« Toi évaporé dans les ténèbres de l'infini, je garde pour moi, jusqu'à mon dernier souffle, les meilleurs de nos souvenirs, attendant que les feux de la mémoire s'éteignent doucement. Il faut donc que je vieillisse avec cette sempiternelle douleur et cette immense question dont on sait qu'il n'y a pas de réponse sur cette terre mais que, sans doute, elle se trouve au ciel, dans les limbes des paradis inachevés. Qu'as-tu fait Xavier ? ».
Emouvantes ces dernières pages qu'adresse l'auteur à son ami Xavier Dupont-de-Ligonnès. J'ai beaucoup aimé ce livre. Il s'en dégage à la fois de la tendresse et tout un questionnement dont émerge une douleur « Vieux frère, comment en es-tu arrivé là ».
Au cours d'une interview accordée par l'auteur à la sortie de son livre et au travers de ses réponses,
Bruno de Stabenrath m'avait particulièrement touchée. Stab (pour ses copains) m'était apparu en souffrance, en dualité, ne parvenant pas à faire coïncider l'image de son ami de longue date et l'image de l'homme le plus recherché de France. En suivant, j'avais lu le billet incitatif de Bookycooky, il ne m'en fallait pas plus pour m'offrir ce livre et je ne l'ai pas regretté. A aucun moment, je ne me suis ennuyée et j'ai ainsi pu découvrir un auteur de qualité.
Bruno et Xavier se sont rencontrés dans les années 70, sur les bancs d'un lycée privé catholique de Versailles «
Saint-thomas d'Aquin ». Issus tous les deux d'une famille aristocratique que je qualifierais de "fin de règne", Stab nous dresse un portrait intimiste et tendre de cet homme énigmatique qu'est son ami d'enfance,
Xavier Dupont de Ligonnès. Il retrace la naissance de cette amitié et la connivence qui s'installe. Passionnés de rock, d'Elvis, rêvant de parcourir la Route 66, la relation s'est très vite révélée prometteuse.
L'auteur nous emporte vers un sympathique retour dans les années 70. Les deux amis prennent vie tous les deux sous nos yeux, affichant la cigarette au bec tout en suivant du regard les filles qui passent. C'est avec un réel plaisir que je me suis glissée entre les deux copains afin d'écouter la musique, me remémorant cette Amérique fantasmée (rien à voir avec celle d'aujourd'hui) parce qu'inaccessible : faire la route 66 en moto. Qu'importe banlieue chic ou banlieue plus modeste de l'est parisien, nos rêves et nos préoccupations étaient les mêmes.
Mais le temps passe, chacun tente de construire sa vie et les responsabilités finissent par user. Les épreuves n'épargnent personne. Bruno aura la force de surmonter l'une de ces épreuves qui vous laissent des traces à vie, celle qui vous diminue physiquement. Mais pour Xavier, petit à petit, le vernis se craquelle. Il faut beaucoup d'humilité face à la vie pour ne pas se mentir, ne pas tricher et il faut être très structuré dans sa tête pour résister à l'endoctrinement d'une mère qui est à la tête d'une secte et qui vous a convaincu que vous étiez un « élu ».
L'écriture est fluide et rend la lecture très agréable. Stab, tout en évoquant avec finesse cette belle amitié, cette relation solide qui les liait, nous restitue discrètement la photographie intime de leur famille respective. Il « déshabille » un milieu familial, social, affectif, pour tenter de mieux cerner l'origine ou les origines de ce drame monstrueux. Ce n'est pas l'histoire d'un fait divers. C'est avant tout l'histoire d'une belle amitié mais aussi d'un jeune homme, lumineux, séducteur, qui ne parvient pas à accepter les règles de la vie d'autant qu'il est sous l'emprise d'une mère toxique qui le décevra, créant ainsi une faille qui n'est pas anodine dans ce drame. L'auteur ne tombe jamais dans le vulgaire, le voyeurisme, il ne juge pas. Petit à petit, tout en racontant cette belle histoire d'amitié, les années qui défilent, les épreuves, les déceptions, les charges de famille, les dettes, le coeur se serre à l'approche du drame. Les derniers chapitres sont poignants, Bruno cherche à retracer les derniers soubresauts de la famille Dupont-de-Ligonnès mais Xavier lui glisse souvent d'entre les mains. Pour lui, son ami est en fuite, caché sous une autre identité, loin, très loin de Nantes. En réalité, l'énigme reste entière !
C'est réellement un livre très bienveillant, attrayant, loin de tout ragot, et qui tente de trouver un chemin parmi les aléas de la vie, un semblant de réponse pour expliquer l'horreur de ce drame.