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Citations de Christine de Mazières (57)


Un morceau d'histoire est en train d'émerger de cette petite phrase qu'il s'étonne lui-même d'avoir prononcée… Il ne peut concevoir ce qu'il vient de faire. La bureaucratie vient de déclencher une révolution pacifique, il vient d'ouvrir le mur de Berlin et ne le sait pas encore.
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Quand la vie tourne au ralenti comme dans une salle d'attente, quand les hommes finissent par se taire par dégoût du mensonge, lire est un refuge. En toute logique, l'imagination devrait être sous haute surveillance, et les livres de fiction, interdits. Après tout, lire des romans est improductif, c'est une perte de temps, qui procure une sorte d'évasion de l'esprit nocif à l'endoctrinement. Et pourtant, le Parti n'a pas proscrit toute la littérature. C'est étrange, à bien y penser, que de laisser les citoyens s'étourdir de poésie, de drames et de comédies, de contes et légendes, de romans policiers et de science fiction, de dystopies et d'uchronies. Et on s'échange les livres interdits sous le manteau. Toutes ces heures passées à oublier l'État des ouvriers et des paysans en lisant, toutes ces heures à s'évader par l'imagination. Dans nul autre pays au monde, on ne lit autant. La République démocratique allemande a mérité le surnom de leseland, pays des lecteurs.
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Pendant trois nuits et trois jours, Asma et sa sœur aînée Lefana se sont terrées avec les autres dans la forêt près de Kecskemét, à attendre le camion. Encore la Hongrie à traverser. Bientôt elles atteindront leur but. La chaleur est forte. Pas un souffle. Nul point d’eau pour se désaltérer ou se laver.
[...]
Puis elles ont été envoyées dans un centre de détention des services de l’immigration. A Moria cessait tout sentiment de dignité humaine : toilettes bouchées, absence de draps et de couvertures, matelas vieux et souillés, lits défoncés, douches cassées. Les chambres sentaient mauvais. Pas de vêtements, ni de savon. Première image d’une bureaucratie débordée. Welcome in Europe. [...]
A la frontière serbe, un de ses cousins a accepté de les prendre dans un groupe qu’il devait mener, moyennant dix heures de marche à travers la montagne, au village serbe de Miratovac.
Asma et Lefana ont retrouvé la condition précaire de migrantes. Déracinées, invisibles, fugitives. Une vie entre deux, suspendue entre deux vies. [...]

D’abord des frottements doux et répétitifs des instruments à cordes, comme le vent dans les feuilles des arbres ou la lente danse de spectres. Puis les vibrations des archets sur les cordes s’amplifient. Le rythme primitif devient mélopée. Une mélodie triste et grave s’élève. La tension dramatique s’accroît. Tamim sent les archets frotter en cadence sur son propre cœur, qui gonfle et bat au rythme des percussions.
Cette marche, tour à tour martelée, puis s’envolant avec grâce, c’est sa vie, sa vie à lui, Tamim. Toute sa souffrance, ces trois années de marche éperdue vers la vie sont dans ce rythme haletant. Douleur et douceur se fondent dans cette musique pour tisser la trame de son existence. Quand enfin les violons font vibrer les aigus et que l’orchestre tout entier se déploie, il doit se cramponner aux accoudoirs. Il est emporté, chaviré, le visage baigné de larmes. Des images fulgurantes lui apparaissent.
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Un homme est sorti en boitant, les a vus. Sans un mot, il les a invités à entrer. C’était la fin du service, la salle était vide, les lumières à demi éteintes. Il les a assis à une table, a apporté un reste de poulet aux légumes bouillis. Les garçons ont dévoré le plat. L’homme était syrien. Il s’appelait Nizar. Il leur parlait en arabe en leur souriant et voulait savoir d’où ils venaient. Hamid a glissé en pachtoune à Tamim : « Qu’est-ce qu’il a à nous sourire ? On n’est pas ses mignons, filons… » Et il s’est enfui.
Tamim est resté. Il n’était pas assez abîmé pour avoir peur d’un sourire.
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Parce que nous avons appris que tout homme a le droit d’avoir une vie digne d’être vécue. C’est cela qu’ils viennent chercher, tous ceux qui fuient leur pays et risquent leur vie pour venir chez nous…
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Bien plus tard, j'ai appris qu'on avait été rachetés, maman et moi. Quand j'ai raconté cela à Anna, elle a ouvert des yeux horrifiés. Quand la RDA est à court d'argent, elle laisse sortir quelques candidats au départ ou expulse des prisonniers pour les vendre à l'Allemagne de l'Ouest. Un tarif est fixé par tête, comme du bétail.
