Citations de Arturo Pérez-Reverte (1138)
L'homme n'est pas né pour résoudre le problème du monde, mais pour découvrir la nature du problème.
-On s'habitue à tout, spécialement quand il n'y as pas d'autre remède. Si l'on doit payer, on paie; c'est une question d'attitude. A certains moments, dans la vie, on adopte une position, erronée on non, mais on l'adopte. On décide une chose ou une autre. On brûle ses vaisseaux et ensuite il ne reste plus qu'à résister coûte que coûte, contre vents et marées.
L'être humain, stupide jusqu'à la folie, préfère les fausses illusions à la réalité qui dément d'elle-même l'idée de l'être bon, suprême, intelligent et justicier. Ne serait-ce pas une aberration qu'un père mette une arme dans la main d'un fils irascible et le condamne ensuite parce qu'il s'en est servi pour tuer ?
Le taxidermiste est convaincu que le destin de chaque être humain dépend de causes imperceptibles qui s'inscrivent dans le cadre de règles générales. Tout doit finir à son heure, y compris la vie. Comme pour les animaux, les plantes et les minéraux, le jour doit venir qui restituera au magasin universel les éléments que celui-ci lui a prêtés.
Il est dans l'ordre des choses que le feu brûle, puisque telle est sa propriété. Il est dans ce même ordre des choses que l'homme tue et dévore d'autres animaux dont la substance lui est indispensable. Et aussi que l'homme fasse le mal, puisque souffrir entre dans sa condition. Il n'y a pas d'exemple plus édifiant que la mort accompagnée de souffrances sous un ciel incapable de les alléger d'un gramme. Rien ne révèle mieux le caractère du monde ; rien n'est plus réconfortant, face à l'idée d'une intelligence supérieure dont les intentions, si elles existaient, seraient injustes jusqu'au désespoir. Voilà pourquoi le taxidermiste considère que l'on trouve une certitude morale consolatrice, presque jacobine, même dans les plus grands désastres et les pires atrocités : tremblements de terre, épidémies, guerres, massacres. Dans les grands crimes qui, mettant chaque chose à sa place, renvoient l'homme à la froide réalité de l'Univers.
Et dans la glace, au-delà du tain de son propre corps et de la femme étendue sur le lit, les bateaux sous la pluie devinrent encore une fois des reflets de nefs noires sur une mer millénaire.
Je suppose que vous connaissez la phrase célèbre de Louis XIV quand Picard et La Hire lui ont déplacé d'un degré et demi la carte de France : "Mes cartographes m'ont pris plus de terre que mes ennemis."
Il ne laisse pas d'être curieux que, en un temps où la cartographie a connu la plus grande révolution de son histoire, avec la photographie aérienne, les cartes par satellites et l'application de l'électronique et de l'informatique, bien loin des premières cartes rudimentaires tracées par des explorateurs et des navigateurs, les spécialistes aient de plus en plus besoin que quelqu'un maintienne le fragile cordon ombilical qui relie la modernité aux époques reculées de la science, laquelle n'est rien d'autre, en fin de compte, que le mythe démontré.
Sur mer, ce qui ne peut pas être ne peut pas être ; impossible, point final.
Ce chemin diffère de ceux de la terre en trois choses : celui de la terre est ferme, il est flexible ; celui de la terre est stable, il est mouvant ; celui de la terre est indiqué, celui de la mer est inconnu.
Martin Cortès,
Bref Précis de la sphère
Feux. A la dérive, ballotté par la houle, les yeux fermés, ne bougeant que de temps en temps pour conserver sa chaleur et économiser son énergie, le scintillement blanc sur ses épaules l'aveuglant à intervalles réguliers, Coy continuait de penser à toutes sortes de feux. Feux amis et feux ennemis, de poupe, de mouillage, de bâbord et de tribord, phares verts, phares bleus, phares blancs, balises, étoiles. Feux qui font la différence entre la vie et la mort.
- Imagine une montre ... Une montre qu'il faudrait absolument arrêter. Toi et moi, nous la stopperions comme le ferait n'importe quel autre homme : à coups de marteau. La femme, non. Quand elle en a la possibilité, elle la démonte pièce par pièce. Elle sort tout, de manière à ce que personne ne soit capable de la remonter. Pour qu'elle ne puisse plus jamais donner l'heure ... Bon Dieu ! Je les ai vues ... Oui. Elles démontent pour toujours le mécanisme d'hommes en parfait état de marche, d'un geste, d'un regard ou d'un simple mot.
Une confidence, un mot. Entre ces gens pétris de ruse et de diplomatie, un simple silence pouvait être lu comme un message.
- Ils payeront pour tout ce qu'ils ont fait, avait-il affirmé.
Il n'avait pas la moindre idée de la manière dont il s'y prendrait pour réaliser cette promesse, ni de la manière dont il pourrait aider Tanger, mais il avait trouvé pertinent de dire cela. Il y a des choses, pensait-il, des phrases analgésiques, des conseils, des lieux communs, qui se disent dans les films et dans les romans, et qui sont aussi valables pour la vie réelle.
Le problème, se dit-il, est que la science nautique ne sert à rien quand il s'agit de naviguer à terre, ou autour d'une femme. Il n'y a pas de cartes, planes ou sphériques, qui décrivent les femmes.
Le hasard serait le nom que nous donnons à notre ignorance.. (p179 - Ed Point)
Au-dessus des villes, les étoiles - quand il était possible d'en distinguer - paraissaient toujours atténuées, différentes, privées d'éclat et de signification. Sur la mer, pourtant, elles étaient des repères utiles, elles indiquaient la route, elles étaient des compagnes.
La terre, avait-il décidé après en avoir fait maintes fois le tour, n'est rien d'autre qu'une coalition faite exprès pour décourager le marin ; elle a des récifs qui ne figurent pas sur les cartes, des écueils, des bancs de sable, des caps entourés de hauts-fonds traîtres ; et de plus elle est peuplée d'une multitude de fonctionnaires, de douaniers, de lamaneurs, de capitaine de port, de policiers, de juges et de femmes à la peau couverte de taches de rousseur.
- Je passe tous les jours ici, c'est le chemin de chez moi. Parfois, j'achète quelque chose ... C'est bizarre, ce qui se passe avec les vieux livres ... A la différence des autres, ce sont eux qui te choisissent. Ils décident qui sera leur acheteur : hé ! je suis là, emmène-moi. On dirait qu'ils sont vivants.
Les gens déambulaient entre les stands, fouillant, feuilletant les livres. Les libraires laissaient faire, l'oeil aux aguets derrière leurs étalages ou debout à la porte des baraques. Ils portaient des blouses, des chandails ou des vareuses, et ils avaient la peau tannée par les années passées sous la pluie, le soleil et le vent ; Coy pensa à des marins échoués dans un port impossible, au milieu de récifs d'encre et de papier.