Citations de Caroline Solé (128)
Pouvoir choisir précisément le mot qui sort de sa bouche, lui donner une teinte particulière, unique, qui reflète vraiment notre âme à un moment donné, c'est pourtant, selon moi, la plus grande des libertés.
Tes parents ne te comprennent plus. Ils n’ont pas vu ce qui s’était passé pour que tu deviennes aussi irascible, apathique, morbide. Et toi non plus, tu ne comprends pas ce qui t’arrive. Car il ne s’est rien passé de particulier.
« Un game n’est jamais vraiment over. Chaque joueur connaît son classement, ses erreurs, sa marge de progression pour rejouer une partie. Dans le monde réel, comment mesurer son score, s’assurer qu’on progresse dans la bonne direction? »
Ce n'est pas facile de sortir de l'ombre quand on n'a pas d'adresse. Même si l'espace géographique porte le nom de Londres, je n'habite pas vraiment dans une ville précise. Un carton ne possède pas d'architecture particulière, de signe distinctif pour montrer qu'il vient d'une région plutôt qu'une autre. Un carton, c'est un carton.
Bon. Il faut que je me secoue les puces. Jaime bien cette expression, comme s'il y avait de minuscules souvenirs collés à ma peau et que, en me remuant un peu, je pouvais les faire tomber.
[C'est] perdant-perdant: oeil pour oeil, dent pour dent. Les passants pourraient glisser par terre, je ne lèverais pas le petit doigt parce que les seules fois où quelqu'un l'a fait pour moi, c'était avec le poing.
S'il faut raconter mon histoire, alors autant commencer par ce jour pluvieux à Chinatown puisque tout commence et tout finit à Chinatown.
Vivre séparé de sa famille, ça ne veut rien dire. On peut penser à eux tout le temps sans se trouver au même endroit et rêver de les quitter en habitant sous le même toit. (p.75)
Tu crois pouvoir brûler tous les feux rouges et t'en sortir indemne. Toute expérience est bonne à vivre, penses-tu. La vie se chargera de te contredire.
Mon quotidien n'avait aucun intérêt, je me le répétais sans cesse. Mon corps était un boulet. Mon cerveau me tourmentait. Je ne parvenais pas à exprimer ce feu confus qui me consumait.
Tu restes assise des heures à réfléchir sans trouver une issue à ton mal-être. L'air de rien, ton corps de gamine s'est arrondi. Un jour, tu te regardes dans la glace et tu vois une grosse, tu deviens obsédée par l'idée de maigrir. Tu fais des pompes dans ta chambre pour perdre du poids, tu te pèses chaque matin en notant sur un graphique les kilos, tu manges le Nutella à la cuillère avant de te faire vomir. Cela me semble une telle méprise aujourd'hui. Tes courbes ne sont pas des excès qu'il faudrait infléchir ; tu t'arrondis car tu deviens une femme.
Quinze ans, c'est un enfant de cinq ans ; fois trois.
Quelqu'un qui pleure constamment en toi.
Je cherche désespérément ta trace. Étrangement, tu sembles chercher également la mienne, comme si tu m'attendais.
Je t'en veux d'avoir fait une crise d'adolescence aussi morbide. Je t'en veux de ne pas avoir trouvé d'autres moyens de t'exprimer que l'autodestruction. Je t'en veux d'avoir lâché notre corps comme si c'était un étranger. Je t'en veux profondément de m'avoir fait vivre une errance dont je mettrai des années à me remettre. Parce que tu ne sais pas tout, encore.
Tes carnets ne sont que l'écume pour tromper le monde. Une mise en scène pathétique pour te donner un rôle, quand tu restes lestée dans les bas-fonds. Je dois m'ancrer autrement, ou plutôt m'encrer. Je cherche, je cherche... Je cherche ces mots qui te sont restés dans la gorge et m'oppressent encore, trois décennies plus tard.
Je ne peux pas réécrire l'histoire, pas celle-là. Tout ce que je peux faire, c'est t'insuffler un espoir : n'oublie jamais, aux heures les plus sombres, que tu vas t'en sortir.
Quand on touche le fond, il paraît qu'on ne peut pas tomber plus bas. Pourtant, tu as longtemps chuté d'un fond vers un autre fond.
Tu te souviens de ce sentiment de liberté qui t'a étreint en arrivant à Londres ; puis de l'amertume en rentrant à Paris : tu t'étais sauvée de France pour exister, avant de devoir fuir l'Angleterre pour te sauver.
