Citations de Bruno Patino (182)
Deux décennies plus tard, le constat est sans appel : la foule est bien là. La sagesse, pourtant convoquée, ne s’est pas présentée. Dépendant aux écrans, outrance du débat public, polarisation de l’espace public, réflexes qui prennent le pas sur la réflexion, l’agora transformée en arena : telle est notre époque. C’est le meilleur des temps, c’est le pire des temps. – p.49
L'instantané infini du déluge de message s'accommode mal du lent travail de la mémoire personnelle, qui mêle oubli volontaire et souvenir transformés pour ensuite, se confronter à la mémoire collective. La centrifugeuse permanente des sollicitations ininterrompues a fait disparaître le récit unique et durable. Les repères temporels sont effondrés. (...) Pour ne pas mourir, un souvenir doit désormais participer à la production aussi permanente qu'éphémère de sa sollicitation renouvelée. On revisite, encore et encore, on republie, on repartage, mais la décantation s'est évanouie. Avec l'aide des machines, dans l'univers du réseau, nous remâchons le passé sans le digérer. Nous sommes devenus des ruminants., qui regardons l'écran au lien de regarder le train.
Être publié, diffusé, proposé, mis à disposition de tous, ne signifie plus être visible. La "découvrabilité", l'art d'être trouvé alors que l'on n'est pas cherché, devient la mission et le savoir-faire nécessaire de ceux qui veulent être choisis.
A l'heure de la submersion, c'est un défi technologique. Et notamment pour les médias, plateformes et institutions culturelles. Comment préparer la rencontre entre un individu et ce qu'on lui propose ? Réduire l'amplitude de ce qui est proposé offre une première réponse et un premier paradoxe. Contextualiser la démarche, expliquer les alternatives, une deuxième. Être clair sur le temps que demandera la lecture, le visionnage, l'écoute ou l'utilisation de ce que l'on offre constitue une piste supplémentaire, qui éclaire sur les conséquences de choix en termes de temps passé. Le temps est une ressource chaque jour plus précieuse, et il n'est pas surprenant de constater le succès récent des propositions que l'on peut achever sans être automatiquement dirigés vers un autre contenu supplémentaire, retrouvant ainsi le plaisir mêlé de soulagement qui était le nôtre en refermant un journal après l'avoir "terminé".
La possibilité de la rencontre, la poésie de l'inattendu, la grâce du hasard transforment nos parcours. La vie vaut par la déviation que l'imprévu provoque sur "le cours normal des choses". La société des données réduit nos comportements, nos goûts, nos relations, nos amours et bientôt nos humeurs en équations. Le calcul de ces algorithmes nous impose des rails, nous rend prévisibles. Nous grandissons grâce à l'imprévisible. Nous devons aussi pouvoir chercher quelque chose que jamais nous ne trouverons : cela nous permet de trouver ce que l'on ne cherchait pas. La quête permet la culture, et inversement. Le règne du calcul intégral ne permet ni la première ni la dernière. Les envahisseurs d'aujourd'hui sont les formules qui, à mieux vouloir nous définir, nous entravent et nous ramènent à la moyenne.
La masse se contrôle, la multitude se calcule. Nous sommes calculés pour être mieux servis. Il est à craindre qu'en passant, on nous ait aussi mieux assujettis à une idée réduite de nous-mêmes.
Désormais la vague est partout, il faut composer avec elle. Les trajets des lingots d’or, des données, des avions et des barils de pétrole forment de longs câbles de toutes les couleurs autour du monde, qui se resserrent et se multiplient. Ils passent à l'intérieur de nous, sortent de nos bouches en produisant des sons et des images, il n'y a plus d'endroit où leur échapper.
Nous n'allons pas devoir décider, ou non, de nous connecter à un univers virtuel : il est déjà tout autour de nous, entourés que nous sommes de présence virtuelle. Le Métaverse, projet un peu fou, est peu de chose face au grand simulacre qui se présente à nous.
Nous acclamons des pixels en trois dimensions et dansons à leur suite, embrassant le simulacre comme notre nouvelle réalité.
La chose la plus miséricordieuse au monde, je pense, est l'incapacité de l'esprit humain à mettre en corrélation tous ses contenus.
Dans la multitude de notre ère connectée, trouver un sens d'appartenance et de communauté est notre défi le plus humain.
Dans l'ars combinatoria de notre époque, chaque combinaison de pensées et d'actions façonne notre avenir collectif.
Changer de perspective, c'est voir au-delà de l'écran de nos vies, reconnaissant la richesse cachée dans l'imprévu.
Comme l'astronaute de l'Odyssée de l'espace, nous voyageons à travers le chaos pour renaître dans la lumière de la compréhension.
Dans l'ère de l'incertitude, la confiance devient notre boussole, nous guidant vers des choix éclairés et un futur plus humain.
Dans l'univers de l'interconnecté, les véritables envahisseurs sont les idées qui réduisent notre humanité à des équations.
L'imprévisible est l'essence même de la vie, un rappel constant que le futur est une toile vierge.
Derrière chaque calcul, il y a une histoire humaine, riche et imprévisible.
En déléguant nos choix, nous apprenons la valeur de la confiance et la liberté de lâcher prise.
L'épuisement n'est pas une fin, mais un appel au changement et à la redécouverte de soi.
Dans le tumulte incessant de la vie moderne, le calme de l'esprit est notre refuge le plus précieux.