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Citations de Charles-Ferdinand Ramuz (534)


Le Vieux Jean-Louis



Le vieux Jean-Louis, il n’a rien qu’un œil,
on le dirait pas,
le vieux Jean-Louis sait marquer le pas
comme personne dans les danses.
Son accordéon est comme pas un,
avec un soufflet d’un mètre de long
et tout nickelé
et un souffle à faire danser
à la fois deux ou trois villages.

Çà fait des accords, ça siffle, ça ronfle,
avec des sonnettes et des trémolos,
qu’on entend de loin sur le pont de danse.

Il faut voir les doigts du vieux Jean-Louis,
quand il est parti,
courir sur les touches
et les yeux qu’il fait, sa tête qui penche, et
qui se balance
en mesure, tant il a plaisir.
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Il bougeait des fleurs de géranium sur l’appui des petites fenêtres percées dans l’épaisseur des vieilles façades grises qui bordaient la place.
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[CHAPITRE PREMIER]

Ils étaient trois dans la barque, et il y avait autour d’eux le grand bleu doux du lac par un beau jour de novembre, quand le soleil a moins d’éclat, mais l’air a retrouvé toute sa limpidité.

Comme c’était une toute petite barque, non les grandes noires qu’on voit, et les Tétu [1] l’avaient louée l’année d’avant déjà avec deux Savoyards pour le transport des pierres, la chambre qui est sous le pont n’avait guère qu’un mètre sur deux et on ne pouvait s’y tenir debout.

Ils allaient de bise, c’est-à-dire, vent arrière [2].

Un des Savoyards tenait la barre, l’autre était descendu dans la petite chambre dont on vient de parler.

Vincent se tenait assis à l’avant.

Juste au-dessous de lui s’entrouvrait l’eau tranchée, qui se renversait à droite et à gauche d’un double mouvement en arrière, comme la terre devant le soc et on aurait dit tout à fait un labourage, si le sillon n’avait pas été si vite détruit. Mais, quand on se retournait, on le voyait, à l’arrière de la barque, n’être déjà plus, s’étant soudain élargi, qu’un simple reflet en plus clair et simple et une sorte de cicatrice sur cette écume d’eau bougeante : rêve d’un sillon plutôt qu’un sillon, «ceux qu’ils font sur le plateau sont plus solides, heureusement pour ceux du plateau ! » [3] pensait Vincent.

Pourtant il était content d’être du lac, même il en était fier. Le lac, et les vignes au-dessus, mais qui sont dépendantes de lui, filles de sa chaleur, voilà où il se trouvait bien, où il était chez lui. Il aimait ces courses en barque. On est sur la vague, on est balancé. Il n’avait qu’à se mettre à l’avant comme il venait de faire: il semble qu’on soit pendu dans le vide. Du bleu en haut du bleu en bas: on ne voit plus où l’un finit, où l’autre commence. Un grand nuage blanc vient, puis un noir ; il y a lutte entre le blanc et le noir. Il y a, à des endroits, comme si on avait vidé des tonneaux d’huile sur l’eau tant elle est lisse et grise et ce gris fait tache dessus. Mais à d’autres, frappée de haut en bas par le soleil, comme d’un coup de lance, tout autour du point touché par le fer jaillissait d’elle comme un autre sang.

Il ne regardait pas la rive qu’on quittait, il regardait celle vers laquelle ils se dirigeaient.

Là sur la rive même sont de grands rochers d’où on tire la pierre avec laquelle dans tout le pays on construit les maisons [4]. Depuis que les hommes sont là, et, après avoir eu des huttes de bois seulement et avoir vécu à l’état sauvage, s’étant civilisés ils ont eu besoin d’abris plus durables, c’est-à-dire depuis des siècles et déjà au temps de Rome, les barques vont à vide et reviennent chargées, montrant au-dessus de leur bordage à ras de l’eau cet empilement des moellons qui font tout autour comme un mur.

