste derrière soi : la jeunesse, la famille et les amis, tout l’amour qui n’était qu’individuel, tout ce qui dans l’existence nécessitait un regard en arrière.
Les désordres produits par les corps mortels des sœurs se voyaient quant à eux dans les innombrables serviettes hygiéniques et les longs sous-vêtements jaunis aux aisselles et à l’entrejambe.
On ne pouvait pas attendre d’une femme ayant sa propre famille et ses propres problèmes qu’elle s’occupe indéfiniment des malheurs d’une autre.
Sally se rendit compte qu'elle avait bien meilleure allure dans son uniforme de serveuse ; son tablier et sa coiffe lui donnaient l'air plus propre, plus intelligent, même. Un visage et un corps faits pour servir. p.243
La cour en contrebas était remplie d'ombres profondes et des mouvements de petits oiseaux gris, et quand elle y plongea le regard, l'abattement qui la saisit la prit par surprise. p. 26
À la porte, ( Pauline) demanda : " Il attend en bas ?", voulant parler de John Keane. Et quand Mary hocha la tête, Pauline ajouta : "Tu ferais mieux de te dépêcher alors, tu sais comment il est." Avant d'éclater de rire pour montrer qu'elle ne se serait pas mariée à ce crâne d'oeuf de John Keane pour tout l'or du monde. Le rire de Pauline recelait toutes les confidences que Mary avait jamais partagées avec elle au sujet des défauts de son mari, toutes les critiques irréfléchies , tous les reproches furieux, impulsifs, exaspérés touchant à sa personnalité, ses manières, ses impatiences maladives et impénétrables. L'attestation, Pauline et son rire, de toutes les phases de leur mariage où Mary Keane n'avait pas aimé son mari, où l'amour lui-même avait semblé une méprise, une illusion (un inconnu devant chez Shrafft transformé en prière exaucée), et le mariage - que Pauline avait eu assez de bon sens pour rejeter - un simple pacte maladroit avec un inconnu, n'importe quel inconnu, John ou George, Tom, Dick ou Harry.
Une attestation, Pauline et son rire, son regard entendu, de tout ce que Mary Keane aurait mieux fait de garder pour elle. (p. 134).