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Citations de Anthony Passeron (182)


Acculée dans ses retranchements, la colère de ma grand-mère a une nouvelle fois pris le dessus. Les accusations formulées par cette dame l’avaient ramenée trente ans plus tôt, elle était redevenue la jeune immigrée qu’on regardait mal, celle qui devait baisser les yeux devant les notables, celle qui avait honte. A chaque fois qu’elle éprouvait la moindre sensation lui rappelant sa jeunesse, Louise basculait. Ses hurlements se sont fait entendre bien au-delà du magasin. Son aîné ne se droguait pas, d’ailleurs il ne s’était jamais drogué. Et si le fils de cette dame était un voyou, un mal élevé, ça ne voulait pas que Désiré en était un, loin de là.
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Le 27 juillet 1982, à Washington, l’acronyme AIDS (Acquired Immunodeficiency Syndrome), traduit en français par SIDA (syndrome d’immunodéficience acquise),est adopté pour nommer la maladie. Le nom a changé, mais les stigmates associés à l’ancien « syndrome gay » ne disparaissent pas pour autant.
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Cette fois, Désiré était hospitalisé dans une aile pluridisciplinaire spécialement dédiée aux patients atteints du sida. Les brimades qu’il avait connues dans d’autres services se faisaient plus rares. Cependant, des distinctions entre les malades pouvaient être opérées par certains. Quand ils ruinaient leurs efforts pour les remettre sur pied, les toxicomanes suscitaient moins de compassion. Les femmes séropositives, qui avaient réalisé leur désir de grossesse malgré les risques connus, laissaient aussi une grande partie du personnel perplexe. Au sein même de services consacrés aux malades qui en étaient atteints, le sida demeurait une maladie tout à fait singulière. Emprisonnée dans la vision morale qu’on avait d’elle, cernée par les notions de bien et de mal, accolée à l’idée de péché. Le péché intime d’avoir voulu vivre une sexualité libre, eu des relations homosexuelles, de s’être injecté de l’héroïne en intraveineuse, d’avoir caché sa séropositivité à ses partenaires, à ses camarades de seringue, d’avoir voulu satisfaire son désir d’enfant quand on se savait pourtant condamnée. Des malades étaient plus coupables que d’autres.
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Les membres de ce qu’on désigne comme le GFTS – le Groupe français de travail sur le sida – sont tous jeunes, les plus âgés sont à peine quadragénaires. Deux d’entre eux seulement sont déjà professeurs, certains n’ont pas tout à fait terminé leurs études. Parmi eux, aucun poids lourd du monde médical et scientifique. Les spécialistes et médecins renommés de l’époque ne portent pas d’intérêt à cette maladie qui touche peu de personnes, celles-ci appartenant en outre à des catégories de population considérées comme marginales. Ces deux points, l’absence de ténors du monde médical ainsi que l’homosexualité de la plupart des malades, condamnent le GFTS à développer ses travaux dans l’indifférence
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Un soir, alors qu'elle veille un patient en soins palliatifs, Françoise Barré-Sinoussi perçoit le faible son d'une voix qui passe au travers d'un masque et tente de percer le vacarme de la machine respiratoire :"Merci." La jeune femme est déconcertée :"Mais pourquoi ? On n'a pas réussi à vous sauver." Les yeux mi-clos, entre deux mondes, le moribond trouve encore la force de répondre :"Pas pour moi. Pour les autres."
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Un minuscule cercueil blanc. Une taille de cercueil qui ne devrait pas exister. Même au Christ qu'on met en terre au pied de sa croix, sur la sculpture de bois à gauche en entrant dans l'église du village, on lui a laissé le temps de grandir.
