Christian Astolfi livre un court récit émouvant d'une femme en fin de vie, que son fils vient voir après qu'elle a fait une chute nécessitant son hospitalisation. Elle sait qu'elle ne reviendra pas chez elle. Lucide, elle décrit sans fard la dépendance et le regard changé de son fils, souffrant en silence de la déchéance de sa mère.
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Il y a eu la chute;
une véritable mise à genoux.
La perte de la verticalité
et de la capacité d'aller et venir.
Il y a eu l'immobilité
Une sorte de contraire de la vie..
Après l'hôpital, l'exil a été organisé
d'un centre de rééducation à
une maison de retraite.
C'est elle qui raconte,
elle qui ne pensait jamais
mettre un de ces horribles survêtements,
jamais "finir" en maison de retraite .
Son fils unique et silencieux est là,
il suit comme il peut,
la décomposition de sa mère .
Peu de mots, presque pas de mots
mais une présence .
Jusqu'où vont ils aller tous les deux
sur ce chemin des pertes?
Un texte court, vrai, fort,
qui dit, qui tait
comme dans la vie
Comme après celle ci.
La langue est belle, l'écriture et l'histoire
vous font captifs d'une rare émotion.
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Les chantiers navals de la Seyne sur Mer qui font vivre toute une ville, comptent parmi les fleurons industriels du pays. Embauché comme graisseur, le narrateur va rejoindre toute une lignée d'ouvriers qui oeuvrent dans les entrailles de » La Machine »
« À l'image de mes camarades, chaque fois qu'on me posera la question, je ne dirai jamais que je travaille aux Chantiers, mais que j'en suis. Comme on est d'un pays, d'une région, avec sa frontière. »
En pénétrant cet univers d'acier, de graisse et de bruits, on troque son nom contre un surnom. Il y a l'Horloger, Cochise, Mangefer, Filoche, Barbe et pour le petit nouveau ce sera Narval.
Le récit de Narval nous plonge au coeur même de cette vie ouvrière avec ses codes. Mais, si le travail est pénible, on est fier de bien l'accomplir. La ville respire au même rythme que les chantiers, on fait la fête sur les quais, et, lors des défilés du 1e mai, on sait lever le poing. Aussi, l'espoir est grand lorsque Mitterrand est élu en mai 1981.
Les désillusions viendront très vite. Déboussolé par l'arrêt des chantiers après le dépôt de bilan, Narval traine son mal de vivre et s'éloigne peu à peu de Louise sa compagne. A cette difficulté viendra se rajouter, sept ans après l'arrêt des chantiers, le scandale de l'amiante. Ces fibres, respirées tous les jours pendant des années de labeur, font leur travail de sape dans les poumons des anciens ouvriers.
« Des substances, dans la Machine, il y en avait à la pelle. Elles flottaient devant nos narines, suintaient sur les parquets, graissaient les blocs-moteur, vaselinaient les collecteurs, les gaines et les câbles. »
Avant d'être écrivain, Christian Astolfi a débuté sa vie professionnelle aux chantiers navals et, s'inspirant de son vécu, il nous immerge dans cette vie ouvrière agitée par les luttes sociales et minée par le scandale de la crise sanitaire de l'amiante. Après les années glorieuses viennent celles du dégoût, de la tristesse et des morts.
L'auteur évoque aussi les familles, il esquisse quelques portraits touchants comme celui du disquaire mélomane. La solidarité du monde ouvrier est bien rendue ainsi que cette camaraderie pudique et sans concessions. Les pages que le narrateur consacre à son père dont il est fier sont touchantes de vérité.
« Tout-à-coup, une phrase que mon père vient de prononcer me sort de ma rêverie. La dignité, c'est la seule chose qu'on ne doit jamais leur céder. »
Évitant l'écueil d'un lyrisme débridé, l'écriture sobre est vibrante de sincérité et de véracité. L'émotion est palpable et on sort un peu sonné de ce roman puissant. Pour mou, la découverte d'un auteur et un coup de coeur.
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« De notre monde emporté » livre socle, l'exemplarité et la rectitude.
