Cesare Battisti

D'un seul coup, les mouches recommencèrent à bourdonner.
Il y avait une brèche dans mon crâne Elles y entraient et en sortaient par flopées, attirées par l'odeur du sang frais.
Je me serais dévisser la tête avec les mains, et me serais enfui sans elle, si Mara n'avait pas été là à me parler de Gregorio et de sectes.

Je déteste les repentis du vice, ils deviennent des fanatiques de la prohibition.

Il y avait décidément trop de monde au fond de l'eau.

- Un écrivain devrait commencer par regarder autour de lui avant de prendre sa plume. Ce n'est qu'en apprenant à y voir clair et à souffrir avec les autres qu'on a vraiment quelque chose de valable à raconter ; tout le reste, c'est de la marchandise de supermarché. Tu me comprends, Chompeta ?
Et comment qu'il comprenait. Il avait mis le temps, mais maintenant, plus de doute. On l'avait engagé pour dévoiler leur histoire à la face du monde entier, pour raconter la frontière et les gens assassinés.

"Ce n'est pas en changeant de ciel que l'on change d'âme." Le père d'Antonio aimait à répéter cette phrase d'Horace à chaque fois que son fils était pris d'une fringale de voyages. Mais puisqu'il se trouvait sous un ciel indéchiffrable, éclair jour et nuit, même son âme avait droit à un bal masqué. C'était la seule explication possible.

Antonio déglutit en levant le yeux au ciel. Il lui semblait bas et plein d'étoiles. Il aurait pu les attraper une à une et les mettre au revers de sa veste comme un général des armées. Mais Antonio les laissa dans le firmament. elles lui seraient utiles plus tard, pour faire scintiller une victoire qui, il le sentait, était dans la poche.
Antonio s'éclaircit la voix.
- Fais-moi confiance, personne n'osera tirer sur un type armé d'un rouleau de papier-cul.
Suivi un silence où il crut discerner des roulements de tambour. Antonio préféra croire que son imagination lui jouait encore des tours.

Mais les grandes villes n'ont pas plus d'âme qu'un chantier électronique. Cosmopolite était le terme en vogue pour définir les métropoles de cette fin de millénaire. En réalité, elles lui semblaient de plus en plus mesquines et obtuses. Mais il n'osait le dire à personne ; cela aurait été du plus mauvais effet.

Ce n"est pas avec des insultes qu’on rend sa dignité à la nation.

Coincez un fonctionnaire dans les cordes et il deviendra un grain de sable dans la machine du pouvoir.

C’est un brave homme, mais il n’est pas capable de faire la différence entre respecter les règles et jouer avec elles. Cela lui évite bien des malentendus, mais ça ne le protège pas contre les procédures d’un ennui mortel. Le système ne fonctionne pas seulement avec des normes, il faut aussi du respect, de la confiance et de la bienveillance.

Bien que n’étant pas de son ressort, les droits des enfants ne doivent pas davantage être négligés. « Dites-moi honnêtement s’il existe un seul délit qu’un adolescent n’ait pas déjà imaginé », aime à répéter le sergent qui est sous ses ordres. Ramírez ne lui prête pas attention et, au lieu de laisser enfermer ces jeunes en maison de redressement, il convainc le juge de les placer dans une structure pédagogique. Il charge ensuite les agents de service de repousser les mères qui se présentent à la Contraloría avec des paniers remplis de victuailles.

La révolution socialiste, la paix et le bien-être du peuple, l’amour pour sa fille unique : telles sont les raisons de vivre de l’estimé directeur de la Contraloría Ciudadana de Santa Cruz de la Sierra.

C’est par vengeance qu’ils veulent le tuer. Dans la vieille Italie, la vengeance a des racines profondes ; les arracher, c’est comme retirer un bouchon, toute la péninsule coule, et il se noierait de toute façon, lui. Si au moins ce tremblement cessait l’espace d’un instant, le temps qu’il desserre les dents, qu’il envisage sereinement une mort plus digne. Ses roses jaunes sont en train de mourir de soif. Elles n’ont rien fait pour mériter ça et on ne peut pas dire qu’elles connaissent une fin meilleure que la sienne.

La réalité se limiterait-elle à ce qui est visible ? Ce n’est pas le moment de se poser des questions, il n’en a pas le temps. Les voilà repartis, un autre embarquement ,vers une destination inconnue.

Quand on dit que la vie est courte, c’est parce que tout se termine toujours avant d’avoir commencé. Il n’a fait qu’un pas, mais déjà il sent une distance impossible à franchir, la menace de lendemains trop semblables à aujourd’hui.

On ne passe pas d’un monde à l’autre sans partager une même sensation de rejet. L’espace d’un instant au moins, Adriano perçoit une forme de solidarité.

Celui qui a oublié la blessure peut-il trouver les causes de la douleur ?

Depuis que cette histoire a commencé, il s’efforce de remonter le fil de ses souvenirs, mais il finit toujours par se perdre dans les méandres du passé. Il a déjà tout oublié d’hier.

Adriano n’est jamais parti. Ce qu’il vit à présent n’est donc pas un retour, mais une secousse. L’annonce d’une fièvre tropicale, violente et fugitive, telle une passion du bout du monde. Pour ceux qui tombent du ciel, l’aéroport d’Urbe est la banlieue agonisante d’une étoile.

Il n’existe pas d’écriture suffisamment secrète pour permettre à l’homme de s’exprimer à travers elle avec vérité.