Pourtant, tu n'as pas l'impression d'exister. Tu te sens transparente, piégée à l'intérieur d'un fantôme que l'on prend pour toi. Tu traînes ce corps qui n'est pas le tien. Il t'étouffe. Ce n'est pas une chose dont tu peux parler avec les autres : ce sentiment de ne pas exister. C'est indicible est incompréhensible.
Pourtant, de nombreuses personnes flottent au-dessus de leur vie. Certaines traversent ainsi toute leur existence sans être réellement elles-mêmes. Pour toi, c'est encore plus compliqué ; tu ne flotte pas seulement, tu es piégée à l'intérieur. Tu ne sais pas comment sortir de toi.
Adolescente, tu ignorais que tu ferais ce choix de femme : ne pas enfanter. Non pas refuser de faire des enfants, mais de désirer vivre autrement.
À toi, aujourd'hui, pas de mensonges : toutes les femmes n'enfantent pas et toutes les femmes qui enfantent ne parviennent pas toujours à être mères. On ne devient pas femme simplement en perdant sa virginité ou en procréant. Si les sillons de ta route se sont formés dès l'enfance, ton identité de femme se construit pas à pas. Et personne, pas même une mère, ne peut la transmettre en cadeau. Et si la transmission à la solidarité féminine commencer avec soi-même ? De la femme qu'on est à la fille qu'on a été.
Un peu comme ces jeunes qui se filment avec leur portable : celui qui vit, c'est celui qui a sa tête sur l'écran et que tout le monde regarde ou celui qui prend la photo ?
Si, un jour, la célébrité vous tombe dessus comme la fiente d'un pigeon sur la tête, ne perdez pas de temps à vous pavaner derrière des lunettes de soleil : fuyez.
A n'importe quel âge, j'ai remarqué, les gens cherchent une bande. Au collège, on traîne avec ceux qui s'habillent comme nous et qui écoutent la même musique, on ricane aux mêmes blagues. Et on continue, adulte : on va se coller à ceux qui nous ressembles le plus, à la machine à café, au comptoir, dans les transports en commun et jusqu'au mouroir. Tout le monde veut entrer dans la ronde de ses semblables.
A mon avis, on sort du ventre seulement quand on sait qu'on peut y arriver. Quelles que soient les épreuves qui vont nous tomber dessus, on avait senti qu'on pourrait les supporter. Pour cette raison, ce jeu ne me fait pas peur. Pas complètement. Les niveaux de la pyramide, je peux les franchir, sinon je n'aurai jamais quitté le placenta.
Telle une aventurière de l'âme, j'explore ma crise d'adolescence et son état morbide qui se sont répandus comme une tache d'huile dans mon existence.
« Paris était vide. Pour ce week-end de chassés-croisés sur les routes, le ciel orageux était constellés de cafards, des petits nuages noirs sur le point d’exploser. J’ai imaginé les élèves de ma classe coincés avec leurs parents dans les embouteillages. Ils devaient avoir un casque sur les oreilles, un doigt qui glissait sur l’écran. Ils jouaient sûrement en ligne à acheter des animaux virtuels, à se construire des vies parallèles ou juste à empiler des cubes à l’infini. Ils s’oubliaient. »
Ne valait-il pas mieux me taire ? Pour une fois qu'un événement fissurait mon quotidien. Même si c'était un drame...
Quand je dis "les autres", je pense toujours à ma mère. Comme si elle avait avalé le monde entier en me donnant naissance. Une fois, elle a confié que mettre au monde une fille, c'était comme une douceur qui écorchait tout sur son passage.
Elle a honte quand mes bourrelets dépassent de mon jean. Elle fait des petites grimaces quand les gens me trouvent jolie. Je crois qu'elle confond son corps et le mien.
..." en moins de deux semaines, j' ai franchi deux niveaux virtuels sans que mon quotidien évolue. Courbatures, Sanisette, mendicité. Mon pseudonyme escalade la pyramide, mais je vis toujours dans le caniveau"....
la vie me paraissait simple : il y avait les bons élèves qui rendaient leurs devoir, obtiendraient leur diplôme, intégreraient le monde du travail et un foyer terne, et les aventuriers qui mèneraient une existence trépidante dans des ruelles malfamées.
Les yeux rivés vers l'horizon, je cherche mes mots. Des petites vagues moussent sur le sable. Le vent glisse sur l'eau et fait frissonner l'océan, comme un remous lointain de ce jour orageux où, agrippé à la crinière d'un cheval, je me suis sauvé.
C'est à moi de jouer désormais.