Il suffit de lire les premières pages pour comprendre l'heure cruciale. Être d'emblée en transmutation aux Chantiers navals de la Seyne-sur-Mer. L'écriture cède la place au vaste de ce récit éperdument sociétal et engagé.
La douceur du ton est un arrêt sur le mot et son symbole. Figer ce qui fût de ces hommes aguerris à l'effort, à la beauté même du travail bien fait, la glorification du travail. Sueur perlée sur le front, mains gercées, les heures longues d'un travail opératif.
Le narrateur est un jeune homme surnommé Narval par ses pairs, passeur des existences blessées et meurtries dans leur chair. Son père avant lui, ses collègues et amis, les Chantiers navals, le pictural du monde ouvrier. Bataille rangée dans l'action même, « je ne dirai jamais que je travaille aux Chantiers, mais que j'en suis. Comme on dit d'un pays, d'une région, avec sa frontière. » Des centaines d'hommes, fourmis en file indienne, vaillants et tenaces, régler, démonter, polir, subir, se serrer les coudes, la concorde et la connivence pour alliées. Un navire, des milliers d'heures de travail, sans même savoir le risque, l'amiante à cris et à flots, à mains et à souffles. Poumons pris en otage, ils ne devinent pas, pas encore, le flux de ce poison lent.
Puisque le temps est à la grève, à la reconversion, au lâcher-prise, au vaisseau fantôme. Les Chantiers navals agonisent. « Comment imaginer à cet instant que tout cela , un jour, puisse disparaître. »
Narval pressent sa vie basculer. Les aiguilles s'affolent. Tout change, Louise, sa compagne, le quitte. Ce serait s'affranchir, couper le cordon qui le retient encore un peu, dans cette ville où son coeur bat en diapason de celui de ses collègues et amis.
Le récit est olympien, calme, maîtrisé, malgré les turbulences de ce qui va advenir subrepticement. On ressent Narval attentif aux siens, à l'image de son père, mort car malade d'un trop plein de travail et d'amiante. « Je gardais les Chantiers en point de mire… Je me demande juste si après tant d'années passées aux Chantiers, on vaut quelque chose dehors. Je veux dire sur le marché du travail. »
Questionnements, l'impression d'un gâchis immense. Il est un symbole, « il n'y avait de notre part aucun défi, seulement le besoin d'ajuster le geste au métier. »
un double drame qui a pris son temps pour abattre ses victimes : la fibre. « La fibre s'élevait et retombait en pluie fine sur leurs vêtements, saupoudrait leurs mains nues, pailletant leurs chevelures. On tournait autour du mal sans le savoir. »
Asbestose. Tous, vont être malades, voire mourir à petits feux. le tourbillon, trou noir, d'aucuns sont ici au tribunal emblématique. Entendre les responsables, craquer ses doigts, serrer les poings, larmes sur les bateaux invisibles. Veuves à milliers, fils et pères en fauteuil roulant, l'amiante, « l'héritage empoisonné ».
« Ce soir-là, j'ai écrit sur mon carnet. Il n'y aura pas de reconnaissance définitive de notre condition tant que notre parole ne sera pas jetée à la face de ce scandale. »
Christian Astolfi est un passeur, un lanceur d'alerte, car l'heure est toujours pavlovienne. Un homme-écrivain qui rend hommage à ses frères des Chantiers. Il pointe du doigt là où ça fait mal. Il dévoile une période qui s'étire en vie entière, celle du monde ouvrier et de ses plus grands malheurs. La Cause du siècle. Sociologique, la fraternité révélée, les souffrances et les lâchetés des puissants, tout ici est mémoire et urgence sociétale. Ce serait à l'instar du Rocher de Sisyphe, mais voilà Christian Astolfi prend parole et acte le combat de « Notre monde emporté ». Livre d'utilité publique, pétri d'humanité. Une chronique sociale, politique, sans colère froide. Juste dire les faits et bousculer les diktats qui perturbent le café du matin avant de franchir les Chantiers navals de la Seyne-sur-Mer. Un hymne au monde d'en bas, alors que c'est celui d'en haut pour ceux qui savent. Ce récit est un livre blanc résolument bâti. Un hommage bouleversant car humble. Publié par les majeures Éditions le bruit du monde.
