Citations de Andrée Chedid (1011)
L'AUTRE
Je recherche l'Autre
À force de m'écrire
Je me découvre un peu
J'aperçois au loin
La femme que j'ai été
Je discerne ses gestes
Je glisse sur ses défauts
Je pénètre à l'intérieur
D'une conscience évanouie
J'explore son regard
Comme ses nuits
Je dépiste et dénude un ciel
Sans réponse et sans voix
Je parcours d'autres domaines
J'invente mon langage
Et m'évade en Poésie
Retombée sur ma Terre
J'y répète à voix basse
Inventions et souvenirs
À force de m'écrire
Je me découvre un peu
Et je retrouve l'Autre.
(extrait de "L'Autre") p.53
Pour mieux tenir debout
L'homme inventa la fable
Se vêtit de légendes
Peupla le ciel d'idoles
Multiplia ses panthéons
Cumula ses utopies
AU FOND DU VISAGE
Ce n'est pas en une fois
Que je saurai ton visage
Ce n'est pas en sept fois
Ni en cent ni en mille
Ce ne sont pas tes erreurs
Ce ne sont pas tes triomphes
Ce ne sont pas tes années
Tes entailles ou ta joie
Ni en ce corps à corps
Que je saurai ton corps
Ce ne sont pas nos rencontres
Même pas nos désaveux
Qui élucident ton être
Plus vaste que ses miroirs
C'est tout cela ensemble
C'est tout cela mêlé
C'est tout ce qui m'échappe
C'est tout ce qui te fuit
Tout ce qui te délivre
Du poids des origines
Des mailles de toute naissance
Et des cloisons du temps
C'est encore cette lueur :
Ta liberté enfouie
Brûlant ses limites
Pour s'évaser devant.
J'ai traversé des seuils rencontré le partage
J'imaginais des sons des saveurs des reflets
J'inventais une durée par-delà tout naufrage
J'ai gravé l'avenir dans la moelle du passé
Je réduisais les murs
Transperçai les enceintes
J'ai aimanté les mots
J'ai dansé le silence
Sur les nervures du temps
J'ai comblé d'herbes
Les gouffres les brèches les failles
Enroulé de soleils la spirale des nuits
INNOMBRABLE
I
Innombrables les hommes
Immémorial le temps
Et soudain
Te voici
Présence si fugace
Visage si passager
Te voilà
Bref transfuge
Un instant
Une ellipse
Un accord transitoire
Entre le souffle et ta chair
JE NE PARLE QU'AU PRÉSENT
Avec ce qui est là
J'édifie mon langage
Et les mots me délivrent
Des souffles de l'après.
Je ne parle qu'au présent
Mais toutes les voies sont miennes,
Éventail souterrain
Dont je devine l'accès.
J'ai vécu chaque parole
Avant qu'elle ne soit dite.
J'ai traversé chaque mot
Avant d'être traversé.
Je me tiens dans l'instant
Des silences m'abritent
Cités, que multiplie
L'eau confuse du passé.
Si je ne vais pas,
Mon champ se mourra-t-il ?
Et si je vais,
Où m'arrêterais-je ?
Maison sans racines
Engluée dans tes mailles
Vissée à tes ancrages
Couvant parures et biens
Je me défais de tes cordages
Te laisse à tes façades
A tes entraves de mille riens
Pour célébrer
La Maison sans racines
Entre ses murs dévêtus.
Le buste s'arqua tandis qu'elle portait l'enfant sur ses genoux; il paraissait composé de baguettes de saule, minces et friables. La femme se fit berceau. Elle se fit champ d'herbes et terre d'argile. Ses bras coulèrent comme des rivières autour de la nuque rigide. Sa robe, entre ses cuisses séparées, devint vallée ronde pour le poids douloureux du dos meurtri, les jambes raides. sa tête s'inclina comme une immense fleur odorante, son buste fut un arbre feuillu...
Ce corps
Ce corps que tu habites
Ces jours qui t'ont bâti
Cette vie qui t'a conduit
Ces peines qui t'ont mûri
Ce passé qui t'a fait
Ou bien qui t'a défait
Ce toi qui s'enfonce
Dans la souche
Des années
Ce corps qui fut demeure
Cette vie qui fut dessein
Ces heures qui te fabriquent
Et dont tu fus le lien
Ce temps qui revendique
Et dont tu es le fruit
Ce toi qui se dissipe
En soleils
Ou en nuits.
Au cœur de l’espace
Le Chant
Au cœur du chant
Le Souffle
Au cœur du souffle
Le Silence
Au cœur du silence
L’Espoir
Au cœur de l’espoir
L’Autre
Au cœur de l’autre
L’Amour
Au cœur du cœur
Le Cœur
Paris !...Peut-on aimer une ville comme une personne ? C'est pourtant comme cela que je l'ai aimée.
( J'ai lu, 1986, p.115)
Comment peut-on se prendre au sérieux quand l'existence est si éphémère et qu'elle ne cesse de courir vers sa fin ?
_ Je te quitte,dit l'enfant retenant ses larmes.
_ Tu m'emportes,dit le vieux.
L'Infime -
Dans la fleur chétive
Dans l'insecte exigu
Dans le bref le mince
Le frêle le ténu
La vie s'exprime
En raccourcis
À travers germe et semence
Perpétuant sans rupture
La chaîne de l'existence
La vie voyage
La vie remue
À tout instant
En toutes figures
À tout venant
Et en tous lieux.
(extrait de "Émerveillements") - p.117
Il la rattrapa par le bras :- une minute encore ... Ecoute : "Lorsque Dieu créa les choses, il joignit une seconde à chacune d'elles. Je vais en Syrie, dit la Raison, je vais avec toi, dit la Rébellion. Je vais au désert, dit la Misère, je vais avec toi, dit la Santé. L'Abondance dit : je vais en Egypte, je t'accompagne, dit la Résignation."
Le buste s'arqua tandis qu'elle prenait l'enfant sur ses genoux; il paraissait composé de baguettes de saule, minces et friables. La femme se fit berceau. Elle se fit champ d'herbes et terre d'argile. Ses bras coulèrent comme des rivières autour de la nuque rigide. Sa robe, entre ses cuisses séparées, devint vallée ronde pour le poids douloureux du dos meurtri, des jambes raides. Sa tête s'inclina comme une immense fleur odorante, son buste fut un arbre feuillu : ...
L'air est libre
Les chemins sentent l'orange
Le soleil s'allonge en robes de safran
C'est la saison du rire et des herbes
Ô mon amour aux cent patiences
Ce soir tout est une première fois
Renaître
Porté par le reflux des sèves
Par ces paroles qui font l'été
Par ces soleils gorgés d'échos
Tu graviras coeurs et sentiers
Tu ne cesseras de renaître
Taillant brèches et mots
Dans la paroi des jours.
Ensemble
Je chemine vers les fonds de toi
Où le regard est en repos
Ou l'ombre se replie
Où les murs se descellent
Quand j'ai appris
Que ton geste et ton mot
N'étaient que tes saisons
J'ai pris sur moi ce pèlerinage
Pour te franchir porte à porte
O toi qui me conteras notre histoire.
Parfois l'existence ravivait
L'aiguillon du désir
Ou bien l'enfouissait
Au creux des eaux stagnantes
Parfois elle rameutait
L'essor
D'autres fois elle piétinait
L'élan
Souvent l'existence patrouillait
Sur les chemins du vide
Ou bien se rachetait
Par l'embrasement du coeur