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Tant de questions que l'on retient, par peur de blesser l'autre, par pudeur, par lâcheté... Tant de rêves que l'on garde pour soi, parce que la vie rêvée vaut moins que la vie réelle, pense-t-on. Mais qu'est-ce que la vie réelle ? Une vie édulcorée, banale, réduite à ce que l'on croit possible ? Une vie décente, qui plaira aux voisins ? Une vie comme on dessine des plans de sa propre prison ? p.116
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Oui, c'est cela mon Europe... Ce désir de fraternité et de liberté, ce rêve partagé... Ce rêve que nous avons réalisé sur les charniers de la dernière guerre. Parce que nous avons dépassé en horreur tout ce que l'on pouvait imaginer jusque-là. Parce que nous savons que la civilisation la plus raffinée n'est qu'une barrière de papier face aux pulsions destructrices. Parce que nous avons appris que tout homme a le droit d'avoir une vie digne d'être vécue. C'est cela qu'ils viennent chercher, tous ceux qui fuient leur pays et risquent leur vie chez nous... p.27
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Là, nous sommes cachées dans une forêt en Hongrie, à la merci d'hommes, de méchantes brutes, qui n'ont d'autre but que de s'enrichir sur notre dos. Nous attendons un transport vers l'Autriche puis l'Allemagne. Et vois-tu, parfois, je n'arrive plus à y croire.
Mais, ce soir, je te sens proche de moi. Jamais je n'ai autant cru que l'âme survit à la mort que ce soir. Alors écoute-moi, mon frère, car cette nuit, j'ai besoin de me confier à toi. C'est une nuit extraordinaire. Je ne peux dormir. Tous mes sens sont aux aguets. Je suis émue, bouleversée par un pressentiment. Je me sens tel un soldat, lors d'une veillée d'armes, qui va monter à l'assaut le lendemain et peut-être accomplir son destin. Dieu seul connaît mon destin. Moi, je suis dans l'attente. (...)
Oui, j'ai commencé ce travail de détachement. C'est très beau. Il faudrait le commencer bien avant une telle nuit, bien avant le pressentiment. On se sent à la fois très présent, comme si toute la vie se concentrait dans ce moment, un moment unique comme une dernière fois, et ce n'est pas triste du tout. Je me sens presque joyeuse de cette découverte. J'aurais au moins vécu cela, comprends-tu ? Au moins cela, et puis qu'importe le reste.
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La chancelière semble détendue. Elle serre les mains, sourit pour des selfies. Un discours bon enfant, qui prend un tour sérieux quand elle évoque la crise des réfugiés. Elle répète : « Wir schaffen das ». Et insiste : « Dans cette situation, nous avons le devoir d’aider. » Elle dit aussi : « Celui qui vient pour de pures raisons économiques, il ne pourra pas rester. » En tant qu’Allemande de l’Est, elle rappelle l’année 1989, où les Hongrois, les premiers, ont laissé les citoyens de RDA fuir vers l’Ouest : « Il est difficile de voir que ceux qui ont, il y a vingt-six ans, ouvert pour nous les frontières, se comportent aujourd’hui très durement avec ceux qui ont fui manifestement sans autre choix. »
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« Voici une lecture qui m’a marquée, à ton âge, Alma, et qui me semble toujours être d’actualité : Zum ewigen Frieden, Vers la paix perpétuelle.
(…)
– Et tu te souviens peut-être, poursuit Helga, songeuse, que pour Kant l’établissement de la paix universelle présuppose la reconnaissance d’un droit à l’hospitalité pour toute personne dont la vie est en danger dans son propre pays. »
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L’identité des morts est maintenant connue. En face de chaque numéro est indiqué un nom, un prénom, un âge, un pays. Des vies réduites à cela, une identité, somme d’informations minimales, rien de plus. En face de la date de naissance, on ajoutera la date de la mort. Des décoctions de vies, qui passent à côté de l’essentiel ; la joie ressentie en contemplant un reflet du soleil couchant dans la vitre sale de l’autocar, le souvenir d’un baiser dans un bruissement de feuillage, un regard saisi à la volée et que l’on n’oublie pas. Ces fulgurances qui dévoilent la beauté du monde, à arracher le cœur, ces myriades de possibilités qu’offre la vie à chaque instant sont désormais closes. Toutes ces vies, scellées en destins.