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Christian Astolfi est un auteur qui mériterait d'être plus connu. Heureusement, je le découvre grâce à la sélection de son quatrième livre "De notre monde emporté" pour le Prix des lecteurs de ma bibliothèque. C'est un excellent choix car j'aime beaucoup ce roman social de la fin du 20ème siècle dans lequel on découvre le quotidien des ouvriers des chantiers navals de la Seyne-sur-Mer.
François Lorenzi est le narrateur mais aux chantiers il est nommé Narval car ils ont tous des surnoms. On y découvre tous les corps de métiers avec Mangefer, Barbe, Filoche, Cochise et L'horloger.
Le port avec la mer en point de mire, le bruit des tôles que l'on cogne et l'horizon barré par la ronde incessante des navires dans la darse est le théâtre de sa vie, son histoire familiale.
Quand les chantiers navals ferment alors qu'ils ont été le regroupés avec ceux du Nord, la Normed suit le mouvement de désindustrialisation de la France après les charbonnages et la sidérurgie. Le désœuvrement est d'autant plus grand pour les ouvriers qui y travaillent que la gauche est au pouvoir. Malgré les luttes et la solidarité, les désillusions vont grandissantes dans les années 1980 à l'époque où les dangers de l'amiante pèsent encore peu face à la mort sociale des ouvriers. Le scandale sera vite dénoncé avec de nombreux malades et les vies écourtées mais l'interdiction d'utiliser l'amiante ne sera votée qu'en 1997. Et ce n'est pas terminé…
J'ai beaucoup aimé la construction en courts chapitres de ce livre où les allers-retours dans le temps ne perturbent pas le fil du récit. Avec son titre évocateur "De notre monde emporté" le ton est aussi nostalgique qu'il est combatif dans les romans sociaux de Gérard Mordillat. Mais comme lui, Christian Astolfi fait sortir les voix du monde ouvrier avec une justesse d'écriture remarquable en raison de son expérience.
Challenge Riquiqui 2023
Challenge Multi-défis 2023
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Tout d'abord, je dois vous avouer que ce n'est pas du tout mon genre de livre habituellement. Mais je l'avais sélectionné dans la liste sorties poche de Mars et les critiques babeliotes me l'ont fait acheté, Et c'est cela justement que je cherchais en m'inscrivant sur Babelio, sortir de ma zone de confort et m'ouvrir ! Ce qui a aussi fait penché la balance, est que, vivant dans la région, je me suis souvent promenée sur les quais et regardés les vestiges du chantier naval de la Seyne-sur-mer sans vraiment en connaitre l'histoire.
Et vraiment, je ne le regrette pas !
Ma note se justifie surtout par le fait que cette histoire a vraiment fait écho en moi, sur l'amour de son travail qui sur le long court se transforme en famille, en le centre de tout, à qui l'on donne tout, ses soirées ses nuits ses week end pendant des années jusqu'à en perdre au final son couple. Pour qu'à la fin, dans d'autres circonstances bien moins dramatiques que celles de Narval et des chantier, tout vous soit repris, vous laissant esseulé, tétanisé, incapable de tourner la page et comme Narval incapable même plusieurs années après de pouvoir en parler sans tristesse nostalgie et le deuil jamais totalement fait.
Ce récit écrit comme un journal, celui de Narval, relatant son histoire, celle des ouvriers du chantier naval de la Seyne-sur-mer a été pour moi poignant.
Le récit se découpe en trois grandes parties selon moi.
Le travail au chantier qui malgré sa dureté, est vécu par tous comme l'amour du travail bien fait, la transmission, la camaraderie, le centre de toute leur vie, leurs sens.
Puis le combat attendu et perdu d'avance pour éviter ou ne serait ce que retarder la fermeture du chantier.
Et enfin, le après la fermeture, la façon de chacun d'affronter sa déception qui va ensuite se transformer en colère avec l'ouverture du scandale de l'amiante avec à nouveau un très très long combat.