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Un soir, alors qu’elle veille un patient en soins palliatifs, Françoise Barré-Sinoussi perçoit le faible son d’une voix qui passe au travers d’un masque et tente de percer le vacarme de la machine respiratoire : « Merci. » La jeune femme est déconcertée : « Mais pourquoi ? On n’a pas réussi à vous sauver. » Les yeux mi-clos, entre deux mondes, le moribond trouve encore la force de répondre : « Pas pour moi. Pour les autres. »
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La direction de Claude Bernard, gêné par l'apparition d'une population homosexuelle que l'infectiologue attire dans ses consultations, lui signifie que, s'il choisit de continuer à travailler sur ce syndrome, il devra trouver un autre hôpital où exercer.
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Rarement des scientifiques ont côtoyé la mort d’aussi près et se sont confrontés si violemment à leurs propres échecs. C’était d’ordinaire le lot des médecins. L’épidémie de sida bouleverse tout, notamment la relation du chercheur au malade. Elle rend la communication entre eux indispensable, fait tomber des cloisons qui les ont longtemps tenus à distance. Soudain, les échecs de la recherche ne se traduisent plus uniquement par des chiffres inscrits dans des comptes rendus, sur des écrans d’ordinateur, mais aussi sur des visages désespérés.
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Pendant les derniers temps de sa convalescence, Désiré a partagé sa chambre avec un garçon qui ne recevait presque aucune visite. Hormis celles d’un autre homme qui restait des heures à lui tenir la main et à l’embrasser. C’était la première fois que Louise assistait à ce genre de scène. D’abord un peu gênée, elle avait fini par en sourire, après les clins d’œil complices que lui adressait Désiré, et se sentir émue par ce qu’elle découvrait être de l’amour. Un amour aussi sincère que celui qu’elle venait témoigner à son fils.
La seule image qu’elle avait de l’homosexualité remontait à son enfance dans le Piémont italien. Des souvenirs de cris, de coups et de crachats. On avait tabassé sous ses yeux deux hommes qui avaient été surpris ensemble dans une grange. Des gars du village les avaient traînés jusqu’à la place avec fierté, en hurlant pour rameuter tout le monde. Attirée par cette agitation inhabituelle, Louise s’était précipitée dehors avec ses frères et sœurs. Quand la violence s’était abattue sur leurs proies, la petite fille s’était réfugiée, terrorisée, sous les jupes de sa mère. C’était l’un de ses derniers souvenirs d’avant la guerre.
Une fois seule dans le couloir de l’hôpital avec Désiré, ma grand-mère s’interrogeait : « Mais quand même, à part son ami, y aura personne pour venir le voir, ce pauvre jeune ? »
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Je ne me rappelle presque rien. J’aimerais avoir oublié le peu dont je me souvienne. Un minuscule cercueil blanc, plombé comme ceux de son père et de sa mère. Une taille de cercueil qui ne devrait pas exister. Même au Christ qu’on met en terre au pied de sa croix, sur la sculpture de bois à gauche en entrant dans l’église du village, on lui a laissé le temps de grandir. Je ne me souviens que de ça, du froid sec d’un après-midi de novembre et d’une foule silencieuse qui regarde ailleurs en entendant les hurlements de ma grand-mère. On la soutient en tête de cortège, un peu comme un soldat blessé qu’on ramène du front. Un jour de défaite. Au village, aucun enterrement ne se déroulait dans l’indifférence. Celui d’Émilie rassemblait une communauté tout entière. Les commerçants avaient baissé leur rideau, des enfants avaient manqué l’école, des artisans avaient abandonné leurs chantiers et des employés avaient pris leur après-midi pour être sur la place. Malgré le froid, il fut impossible de fermer les portes de l’église ce jour-là. En plus de la famille, des proches, des voisins, des habitants du village, beaucoup de gens étaient montés de Nice. Des médecins, des soignants, des responsables d’associations d’aide aux enfants séropositifs, des gens qu’on connaissait peu mais qui connaissaient bien Émilie.
