Carl Gustav Jung

C'est précisément par mon travail de thérapeute que j'ai commencé à comprendre la foi chrétienne dans son noyau essentiel. (...) Je peux vous assurer que par mon travail analytique je suis parvenu à comprendre non seulement la religion chrétienne, mais, pourrais-je dire, toutes les religions.
A Monsieur le Pasteur Oscar Nisse
Bruxelles, 2 juillet 1960

En réalité je m'occupe de représentations anthropomorphiques de la divinité, et ceci en mettant les pieds jusque dans la vase du fond des mers, (...). Mais cette vase, c'est l'esprit humain tel qu'il a été pendant de nombreux millénaires.

Comme votre aimable lettre ne m'a pas seulement amusé, mais aussi instruit, elle mérite qu'on lui accorde une attention particulière. Elle est l'expression typique d'un lecteur intelligent d'aujourd'hui, et obéit à l'excellente règle qui veut qu'on ne lise ni les introductions et préfaces ni les notes en bas de page, qui ne sont jamais que des ornements inutiles. Le mieux est de commencer un livre par la fin, ou du moins au milieu. Ainsi on voit parfaitement de quel non sens il s'agit. (...)
Si vous aviez seulement jeté un coup d'oeil à ma préface et introduction, vous auriez découvert que mon petit livre ne s'intéresse en définitive pas à ce que vous ou moi pouvons croire à propose de Dieu, mais uniquement, et en toute modestie, à ce que l'histoire des symboles a à nous dire là-dessus.
Comme vous n'avez pas pris garde à cette petite différence, vous comprenez de travers toute mon argumentation, faisant comme si j'avais discuté la nature de Dieu. En réalité je m'occupe de représentations anthropomorphiques de la divinité, et ceci en mettant les pieds jusque dans la vase du fond des mers, (...). Mais cette vase, c'est l'esprit humain tel qu'il a été pendant de nombreux millénaires.

Bien que l'anachorète ne représente pas un mode de vie exemplaire, la solitude de l'expérience religieuse peut être et sera pourtant un moment de passage aussi inévitable qu'indispensable pour qui vise l'expérience essentielle, c'est-à-dire l'expérience religieuse originelle. Elle seule constitue pour lui le fondement authentique et inébranlable d'une vie intérieure de foi. Mais s'il a atteint cette certitude, il ne peut normalement pas en rester là, seul. Son accomplissement le porte à communiquer, et la communication exige un langage.

Pour les premiers chrétiens, comme pour tous les primitifs, il fallait que la résurrection fût un événement concret, matériel, que l'on pût voir de ses yeux et toucher de ses mains, comme si l'esprit n'avait pas d'existence propre. Aujourd'hui même encore, les humains ne peuvent pas saisir sans difficulté la réalité d'un événement psychique, à moins que celui-ci ne soit en même temps concret.
A vrai dire, la résurrection en tant qu'événement psychique n'est pas concrète. C'est une expérience purement psychique. Il est singulier que les chrétiens soient restés tellement paiens qu'ils ne comprennent pas l'existence spirituelle autrement que comme corporelle, comme événement physique. Je crains que nos Eglises chrétiennes ne puissent maintenir plus longtemps cet anachronisme choquant, sous peine de s'empêtrer dans d'insoutenables contradictions.

La réalisation du Soi signifie aussi la reconstitution de l'homme en microcosme, c'est-à-dire de sa relation avec le cosmos. De telles réalisations sont souvent accompagnées d'événements synchronistiques. (L'expérience de la vocation, expérience prophétique, relève aussi de cette catégorie.)

Le Soi en tant qu'archétype représente une totalité numineuse qui ne peut être exprimée que par des symboles (le mandala, l'arbre, etc.). C'est une image collective, qui, en tant que telle dépasse l'individu dans le temps et dans l'espace et n'est donc pas exposée à l'impermanence d'un corps seul et unique : la connaissance du Soi est presque toujours liée au sentiment de l'intemporalité, de l' "éternité" ou de l'immortalité (cf l''Atmân, personnel et transpersonnel).

(...) celui qui ne vit pas de manière irréfléchie se voit sans cesse mis dans la situation difficile de sauvegarder son Moi tout en prêtant audience au non-Moi. C'est précisément dans ce conflit qu'il fait preuve de son humanité, je pense.

Généralement, dans les deux Eglises chrétiennes, on n'apprécie pas l'importance et la signification psychologique du rite : pour les uns, il est un acte de foi ou de coutume, et pour les autres un acte magique. Mais il y a en réalité un troisième aspect : c'est celui d'un acte symbolique, exprimant l'expectation archétypique de l'inconscient. (...)
C'est un fait naturel qui demande d'être reconnu, une question qui veut être répondue et un besoin qui doit être satisfait par un acte solennel caractérisant le moment numineux par un ensemble de gestes et de paroles de nature archétypique et symbolique. Par le rite, satisfaction est donnée à l'aspect collectif et numineux du moment au-delà de sa signification purement personnelle. Cet aspect du rite est de la plus haute importance.