Nous suivons Narval avec ses réflexions tout au long de ces moments marquants et Christian Astolfi, nous déroule selon moi avec beaucoup de poésie une tranche de vie en même temps que celle de notre histoire française des années 70s à 90 avec une conclusion bien trop tardive initiée en 1997, en 2015.
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Avec ce roman, nous voilà comme infiltrés dans les Chantiers Navals du sud de la France comme nous l'étions dans le Voreux, la mine de Germinal par Zola.
Et vraiment, il y a de cela dans ce roman : les mots nous mettent au plus près de ces hommes et de ce monde à part. Ils parviennent à saisir la puissance de ce sentiment d'appartenance, de ce collectif unique, cette famille, cette tendresse d'hommes abîmés pour la Machine, ogre impitoyable qui nourrit les travailleurs et se nourrit d'eux, de leur jeunesse et de leur force vitale.
Au milieu, un homme. François Lorenzi dit Narval. C'est par son oeil que nous remontons le fil des souvenirs des Chantiers de la Seyne sur Mer.
J'aime la justesse et la belle âpreté de ce roman social, j'aime que cette écriture parle vrai, n'édulcore pas, ne prenne pas le lecteur pour une petite chose fragile qu'il faut préserver. Mais j'aime aussi que ce regard franc sur la vie ait la beauté sombre du sens des mots. Un rythme, une syntaxe qui vient réduire la phrase à l'essentiel. La poésie de l'épure.
Pour autant, le récit n'est pas contemplatif ; il semble répondre à une urgence : dépeindre ce destin collectif et intime à la fois. Et renaitre après le désastre par les mots. Par le cri qu'est ce roman : n'oubliez pas. N'oublions pas.
Ce roman m'a marquée.
Pour son fond et pour sa forme. Et en ces temps de lutte sociale, je lui ai trouvé une résonnance toute particulière. Se souvenir de ce que nous dit ce roman, c'est aussi entendre ce signal d'alarme : il nous rappelle de ne rien prendre à la légère dans ce que la politique veut faire de nos vies.
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« De notre monde emporté » est un très beau roman de la collection « Les révélations » des éditions Pocket. J'aime particulièrement les romans que je lis avec cette distinction en ce moment. C'est un texte à la fois social et historique qui se lit d'une traite et laisse une marque par sa justesse sur la mémoire ouvrière.
Il prend la forme d'une introspection de la part du narrateur. Ses amis, son père, son travail … sont autant de thématiques qui permettent au narrateur de réfléchir sur sa vie. La relation d'amitié avec son équipe de travail véhicule des idées d'acceptation de l'autre malgré des divergences d'opinion ou de vie. Son père fait figure de modèle et constitue également une source d'inspiration pour lui. Son travail, quant à lui, est sûrement le thème majeur du livre, à tel point qu'on le confond parfois avec notre personnage principal. En effet, son travail sur le chantier naval le définit tout entier. Cependant, le roman est un cheminement qui va le conduire à la liberté.
La toile de fond du roman est le port où se situent « les chantiers ». C'est ce thème qui m'a attiré dans cette lecture. Ils sont parfois décrits comme des monstres marins. le monde de la mer y est omniprésent. Un vocabulaire technique accompagne les descriptions mais n'est pas envahissant. Cela permet d'être immergé dans le monde des paquebots sans que la lecture devienne laborieuse. La narration est marquée de long en large par ce vocabulaire, même quand on s'éloigne des chantiers. Ce qui permet de renforcer l'impression que le narrateur est plongé dans ce monde et ne forme plus qu'un avec lui.
Il y a un aspect très littéraire dans la lecture … Je dirai presque inattendue mais qui se veut source de liberté et d'éveil pour le personnage. Les références sont multiples et variées. Entre paroles de chanson comme « le poinçonneur des Lilas » de Gainsbourg, le roman « L'éloge de la paresse » ou les textes d'Apollinaire … L'auteur a quant à lui un style poétique, délié et accessible. Ce qui n'empêche pas ses figures de style d'être tour à tour poignantes ou fracassantes.
