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Citations de Benoît Vitkine (178)


Quant à savoir qui avait commencé, c'était une autre histoire, et même les observateurs étrangers de l'OSCE se gardaient de tirer de telles conclusions. Un obus tiré sur Avdiïvka pouvait être la réponse à un tir de mitrailleuse ukrainien ou à une roquette tirée une heure plus tôt depuis une autre position du front. A quoi bon, dès lors, accuser les uns ou les autres pour finalement se fâcher avec leurs employeurs occidentaux ou russes qui finançaient leur mission. Au lieu de cela, tout le monde continuait à parler de "cessez-le-feu fragile", passant par pertes et profits le million de personnes qui, selon les décomptes officiels, habitaient à moins de cinq kilomètres de part et d'autre de la ligne de front. La poursuite de ce conflit larvé convenait aussi bien à Kiev qu'aux rebelles et à leur parrain moscovite.
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Semion demeure silencieux. Il plonge dans ses propres souvenirs. L'Union s'est écroulée après son retour d'Afghanistan. Pour lui, le choc a été double, en quelque sorte. Ses camarades et lui étaient partis pour une guerre qu'ils croyaient nécessaire et glorieuse. Ils pensaient rentrer en héros, comme avant eux leurs grands-pères revenus de Berlin. Ils n'avaient trouvé que mépris et indifférence : le pays les regardait comme des criminels et des parasites. Et puis le pays avait cessé d'exister, tout simplement. Il n'était plus question de rien d'autre que de survivre. Le capitalisme était venu tout recouvrir, et avec lui la quête désespérée du fric. C'est peut-être cela qui l’avait sauvé : comment s'apitoyer sur son sort quand c'est le monde entier qui se dérobe ? Ceux d’Afghanistan était passés dans la grande essoreuse en même temps que les autres, les mineurs, les métallos, les cadres du parti les mères de famille, les cosmonautes. Plus personne n'avait le temps de penser à ses états d'âme, à ses blessures. La guerre d'Afghanistan avait été reléguée à la préhistoire en une nuit et ceux qui l’avaient faite sommés d'oublier quand bien même ils laissaient dans l'affaire une jambe ou un bras. Les plus fragiles s'étaient écroulés, dans la tombe ou tout comme, réduits à faire la manche, pendant que d'autres devenaient gangsters - hommes d'affaires pour les plus malins, homme de mains pour les autres. p.176
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Henrik, lui, avait seulement incliné le haut du corps et baissé la tête. Toujours le même refus de faire corps, la réticence à se joindre à la masse. Il connaissait trop bien les extrémités dont celle-ci était capable. Elles pouvaient être lumineuses, comme ce matin de mars où des centaines de têtes s'inclinaient devant un cercueil d'enfant, ou terribles. C'est la foule qui avait décidé de la guerre. La foule qui avait convoqué le vieux démon de la haine. Les frustrations et les rancœurs de chacun s'étaient mêlées, assemblées pour ne former plus qu'une colère sauvage, un amas de fureur. La fierté bafouée des mineurs, l'humiliation trop longtemps ravalée des pères de famille au chômage, la stupéfaction des vieux cueillis par un monde nouveau et incompréhensible, la rage des jeunes réduits à la rapine, tout cela avait coagulé dans le cri le plus primitif qui soit : celui de la violence. La propagande haineuse distillée par Moscou, les stocks d'armes envoyés à travers la frontière, l'arrogance et les erreurs en cascade de Kiev n'avaient été que des étincelles.
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...à Moscou, espions et diplomates sont formés dans l'idée que les Ukrainiens ne sont que de vagues cousins dégénérés à qui il convient de taper régulièrement sur le crâne pour leur rappeler les bonnes manières.
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Olena, elle, n’a jamais su ou pu se laisser aller aux regrets. Inutile, insensé. Elle n’en a même jamais compris le sens. Qu’est-ce qui détermine la justesse des actes passés, sinon le présent ? Celui qui a raison, c’est celui qui l’emporte, qui survit, qui continue d’agir. La contrition, les questionnements, c’est pour les belles âmes comme son ancien mari, Valeri. Ceux-là finissent au cimetière ou au fond d’une bouteille. Et ce sont eux qui auraient raison ?!