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… les étapes de la route des Balkans :
« Étape numéro un : de la Turquie vers la Grèce. La Turquie est un point de passage obligé vers “l’eldorado européen” et c’est là que les réfugiés affrontent les premiers dangers. La frontière terrestre avec la Grèce étant coupée par un mur, ils n’ont d’autre choix que de trouver un passeur pour monter à bord d’une embarcation surchargée. Avec un peu de chance, ils atteindront des îles grecques comme Kos, Chios, Samos ou Lesbos. »
(…)
« L’étape numéro deux, c’est la Macédoine, où sévissent des mafias qui enlèvent et rackettent les étrangers. De plus, depuis le 20 août, le gouvernement macédonien a décrété l’état d’urgence et bloque la frontière à l’aide de barbelés. Mais les migrants passent malgré tout et poursuivent leur route périlleuse.
« Puis il faut traverser la Serbie, et là, il faut se faire enregistrer dans un centre d’accueil débordé. Cela peut prendre du temps.
« Enfin, il est de plus en plus difficile d’arriver en Hongrie, depuis que, le 17 juin, ce pays a décidé de fermer sa frontière vers le sud pour couper la principale voie d’accès des migrants : un mur de barbelés est en construction. Il devrait être achevé à la fin août. Si les migrants parviennent à le contourner – une petite zone n’est pas encore grillagée –, ils devront encore affronter mille tracas. En effet, le gouvernement hongrois est résolument hostile aux migrants. Le Premier ministre hongrois a même lancé, en mai dernier, une consultation nationale sur l’immigration et le terrorisme… ».
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Après la série de naufrages en Méditerranée, qui a fait près de deux mille morts au début de l’année, les migrants privilégient désormais une autre route : les Balkans.
« “Les passeurs ont découvert une route et les flux deviennent de plus en plus importants”, a alerté Dimitris Avramopoulos, le commissaire aux Affaires intérieures de l’Union européenne. Cette route est meurtrière. Le drame de jeudi est le plus grave survenu en Europe, depuis la découverte macabre en 2000 de cinquante-huit immigrés chinois dans un container au Royaume-Uni. Depuis début janvier, plus de cent vingt-cinq mille migrants ont traversé la Macédoine, la Serbie, la Bosnie, l’Albanie ou encore le Kosovo pour entrer dans l’Union européenne. Ils étaient huit mille l’année dernière, rappelle l’agence européenne Frontex. »
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Tant de questions que l’on retient, par peur de blesser l’autre, par pudeur, par lâcheté… Tant de rêves que l’on garde pour soi, parce que la vie rêvée vaut moins que la vie réelle, pense-t-on. Mais qu’est-ce que la vie réelle ? Une vie édulcorée, banale, réduite à ce que l’on croit possible ? Une vie décente, qui plaira aux voisins ? Une vie comme on dessine les plans de sa propre prison ?
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La victoire était amère. Il tremblait de froid et n’arrivait pas à éprouver de joie. Il était pourtant arrivé en Europe. La chance lui avait souri. La main d’un pêcheur grec s’était tendue vers lui, mais sa vie de clandestin n’était pas terminée. Désormais, la route des Balkans se dressait devant lui, hérissée d’obstacles et de murs…
Tandis que Tamim et ses compagnons se morfondent au fin fond d’une forêt hongroise, est achevée la clôture de barbelés de quatre mètres de haut et de cent soixante-quinze kilomètres le long de la frontière avec la Serbie. Un nouveau rideau de fer…
Vingt-six ans auparavant, le 2 mai 1989, la Hongrie commençait à démanteler sa frontière grillagée vers l’Ouest et, le 10 septembre 1989, elle ouvrait officiellement sa frontière vers l’Autriche, laissant passer des milliers de réfugiés est-allemands, avant que ne tombe le Mur de Berlin deux mois plus tard.
À présent, trois mille migrants arrivent chaque jour en Hongrie. Même après l’achèvement du nouveau mur, le nombre d’interpellations s’élève encore à huit mille sept cent quatre-vingt-douze le week-end du 28 au 30 août.
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La ville de Torbat-e Heydarieh, cent vingt mille habitants, se situe dans le nord-est de l’Iran, dans la province de Khorasan-e Razavi. Le trafiquant d’hommes décharge ses passagers dans la cour d’un immeuble en construction. Un Iranien à la fine barbe taillée en pointe examine les quinze recrues. Ils vont rejoindre les ouvriers, tous également clandestins. Ils dorment sur place, dans des appartements sans portes ni fenêtres. Une couche de sable épandue à même le ciment, une natte par-dessus en guise de matelas. Il est dangereux de quitter le chantier pour des sans-papiers. Alors ils travaillent sans relâche, pour rembourser le passeur et gagner de quoi payer la prochaine étape.
