Allison Hoover Bartlett

Après les manuscrits originaux, les premières éditions dédicacées sont les documents qui vous permettent d'être au plus proche d'un auteur. Il n'est pas nouveau de considérer un livre comme une prolongation de son auteur. En 1644, John Milton écrivait : "Les livres ne sont pas des objets inertes, mais portent en eux autant de vie que l'âme qui les a fait naître, en effet ils conservent comme dans une fiole, la puissance et l'essence de l'intellect qui leur a donné le jour. " Presque trois cents ans après lui, en 1900, Walt Whitman faisait écho à ce sentiment : "Camarade ! Ceci n'est pas un livre,/Qui touche ceci touche un homme."

J'ai rencontré une collectionneuse ravie de me montrer la variété et la quantité de livres qu'elle possédait. Elle assemblait sa collection depuis plus de dix ans, mais personne n'avait encore demandé à la voir. "Aucun de mes amis ne comprend", m'a-t-elle expliqué. Sa bibliothèque croissante était son jardin secret, purement et simplement.

Il ouvrit l'étui et, à ma grande surprise, m'invita à feuilleter les pages légèrement jaunies. Elles étaient écrites à l'encre brune, qui s'était quelque peu estompée, tout comme les taches et les éclaboussures qui parsemaient les pages. Plusieurs lignes avaient été agressivement rayées. Moirandat expliqua que Flaubert aurait pu écrire ce texte au cours d'un voyage.
"Mais je suis persuadé qu'il ne l'a pas écrit pendant son périple. La graphie est trop propre."
Il me lut un passage à voix haute en français :
Je m'abstiendrai donc de toute déclamation et et je ne me permettrai que six fois par page le mot pittoresque et une douzaine de fois celui d'admirable (...) je veux que mes phrases sentent le cuir de mes souliers de voyage (...)

On en apprend beaucoup sur une personne en regardant sa bibliothèque.

"Tout le monde doit mourir tôt ou tard. Tandis que les bons livres, eux, doivent être conservés."

Cette envie irrépressible de voir les livres disparaître ne fait que mettre en lumière leur pouvoir, et cela n'est pas uniquement vrai pour les livres scientifiques, politiques ou philosophiques, mais aussi pour la poésie et la fiction qui ont la même capacité à nous changer.

L'avarice est comme le feu, plus on y met de bois, plus il brûle.

Ce qui ne faisait aucun doute, au-delà du fait que c'était un criminel, c'est qu'il était curieux, ambitieux et poli, trois qualités que je respectais. Mais lorsque je rentrais chez moi et écoutais nos entretiens, je comprenais à quel point son apparence physique me distrayait de son propos. Le charme des fraudeurs est la première de leurs manipulations, et derrière cette façade se cache une avidité tenace.

Les objets sont chargés d'histoire et de sens, qu'il s'agisse de textes anciens ou de livres pour enfants. Lorsque je suis à la bibliothèque, cernée par les hautes étagères, j'ai comme le sentiment que le poids de l'étude est palpable, ce qui est une source à la fois d'humilité et d'inspiration. Cette magie ne fonctionne pas qu'avec les livres, mais aussi avec les lieux. On a des descriptions de l'Holocauste, de l'endroit où Emily Dickinson a écrit la Lettre au monde ou de la sépulture de Jim Morrison. Inutile de se déplacer, des photos sont disponibles en ligne. Et pourtant, des milliers de personnes se rendent tous les ans à Auschwitz, au Homestead et au Père-Lachaise. Je suppose que nous aimons être environnés de livres pour les mêmes raisons que nous allons sur ces lieux, ils nous relient à quelque chose qui nous dépasse, quelque chose de réel. C'est pourquoi je suis persuadée que les livres papier survivront, même lorsque les e-books seront devenus monnaie courante.

Il fallut que le juge lui promette que sa collection serait soigneusement entretenue après son incarcération pour qu'il avoue avoir étranglé Patxot et poignardé les autres. Lorsque le juge lui demanda, pendant l'audience, pourquoi il n'en avait pas profité pour voler de l'argent chez ses victimes, il répondit: "Je ne suis pas un voleur." Lorsqu'on lui fit remarquer qu'il avait ôté la vie à autrui, il dit alors: "Tout le monde doit mourir, tôt ou tard. Tandis que les bons livres, eux, doivent être conservés."

Sanders l'admit lui-même: "Dès que je m'intéresse à quelque chose, j'ai tendance à me jeter dedans corps et âme. Et je vais jusqu'au bout à chaque fois. C'est un schéma qui s'est souvent répété au cours de ma vie. Pour traquer un voleur, c'est la bonne attitude à avoir. Lorsqu'il s'agit d'une relation avec une femme, c'est plus compliqué. Là je suis vraiment nul."

"Qui de ces deux hommes est le plus heureux ? Le libraire qui possède presque tous les grands classiques de la littérature mondiale, ou celui qui a treize filles ? Le plus heureux des deux est le second, car il sait qu'il en a assez."

Il n'est pas nouveau de considérer un livre comme une prolongation de son auteur.

Si vous ne lisez pas vos livres, il faut au moins que vous les teniez entre vos mains et, pour ainsi dire, que vous les caressiez. Regardez à l'intérieur. Laissez-les s'entrouvrir là où ils le désirent. Lisez la première phrase qui arrête votre œil. Puis passez à une autre. Embarquez pour un voyage fait de découvertes, allez sonder des mers inexplorées. Reposez-les sur l'étagère à deux mains. Disposez-les selon une organisation qui vous est propre afin que, si vous en ignorez le contenu, vous sachiez au moins où ils se trouvent. Si vous ne pouvez les compter parmi vos amis, vous devez à tout prix faire en sorte qu'ils soient au moins des connaissances. S'ils ne peuvent entrer dans votre vie privée, ne leur refusez pas un minimum de reconnaissance pour autant.

J'ai entendu au moins un collectionneur comparer la pratique de collectionner à un sport

plus un collectionneur possède de livres, plus il en veut.
[...]
la collectionnite, c'est comme une fringale qu'aucun livre ne saurait rassasier.

Il y a une différence entre ceux qui aiment les livres et ceux qui vont jusqu'à les collectionner. Un libraire chevronné repère un collectionneur dès que l'on vient lui demander où il a rangé la première édition du Hobbit (certainement pas sur une étagère à la portée de tous).

La boutique de Sanders avait le pouvoir d'attraction d'un grenier de vieille tante excentrique où vous êtes susceptible de tomber sur un trésor dans chaque recoin.

Les collectionneurs qui évoquent les livres qu'ils viennent tout juste d'acquérir, ou ceux sur lesquels au contraire ils n'ont pas réussi à mettre la main, en parlent comme des don Juan se remémorant leurs conquêtes.

Plus vous mettez de livres dans votre bibliothèque, plus elle se construit, plus elle prend de la valeur, plus elle s'embellit [...] Pleine de livres, elle est splendide, vous pouvez lire ce que vous voulez, elle participe aussi à l'atmosphère qu'il y a dans la maison, n'est-ce pas ?