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« Des allers-retours entre le village et la ville, entre sa chambre d’hôpital et son appartement, entre la drogue et le sevrage, entre une lente agonie et de brefs moments d’apaisement. Entre la vérité et le déni aussi. Des médecins qui constatent la dégradation progressive de leur patient. Une mère qui affirme que son fils ne souffre pas d’une maladie d’homosexuels et de drogués. Un fils qui dit qu’il ne se drogue plus. A chacun son domaine : aux médecins la science, à ma famille le mensonge.«
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Nos familles, elles ont morflé, c’est sûr. Tes grands-parents, c’était comme mes parents. Ils s’étaient cassé le dos toute leur vie pour que leurs gosses manquent de rien, et d’un coup, ils étaient dépassés. Ils ont pris tout ça dans la gueule. Sûr que ça a pas dû être facile pour eux, comme pour ton père. Il a fallu s’occuper de Désiré, de Brigitte, et puis de la petite, la pauvre, elle non plus elle avait rien demandé.
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En quelques heures, l’hôpital américain et sa maternité se vident entièrement dans un élan de psychose. La direction de cet établissement réputé invite le malade à quitter les lieux dans les plus brefs délais. Face à la tornade médiatique qui s’abat sur lui, Rock Hudson décide de rentrer aux États-Unis. Aucune compagnie aérienne n’accepte de le prendre à bord d’un de ses avions. L’acteur doit affréter un 747 pour lui seul afin de regagner la Californie. Dès son arrivée, les médias américains se mettent à relayer en boucle la nouvelle de sa maladie. Les commentateurs se demandent notamment s’il n’a pas contaminé d’autres stars de l’époque lors de baisers de cinéma.
Rock Hudson est l’un des premiers artistes populaires à avoir rendu publique sa maladie. Aux yeux du monde, le sida trouve enfin un visage, celui d’une star déchue.
L’acteur décédera quelques semaines plus tard dans sa villa de Beverly Hills.
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C’est dans cette aile du service de pneumologie dédiée aux premiers malades du sida que Louise a enfin pris conscience du mal qui rongeait son fils. Le docteur Dellamonica l’avait prévenue. Après la tuberculose, d’autres affections risquaient de le frapper, dans les semaines ou les mois à venir. Au milieu de ses compagnons d’infortune, pour la plupart homosexuels ou drogués, elle ne pouvait plus nier l’évidence. Le virus la ramenait à tout ce dont elle avait tâché de s’extraire. Il était parvenu à contrarier la trajectoire qu’elle s’était efforcée de suivre depuis l’Italie. Un micro-organisme, surgi d’on ne sait où, réussissait à enrayer une longue histoire d’ascension sociale, une lutte pour devenir quelqu’un de respecté. Il suscitait des sentiments de honte, d’exclusion et d’humiliation qu’elle s’était juré, il y a longtemps, de ne plus jamais revivre.
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Brigitte tâchait de s’occuper d’Émilie, c’est donc Louise qui se rendait au chevet de son fils. Elle reconnaissait sa chambre dans le dédale de l’hôpital grâce à une pastille rouge collée sur sa porte. Ce qu’elle avait pris d’abord pour une considération particulière n’était que le début d’une salve d’humiliations qui ne cesseraient plus. Elle arrivait souvent en début d’après-midi et trouvait le plateau-repas de son fils abandonné devant la porte. Il était toujours le dernier à recevoir des soins, quand on n’oubliait tout simplement pas de s’occuper de lui. Un jour, elle a retrouvé Désiré couvert de sang séché. Aucun aide-soignant n’était venu le nettoyer à la suite d’une hémorragie. Ma grand-mère s’apprêtait à hurler, lorsque mon oncle l’en a empêchée. « Arrête, maman, ça va. On va se débrouiller. » Louise commençait à comprendre. Elle a nettoyé le sang de son fils elle-même. Ce sang qui collait une frousse terrible à tout le personnel de l’hôpital, ce sang qu’elle lui avait pourtant légué et qui n’en finissait plus de le tuer.
