Depuis longtemps déjà, les romans d?Anna Enquist, publiés chez Actes Sud, ont conquis de très nombreux lecteurs français. Cette oeuvre, d?une profonde cohérence, excelle dans la peinture des mille et une nuances de l?âme humaine, de ses contradictions, grandeurs et faiblesses. Ses livres célèbrent la musique, disent le deuil irréparable, reflètent l?évolution de nos sociétés vers toujours plus d?individualisme? Et sa prose, d?une élégance toute classique,
révèle la grande poétesse et pianiste qu?est également l?auteure de Contrepoint et Quatuor.
Animé par Florence Noiville, le Monde des Livres.
Samedi 26 mai, Salle Molière - 33e Comédie du Livre
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Le but de la musique est d'imiter la nature, estimait-il. Non, pas les montagnes, les ruisseaux et les arbres, mais la nature humaine. La vie émotionnelle. Les états d'âme.
La timidité est un phénomène bizarre.Les timides se sentent toujours observés,comme s'ils étaient le centre du monde.p.198
Je comprends votre point de vue, lui dit-il. On est forcément amoureux du passé quand on joue comme vous dans un ensemble de musique baroque. Mais pour moi, c'est différent : je ne peux pas faire abstraction du présent. Aujourd'hui, les clients veulent des cordes en acier, des instruments gonflés jusqu'à l'absurde pour affronter des salles de deux mille places...(...)
Moi, je suis déjà content qu'il y ait encore des gens pour jouer de la musique, même si c'est d'une autre façon qu'avant. (p. 15)
Caroline, bouleversée, se demande ce qu’elle est venue fabriquer ici. Feindre l’insouciance dans un pays qui lui est totalement incompréhensible. Le masque est tombé. Elle n’est qu’une désespérée qui a fui à l’autre bout du monde pour ne pas voir l’effondrement de sa vie. Pitoyable – s’abandonner ainsi dans les bras de Max, qu’est-ce qu’elle imaginait donc ? Elle devrait mourir de honte, parce que là, ça dépasse le ridicule. Cet homme l’a jetée, évidemment, elle le mérite bien. Il faut gratter le vernis jusqu’à faire apparaître la plate réalité : elle, touchant le fondant dans un environnement où elle n’a rien à faire, laissée à la bienveillance de gens qui ne savent rien d’elle.
Est-ce donc ça, la solitude ?
Mais on peut aussi voir les choses autrement : cette lettre, le procès en lui-même, tout cela signifie que leurs malheurs ont été pris au sérieux. Châtiment, expiation, revanche. (p. 208)
- Celui qui ose rivaliser avec son père d'une manière saine et peut s'allier sa mère, celui-là a déjà une base solide de respect de soi, ce n'est plus un puits sans fond.
Partir vers la maison, vers Jochem, vers la table de la salle à manger, vers le cours de violoncelle. Si elle suit bien ce parcours fléché, le jour s'en ira de lui-même. (p. 20)
Le patient n'est pas le seul à être nerveux lors d'un premier rendez-vous. C'est aussi un moment crucial pour le thérapeuthe. Il doit faire toute une série de choses à la fois. Observer, écouter, établir le contact, prendre des décisions, en informer le patient, évaluer, mémoriser...(p.12)
Maintenant, se dit Heleen, il faut garder cette concentration. Continuer à surveiller le doigté des autres pour rester en phase, même si ce n'est pas la peine car à présent, ils sentent le rythme, ils vibrent tous les quatre aux mêmes pulsations. Comment ça se fait, quelqu'un a imaginé cette musique il y a combien de temps, au XVIIIe, et plus de deux cents ans après, ces mêmes notes déclenchent en nous quelque chose qu'on ne peut pas expliquer ? (p. 186)
(...) le violoncelle n'appartient plus à Reinier, mais à elle, l'héritière. (...)
Jochem ne voudra pas le vendre, il va insister pour que j'en prenne soin, que je me remette à jouer, que je fasse comme si rien n'était arrivé. (...) Il va m'enrôler dans l'armée du quotidien, faire de moi un bon petit soldat qui marche sans protester, comme si ça servait à quelque chose d'avancer, comme s'il y avait un objectif à l'horizon. (p. 53)