Et il y a aussi le coeur du roman, le scandale sanitaire de l'amiante. L'auteur choisit de nous mettre sous une atmosphère pesante. En effet, on sait dès le début ce qui va leur arriver… le mot « amiante » est laissé aux détours des descriptions du chantier, sans que les ouvriers ne puissent se douter du danger. Notre recul fait du lecteur un observateur venu du futur. L'ensemble est d'autant plus marquant qu'on voit les signes en restant impuissant.
C'est donc un roman très intéressant sur le monde ouvrier des années 70. Ce portrait de la société industrielle de ce temps est un roman efficace et fluide. Il est porté par une plume avertie puisque l'auteur nous dévoile en fait une part de son vécu.
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Comme son père, Narval travaille aux chantiers navals de la Seyne sur Mer. Il raconte ces années de travail aux côté de ses compagnons ouvriers, du début des années 70 jusqu'au démantèlement des chantiers, puis au scandale de l'amiante, interdite en 1997.
De notre monde emporté est un livre qui serre le cœur. C'est l'histoire d'un monde en train de disparaître, condamné par la logique du profit. Car "ceux qui tirent les ficelles n'ont pas de visages - on ne négocie pas avec la concurrence." (p. 55) Que reste -t-il alors aux ouvriers ? Les souvenirs, la camaraderie, les liens forts, construits par toute une vie de dur travail, des photos, un engagement commun. Et aussi les dégâts causés sur leur santé par l'amiante, qu'ils ont manipulée pendant des années sans aucune protection, alors que des études en démontraient l'extrême dangerosité dès les années 70. Christian Astolfi rend superbement hommage à ces hommes portés par l'amour du travail bien fait. Un hommage qui laisse un goût amer.
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Je remercie Babelio et les Editions Pocket pour ce roman de Christian Astolfi.
Dans le récit « de notre monde emporté », le narrateur, Narval (surnom que lui ont donné ses collègues) raconte son quotidien au coeur des Chantiers navals de la Seyne-sur-Mer. Il commence à y travailler au début des années 70 jusqu'à la fin des années 80, à la fermeture des chantiers et la liquidation de la société Normed (regroupant les chantiers navals de Dunkerque, la Seyne-sur-Mer et la Ciotat).
Narval nous parle de ses premiers jours, de la découverte de ce travail dur, physique, des gestes qu'il acquiert face aux machines, de cette communauté avec ses collègues, ses camarades, presque une famille. Chacun se voit attribué d'un surnom en fonction de ses qualités pour une tâche particulière ou encore pour un trait de caractère. Des surnoms qui soudent les uns aux autres, qui leur donnent également le sentiment d'appartenance à un groupe et leur confèrent une identité sociale. de ce métier difficile, dans l'antre de « la Machine », naissent des relations solides entre collègues, la passation du savoir, des techniques, leur attachement à leur métier, la satisfaction du travail accompli, l'entraide, une cohésion, des amitiés fortes, un groupe, une famille…
D'ailleurs, entrer dans les chantiers, c'est souvent une histoire familiale. le père de Narval, cet homme qu'il admire et respecte, a fait lui aussi partie des chantiers.
Mais les commandes commencent à diminuer, certains contrats de travail ne sont pas renouvelés… Et malgré la lutte ouvrière, les grèves, les chantiers finissent par fermer, en laissant plus d'un sur le carreau… et La Seyne-sur-Mer s'allonge à la longue liste des villes ouvrières qui baissent le rideau (Longwy, etc.), avec cette impression que direction, pouvoirs publics et même syndicats n'ont pas assez oeuvrés pour maintenir le travail de ces salariés, pour ne pas dire qu'ils les ont laissé tomber…
Et pour avoir pendant tant d'années travaillé, avoir été malmené physiquement, s'être usé, pour avoir tant donné à son travail, aux chantiers, il y a de quoi l'avoir mauvaise, il y a de quoi ressentir aigreur et abattement.
Alors que certains peinent encore à retrouver du travail, que d'autres n'ont plus la même implication pour leur nouvel emploi, un autre mal rôde et ronge, encore plus insidieux… l'amiante appelée par un de ses collègues ‘'la dame blanche''.
