On courait ensemble, mais chacune pour soi. Moi, c'était la honte qui me faisait courir, la honte d'être vue avec la fille la plus ringarde de la classe. Et Karin, c'étaient les regards et les mots qui, chaque jour, faisaient d'elle Karin aux gros nichons, Karin la moche.
Il est possible que ce qui m'a incitée à écrire, ma motivation profonde, soit de comprendre l'origine de mes blessures et les circonstances dans lesquelles elles m'ont été infligées. Il est possible, tout compte fait, que ce soit de moi que je parle. Il est possible que ce soit toujours de nous que nous parlions, même lorsque nous pensons parler des autres.
Si je ne racontais par leur histoire, qui le ferait ? Et si ce n'était pas maintenant, alors ce serait quand ? (p. 9)
-J'ai été si fâchée contre toi, poursuit Nelli. Je trouvais que tu voulais m'empêcher de m'adapter à ce pays. Que tu ne faisais que me corriger et me donner mauvaise conscience.
-Moi aussi j'avais mauvaise conscience parce que je n'arrivais pas à m'occuper de toi. J'avais l'impression de trahir nos parents.
En silence, elles regardent la mer infinie qui s'étend devant elles. Steffi prend la main de Nelli.
-A présent, il va falloir que nous nous occupions l'une de l'autre, dit Nelli.
-Oui, tu as raison. Il va falloir que nous nous occupions l'une de l'autre, répond Steffi.
Steffi observe les visages rayonnants de bonheur autour d'elle. Ceux des réfugiés norvégiens, danois et tchèques heureux de pouvoir enfin rentrer chez eux. Ceux des suédois heureux pour eux.
Quant à elle, elle ne peut plus rentrer, elle n'a plus d'endroit qu'elle puisse appeler "chez elle".
Pourtant, comme elle a attendu ce jour ! Depuis tant d'années. Quand la guerre sera finie, disait-elle. Quand la guerre sera finie...
Et maintenant qu'elle est finie, que va t'il se passer ? Où va t'elle aller ?
Quelle était la situation de ceux qui se trouvaient de l'autre côté du rempart, ceux qui étaient sans armes et sans pouvoir ? De tous ces gens qui avaient les mains en sang à force de vouloir franchir la frontière ? Mon interrogation vaut aussi bien pour cette période là que pour celle que nous connaissons aujourd'hui. (p. 120)
- Sven, dit-elle subitement, à ton avis, j'ai tort d'accepter une vie aussi confortable alors que mes parents sont privés de tout ?
- Non, il ne faut pas que tu penses comme ça. Si tu es ici, c'est justement parce qu'ils l'ont souhaité. S'ils savaient que tu étais si bien en ce moment, ils seraient heureux pour toi. Il ne faut pas que tu aies mauvaise conscience pour une situation dont tu n'es pas responsable. Tu comprends ?
Ne te pose pas trop de questions. La situation est ce qu'elle est et il faut faire avec. P231
Cet automne, elle ira aux cours de cuisine deux fois par semaine. "C'est important de savoir tenir une maison", dit tante Maria. Alors qu'il y a tant de choses intéressantes à apprendre! P225
Elle doit donc être reconnaissante envers Mme Söderberg, envers ceux qui lui ont accordé la bourse de "jeunes filles méritantes dans le besoin" et envers le comité d'accueil qui lui a permis de venir en Suède. Elle se le fait d'ailleurs rappeler sans cesse.
Tante Marta et Oncle Evert, eux, ne s'attendent pas à des remerciements et c'est justement pour ça qu'elle leur est réellement reconnaissante.
On nous a envoyées ici comme deux colis, avec des étiquettes autour du cou. p218