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Citations de Antoine Sénanque (249)


- Un jour, ce monde sera petit, Guillaume. Ce seront les petits, les vrais maîtres du monde, les pauvres, les médiocres, les laides, les idiots qui formeront des armées.
Regarde-nous, solitaires et défendus l'un comme l'autre. Regarde-les, en clans soudés, unis pas des liens de survie.
Ils crient plus fort ensemble et leurs mâchoires rapportées à leur envergure infligent les morsures les plus profondes. Ils n'obtiendront pas de grand triomphe, mais mille petites victoires; sans honneur, qui finiront par imposer leur loi.
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-Quel est le but d'une existence terrestre, Guillaume ? me demanda-t-il.
-Le bonheur.
-Bien sûr, mais quel bonheur? La santé, la bonne humeur, la paix intérieure, le confort pour toi et pour les tiens?
-Je ne vois rien de plus désirable.
-Non? Alors pourquoi ceux qui les obtiennent désirent-ils encore? Si l'assouvissement du désir n'exigeait rien au-delà de ses limites, à quoi servirait cette force en nous qui ne s'apaise jamais? Non, Guillaume, notre désir est fait pour Dieu, puisqu'il est infini.

( celui qui interroge est Maître Eckhart )
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- Et qu'espériez-vous ? Une meilleure santé ? Un meilleur sort ? Une résurrection? Qu'est-ce qui différencie la Vierge du génie de la lampe qu'on frotte et qui nous exauce pour nous remercier ?
- A part son impuissance, rien.
- Si. Sa compassion. Si la Vierge partage mes douleurs, si Dieu compatit, cela me suffit. Je n'ai pas besoin qu'il me rende service.
- Vous lui demanderez de verser une larme sur vous ?
- Sur nous. Je ne veux pas vous inquiéter mais le monde spirituel vous a envoyé un message, pas un cadeau. Bernadette s'appelait soeur Marie Bernard au couvent de Saint-Gildard à Nevers où elle a fini ses jours avec la tuberculose, dans de grandes soufirances. La Vierge l'a laissée. La Vierge nous laisse. C'est un autre mystère, cet abandon de ceux qui ont été choisis. Pas de voyant heureux. La Vierge a été claire avec Bernadette: « Je ne vous promets pas le bonheur dans ce monde, mais dans l'autre. »
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- Pourquoi moi ?
- Pourquoi vous ? Pourquoi les petits bergers sont-ils choisis ? Ceux qui ne demandent rien au monde ? Je sais que vous avez souffert et prié peut-être. Vous croyez avoir été écouté ? Au bout de votre grande douleur d'homme veuf et seul ? Je vous le confie amicalement et sans vouloir vous blesser, mais vos drames occupent une moyenne finalement très acceptable sur l'échelle des tragédies humaines. Je dirais même que votre élection sur des critères purement doloristes, serait le signe d'un manque d'équité flagrante. Rendez-vous à ce pèlerinage où vous trouverez peut-être un certain repos. Vous serez d'ailleurs le seul pèlerin qui marchera vers Lourdes avec le grand désir de n'y rien voir.
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C'est difficile d'aimer son frère. On y parvient. C'est un sentiment obligatoire que la vie finit par obtenir avec le temps, même auprès des couples les plus récalcitrants. Quand l'enfance n'a pas créé de lien, l'âge réussit parfois. L'amour arrive peu à peu à se sculpter dans le rien, en pierre d'absence, à force de retrouvailles aux sinistres cérémonies familiales, aux drames qui réunissent au café d'un hôpital ou d'un cimetière. Ça se passe difficilement, avec des mots quil faut remonter à la main, autour d'une boisson qu'on a commandée pour êre là, sans envie, sans soif. On a dans nos têtes les spectres perdus de notre enfance qui cherchent des corps à hanter, hésitant au bord des silhouettes qui leur ressemblent. On finit alors par aimer sans la personne, l'idée du frère, de la soeur, du familier. La fonction crée l'affection qui ne s'incarne plus.
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Quand je viens, je vérifie que ma douleur est bien là. Je m'assure de la que fraicheur de mon chagrin. C'est avec lui que je rends visite à Blanche. C'est lui que je dépose à la place réservée aux ornements, aux dons pour embellir la pierre grise du tombeau. Je vérifie, car plus tard en vieillissant, on souffre avec plus d'ambiguité et pour soi seul. On finit par trouver de l'utilité à ses souffrances. Elles habillent les vieux remords, les maquillent, les rendent méconnaissables. On prie pour en être débarrassé, mais on y tient aussi et c'est pour cela que nos prières d'adulte ne sont jamais exaucées.
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Je me souviens que l'on m'a encouragé à "faire mon deuil". Je n'ai pas compris ce qu'on entendait par là. Faire mon deuil, j'ai l'habitude, j'ai un esprit doué pour le noir. J'enterre régulièrement tout un lot de rêves déçus, d'espérances inutiles et de désirs inaccomplis. Faire du deuil, c'est à la portée de n'importe qui. Le meilleur conseil serait plutôt de le laisser faire par quelqu'un d'autre, de le sous-traiter et d'encourager celui qui pleure à faire son espérance, celle que ne partage pas tout le monde, qui demande des capacités spirituelles et mène à la certitude qu'il est possible de retrouver les morts.
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- La Trinité aurait mieux tenu sur ses bases si Marie avait remplacé le Saint-Esprit, un personnage flou qui ne nous sert à rien. La Vierge aurait apporté de la féminité dans cette triade agressivement masculine et devenue l'égale du père, elle aurait pu peser sur l'épilogue de la tragédie. Jésus n'aurait jamais demandé « Mère pourquoi m'as-tu abandonné ? ». La question ne se serait pas posée. Quelle mère aurait laissé faire ça? Marie aurait décroché son fils de la croix en un claquement de doigts et arrêté cette boucherie.
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Je note sur un carnet, à la date du 2 avril :
Question: La Vierge existe-t-elle ?
Réponse : Oui, j'en ai la preuve, la seule digne de foi, l'expérience personnelle.
Pourquoi m'informer de son existence ? Le mystère est là.
Pourquoi m'avoir choisi ? J'ai un bilan au passif lourd d'à peu près tous les péchés véniels recensés plus quelques péchés mortels qui n'ont pas fait couler de sang. Je suis aussi déméritant que n'importe lequel de nes prochains en liberté. Pourquoi ? J'ai lu que Dieu recherchait parfois la performance avec des âmes perdues, mais il me semble que je manque d'infamie pour le séduire. Sous un angle purement matériel, la Vierge pourrait aussi entretenir l'espoir de rentabiliser son apparition, pour relancer sa carrière faiblissante par une visite inattendue. Mais elle doit savoir que je suis un mauvais porte-parole, porte-murmure tout au plus.
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Antoine Sénanque
Toute sa vie, l'inquisiteur avait lutté contre le Libre Esprit, les béguines, les mystiques de tout bord. Mais il n'avait, en vérité, jamais combattu qu'un seul homme. La voix des hérésies était celle d'Eckhart, le plus grand Judas de la chrétienté qui promettait Dieu à tous. Sa folie continuait d'alimenter les pires impiétés pour lesquelles il avait fait brûler des hommes qui n'étaient pas les vrais coupables. Tous ceux qui prétendaient que l'Église était inutile, qui méprisaient le pape, les moines, les sacrements. Tous ceux qui ne comptaient que sur leurs propres forces spirituelles, qui se sentaient capables de Dieu, tous ceux-là étaient fils d'Eckhart.

