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Citations de Arno Geiger (91)


Enfin nous fûmes dehors. Un vent d’est glacé me soufflait du grésil au visage. Le Brésilien me remercia une fois encore et me dit de ne pas m’inquiéter pour lui : il disposait d’une autre cachette et ses réserves de fruits et légumes secs lui permettraient de tenir six mois. (…)

Il me souffla : « Nous nous reverrons un jour ou l’autre, menino. » / « J’aimerais bien, mais cela me paraît très improbable », lui ai-je répondu. / Il chasse un chat de sa gorge. Le bruit mourut doucement dans la pluie mêlée de neige. J’ai tendu l’oreille, et le Brésilien lui-même a guetté les bruits du dehors. Le silence a repris ses droits et le Brésilien m’a dit : « Notre cœur ne s’apaise qu’à l’instant où nous sommes devenus ce que nous devons être. "
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Mon oncle se rappela que le temps lui était compté. Plus les heures sont chères, plus l’époque est de fer. Il me dit qu’il comptait faire à présent une ronde. A rester dans l’air confiné du poste de police, il allait définitivement se ruiner les poumons. / Nous nous sommes levés au même instant et nous sommes sortis. Quand l’oncle a libéré le chien de sa cage, je lui ai dit : « Tout cela est tellement … « / « Déprimant ? » m’a-t-il demandé ? / « Voilà » / « Je ressens la même chose, mon garçon. Une horreur !
Nous vivons une foutue époque.
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Judith elle aussi m'avait demandé pourquoi je pratiquais le karaté. J'avais d'abord hésité. Puis je lui avais répondu que j'avais cédé au tout début à un fantasme de contrôle absolu de moi-même. Je voulais être adulte le plus vite possible et partais du principe que le karaté me serait de quelque secours. Et il y avait la sagesse, aussi, bien sûr...Je voulais acquérir de la sagesse. Certains gravissent des montagnes, moi je fais du karaté. (p. 57)
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Un jour, je devais avoir quinze ou seize ans, mon entraîneur de l'époque, le Sensei, m'a expliqué que le but du karaté n'était pas la maîtrise de soi, mais la perte de l'esprit. Un abandon vécu sur le mode d'une libération. L'esprit doit enfin se mouvoir librement, c'est-à-dire de telle sorte que nous ne l'employions plus. Au fond, on retourne là à l'un des grands clichés à propos de l'enfance: au naturel parfait.
(p. 60)
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Aujourd’hui, alors que je m’apprêtais à rentrer à la caserne, un soldat est venu à moi. Il avait fait le voyage de Mondsee pour me remettre toutes les lettres que j’ai envoyées à Nanni. Il s’est montré très pessimiste. Quand je lui ai raconté que papa m’avait conseillé de toujours emporter dans mon paquetage mes effets civils, et de me défaire au plus vite de mon uniforme si ça devait virer à l’aigre, il a pris fait et cause pour papa. Mais s’ils savaient où ils peuvent se les carrer, leurs conseils… 
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 Si je m’efforçais d’être honnête, mon oncle avait raison : c’était aussi ma guerre, j’avais eu ma part dans ce conflit meurtrier, et quoi que je puisse dire ou faire, il porterait aussi à tout jamais ma marque, j’y avais laissé indissolublement quelque chose de moi, de même que la guerre avait laissé en moi son empreinte ; on ne pouvait plus rien y changer. 
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Si l’homme avait accroché mon regard, c’était à cause du foulard qu’il arborait à son cou : un mélange d’orange et de bleu clair que rehaussait une pointe de vert ; autant de couleurs éclatantes qui tranchaient sur le gris sale du paysage. Quand l’homme s’aperçut que je l’observais, il m’adressa lui aussi un regard, bref, pénétrant et plein de reproche, tout en redressant la tête dans une posture de défi, comme si sa nuque où s’enroulait l’éclatant foulard s’était figée. 
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 Le Brésilien nous dit que dans ce siècle de brigands et de soudards, il avait encore l’impression d’être dans les fers. Il n’y avait plus dans le pays un seul homme pleinement libre, l’Autriche tout entière n’était plus qu’une galère échouée, remplie d’esclaves. Il allait d’abord lui falloir se défaire de ses liens, tâche qu’il ne serait pas le seul à devoir accomplir. 
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L’image que me renvoient les vitrines des boutiques est à vous glacer les sangs, je suis devenu si frêle, quelques mèches grises parsèment ma chevelure, je suis un homme au visage d’une pâleur de cendre, vêtu d’un costume avachi qui montre la trame, un passant qui marche du côté sombre des rues. Mes os font saillie de toutes parts, je souffre presque quotidiennement de crampes d’estomac, je ne suis plus bon à rien, au physique je me rapproche à grands pas de l’âge vénérable qu’indique mon passeport. Un fugitif, un apatride, un être sans appartenance ni attache qui vit sous un nom d’emprunt, muni de faux papiers, avec le mauvais sang, à la mauvaise époque, dans la mauvaise vie, au sein du mauvais univers. 