L’année dernière ils avaient commencé ces voyages, étant trois frères, mais [c’était] presque toujours Vincent qui traversait. Il fallait, en effet, surveiller là-bas les métrages, on leur avait dit de se méfier, il y a des moyens de vous voler, on laisse des vides dans l’épaisseur, allez-y voir ensuite, ça fait tant de pieds cubes à tant le pied cube [5]. Samuel avait dit : « Je ne veux pas me laisser voler. » Vincent avait dit : « J’irai, si tu veux. »

Construction de la maison, il vaut la peine de se donner du mal. Ces murs sur lesquels plus tard viendra un toit, nous allons les avoir autour de nous jusqu’à la fin de notre vie, nos fils les auront après nous, nos petits-fils, nos arrière-petits-fils: il s’agit qu’ils soient bien construits et en une matière honnête, et l’arrangement surveillé, et la qualité du ciment, la qualité du sable aussi. Vincent avait donc tout de suite dit : « J’irai. » Mais c’est aussi, comme on a vu, qu’il trouvait plaisir à ces voyages, dont il faisait à peu près deux par mois, pendant les cinq mois d’hiver.

_________________________________________

[1] Les Testuz, famille établie dans la région de Lavaux depuis le XVIe siècle, possédaient un important domaine dans le prestigieux vignoble du Dézaley. Une maison de négoce porte encore leur nom. Aimant associer sous l’adjectif têtu des traits aussi bien physio- logiques que psychologiques (par exemple dans Aimé Pache, peintre vaudois: «mais il s’obstine, étant têtu, étant carré du front, et carré des épaules», Romans, 2, OC, XIX, p. 118), Ramuz aura trouvé évocateur ce patronyme à la fois réaliste et symbolique ; il explicite d’ailleurs ce symbole (la constitution d’une grande lignée exige de l’entête- ment) au début du deuxième chapitre.

[2] De part et d’autre du Léman, de bise ou en bise signifie en direction de l’est (Pierrehumbert).

[3] Le plateau du Jorat, voir note 15, p. 185.

[4] Une biffure vient escamoter un toponyme parfaitement identifiable pour le connaisseur de la région lémanique : Meillerie. Les carrières de cette petite ville qui sur la rive savoyarde fait face à Cully, et dont le nom apparaîtra quelques lignes plus loin (p. 175), alimenteront les chantiers de construction vaudois et genevois au XIXe siècle. Peut-être est-ce en pensant aux vestiges romains retrouvés à Cully que, dans la suite du para- graphe, Ramuz fait de ce commerce de pierre une pratique antique; les carrières de Meillerie ne furent toutefois ouvertes qu’à la fin du XVIIIe siècle (et fermées en 1939, suite au développement des constructions en béton). Les «barques à pierre», ou « barques du Léman », appelées encore « barques de Meillerie » (les « grandes barques noires» évoquées au tout début du roman) sont devenues, avec leurs majestueuses voiles latines, emblématiques du paysage lémanique du XIXe siècle. Par de telles références à l’histoire de la région (ajoutons-y celle de Davel, ou celle du vignoble), le récit s’inscrit dans un passé qui n’est pas tant historique que mythique.

[5] Sur son manuscrit, Ramuz corrige « mètre carré » en « pied cube ». En Suisse, le système métrique entre en vigueur suite à une loi fédérale de 1877. Plus loin, l’auteur glose en quelque sorte cette rature («cubant, métrant (il n’y avait pas encore de mètre) », p. 246), et explicite ainsi l’ancrage de son récit dans un passé, le XIXe siècle au moins, qui est aussi révolu pour le narrateur. On relèvera aussi une distance appréciée en lieues, p. 203.

[C.F. RAMUZ, "Construction de la maison" (1914), éditions Zoé (Chêne-Bourg), coll. "Zoé Poche", 336 pages, 2018]
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Emile était surpris de cette humeur variable ; il était surpris surtout de trouver Frieda si entreprenante ; ces choses-là lui faisaient peur. Mais il se disait qu'elle avait sans doute raison ; et précisément cette hardiesse lui donnait du respect pour elle.
La chambre à coucher était presque prête ; il n'y manquait rien que les draps.
« Tu vois si les lits sont jolis, disait Frieda, et j'ai bien fait de les prendre. Pourquoi voulais-tu garder le tien ?
— Parce que j'y tenais et puis j'aurais fait une économie. »
Elle haussait les épaules.
« Une économie ! Est-ce même une économie ? Ce n'est pas le plus cher qui est le plus coûteux. Est-ce que tu aurais un matelas comme celui-là ? Et ces ressorts, est-ce qu'ils sont doux ? »
Elle ajoutait en le regardant :
« On y sera bien. »
En même temps ses yeux se fermaient lentement, il n'y avait plus rien qu'une petite fente et, par cette petite fente, sortait une flamme noire qui s'élargissait sur lui, répandue sur tout son corps ; et dans ce moment-là elle lui aurait dit : « Donne-moi un collier de diamants », il l'aurait fait. Et elle lui aurait dit : « Va voler pour le payer », il l'aurait peut-être fait encore.