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Elle est née il y a vingt ans en Allemagne, un pays qui nourrit un rapport spécial à son histoire. Les Allemands ont pour cela des mots longs et compliqués, Vergangenheitsbewältigung, le fait de surmonter le passé, ou Wiedergutmachung, la réparation des fautes passées.
L’Allemagne oscille entre amnésie et devoir de mémoire, indifférence et sidération, histoires familiales retouchées et impressionnants mémoriaux, victimisation et responsabilité. Les villes sont semées de plaques commémoratives, les passants marchent sur des Stolpersteine, pavés rappelant le nom de victimes du nazisme. Mais il a fallu cinquante ans avant de reconnaître les crimes de la Wehrmacht. La légende d’après-guerre avait blanchi l’armée du Reich, afin de permettre aux dix-sept millions d’anciens soldats de vivre ou de reposer en paix, et à leurs familles, de tourner la page.
Alma sait pertinemment que l’histoire est une matière inflammable, et c’est cela qui l’attire : raconter l’histoire est sujet à controverses. Les historiens se querellent, la politique s’en mêle, les journaux exhument les dossiers enfouis, la mémoire s’embrouille. La plupart des familles sont bâties autour d’un puits d’ombre.
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Depuis que chacun reçoit son flot abrutissant d’images sur petit écran, nul ne peut plus l’ignorer, même à Lom : la Bulgarie est le pays le plus pauvre de l’Union européenne, et cette région, l’une des plus déshéritées de Bulgarie. Bienvenue chez les oubliés de l’opulente Europe. D’entendre parler d’eux à la télévision, même en mal, les habitants de Lom ont apprécié, car enfin on parle d’eux, on officialise leur état de parias et leur plein droit à se plaindre comme de juste.
Des fonds européens s’y déversent pourtant. Au milieu du chaos, une route, un pont, un hôpital, une usine sont rénovés ou construits à coups de millions d’euros. Une belle plaque bleue couverte d’étoiles dorées, sur laquelle est inscrit L’EUROPE S’ENGAGE, est apposée sur l’ouvrage ou sur le bâtiment rutilant.
Tout est rénové avec l’argent européen : la place de l’église, repavée, le jardin public avec ses bancs coquets, la bibliothèque et ses ordinateurs en libre accès, de nouvelles canalisations d’eau.
Mais les gens ne sont plus là. Ils sont partis au loin chercher du travail. Et, parmi les écoles remises à neuf, certaines ont dû fermer faute d’élèves. Le pays se dépeuple, malgré les investissements. Inauguré en 2013, le nouveau pont de Vidin, à une heure de route de Lom en remontant le Danube vers l’amont, un ouvrage imposant long de deux kilomètres, reliant la Bulgarie à la Roumanie, n’a pas réussi à désenclaver cette région.
Tout cela ne suffit pas pour fournir du travail aux plus pauvres des habitants. Ils se retrouvent le ventre vide au bord de la table du festin, avec juste un peu plus de rêve de partir.
C’est une géographie du manque : ni argent, ni travail, ni chance. Pas étonnant que des pauvres de Lom soient tentés d’exploiter encore plus malheureux qu’eux, car il y en a toujours, des plus malheureux, ceux qui n’ont pas encore le passeport frappé de douze étoiles, le sésame d’une vie meilleure.
Ces forçats de la route, les peuples de l’Orient et de l’Afrique qui fuient les guerres et les assassins, sont une manne de désespérés aux ourlets cousus de dollars. Alors, les miséreux font leur blé sur le dos des migrants. Pauvres contre pauvres, c’est une loi du monde.
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Elle fuit ce territoire maudit. L'enfer des geôles du Moukhabarat ne semble pas avoir brisé sa sœur, Lefana, qui veut se battre et parle de construire une nouvelle vie, de terminer ses études de médecine. Elle raconte qu'en Europe les femmes peuvent vivre de manière indépendante, sans être sous la férule des hommes. Il paraît qu'en Europe hommes et femmes ont les mêmes droits. Les Allemands sont riches, mais ils ne font plus d'enfants. Ils ont besoin de jeunes, de travailleurs. Heureusement, Lefana est forte pour deux.
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