L'inquisiteur avait poursuivi les insoumis qu'on accusait de posséder des écrits du maître. Il avait brûlé des centaines de pages de ses sermons mais il n'avait pas eu accès aux bibliothèques des grands du royaume, ni à celles des intel- lectuels et des universitaires qui en gardaient des copies.
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Les déviances qui séduisaient les pauvres étaient bruyantes et faciles à écraser, elles entraînaient des foules dont les cris grésillaient bien dans les flammes, mais aucun son ne s'échappait des cabinets secrets des érudits qui étudiaient sa pensée malsaine. Elle diffusait lentement par le haut. Ses racines étaient au ciel du monde, trop hautes pour être tranchées. Jamais un homme ne lui avait paru plus dangereux. Les mots... les mots d'Eckhart cachaient leur corruption. Ils n'infectaient pas l'esprit comme les remords ou les souvenirs honteux qui tournent en roues dans nos profondeurs. Leurs miasmes ne se formaient pas sur les marécages et sur les lieux de pourriture. La mort ne les accompagnait pas et ils ne terrifiaient personne. Ils ensorcelaient. Leurs vapeurs montaient subtilement pour éveiller un désir luxurieux. Leur charme était celui des ribaudes qui vous mènent sur les chemins de damnation. Les mots d'Eckhart avaient une telle beauté, pensait l'inquisiteur, leur peau une telle douceur, leur parfum vous enlaçait, irrésistible. Ils excitaient les désirs les plus enfouis, plus voluptueux que ceux du corps. Ils troublaient l'âme. Ils l'attiraient comme le chant des sirènes pour la fracasser ou l'engloutir dans les illusions de l'union divine.