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Vous posez les mauvaises questions, Serafim Ivanovitch. Ce qui est important, ce n’est pas de savoir quelle enfant était Olena Hapko, ni si elle a changé plus tard, et à cause de quoi. Ce qui a changé, c’est le monde autour d’elle. Il n’a pas seulement changé, il s’est écroulé en un claquement de doigts. Ces gamins, nous les avons élevés avec nos valeurs, nos références. Et puis, lorsqu’ils sont devenus adultes, plus rien de tout cela n’avait le moindre sens. Ces valeurs qu’on leur avait inculquées sont devenues le mal, du jour au lendemain. Tout ce qu’on leur avait dit de respecter est devenu nul et non avenu. Pour nous aussi, ça a été dur. Avec l’écroulement de l’URSS, c’est comme si on nous disait que nous avions vécu toute notre vie dans l’erreur. Mais au moins nous étions des adultes. Nous avions eu le temps de constater l’hypocrisie du système soviétique, son cynisme. Nous étions blindés contre tous les grands discours. Tout ce qu’on nous demandait, c’était de nous serrer la ceinture et de courber l’échine, une fois de plus, d’accepter que le passé était mort. Nous avons vu la violence des années quatre-vingt-dix comme un nouvel avatar de notre histoire dramatique, de notre destin. Qu’est-ce que ça pouvait nous faire, leurs « privatisations », à nous qui avions connu la collectivisation, les purges, la guerre, les camps… Mais imaginez ce qu’ont pu ressentir ces enfants qui arrivaient à l’âge adulte à ce moment-là, pleins de confiance et d’allant. Eux ne connaissaient ni la violence, ni la cupidité, ni les cadavres étendus en pleine rue. Ils s’étaient habitués à croire ce qu’on leur disait, et surtout à croire en l’avenir. Comment comprendre le bien et le mal, comment savoir à quoi s’accrocher, en quoi garder foi ? Qu’est-ce que ça veut dire, quand le monde entier se met à tourner dans tous les sens, rester la même personne ou changer ?
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Et si c'était cela, se demande-t-elle, le véritable luxe de ce pays ? Le plus idiot des hommes peut devenir le plus prospère, peser des milliards, influer sur le destin de millions d'autres, et il lui aura suffi pour cela d'épouser la fille du premier président du pays, en 1993, puis de se laisser porter par les flots.
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Kiev s'était lourdement trompée sur le compte du Donbass. Elle avait fait sa révolution et cru que ceux de l'Est, les gueux, suivraient ou se tairaient, comme ils l'avaient toujours fait. Le Maïdan avait été un cri de colère contre la corruption, l'injustice...Les habitants du Donbass partageaient ce cri, mais ils n'avaient que faire du discours nationaliste et chauvin qui l'accompagnait. La menace d'enlever au russe son statut de langue officielle n'avait fait qu'accroitre cette crispation. Seulement, personne n'était prêt à écouter. Alors ceux de l'Est s'étaient tournés vers ce qu'ils connaissaient: pendant que Kiev choisissait l'Europe et s'illusionnait en songeant à un futur meilleur, le Donbass avait regardé vers Moscou et cherché refuge dans le passé L'ancienne mère patrie n'attendait que cela. Ce que les gens du Donbass ignoraient, en revanche, c'est qu'entre-temps elle était devenue une marâtre acariâtre et cynique.
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Tous deux étaient des rejetons des lointaines montagnes du Caucase, originaires de deux pays voisins que ni l'un ni l'autre n'avaient même visités. Leurs parents avaient été amenés dans le Donbass par la grande broyeuse des nationalités, quand l'Union soviétique envoyait dans les steppes ukrainiennes des prolétaires de tout l'Empire.
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Alors, ceux de l'Est s'étaient tournés vers ce qu'ils connaissaient : pendant que Kiev choisissaient l'Europe et s'illusionnait en songeant à un futur meilleur, le Donbass avait regardé vers Moscou et cherché refuge dans le passé. L'ancienne mère patrie n'attendait que cela. Ce que les gens du Donbass ignoraient, en revanche, c'est qu'entre-temps elle était devenue une marâtre acariâtre et cynique.
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La guerre n'était qu'une catastrophe supplémentaire dans la litanie des épreuves qui avaient balayé les steppes du Donbass.
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Pendant que Kiev choisissait l'Europe et s'illusionnait en songeant à un avenir meilleur, le Donbass avait regardé vers Moscou et cherché refuge dans le passé. L'ancienne mère patrie n'attendait que cela. Ce que les gens du Donbass ignoraient, en revanche, c'est qu'entre temps elle était devenue une marâtre acariâtre et cynique.
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Ta misérable ville est la capitale européenne du meurtre. Les macchabées y pleuvent comme si le ciel les chiait, Henrik...
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Que serait-il devenu ? Flic ? Qui avait besoin de lui hors de son Donbass ? Il aurait été un réfugié, rien de plus. Un alcoolique paumé, un déraciné sans argent ni avenir. Il comprenait ceux qui restaient, qui refusaient de quitter leur terre, les quatre murs patiemment bâtis. Il n’était pas différent deux. Ailleurs, il n’y avait rien, il n’était rien.