[C. F. RAMUZ, "Les Circonstances de la vie", éditions Payot & Cie (Lausanne) / Librairie académique Perrin (Paris), 1907 — Deuxième partie, chapitre I — page 198 de l'édition "La Pléiade", "C.F. RAMUZ : Romans", Tome I, 2005]
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Mais quelle infériorité plus grande que celle de ne pouvoir parler naturellement, de naissance, qu'une langue et de s'entendre dire qu'on ne la sait pas? Il n'y avait pas jusqu'à notre « accent » qu'on ne nous reprochât, comme s'il n'était pas, lui-même et à lui seul, une preuve excellente de notre appartenance à cette grande communauté des dialectes et patois français, car chaque province a le sien.
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L'art est fait de nouveauté, la mode d'une apparence de nouveauté: c'est par où à la fois ils se ressemblent et ils diffèrent.
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Il y a eu comme quand une mécanique se met en branle: un mélange de pleurs d'enfants, de cris de poules, de semelles à clous, de voix et, par là dessus:
"La maladie!"
Un bout de phrase toujours le même qui revenait continuellement, qui était jeté d'une porte à celle d'en face, de la rue à un des perrons, d'un de ces perrons au suivant:
"La maladie! La maladie!"
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Quant à New-York, outre que sa fondation est toute récente, on a vu que c'est une ville de colons, bien plus utilitaire encore et qui n'a même plus de dimanche ;

page 86
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Nous aimons trop, nous autres, une certaine espèce d'ordre qui consiste en de continuels nettoyages, d'incessantes "restauration" ; nous ne tolérons le passé que quand il fait figure de présent et ce qui est vieux qu'une fois qu'il a repris l'apparence du neuf ;

Page 63
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C'est qu'on peut venir à Paris pour "apprendre" tout court, mais qu'on peut venir aussi à Paris pour y apprendre Paris. Il y a l'enseignement de la vie. C'est à l'enseignement de l'école que je croyais avoir à faire ; je croyais d'autant plus n'avoir à faire qu'à lui que Paris m'avait semblé d'abord plus hostile et plus étranger. Mais peu à peu l'école s'éloignait, elle me quittait ; ce n'est pas moi qui m'éloignait et la quittais, c'est elle ; elle disparaissait à l'horizon avec son horaire et ses disciplines ; tandis que grandissait, se précisait, devenait de jour en jour plus familière et plus proche, cette vie de Paris qui ne prétend rien enseigner, qui ne délivre aucun diplôme, qui ne nous convoque pas à heure fixe, qui ne s'inquiète pas de vous, mais qui est là, qui vous entoure, qui vous appelle, et aux sollicitations de laquelle on finit, sans trop le savoir, par céder.

