Citations de André Velter (375)
çà cavale (II)
(ça cavale) extrait 8
Notre héros était du clan des autoproclamés,
des purs, des intraitables, des vertueux,
de ceux qui s’étripent pour un poil de barbe,
un cheveu de pucelle, une cheville à l’air libre.
On l’appelait le Visionnaire
lui qui voyait trouble avec son œil de verre.
On l’appelait la Grande Ecoute
lui qui percevait les trompettes de l’Apocalypse
comme des soupirs de chats.
On l’appelait l’Arpenteur des Univers
lui qui ne prenait plus la pente depuis des lustres
ni pour monter ni pour descendre.
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çà cavale (II)
(ça cavale) extrait 7
Depuis que l’azur me rogne les ailes,
je m’intéresse à vos breloques, à vos statues,
symboles gravés à contre-emploi
Bombez le torse mes fiers à bras
des fois qu’on vous épingle
Contez vos exploits de civilisés à la mie de pain,
vos conquêtes de garçons de bain !
Dans le genre épique
on dirait que ça barde...
Notre héros était borgne,
à demi-sourd
et boitait bas.
Sa femme n’avait plus qu’un tétin.
Son fils souffrait d’une lèpre tenace.
Quant à ses filles la vérole savait
où elles tenaient boutiques.
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çà cavale (II)
(ça cavale) extrait 6
Le bail de ce monde est truqué.
Une douce tyrannie sourit
de toutes ses dents de lait en poudre
avec aux confins de l’oubli
cette clameur condamnée,
ce crissement du sang
quand la roulette dérape sur la gencive.
Sans liens on vous attache,
sans torture vous vous mettez à table.
Quel ogre invisible hébergez-vous ?
Un soir vous avez crié :
« j’aime ce que je hais »,
c’était rêver d’un rapace trop infâme
déjà couvert d’oripeaux,
converti en oriflamme.
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çà cavale (II)
(ça cavale) extrait 5
Où s’est déchirée la trame de notre mémoire ?
Le flash qui nous éblouit ne concède plus rien,
comme s’il n’y avait jamais eu de chemin de halage,
d’herbe coupée, de sous-bois odorant,
jamais de forgerons, de dinandiers, de bûcherons,
jamais de serpe, de gradine, de trusquin.
Comme si notre main devait être vide,
comme si les saisons de neige,
de semailles, de moissons, de cueillettes
étaient un seul éclair noir au fond d’un trou.
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çà cavale (II)
(ça cavale) extrait 4
Le bruit court que le monde n’aurait plus qu’une loi,
une seule saveur, un seul enjeu, une seule horreur,
et nulle sortie hors du trictrac des marchands.
Le bruit court que la loi universelle
a établi un troc en forme de massacre,
que les capitaux flottants s’abreuvent de naufrages,
que le plastique vaut plus que bois ou cuivre,
le nylon plus que coton,
le béton plus que paille et terre sèche,
que tout peut être acheté, mutilé, avili,
et qu’il faut payer les faussaires
avec un vrai courage et de la vraie misère.
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çà cavale (II)
(ça cavale) extrait 3
si j’ai le sang d’un espagnol
je sens mon regard d’Arabie
mener ma cavale mongole
par les chemins d’Abyssinie
si j’ai les poings d’un amnésique
je me souviens du corridor
et du guetteur qui panique
dès qu’il m’aperçoit dehors
que ça crève que ça déboule
dans le galop de l’insomnie
que ça rêve que ça défoule
dans ce foutoir à l’agonie
cavalier au bord du vide
cavalier au bord du vide
que ca flambe que ça détale
dans le galop de l’insomnie
que ça tangue que ça dévale
dans ce foutoir à l’agonie
cavalier au bord du vide
cavalier au bord du vide
cavale cavale ça cavale
/Édition Le Castor Astral, 1994
çà cavale (II)
(ça cavale) extrait 2
le matin te mange dans la main
dès que tu as poussé les portes
on dirait que tu as faim
de ce qu’un étranger t’apporte
après le placard aux voleurs
tu as la tête près des étoiles
tu traînes un ange tout en sueur
quand ton ombre met les voiles
dans cette cavale à qui perd gagne
y a pas de mur si tu t’emballes
dans ce rodéo la castagne
largue ta vie à fond de cale
il te faut du sel sur les lèvres
un braquage dans les neurones
jeter ton tempo dans la fièvre
semer du sable au téléphone
que ça crève que ça déboule
dans le galop de l’insomnie
que ça rêve que ça défoule
dans ce foutoir à l’agonie
cavalier au bord du vide
cavaler au bord du vide
cavale cavale ça cavale
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/Édition Le Castor Astral, 1994
çà cavale (II)
(ça cavale) extrait 1
tout est parti d’un coup de chaleur
du côté de la Calabre
quand j’ai su que j’avais le cœur
de vivre à cru comme on se cabre
Le soleil avait bu l’horizon
je suis né de cette ivresse
où il n’est jamais de saison
pour le spleen ou la détresse
Si j’ai le sang d’un espagnol
je sens mon regard d’Arabie
mener ma cavale mongole
par les chemins d’Abyssinie
il me faut du feu sur les lèvres
de l’ouragan dans les cheveux
jeter mes gants près de la grève
et de l’infini dans les yeux
que çà crève que çà déboule
dans le galop de l’insomnie
que çà rêve que çà défoule
dans ce foutoir à l’agonie
cavalier au bord du vide
cavalier au bord du vide
cavale cavale ça cavale
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/Édition Le Castor Astral, 1994
[...] Les vrais décrypteurs de la vie sont les poètes.
