Une Française, Alexandra Schwarzbrod, et un Israélien, Dror Mishani, publient au même moment deux romans qui mettent en scène Israël et en particulier Tel-Aviv. Deux regards et deux styles très différents. D'autant plus marquants que les polars israéliens sont rares. L'occasion de rappeler l'oeuvre d'une pionnière du genre dans ce pays, Batya Gour.
"Les lumières de Tel-Aviv" d'Alexandra Schwartzbrod, éd. Rivages/Noir
"Une deux trois" de Dror Mishani, traduit de l'hébreu par Laurence Sandrowicz, éd. Gallimard/Série noire
Les deux livres sont disponibles en numérique.
UNE ÉMISSION ANIMÉE PAR
Michel Abescat
Christine Ferniot
RÉALISATION
Pierrick Allain
TÉLÉRAMA - AVRIL 2020
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Tout individu aspire à un idéal de beauté absolu. Son désir le conduit à en poursuivre les manifestations concrètes et, parfois, à leur témoigner une vénération excessive. En leur vouant un culte, en s’identifiant à elle, il a l’illusion de participer de leur beauté
(Fayard, p.219)
Les gens sont prisonniers de schémas et de comportements dans leurs rapports familiaux. Ils ne sont plus capables de distinguer entre leur moi individuel et leur moi familial, et toute nouvelle approche leur parait impossible. Au kibboutz, c’est la même chose, avec cette différence qu’il s’agit d’une famille de trois cents personnes.
(Fayard, p. 266)
En fait, des scandales de ce genre, il s’en produit souvent. Que voulez-vous, ces professeurs s’imaginent que leurs proclamations peuvent changer le cours de la littérature israélienne, voire influencer le destin du monde [...]
(Fayard, p.135)
La force de l’art réside dans sa capacité à exprimer, chaque fois de façon différente, les préoccupations communes à toute l’humanité. (Fayard, p.290)
« Nous allons aussi vérifier votre alibi à l’heure présumée du meurtre, reprit-il après un long silence. […] Nous n’avons pas l’intention d’employer la torture; en tout cas, pas si vous vous montrez raisonnable. » (Fayard, p.343)

De toutes les fêtes juives, Soukkot était celle qu'il préférait, peut-être parce qu'il gardait présent dans sa mémoire le souvenir de son père qui le juchait sur ses épaules: là-haut il agitait son petit drapeau en carton dont le manche était planté dans une pomme. Il sentait encore l'air d'automne sucré qui les accompagnait sur le chemin du retour et il se revoyait en compagnie de ses petits frères, tous transportant des casseroles et des plats en cuivre jusqu'à la soukka qui sentait bon le cédrat (chaque année, leur père les emmenait au marché et leur expliquait comment choisir des cédrats irréprochables). Leur grand-mère claudiquait derrière eux avec sa cane et veillait à ce que rien ne tombe, quant à leur mère, elle se chargeait toujours du mets qu'il préférait: de la compote de coing orange.
Il sortit de la synagogue. Du haut de la rue Naftali lui parvinrent les forts effluves des caroubiers en fleur dont il se souvenait depuis l'enfance.
Pas plus que n’importe qui, il n’était vacciné contre le spectacle qui s’offrit à ses yeux dans le bureau de Tsadik. Et cela, non seulement en raison du visage broyé – « pas besoin de se presser le citron pour découvrir l’arme du crime, hein ? » avait dit le médecin légiste avec une pointe de satisfaction dans la voix en désignant la perceuse qui baignait dans une flaque de sang avec le bleu de travail – et de l’expression de surprise figée autour de la bouche, du corps qui avait glissé par terre du fauteuil en cuir placé derrière son bureau, mais surtout à cause de tout ce sang qui donnait à la pièce l’aspect d’un abattoir.
Cela peut sembler paradoxal, mais le fait est que nous, analystes, connaissons tout de nos patients, sauf la façon dont ils se conduisent dans la vie quotidienne. Nous ne savons d'eux que ce qu'ils nous racontent ici, sur le divan.
Combien de temps un homme peut-il supporter de jouer à Dieu-le-Père ?
[...]
Jour après jour, j'essayais de m'endurcir et croyais même y être parvenu. Il le faut bien pour signer des ordres d'expulsion ou refuser des regroupements familiaux. Notez que je ne fais qu'appliquer les directives gouvernementales. Et puis, je suis constamment sous l'oeil du Shin Beth. Quelles que soient vos opinions politiques, cela ne change rien. Un gouverneur militaire aux idées libérales, ça n'existe pas ; c'est une contradiction dans les termes.
Ce ne sont pas des psychotiques, des malades mentaux, avec qui, disons, tout peut arriver. Ce sont des gens sains d'esprit qui s'interrogent sur eux-mêmes et ont entrepris de se faire analyser.