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Elle a tenu à ce que je lui parle de la guerre. Je lui ai dit que tout n’avait été pour moi qu’une absurde et épouvantable routine. Et pourtant, en première ligne, très peu de choses m’avaient été épargnées. J’entendais par là qu’il m’avait été donné de voir ce que personne ne veut voir. Quand un village se mettait en travers de notre chemin, nous le rasions sans plus de façons, exterminant enfants, adultes et vieillards. Parmi les gravats et les cadavres ne subsistaient plus alors qu’une poignée de poules ébouriffées qui trottaient en tous sens.
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L’écrasant dédain dont le Brésilien faisait preuve quand il parlait du F. me parut une fois encore bien audacieux. Après tout, le Parti avait été la raison d’être de ma jeunesse et, même maintenant, je n’arrivais pas à me déprendre tout à fait de l’idée que le F. était un grand homme. 
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Les jeunes filles, prenant plaisir au pas cadencé, disparurent dans un creux de terrain, le chant s’effaça peu à peu, l’air ne retentit bientôt plus que de distants accents cristallins. Le grondement des bombardiers s’était perdu dans le lointain. 
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Nous avons casé dans nos valises les quelques objets en question et, à partir de cet instant, l’idée de quitter Vienne a cessé de nous paraître incongrue. Je n’éprouvais plus pour la ville le moindre attachement. J’ai posé un dernier regard sur le plancher, où s’échouaient à mes pieds quelques fragments de nos vies. Je me suis demandé où le courant les emporterait. Sans doute seraient-ils disséminés bientôt aux quatre coins de la ville, peu importe, je me désintéressais déjà de tout cela. Si j’avais eu la possibilité de glisser au fond de ma poche de pantalon la Possingergasse elle-même pour l’emporter, je n’en aurais rien fait. C’est que tout avait désormais changé. 
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Pour un empire, je n’aurais plus mis les pieds dans une boucherie. La vue des quartiers de viande suspendus aux crocs en S me soulevait le cœur, l’odeur du sang me provoquait des malaises, j’avais peur de succomber encore à une crise nerveuse. 
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J’avais de nouveau la sensation de ne plus avoir barre sur moi-même. Je suis sorti de la ferme à toutes jambes, comme un possédé, et, m’appuyant des deux mains à la vasque de pierre, je me suis penché sur la fontaine gelée. Les visions d’effroi qui m’étaient familières m’ont une fois encore traversé et je me suis mis à trembler de tous mes membres. Familières n’était peut-être pas le mot juste, car tout ce que j’avais vécu pendant la guerre m’était demeuré étranger. Et cependant c’était comme si mon corps avait gardé l’empreinte de tout, comme s’il existait des événements dont nous ne nous remettons jamais vraiment, même si le quotidien semble peu à peu reprendre ses droits. 
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"quand il disait qu'il voulait rentrer à la maison,ce n'est pas du lieu qu'il parlait mais de cette situation dans laquelle il se sentait étranger."
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Les filles de Plomberg arrivèrent en dernier. En formation impeccable, roulant tambour et brandissant haut l'étendard, elles illustraient les progrès accomplis en manière de dressage et, en une improbable chorégraphie à la Leni Riefenstahl, décrivaient de cauchemardesques figures géométriques. Le plus douloureux était de constater qu'en ce jour de funérailles, les filles semblaient éprouver un plaisir tout particulier à se livrer docilement à ce sinistre ballet d'automates, comme si marcher au pas cadencé les prémunissait conte la mort.
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L'espace d'un moment, je me suis repris à penser qu'on m'avait volé ma jeunesse; je ne sais trop à quoi cela tenait, peut-être à cette journée de la Wehrmacht qui ravivait en moi la conscience que ces années passées sous l'uniforme s'étaient écoulées à une vitesse folle. Au terme de ma scolarité, je m'en souvenais encore avec netteté, j'étais persuadé que j'allais entrer de plain-pied dans l'ère des élans passionnés. J'étais pénétré de la certitude que j'allais éprouver pour le monde une forme d'amour adulte. Cette capacité à déborder d'amour ... j'aurais pu jurer que le germe en avait été semé en moi et qu'il ne demandait qu'à éclore. A présent, il me semblait qu'on m'avait dérobé jusqu'à cette capacité.
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A la pensée que les enfants - , le bien le plus précieux du F., assurait - on , allaient être maintenant contraints de boire le vin que les parents dans leur déraison avaient tiré , je sentais monter en moi une froide colère .Je n’éprouvais en revanche aucune ombre de pitié pour les hommes âgés , ils avaient été dès le début , les plus fervents soutiens du régime , accueillants par de retentissants hourras chaque communiqué de victoire , ils avaient mené triomphalement la parade du pire , pour constater à présent , saisis de stupeur , que le sort des guerres ne se mesure pas dans les premiers mois , mais à la fin .
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Le livre des proverbes de papa nous dit ´ les hommes ne trébuchent pas contre des montagnes , ils trébuchent contre des pierres .
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