Lui et ses anciens collègues vont finir par apprendre que l'amiante -qu'ils respiraient toute la journée dans les chantiers- est mortelle et que les dirigeants le savaient, au moins dix ans avant la fermeture des chantiers navals… de quoi démolir encore, de quoi rager encore, de quoi mettre un gros coup au moral encore, de quoi faire naitre désillusion et amertume, colère et rancoeur… surtout à la vue des amis qui sont malades, s'amenuisent et meurent…
A travers Narval, l'auteur nous ouvre les portes sur le quotidien des chantiers navals. Dans ce roman social, il met en scène ces ouvriers, une classe sociale qui pendant des décennies a permis à l'hexagone de construire sa force industrielle… Industrie qui a fait les belles années de la France avant que le tertiaire ne la supplante et qu'on commence à oublier peu à peu ceux qui ont travaillé et qui travaillent encore dans ce secteur...
Durant la lecture de ce roman, j'ai pensé à d'autres récits mettant également en avant cet univers professionnel : « A la ligne », « l'établi », etc. ou encore au très bon documentaire « Nous, les ouvriers » passé récemment sur France2.
Né à Toulon en 1958 dans une famille ouvrière, Christian Astolfi, entre à 16 ans comme apprenti à l'Arsenal maritime de Toulon et deviendra ouvrier charpentier tôlier, avant d'entreprendre des études d'ergonomie qui le conduiront à analyser le monde du travail.
Parce que, notamment, il y a travaillé pendant des années, Astolfi sait raconter, créer l'ambiance, reproduire les gestes, faire entendre le bruit assourdissant dans la Machine, le coeur des Chantiers. Il sait parler aussi, avant tout, de ces hommes, ceux qui disaient « être des Chantiers ». Et rien que cela, une fois perdu, on peut comprendre que leur identité sociale est mise à mal.
Par un subtil mélange d'une narration pleine de pudeur, de mots justes qui percutent et de petites touches poétiques (lors de l'évocation de la relation amoureuse entre Narval et Louise ou encore par la référence à Neruda), Christian Astolfi réussit à marquer le lecteur.
Un récit que j'ai ressenti comme un double témoignage, à la fois celui du vécu de ces ouvriers, mais aussi celui de l'affection et l'admiration d'Astolfi pour ses camarades, ses frères…
[Et le combat de ses salariés se poursuit avec ses succès et ses revers … Extraits de journaux glanés sur internet, suite à cette lecture:
-Octobre 2023 « le tribunal administratif de Besançon a rejeté le jeudi 26 octobre dernier l'ensemble des requêtes déposées par d'anciens salariés du site d'Alstom à Belfort, qui demandaient réparation après avoir été exposés à de l'amiante jusqu'en 1985. Il s'agissait d'une ultime tentative des plaignants engagés depuis les années 90. »
-Avril 2021 : « La justice a condamné l'État à indemniser, pour le préjudice d'anxiété lié à l'exposition à l'amiante, 32 ex-salariés des chantiers navals de la Normed à Dunkerque avant la première réglementation de 1977. » […] 150 autres salariés attendaient encore leur jugement à cette époque
« Dans l'un des jugements favorables datés du 28 avril, le tribunal administratif de Lille estime que l'État a commis une ‘'faute de nature à engager sa responsabilité'' en n'ayant pas pris de mesures, dans les années 1960, pour éviter ou limiter les dangers déjà connus liés à l'exposition à l'amiante.
Le juge reconnaît également que l'État a failli à son rôle de contrôle, après 1977 et jusqu'à la disparition de la société à la fin des années 1980, en n'envoyant pas l'inspection du travail s'assurer du respect de la réglementation, mais estime que cette absence ne peut être ‘'fautive qu'au terme d'un certain délai''.]
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Mémoire ouvrière.
Des années 70 à aujourd'hui, la chronique d'un monde disparu, celui d'une industrie florissante et conquérante, celui aussi d'une classe ouvrière fière et solidaire. Une dignité qui revit sous la plume de Christian Astolfi dans ce roman poignant et vibrant de poésie.