page 56
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Et alors vous êtes venu ; et le premier bénéfice que j’ai tiré de notre rencontre a été qu’elle m’a fait voir que ces choses comptaient aussi, qu’elles comptaient grandement pour vous. Vous m’avez délivré de mes doutes et de mes scrupules ; vous m’avez appris, en étant vous-même, à être moi-même. J’ai à vous remercier particulièrement de m’avoir encouragé à manifester mon plaisir (au sens plein) là où je le trouvais, tel que je le trouvais, sans chercher à le corriger d’abord, ni à me l’expliquer à moi-même ; - cela malgré l’immense approbation dont je me sentais entouré, qui m’entoure encore aujourd’hui, et qui aurait peut-être fini par me faire taire, comme tant d’autres, aurait fini par me faire douter de ce plaisir même, si vous n’aviez pas été là.
Autour de nous était (elle y est encore) une immense coalition d’habitudes et de goûts dont la condamnation allait d’instinct bien entendu à tout ce qui pouvait la rompre ; une grande coalition, et d’autant plus redoutable qu’elle était passive, autour de certaines choses, qui étaient permises et qu’elle protégeait, tandis que d’autres ne l’étaient pas et elle en défendait l’accès par les mêmes moyens, c’est à dire l’immobilité.
Il n’y avait qu’un façon permise d’aller aux choses permises, hors de quoi fonctionnait automatiquement un grand silence réprobateur.
Vous m’êtes apparu dans une zone de liberté que vous transportiez avec vous et où vous m’avez invité à prendre place dans mon pays même, de sorte qu’elle s’est trouvée occupée par les choses que justement j’aimais, mais que je n’osais pas aimer.
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Et bien, là-haut… Tu n'as qu'à te souvenir comment la montagne s'appelle… Oui, l'arête où est le glacier… Les Diablerets… […] Tu sais pourtant bien ce qu'on raconte. Eh bien, qu'il habite là-haut, sur le glacier, avec sa femme et ses enfants. […] Alors il arrive des fois qu'il s'ennuie et il dit à ses diabletons: "Prenez des palets." C'est là où il y a la Quille, tu sais bien, justement la Quille du Diable. C'est un jeu qu'ils font. Ils visent la quille avec leurs palets. Ah! des beaux palets, je te dis, des palets de pierre précieuse… C'est bleu, c'est vert, c'est transparent… Seulement il arrive des fois aux palets de manquer la quille et tu devines où elles vont, leurs munitions. Qu'est-ce qu'il y a après le bord du glacier, hein? Plus rien, c'est le trou. Les palets n'ont plus qu'à descendre.
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Mais il se passa que son amour, ayant grandi comme une plante sous une dalle, dérangea ses raisonnements et la fit souffrir. Et il poussa toujours plus fort et elle souffrit toujours plus. Il lui semblait que chaque jour en passant jetait une pierre dans son cœur ; et il devenait si pesant qu’elle tombait de fatigue. (p. 41)
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Il y avait toujours Notre-Dame en amont. Elle glissait lentement en arrière, avec ses deux tours vues à contre-jour, noires et immobiles sur un ciel chaotique, sans cesse en mouvement. Et, entre elles, un instant, la flèche était parue, mais elle avait été presque tout de suite offusquée. Et c'était Notre-Dame elle-même qui avait disparu ensuite, avec la Seine et sa vaste ouverture sur l'espace, parce que nous nous étions engagés dans d'étroites rues, assez tristes, mais historiques, comme je pouvais le lire en blanc sur les plaques indicatrices en émail bleu.
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-Votre liberté, qu'est-ce que c'est ?
Ah! emprisonnés que vous êtes, ah! numérotés! et il y a la liberté écrite sur vos murs, mais regardez ce qui est dessous...
Ça s'appelle des règlements, des décrets, des lois, des permis, ça s'appelle des autorisations; moi, je suis autorisé à mourir...
Alors, de différents côtés dans la gorge, les pierres se sont mises à tomber en abondance:
-Vous ne savez pas qui je suis! Le roi d'Italie ne le savait pas non plus; il l'a su! Et, vous, vous aviez cru me garder dans vos galères: je n'y suis pas resté longtemps! Maintenant, venez me prendre !...
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Et de nouveau une chose claire naissait là,une chose claie est venue, tandis que les mais, au-dessus, faisaient beaucoup de petits signes comme dans le langage des sourds-muets.
[...]
Il regarde à présent ces autres mains qui allaient vite, allaient, allaient encore, avec les signes de leur doigts comme pour des choses à dire, au-dessus du tablier vert qui s'enfonce entre les genoux.
[...]
De nouveau les osiers font leurs signes l'un devant l'autre et écrivent comme à la craie leurs lettres en l'air.
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il tend les mains voulant avoir et voir, confondant voir avec avoir, comme font les petits enfants, et c'est ce qui est beau. Touchant avec les yeux, voyant avec les mains, ne voyant pas encore sans toucher; et, comme il ne peut ni voir, ni toucher, et veut les deux choses, voila qu'il se fâche.
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Là où la tête de l'homme s'est posée pour la nuit; elle, elle a mis la sienne tout à coté, et il y a eu sur l'oreiller deux têtes.
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Les premières mouches passaient à vos oreilles, comme quand on souffle dans une trompette. Il a fait beau, il a fait bon; chaque bête avait sa cloche ou son grelot de fer battu.

Chapitre IV
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Le soleil était venu de très bonne heure, malgré la hauteur des montagnes autour de nous; c'est qu'on était dans les plus longs jours de l'année.

Chapitre IV
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