Courriel adressé à B. De Stabenrath, qui n'a pas jugé utile de me faire une réponse digne de ce nom, mais passons...
Bonjour Bruno,
Je sais d’expérience que peu de lecteurs écrivent aux auteurs, sauf dans le cas d’auteurs très médiatiques. Aussi ai-je la faiblesse de penser que vous lirez ce qui suit, et que peut-être même vous y répondrez.
Il est bien sûr question ici de votre dernier livre publié : l’Ami impossible.
Je vous connais depuis longtemps, mais sans vous avoir lu jusqu’alors, et c’est donc « l’Affaire » qui m’a mené jusqu’à vous.
J’ai lu pas mal de choses depuis 2011, et dernièrement bien sûr Society (je me demande au passage pourquoi vous n’y avez pas été interviewé ; l’opération aurait été à bénéfice mutuel). J’étais donc plus qu’intéressé par l’idée d’un témoignage de première main, non sur l’acte lui-même mais sur son auteur et ses mystères. Et je n’ai pas été déçu. Seul le premier chapitre m’a paru un peu lourdaud littérairement, mais passons. Dès qu’ensuite vous rentrez dans le vif de votre rencontre avec Xavier (évitons cette quasi marque publicitaire aujourd’hui : XDDL) dans le cadre particulier de votre milieu aristo-versaillais, le récit devient passionnant, et le restera jusqu’à sa conclusion.
Quelques points de détail : je me demande pourquoi tous les noms, horsmis ceux des principaux protagonistes sont maquillés ; jusqu’au lycée Saint-Exupéry devenu le lycée Saint Thomas d’Aquin… Votre livre ambitionne de livrer un témoignage au plus près de la vérité, quel intérêt alors que ces subterfuges ? Prudence juridique ? Vous inventez par contre (c’est du moins ce que je crois…) un personnage, Barthélémy, votre « agent d’information local », ce que je comprends ici tout à fait. Après tant de pages sur votre relation parsonnelle avec Xavier, poursuivre votre récit sur le mode « J’ai vu sur BFM » ou « J’ai découvert dans le Figaro que… » aurait légèrement refroidi le lecteur…
Mais venons-en au principal, cad à mes yeux au mobile des meurtres.
Dans votre livre et dans vos interviews, vous avancez l’idée de « meurtres altruistes ». Sur la foi de votre témoignage personnel, sur celle aussi des écrits laissés sur la toile par Xavier, se dessine pourtant un tableau bien différent.
Xavier a une personnalité fracturée. Fracture culturelle d’abord. Il est issu d’un milieu très conservateur, a le sens de valeurs telles que l’honneur, le devoir, la fidélité… A ce titre, il appartient à l’« ancien monde ». S’y ajoute une éducation religieuse à la frontière du mysticisme. Dans le même temps, il est attiré par le Nouveau Monde, les USA, par sa musique, son cinéma, son esprit d’entreprise… Son drame est de ne pouvoir – jusqu’aux meurtres – choisir entre l’un et l’autre monde. L’abandon par le père, les espoirs mis dans son fils par « Violette », lui interdisent de trancher. Et cela se prolonge avec le mariage, les enfants… Peut-être, comme vous le dites, n’a-t-il pas le courage de partir, de vivre son rêve d’adolescent. A cet égard, Bruno, vous êtes un modèle pour lui. Même si au départ il se croit supérieur à vous comme à tous ceux qui l’entourent, il doit admettre que vous, vous avez eu le courage de vivre votre vie. C’est encore plus vrai après votre accident. Il est impressionné par votre volonté de vous en sortir quand lui patauge toujours davantage dans ses contradictions. Je pense même qu’il est jaloux de vous, surtout après votre livre Cavalcade, et que c’est une des raisons pour lesquelles il marque ses distances avec vous.
Durant toutes ces années, les deux Xavier coexistent en lui. D’un côté, le fils, père et mari irréprochables, et de l’autre le fou d’ailleurs, le mytho/mégalomane inassouvi. Son temps est fracturé comme son cerveau. Voyages aux Etats-Unis et retour au bercail. Puis, pendant de nombreuses années, semaine sur les routes (on the road again…) et week end au bercail. Ce bercail est lui aussi fracturé. Vie de famille dans les étages, et dans la cave l’endroit où Xavier poursuit ses rêves de grand « reset »… Prisonnier de sa vie, il n’a de cesse de vouloir unifier ces deux parts de lui si dissemblables. Il croit longtemps la chose possible. S’il est bien l’Elu, comme le dit sa mère, il aura tout pouvoir bientôt pour dépasser ses contradictions et sortir de son conflit intérieur par le haut. Mais cette promesse tombe à l’eau en 1995 – échec de la résurrection du nouveau pape… Reste la réussite dans les affaires. Le succès sera son sésame. Ne parle-t-on pas du pouvoir libératoire de l’argent ? Mais là aussi c’est un échec. Xavier est bientôt pris à la gorge. Il ne gagne plus rien, il a des dettes, les huissiers menacent… Ses difficultés matérielles ultimes représentent bien plus, à ses yeux, qu’une simple banqueroute financière. Elles signent la fin de sa grande ambition: réunir les deux Xavier. Il va lui falloir désormais choisir.
99,99 % des gens, placés dans cette situation difficile, font le choix d’en parler à leurs proches pour trouver des solutions. Certains autres – lâches ou courageux, c’est selon - abandonnent femme et enfants. Enfin quelques rares choisissent de se suicider.
Xavier, lui, décide de tuer toute sa famille.
La question est pourquoi ?
