Citations de Boris Bergmann (98)
Direction Instagram et sa vie rêvée : tout brille, des filles pullulent sur les plages. Ça me rappelle que moi aussi je suis né sur une plage, une vraie plage, que j’ai dû la quitter pour arriver sur une autre plage, et que depuis que la ville du Nord m’a avalé tout cru, ça fait bien longtemps que je n’ai pas entendu la mer, bien longtemps sans le sable, les vagues, le sel et le reste. Ta gueule. Si je pense à la plage, c’est reparti pour le manque, et le manque fait trembler. Alors que, regarde, depuis que je me tiens accroché à l’écran, j’ai l’impression d’une fermeté. D’un retour à la normale. D’Instagram, je glisse vers d’autres pages. Moins de plages, toujours les filles.
C’est fou ce que ce petit objet lisse, de l’ordre du précieux, peut faire quand on le caresse dans le bon sens. Ces derniers jours, je n’ai pratiquement fait que le regarder. Allongé au sol, l’écran me surplombe. Lumière du dessus, du tout là-haut, des Cieux, c’est certain, l’écran est divin. Ka m’a demandé d’effacer tous ses messages. Ce fut laborieux. Un par un, le même geste, index de droite à gauche, n’en manquer aucun, ne laisser aucune trace.
" Tu seras l’épée, incassable, tu seras l’éclair, brutal, tu seras le fer et l’acier, la roche et le feu, tous les éléments à la fois tu seras, le bras des Justes sans crainte, la branche de l’arbre millénaire, tu seras ce qui s’abat, ce qui tranche, ce qui condamne tu seras. "
Les effets de style, ça fait trop avant-garde, trop artiste, voire surréaliste, tu ne veux pas être associé à ces vieux cons ringards, ces pleutres. Ils ont raté leur coup. Maintenant, c’est ton tour. Tu ne veux être associé à personne. De toute façon, le tract a été imprimé tel quel, comme tu l’avais demandé. Mais dans ta main, il ressemble à une feuille morte au bout de sa branche qui s’apprête à plonger sur le trottoir, à tomber à pic.
Ce n’est pas facile, cette tension te crève. Tu ne fais pas la manche, non. Bien que cette vision soit attirante, elle horrifierait ton père : avoir un fils mendiant, ultime déshonneur. Mais tu ne demandes rien. Tu offres. Enfin, tu essayes.
Au centre, une femme nue se débat : c’est elle qu’on entend dans le noir résonner. Sur elle, un homme. Comme une flamme soumet le bois, peu à peu le creuse et se répand, impose son joug, assouvit ; il la lèche puis l’étrangle. Lorenzo reconnaît le comte Orsini, ombre gigantesque, allant, venant, se retirant. La peau devient rouge, puis bleue. Lorenzo ne comprend pas ce que veulent dire les cris. Ils semblent émaner autant du plaisir que de la douleur, l’un dans l’autre, sans distinction.
Retrouver son chemin dans le labyrinthe. Faire la sieste sous Cerbère. Séduire la Vénus virile, géante femme étrusque brune et sévère, aux épaules larges mais aux mains douces, qui rappelle les mères de Bomarzo. On l’imagine avec un peu de moustache surplombant ses lèvres pulpeuses, des poils qui en disent long sur sa sensualité. Mais le plus grand défi, c’est de courir dans le Bois la nuit. Braver l’interdit.
C’est l’ennui qui pousse aux grands travaux de l’âme. Et aux gigotements du ventre, aussi. Orsini a voulu tailler les pierres, en faire ses alliées. On l’a forcé à s’exiler parmi elles, autant leur donner l’apparence de ses songes.
Un noble, ça ne devrait pas sur un caillou tourner en rond. Ni prendre part à l’antique clarté des moissons. Un noble, ça doit danser, sortir en ville, se dépenser, point. Laisser les bougies couler sur les tables, ouvrir grand les fenêtres, combler ses maîtresses, se battre de temps en temps, protéger les artistes ou les menacer. Boire son vin et flatter son cheval. Ne pas se taire. S’ennuyer – jamais.
Après un mois et demi de piscine, il mesure la progression jamais atteinte .
Il est désormais apte à se battre et à désirer, comme si les deux actes étaient proches . Et c'est en eux qu' Issa puise sa force .
« Son nom manque à l’appel.
Il a beau chercher – c’est facile, il est le plus grand, presque deux mètres, comme un arbre mûr, il les dépasse tous –, il a beau scruter la liste qu’une main a punaisée au tableau ; il ne trouve pas. Il ne se trouve pas.
Il est plus grand que les autres et pourtant il se tient courbé, le dos brisé. Il cherche, hume, flaire, parcourt la liste mille fois parcourue… Ah. Enfin. ISSA. C’est son nom.
Son nom est là. En capitales. Mais, comme s’il n’existait pas, il n’y a rien à côté, rien pour le soutenir. Du vide, du blanc. Pas le moindre résultat positif. Pas la moyenne. Pas même la case « rattrapage » qu’on aurait cochée en dernier recours. Ça y est. C’est officiel. Il a raté son bac.
Elie et Issa sont citoyens de la Zone. Dernier îlot populaire d'un Paris désormais trop cher pour les gens nés dans le tiroir du bas. Dernière petite tache de pourriture sur la carte de la capitale, en haut à droite. Même lavée, standardisée, sécurisée, embourgeoisée, starbuckisée, la ville se doit de conserver quelques bactéries dans son estomac.
Trop de grondements graves, les aigus se font rares. Dans cette cacophonie, Issa se dit qu'il n'y a pas de place pour son solo. Il se sent sans accord.
Les secrets les mieux gardés sont les moins opaques : il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour comprendre. Une loupe n’aurait fait que brûler ces indices, presque trop gros pour l’œil humain.
Fils, amant, mari : je jouais tous les rôles à merveille. Mais les pièces de la vie sont les plus dramatiques : le public est toujours partant pour les tragédies. Un papier de l’orphelinat, une tache de naissance (de mort ?) qui appartenait à mon père, une phrase à double sens sur mes origines que je me forçais à garder secrètes...
Je suis née dans une famille où les gens n’aiment que l’argent. Chez moi, on naît riche et on le reste. Les femmes de ma vie — mère, tantes ou cousines — ne parlent que de robes oubliées dans les suites d’hôtels milanais ou genevois.
Être riche est un boulot à plein-temps. Un job que, dès ma naissance, on a commencé à m’enseigner. Marcher la tête haute, avoir le regard glacé, faire deviner la marque de sa chemise à celui à qui on parle, être aux bons endroits aux bons moments... Ce n’est pas facile !
Les hommes ont construit les trains à leur image : violents dans leurs actes et stupides dans leur fonctionnement.