Au temps de la grande pestilence, les rats annonçaient l'arrivée du mal, leurs cohortes fuyaient devant l'ennemi invisible avant d'être anéanties. Les mots promettaient une épidémie plus dévastatrice. La peste des rats tuait les créatures mais épargnait Dieu.
La peste d'Ekhart le tirait vers la terre, le coupait du ciel en le rendant a portée d'homme, autrement dit à portée d'arme. Sans la distance de majesté, le cœur de Dieu était ouvert. Il suffisait de l'ajuster.
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Guillaume retrouvait dans sa mémoire les mots du livre sacré des béguines que Mathilde citait souvent "Désencombre", disait Le Miroir¹. "Désencombre cette âme de toute opération, le parler l'endommage, la pensée l'enténèbre." Désencombre-toi, Guillaume, désenténèbre-toi...
L'horizon redevenait clair autour d'une lune à moitié pleine. Il respira l'air en fermant les yeux, rêvant aux quelques morceaux d'azur qui y flottaient encore. Le bleu ne disparaissait pas avec la nuit, il s'y diluait comme une poudre dans les flux qui nourrissaient les poumons des hommes. Un peu de ciel traversait donc son corps fatigué
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"C'est la peste qui a redressé la chrétienté. Aucun de nos châtiments, aucune de nos tortures n'auraient pu terrifier les pêcheurs à ce point. Depuis, le peuple fait pénitence."
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— On se gèle les couilles, frère Antonin.
— Ce ne sont pas des paroles de moine.
— Ce ne sont pas les paroles qui font le moine, mais la vérité… et la vérité c’est qu’on se gèle les couilles.
— Il fait effectivement très froid.
— « Effectivement très froid… » C’est sûr, on n’a pas été élevés dans les mêmes étables, frère Antonin. Maudit froid d’Anglais.
— Je dirais plutôt « froid de Franciscain ».
— Ces merdeux.
— Arrête, Robert.
— Heureusement, Dieu les protège pas plus que nous et donne bonne récompense à leurs leçons de misère. Hiver maudit mais juste, on dit qu’ils crèvent comme des sauterelles, sous la bénédiction de leur chère mère nature, cette cargne…
— Dépêche-toi, on est en retard.
— On serait pas en retard si t’avais pas traîné une heure aux latrines.
— Mes intestins.
— C’est vrai que la bouffe est dégueulasse.
— C’est toi qui la prépares…
— Je peux pas faire de miracles avec ce qu’on me donne. Je suis pas Jésus, Antonin, je peux pas changer le purin en liqueur de rose.
— Écoute… On nous appelle.
— Putain, le sacristain !

(Incipit)
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Dans la mémoire du prieur Guillaume, les souvenirs formaient des croix, plantées sur les dépouilles des actes qu’il avait laissés s’accomplir. Le temps les avait brûlées, mais les croix marquaient leur place. Toutes les mémoires étaient recouvertes de croix de cendre, de grands cimetières d’actes dont l’oubli avait emporté les ombres. Chacun pouvait prétendre renier leur existence. Mais les croix demeuraient, elles prouvaient qu’on ne décidait pas du destin de nos actes et qu’aucune trace ne s’effaçait jamais de la surface de la terre.
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Dieu ne vient que s'il trouve un lieu sans désir.
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Je prie pour que Dieu ne me donne rien. C'est cela qu'il faut attendre , Guillaume . Si Dieu donne du néant, il donne le juste prix de la prière.
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La vie est sèche, Antonin, c’est pour ça qu’il faut pleurer dessus. Pour qu’on puisse y faire pousser quelque chose.
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Les hommes ressemblaient aux loups que la pestilence avait rendu plus nombreux et plus redoutables. La famine et le froid avaient ramassé la faux que la maladie avait abandonnée et tuaient maintenant autant qu'elle.
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Il était écrit qu’aucun juif ni aucun Turc ne connaîtrait la fin du monde en Europe, tant on les massacrait pour les priver d’apocalypse.
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