L’hypothèse du crime altruiste ne tient pas longtemps. Dans certains cas extrêmes, on tue un proche pour lui épargner des souffrances physiques ou morales jugées insupportables. Rien de tel ici. Du côté des familles Ligonnes et Hodanger, on avait de quoi subvenir aux besoins des enfants – déjà grands au demeurant. Ceci est d’autant plus vrai dans un milieu qui cultive les valeurs familiales et l’esprit de clan. Agir sous l’empire de l’impulsion ou de la bêtise, cela existe, mais Xavier est intelligent et ne prend aucune décision sans l’avoir mûrement réfléchie. (En matière de bêtise, je repense à l’histoire de cette ado américaine qui projetait de faire tuer son petit ami - qu’elle voulait quitter - par un tueur à gages, sous le prétexte qu’il ne supporterait pas la rupture…).
Non, comme je l’ai dit plus haut, Xavier a renoncé à la fusion des deux entités qui le constituent. En nietzschéen qui s’ignore ou pas, il veut tuer le Xavier de l’ancien monde et tout ce qu’y s’y rattache. Non au sens figuré, mais pour de vrai. Car Xavier est en réalité un psychopathe.
Naît-on psychopathe ? Le devient-on ? J’imagine que, comme dans le cas des psychoses, il faut pour activer en soi cette inclination un environnement favorable et/ou un événement déclencheur.
Une question : Bruno, avez-vous eu l’impression parfois, au détour d’une phrase, d’un geste, que Xavier n’était peut-être pas celui que vous pensiez ? J’ai l’impression que l’être sensible, sincère, empathique que vous êtes à l’évidence lui prêtez une personnalité et des sentiments qui n’existent que dans votre imagination. L’amitié et l’amour n’ont en réalité, je pense, pas d’existence sensible chez Xavier. Je crois d’ailleurs que c’est une chance pour vous de vous être éloigné de lui dans les dernières années. Le choc des meurtres et la révélation de cet autre visage (en réalité le vrai) de Xavier s’en sont trouvés sans doute atténués chez vous ; grâce aussi j’imagine au travail de mise à distance/en récit que constitue votre livre. Emmanuel Teneur et Michel Rétif n’ont pas eu cette chance. Xavier les a tués eux aussi.
Je n’ai pas connu Xavier, mais je note un certain nombre de caractéristiques dans ses écrits et ses comportements rapportés ici ou là. Aucune autodérision, aucun recul ironique sur lui, sur les autres, sur le monde. Ses propos sont exempts de chaleur humaine, de sentiments vrais. Il raisonne, il argumente – souvent laborieusement -, il juge, mais il paraît ne rien ressentir. Il ne pleure ni sur les autres, ni du reste sur lui-même - condition première pourtant de l’altruisme… - Dans une lettre à Catherine, son ancienne amourette de l’ile de Bréhat, Xavier s’étonne avec candeur de n’être jamais déprimé malgré les difficultés qu’il traverse. Tout est dit.
Il est beau garçon, il a la parole facile, il porte un titre… autant d’atouts objectifs pour séduire. Mais ce handicapé des sens ne peut aller au-delà. Il peine à s’accorder à ses interlocuteurs. Il les impressionne, il les manipule, il les domine éventuellement mais il est impuissant à nouer avec eux une relation intime. D’où ses déboires en affaires, où les décisions se jouent justement sur une fine compréhension des attentes de l’autre. D’où également ses peu de succès féminins. Il n’est « efficace » dans ce domaine que dans son cadre conventionnel, celui dont paradoxalement il voudrait se libérer. Les filles émancipées lui sont étrangères, illisibles… Agnès, celle que vous décrivez comme une « cocotte adultère de province », est à cet égard parfaite pour lui. Il ne peut pas espérer mieux.
Sa famille, humainement, ne comptait pas pour lui. Elle ne représentait qu’un enjeu narcissique, un signe extérieur de statut. Du moment où il décide de supprimer le premier Xavier, celui de la « Cité des hommes », elle n’est plus que le méchant miroir de ses malheurs terrestres ; un boulet.
La façon dont il évoque la mort des siens à plusieurs reprises dans ses écrits est juste stupéfiante de détachement et d’inhumanité. Dans le courriel adressé à Catherine, si Xavier voulait juste lui soutirer (encore) de l’argent, le chantage au suicide suffisait. Ajouter le meurtre de sa famille n’était d’aucune utilité et risquait de lui attirer de gros ennuis. (On se demande d’ailleurs pourquoi Catherine ne s’est pas précipitée à la police pour faire état de cette menace gravissime…). Cela pour dire que quand Xavier parle de tuer femme et enfants, il est juste sincère. Il semble ne pas réaliser qu’il parle d’êtres humains…
Sa famille lui appartient. S’il veut survivre, il doit la sacrifier. Cela rappelle l’histoire de cet homme, prisonnier de rochers dans le Canyon Blue John et qui s’en libère en se coupant le bras avec un canif… Tuer sa famille sera douloureux, mais il doit le faire.
Il le fait donc. Avec une détermination sans faille. Pas de doute que le passage à l’acte aura été favorisé par le conditionnement qu’il subit depuis l’enfance. L’idée d’apocalypse entretenue par sa mère continue de l’habiter, même après 1995. L’apocalypse universelle sera juste remplacée par une apocalyse domestique… dont lui seul sortira vivant !
Sa dernière image connue devant le distributeur montre un visage de warrior, de vainqueur. A ce moment, Xavier n’est plus le raté social, un couillon de cocu. Il est un survivant de l’Apocalypse.
Il est l’Elu.
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