Par l'emploi de la forme latinisée "Regina", Jung fait allusion à l'opus alchimique ou au processus psychologique de l'individuation dans lesquels Rex (le Roi, psychologiquement : l'animus) et Regina (la Reine, psychologiquement : l'anima) s'unissent. Ils représentent les deux aspects, polarisés, de l' "homme intérieur" ou de la totalité humaine. Le fait que l'anima soit nommée "Regina" signifie également qu'on lui attribue un rang plus élevé, qui la fait passer de son rôle de séductrice à celui de conductrice. Cf. à ce sujet le chapitre "Rex und Regina", in Mysterium Conjunctionis II.

(...) le Soi est une personne vivante et a toujours existé. C'est là une conception que partagent la philosophie hindoue (qui remplit la même fonction que la théologie dans le christianisme), le bouddhisme, le taoisme, une certaine branche mystique de l'islam et le christianisme. Ma psychologie s'intègre également dans cette auguste assemblée, en apportant sa modeste contribution

Extrait d'une lettre adressée à une théologienne protestante.
Pour moi, personnellement, la religion est une affaire de toute première importance; c'est pourquoi je prends sur moi n'importe quel blâme visant celui qui s'attaque à un domaine resté tabou. C'est pourquoi, aussi, je dérange le sommeil de ces "justes" qui refusent de faire l'effort de se réveiller et de sortir de leur subjectivisme, de leur rôle de porteurs de message et de leur irresponsabilité en face des exigences du temps. Peut-être cela vaudrait-il la peine de faire comprendre à l'homme cultivé d'aujourd'hui, pour une fois, ce qu'es le christianisme, et de ne pas laisser cette tâche urgente aux soins du psychiatre. C'est dans ce but que, dans mon petit livre, j'ai voulu faire ressortir ce qu'un contemporain qui réfléchit peut comprendre dans la tradition chrétienne. Il est temps de laisser de côté l'orgueil confessionnel qui consiste à se croire en possession de l'unique vérité et qui a pour effet d'approfondir sans cesse le schisme de la chrétienté, alors qu'il convient de se concentrer sur la seule question importante: Que signifie, au fond, la religion ?

La nuit dernière j'ai rêvé d'au moins trois prêtres catholiques, très amicaux, l'un d'eux possédait une magnifique bibliothèque.

Pour arriver au sommet du Mont Blanc, il faut faire beaucoup de petits pas.
Mais il faut bien commencer un jour.

Le rythme […] est à trois temps, le symbole par contre est une quaternité.

Il me semble quant à moi que la mission la plus importante de l'éducateur moderne de l'âme serait de montrer aux hommes une voie pour parvenir à l'expérience originelle rencontrée par exemple par saint Paul sur le chemin de Damas de la façon la plus nette. Mon expérience me montre que cette voie s'ouvre seulement dans le processus spirituel de développement de l'individu.

Personne plus que moi n'est pénétré de la nécessité des convictions religieuses, mais c'est justement pour cette raison que j'attache une importance primordiale à la question pourrait-on dire technique de la voie par laquelle l'expérience religieuse devient au moins possible.

Le chemin que vous parcourez ainsi vous conduira au coeur de ce vécu intérieur qui prélude à l'origine du christianisme. Les expériences ainsi faites permettent une interprétation de la dogmatique chrétienne qui fait apparaître celle-ci comme symbolique, c'est-à-dire comme l'expression de certains événements psychiques fondamentaux.

Il y a derrière toute religion, vous le savez aussi bien que moi, des expériences déterminées qui, au cours des siècles ou des millénaires, se sont traduites dans des rites ou des représentations cultuelles. "Le chemin de l'eau" s'appelle pour les chrétiens le "chemin du baptême". Or l'évolution historique a tellement éloigné le "chemin du baptême" de son sens originel que l'idée du baptême est en quelque sorte dans l'air et fait disparaître d'une manière ou d'une autre l'expérience baptismale proprement dite. Mais si votre inconscient fait remonter à la surface le symbole de l'eau, cela signifie qu'il essaie de vous redonner l'expérience baptismale dans sa forme originelle.

Tant que vous insistez sur l'historicité, non seulement vous risquez de susciter des questions qui trahissent l'incompréhension et ne comportent pas de réponse, mais encore vous détournez tous les regards de l'essentiel, de l'idée, vers la réalité grossière d'un phénomène purement corporel. Il n'y a plus alors qu'un événement physique qui s'est déroulé en un certain lieu, en un certain temps, alors que l'esprit est éternel et omniprésent. Même le corps subtil n'existe que relativement au temps et à l'espace. Si nous faisions de l'assumptio un événement dans le temps et l'espace, nous devrions ajouter que dans sa véritable réalité elle a lieu éternellement et partout.