Boris Akounine

Foutaises ! Les estivants se fichent des légendes locales. Ils ont besoin d’air pur, d’un hamac, de baignades et de lait frais.

Il faut vous dire qu’autrefois, Barbara Ilinitchna faisait preuve d’une grande indépendance d’esprit. Elle voulait servir le peuple et la société, faire des études pour devenir institutrice ou sage-femme. Combien de fois n’avions-nous pas rêvé ensemble à un miracle qui transformerait notre modeste contrée : par exemple, on construirait une usine, ou bien un industriel prévoyant déciderait d’assécher le marais de Gnilovo, ou encore un riche propriétaire originaire de la région léguerait cent ou deux cent mille roubles pour la mise en valeur de son pays natal.

- Eh bien messieurs, qu’est-ce que nous avons là ? fredonna l’expert en médecine légale, Igor Willemovitch Zakharov, en ramassant par terre de sa main gantée de caoutchouc un curieux objet spongieux d’un rouge sombre tirant sur le bleu ? Apparemment une rate. Mais oui, te voilà, ma jolie. Parfait, messieurs. Dans l’enveloppe, mettez-la dans l’enveloppe. Encore l’utérus, le rein gauche, et notre collection sera complète, à quelques menus détails près… Qu’avez-vous là, m’sieur Tioupanov, sous votre botte ? Ne serait-ce pas un mésentère ?
Anissi regarda à ses pieds, recula brutalement, saisi d’horreur, et manqua de trébucher contre le corps, étendu bras en croix, de la demoiselle Andréitchkina Stépanida Ivanova, trente-neuf ans. Ces renseignement, ainsi que l’indication du métier de la défunte, était tirés de la carte jaune soigneusement posée sur la poitrine béante du cadavre. C’était d’ailleurs tout ce que la physionomie posthume de la demoiselle Andréitchkina présentait de soigné.

Le crime du siècle en Russie, vous savez ce que c'est ? Un ours qui a volé un tonneau de vodka. Non, franchement, Holmes, partons. [Watson à Sherlock Holmes]

Elle ne regardait pas. Ce qui était bien naturel : toute femme normale qui vient juste de voir partir un visiteur et attend l'arrivée imminente d'un autre ne se précipite pas à la fenêtre mais sur son miroir.

"Mains au-dessus des oreilles ! Vous êtes en état d'arrestation !"

Exactement, dit Fandorine en dessinant trois grandes lettres dans l'espace. J-A-P. Ce qui donne "Jap", sobriquet méprisant qu'utilisent les Européens pour désigner les japonais. Tenez, vous, commissaire, vous seriez d'accord pour porter un insigne sur lequel serait inscrit "grenouille" ?

Et si on prenait systématiquement leurs empreintes digitales aux assassins et cambrioleurs, aucun d'entre eux n'oserait plus se livrer à un quelconque méfait avec ses pattes sales. C'était la fin de la criminalité.
De telles perspectives donnaient tout bonnement le tournis.

Evidemment, si chaque assassin était assez aimable pour prendre soin de tremper son pouce dans l'encre de Chine afin de laisser son empreinte sur les lieux du crime ... fit le commissaire avec un éclat de rire bon enfant.

- Avez-vous déjà eu l'occasion d'entendre parler des empreintes digitales ? demanda Fandorine (...).
(...) Gauche sourit malicieusement :
- Un truc de Bohémiens pour lire dans les lignes de la main ?

Le criminel lui est une anomalie dans le processus d'évolution, un retour accidentel à un niveau antérieur de développement. C'est pourquoi il est extrêmement facile de repérer un tueur et cambrioleur potentiel : il ressemble au singe, dont nous sommes tous issus.

Le fait est que auparavant, le commissaire avait eu l'occasion de lire un intéressant opuscule traduit de l'italien. Un certain Cesare Lombroso, professeur de médecine légale à Turin, avait élaboré toute une théorie selon laquelle les "criminels-nés" n'étaient pas responsables de leurs comportements antisociaux.

Pourquoin dans le monde civilisé, les fleurs sont-elles les compagnes obligées de la mort ?

On s'illusionne si l'on croit qu'un gouvernant, même terriblement résolu, est en mesure de révolutionner un pays tout entier au rebours de son désir et de sa volonté.

Mais si on y réfléchit, qu'est ce qu'un pot-de-vin dans un pays où les lois sont imparfaites et la liberté bafouée ? Une humanisation de l'inhumanité, rien de plus. Où le bien fondé des institutions est boiteux, aussitôt surgit une béquille appelée concussion, qui vient corriger cette disharmonie.

La Raison n'est pas pour les heureux, le Bonheur n'est pas pour les raisonnables.

La foi procède ou bien d'une pleine certitude, c'est-à-dire d'une connaissance absolue, ou bien au contraire d'une totale absence de certitude, soit encore d'une absolue ignorance. Tous les gens que je connais croient par l'incertitude, en d'autres termes croient l'Eglise sur parole.

En un mot, un couple typique d'homo sovieticus. On les repérait naguère de loin dans la foule occidentale : à leurs vêtements, à l'expression à la fois inquiète et avide de leurs visages. Ils avaient disparu, tels les dinosaures.

- Et bien, de manière épistolaire, si tu préfères.
- Quoi, on va se mettre en embuscade avec des pistolets ?

On ne devrait pas publier ce qu'un auteur n'a pas destiné à l'être. Autrement on peut aller loin sur cette voie. Retenez bien mes paroles : un jour viendra bientôt où ces messieurs les éditeurs iront jusqu'à publier la correspondance intime des écrivains !