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-Notre pays reçoit la liberté mais existe-t-il des gens libres pour la recevoir ? Nos compatriotes savent-ils seulement ce qu'est la liberté ? Savent-ils la protéger, la faire vivre ? La soumission est beaucoup plus simple et confortable... Être libre à de quoi désemparer les âmes les plus faibles et les moins préparées. Il est bien plus aisé de s'en remettre à un chef, à une idéologie, à des illusions, à des habitudes, aux limites bien connues de son petit potager.
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Cela fait des décennies que l’on ne parle plus de progrès… Ça aurait dû vous mettre la puce à l’oreille, quand on a commencé, dans les années 1970, à vendre la victoire dans la Grande Guerre patriotique comme notre plus grande réalisation. Plutôt que l’avenir radieux, le passé glorieux ! L’essentiel était de maintenir les choses en l’état, d’éviter les troubles, les questions dangereuses.
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P136 "La supériorité de l'homme russe tient à sa capacité à regarder vers le ciel, à se projeter de manière spitituelle vers spon créateur, dit la voix légèrement nasillarde d'un homme trop sûr de lui. C'est toute la différence avec l'homme occidental, qui, lui, se repaît des nourritures terrestres et se noie dans l'individualisme et les valeurs matérialistes, incapable de la grandeur d'ême du Slave".
P275 : "Ce sont des hommes solides, dans la quarantaine ou la cinquantaine, des travailleurs manuels aux poings durs comme la brique. Les plus jeunes sont refoulés des premières lignes. Les vieux les rabrouent en leur disant qu'ils sont trop faibles, mais, consciemment ou non, ils estiment surtout que s'il y a un mauvais coup à prendre, c'est à eux de le recevoir, pas aux gamins".
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N'avaient-ils [Les gens du Donbass] pas cru, massivement, maladivement, à la légende de l'enfant crucifié de Slaviansk ? Après la reprise de la localité par l'armée, en juillet 2014, la première chaîne russe avait fait la une de son journal télévisé sur la crucifixion d'un enfant de 4 ans par les forces ukrainiennes, sur la grand-place de la ville. Le témoin principal qu'avaient interrogé les journalistes était en réalité une actrice et l'affaire avait été intégralement inventée par de petits Goebbels en herbe. Mais le mal était fait et le mythe de l'enfant crucifié s'était répandu comme une traînée de poudre, ajoutant une nouvelle couche de tension et de haine sur le corps pourri du Donbass.
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Ce qui est important ce n’est pas de savoir quelle enfant était Olena Hapko, ni si elle a changé plus tard, et à cause de quoi. Ce qui a changé, c’est le monde autour d’elle. Il n’a pas seulement changé, il s’est écroulé en un claquement de doigts. Ces gamins nous les avons élevés avec nos valeurs, et nos références. Et puis, lorsqu’ils sont devenus adultes, plus rien de tout cela n’avait le moindre sens. Ces valeurs qu’on leur avait inculquées sont devenues le mal, du jour au lendemain. Tout ce qu’on leur avait dit de respecter est devenu nul et non avenu. Pour nous aussi, ça a été dur. Avec l’écroulement de l’URSS, c’est comme si on nous disait que nous avions vécu toute notre vie dans l’erreur. Mais au moins nous étions des adultes. Nous avions eu le temps de constater l’hypocrisie du système soviétique, son cynisme. Nous étions blindés contre tous les grands discours. Tout ce qu’on nous demandait c’était de nous serrer la ceinture et de courber l’échine, une fois de plus, accepter que le passé était mort. Nous avons vu la violence des années quatre-vingt-dix comme un nouvel avatar de notre histoire dramatique, de notre destin. Qu’est-ce que ça pouvait nous faire, leurs « privatisations » à nous qui avions connu la collectivisation, les purges, la guerre, les camps … Mais imaginez ce qu’ont pu ressentir ces enfants qui arrivé à l’âge adulte à ce moment là, plein de confiance et d’allant. Eux ne connaissaient ni la violence de la cupidité ni les cadavres étendue en pleine rue. Ils étaient habitués à croire ce qu’on leur disait et surtout à croire en l’avenir. Comment comprendre le bien et le mal, comment savoir à quoi s’accrocher, en quoi garder la foi ? Qu’est-ce que ça veut dire dans le monde entier se met à tourner dans tous les sens, rester la même personne ou changer ?
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Quant à savoir qui avait commencé, c'était une autre histoire,et même les observateurs étrangers de l'OSCE se gardaient de tirer de telles conclusions. Un obus tiré sur Avdiïvka pouvait être là réponse à un tir de mitrailleuse ukrainien ou à une roquette tirée une heure plus tôt depuis une autre portion du front. A quoi bon, dès lors, accuser les uns ou les autres pour finalement se fâcher avec leurs employeurs occidentaux ou russes qui finançaient leur missions ?
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