Paul Morand
Introduction
La poésie a la vie dure, même si on l'annonce
régulièrement à l'article de la mort.
C'est que pour ceux qu'exaspère l'ordre
meurtrier du monde, la poésie est question
d'engagement existentiel. (...)
Elle dit le réel, mais en le révélant plus vaste,
et d'une prodigieuse intensité. (p. 6 )
Faisant la noce avec d'autres,
je liquide à minuit
quinze roubles de petite monnaie lyrique.
Vladimir Maiakovski
(p.58)
(Blaise Cendrars )
Apprenti horloger à Saint-Pétersbourg,étudiant tous azimuts en médecine, philosophie, littérature et musique à Berne, figurant au théâtre de la Monnaie à Bruxelles, avant de transiter par le Quartier latin de Paris,de retourner à Saint-Pétersbourg,de passer un été sur le golfe de Finlande, puis de s'embarquer pour New-York où il compose -Les Pâques, son poème vraiment inaugural,il semble n'être lui-même que dans les navires ou les wagons qui le conduisent ailleurs.(p.55)
J’envie les comètes qui vont mourir d’un ciel à l’autre.
ÇA CAVALE (I)
extrait 23
C’est par instinct, à contre-pente,
avec des visées de survie et pas de moyens,
que le chant vaste, heurté, déferlant,
impose les harmonies en rupture de ban
de ceux qui s’éloignent, de ceux qui s’enfuient,
traversent à l’arraché, transgressent à sec.
L’humble odyssée des corps en cavale
fait l’histoire physique, l’élan brutal,
comme dans la légende albanaise
où pour contrer un reniement,
prendre le déshonneur de vitesse,
un mort s’est mis à cheval.
ÇA CAVALE (I)
extrait 22
Secret laissé à l’abandon, si peu audible
dans l’éclatement du verbe,
si peu présent dans le crassier des jours.
La traque du sens se mène à l’écart,
sur les débris des tables du poème,
sur les digues englouties,
sur les remblais balancés
au grand midi des catacombes.
Il est impérieux de rire de nos doutes,
de notre volonté, de nos impératifs,
impérieux de se donner de l’ainsi de suite
et de suivre aussi bien à la trace
les chacals que les saints.
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ÇA CAVALE (I)
extrait 21
Je ne suis qu’une braise de no man’s land,,
pas même un flambeau, pas même un tison,
juste le descendant d’une dague sanglante
et d’un puits très profond,
d’une histoire éboulée, peut-être démente,
et d’un évanouissement.
Il y a cette respiration par fort silence,
cette intensité sublime hors des sanctuaires.
Ma ferveur est pareille aux courses des gazelles.
je n’ai que peu de nostalgie
mais un écran de fureur dans le cœur.
Je tends les bras bien au-delà de son ombre.
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ÇA CAVALE (I)
extrait 20
Mon corps ne connaît pas de limite,
il n’est pas ce lieu capital,
à la fois âme et donjon, palais et tyran,
où tout serait édicté et visible.
Mon corps est dans la résonnance des pierres,
dans l’éclat du gel,
dans l’aube flouée près de Sirius,
dans l’éclipse de la treizième lune.
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ÇA CAVALE (I)
extrait 19
Il n’y a d’autres destinations qu’une guerre sous les étoiles.
Vivant de toute vie aiguisée,
je fraternise avec ce qui n’a plus nom d’homme
ni apparence d’être ni profil d’humanité,
avec une coupe brisée, émiettée,
avec un buisson d’épines sèches,
avec une longe rompue ou des étriers rongés de rouille ;
rien que des objets pauvres, usés d’avoir été utiles,
rien que des signes déjà restitués à l’errance,
déjà rendus aux métamorphoses, aux détours, aux retours.
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ÇA CAVALE (I)
extrait 18
Cramponnez-vous mes jolis !
Cramponnez-vous aux gouttières du ciel,
prenez appui au creux des gouffres !
La technique du vol à l’envers
va vous remonter les bretelles
et la glotte entre les dents.
Je viens comme un revenant, version motorisée,
qui veut dilapider par avance
tous vos contrats d’épargne-avenir.
Je viens comme un revenant, version précipitée.
Sans suaire, sans frac ni bésigles,
je suis l’alchimiste qui met
une poignée d’or dedans la fosse
et retrouve dans le creuset
une poussière d’os.
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ÇA CAVALE (I)
extrait 17
Dans ce toboggan qui triomphe,
qui esquive,
plus question de terre ferme, de mer plate,
de piste damée,
plus question d’échos programmés, de prêts bonifiés,
des poires pour la soif,
de pitres du grand soir,
vous êtes dans la fraîche jusqu’au cou,
coulez à pic, payez cash,
vous allez perdre à force de gagner.
Embarqués, contraints consentants,
balancés, empaquetés, anesthésiés, abasourdis,
vous avez un ticket gratuit
pour la vielle chaloupe du chaos.
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