C'est un monde où le travail bien fait avait encore un sens. L'amour du bon geste qui devenait beau par la précision de son efficacité et la rapidité de son exécution.
Un monde solidaire, où le partage d'une même condition se ressentait chaque jour dans des horaire fixes et des postes clairement définis. Une unité de temps et de lieu qui incitait à se soutenir, à s'entraider mais aussi à s'éveiller et à prendre conscience, voire se rassembler, protester, et même se révolter et obtenir un peu de justice...
Un monde où les rapports de force étaient souvent prévisibles, mais utiles car le développement technologique permettait encore le progrès social (à condition de lutter).
C'était avant l'explosion individualiste et l'avènement du management néolibéral, ripoliné à coups "d'humain" à tous les étages, dégoulinant de bons sentiments trempés dans le développement personnel comme si de notre travail notre vie dépendait.
Un monde avant la mondialisation et la mise en concurrence internationale des industries et du savoir-faire de tous ses ouvriers, comme le démontre ici très bien l'auteur.
De sa longue expérience aux Chantiers navals de La Seyne-sur-Mer, Christian Astolfi écrit un livre de mémoire ouvrière beau et digne. Sa plume fluide se fait aussi légère que grave pour parler de l'amitié indéfectible entre collègues, de l'amour naissant, des lendemains qui chantent Barbara et des désillusions qui assoment.
C'est la chronique d'un pays et de sa transformation économique des années 70 à aujourd'hui. Un bouleversement industriel, "La Machine" chevillée au corps jusque dans ses entrailles, puisque même fermés les Chantiers restent physiquement en lui de par la couche d'amiante qu'ils y ont déposé. Le scandale de la "dame blanche", dont ses patrons connaissaient la dangerosité dix ans avant la fermeture du site, est le fil rouge de ce roman poignant, conducteur de toutes les émotions et de tous les poings levés.
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Saint-Nazaire, petite ville sur la côte Atlantique, réputée depuis longtemps pour ses chantiers navals. Une ville dans la ville avec ses centaines de sous-traitants, ses milliers d'ouvriers et ses bateaux toujours plus majestueux.
Jusqu'au jour où la fermeture est programmée, la concurrence mondiale devient de plus en plus ardues, une main d'oeuvre réclamant des salaires plus bas, il va falloir faire des choix.
S'ensuit une découverte malheureuse, le travail à l'amiante, cette poussière blanche qui attaquera les bronches des travailleurs, leur laissant peu d'espoir.
Habitant à moins de 100km, cette histoire a bercé mon enfance. Une lecture poignante.
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je répète ce qu'as dit ou écrit Robert Guediguian " ce livre est très beau...." , il est aussi révoltant. Encore un scandale de santé publique à cause de la course aux profits et le manque de courage des politiques. Le scandale de l amiante, on en a tous entendu parlé, dans ce roman très réaliste, le narrateur en raconte l'histoire vecue par des hommes concernés, trompés, révoltés et combatifs tant qu' ils sont encore en vie car il y aura encore des victimes beaucoup de victimes jusqu'en 2050. Ou est la justice ? absente au bataillon.
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Que reste-t-il du monde des ouvriers ?
Dans une société de services, j'ai oublié ce monde des travailleurs, des 3x8, des cadences…
Mes parents, les parents des copains et moi aussi un peu sommes allés pointés à l'usine.
Christian Astolfi m'a fait ressurgir les codes, les valeurs et aussi l'abnégation de cette France ouvrière.
Par ce roman, j'ai recoller les morceaux de deux affaires qui se sont délayées dans le temps :
le scandale de l'amiante et la fermeture des chantiers navals de la Ciotat.
L'actualité n'aime pas le temps long et il m'était difficile de comprendre ces affaires dans leur globalité.
Ce récit est une histoire accablante de notre société productiviste.
Que ce roman ait la reconnaissance légitime des prix littéraires.
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Un roman sur l'amiante et ses conséquences sur les corps, sur la fermeture d'usines et de chantiers et ses conséquences sur les coeurs.
Pas un coup de coeur mais une belle lecture, dure mais enrichissante, portée par une plume agréable. Je recommande!
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