Effractions : le podcast vous fait découvrir des livres mis à l'honneur pendant le festival Effractions, organisé par la Bpi. Migrations, deuil, révolte, gestion des déchets... Dans chaque épisode, un spécialiste en sciences humaines analyse, du point de vue de son champ de recherche, l'une des thématiques abordées par un roman.
Dans cet épisode d'Effractions : le podcast, Baptiste Monsaingeon, sociologue de la gestion des déchets, parle du livre Freshkills de Lucie Taïeb. Retraçant l'histoire des décharges autour des grandes villes occidentales et de l'imaginaire lié à ces espaces, il fait le parallèle avec la figure du chiffonier développée par le philosophe Walter Benjamin.
Cet épisode a été préparé par Cyril Tavan
Réalisation : Michel Bourzeix et Soizic Cadio
Lecture : Denis Cordazzo
Extrait lu : Lucie Taïeb, Freshkills, Recycler la terre, © La Contre allée, 2020
Musique : Thomas Boulard
Ce podcast a été enregistré dans les studios du Centre Pompidou
Retrouvez sur notre webmagazine Balises le dossier "Effractions 2021" en lien avec le festival de littérature : https://balises.bpi.fr/dossier/effractions-2021/
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Le voilier est un espace carcéral tant il impose à ceux qui y vivent une existence sociale ininterrompue, sans reste.
[...] en cherchant à faire disparaître les déchets, c’est comme si nous nous étions efforcés d’effacer les preuves tangibles de l’insoutenabilité de nos modes de vie et de production.
Tout au long du XXè siècle, en s'institutionnalisant comme "produit d'un abandon", le déchet a été exclu à la fois des centres de vie et, en même temps, du champ de la perception des jeteurs. p63
[...]
Le jeteur semble à même d'abandonner autant d'objets que d'éléments de son histoire intime, il renonce plus aisément à ses appartenances communautaires, religieuses ou politiques. p65
Ce "marché mondial de 300 milliards d'euros"- au sein duquel le déchet ménager pèse pour 150 milliards d'euros alors qu'il ne représente que 4% de la masse totale des déchets produits-pourrait avant tout s'inscrire comme la réussite d'un "capitalisme vert". Loin d'aborder les déchets en termes de biens communs, les principaux groupes industriels privés de gestion et de traitement des déchets semblent être les grands "gagnants": au cœur de ces marchés désormais mondialisés de quelques grandes matières premières secondaires, l'industrie de la propreté et du déchet prospère en tirant profit de la promesse de réintégration de nos rebuts dans les circuits de production.
Autrement dit, en rattachant sphère publique et sphère privée, espace domestique et espace commun, cette politique des petits gestes s'inscrit donc tant comme un moyen pour redistribuer les responsabilités propres à l'action publique, au sein même de l'espace domestique, que comme un argument pour faire de l'action routinière un acte de socialisation.
Si les déchets sont partout, s'ils constituent aujourd'hui des preuves irréfutables de l'impact des hommes sur l'équilibre des écosystèmes terrestres, ils demeurent les plus souvent invisibles à ceux qui les ont générés. [...] C'est comme si nous préférions rester aveugles à ces ombres incommodantes de la civilisation.
Marqueurs archéologiques de l'invention du "chez soi", les déchets, ainsi repoussés à l'extérieur du foyer, tracent les frontières des premiers espaces de la sédentarisation humaine, et préfigurent à la fois l'aube du Néolithique et le futur géologique de la planète.
J'ai finalement retrouvé, aux quatre coins du monde, les traces d'une conception univoque d'un "problème des déchets": ils sont cela même contre quoi il faut lutter, ils sont cela même qu'il faut maîtriser, il faut, en somme, les faire disparaître.
Ce sont nos déchets qui éparpillés jusqu'aux confins du globe, sont devenus les marqueurs indubitables de cette période géologique où Homo sapiens s'est érigé en force géologique [l'anthropocène]. p14
Pour autant, entre enjeux globaux et pratiques domestiques, un gouffre intermédiaire subsiste : " mettre l'accent sûr les petits gestes évacue aussi la question des grands choix." p97