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J’ai souvent essayé d’imaginer la confusion des sentiments que l’arrivée d’Émilie a dû susciter au sein de la famille, le mélange d’une joie sincère et d’une inquiétude immense. Serait-elle porteuse du virus de ses parents ? La maladie allait-elle la toucher ? Que pouvaient-ils bien en savoir, alors que les médecins eux-mêmes étaient incapables de répondre de manière certaine à ces questions ?
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Entre le 10 octobre et le 12 décembre 1984, à l’hôpital de Garches, le procédé de dépistage de Jacques Leibowitch et Dominique Mathez progresse. Dans leurs premiers essais qui portent sur 10 000 prélèvements sanguins, on n’en compte qu’un ou deux déclarés à tort comme positifs. Les deux médecins expérimentent leur outil en analysant des échantillons qui proviennent des poches de sang d’Île-de-France. Ils cherchent à estimer la proportion de lots contaminés dans les banques de sang de cette région. Les résultats qu’ils obtiennent sont effrayants. Sur 2 000 poches de sang, ils constatent la présence de 20 unités contaminées. Les travaux des pasteuriens montrent, au même moment, que les receveurs de sang de donneurs contaminés deviennent positifs à leur tour. Les hémophiles, qui reçoivent régulièrement des produits sanguins concentrés provenant d’une multitude de donneurs, sont tout particulièrement exposés. Leibowitch cherche à alerter les autorités, sans beaucoup de succès, cette forte tête ayant tendance à irriter ses interlocuteurs.
Dans le même temps, à Pasteur, une technique de chauffage des produits sanguins est élaborée, qui permet de neutraliser le virus dans les poches de sang sans en altérer la qualité. Pourtant, tout comme leur fougueux collègue de l’hôpital de Garches, les chercheurs de l’Institut ne trouvent personne au ministère pour prendre leurs avertissements au sérieux.
Il semble qu’on parie sur l’hypothèse selon laquelle tous les séropositifs ne développeront pas la maladie. Un pari morbide. Par négligence, par souci d’économie, ce pari causera la contamination de milliers de personnes.
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Leur existence s’était redéfinie, réévaluée à la lumière d’une valeur unique. Cent balles. C’était plus ou moins le prix d’une dose de mauvaise came à Nice, un billet dans la caisse de la boucherie, un bobard raconté à un ami, deux autoradios volés, quelques vinyles de la collection de Désiré… L’appartement de mon oncle s’était agrandi du vide que la drogue faisait autour de lui. Les disques, les meubles, les vêtements, la décoration… tout ce qui pouvait l’être avait été vendu.
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La souffrance avait pris le pas sur le plaisir depuis un bon moment déjà. Après plusieurs semaines de défonce, peu après leur rencontre, le couple s’était calmé quelques jours. Et puis ils s’étaient réveillés un matin, fatigués, fiévreux et courbaturés. Ils n’étaient pas malades à proprement parler. L’héroïne les appelait. C’était la première fois qu’ils s’étaient sentis à sa merci. Cette sensation ne les avait plus jamais lâchés. Ils avaient entamé une chute sans fin. Incapables aujourd’hui d’aller travailler, ils se retrouvaient privés de salaires. Il n’était plus question de plaisir, de transe, ni de cette sorte d’expérience transcendantale que Désiré avait découverte, un soir de fête, à Amsterdam. L’emprise semblait ne jamais pouvoir se desserrer. Désiré et Brigitte ne s’alimentaient même plus. Leurs doigts ne ressentaient plus aucun frisson au toucher de leurs peaux. L’héroïne leur avait tout volé, l’appétit, le sommeil, les étreintes. Elle les avait renvoyés chacun vers un plaisir intérieur, inaccessible. La vie n’était plus qu’une course vaine, perpétuelle, contre les effets du manque, une course perdue d’avance.
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