Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Il est initialement paru en 2012, sans prépublication, écrit par Christos Gage, dessiné et encré par Jorge Lucas. Le récit comprend environ 140 pages de bandes dessinées et est en noir & blanc. Le tome s'ouvre avec une introduction de 2 pages rédigée par Duane Swierczynski, un auteur de polar. Il se termine avec le texte de 4 pages de la proposition originale, une présentation des personnages, et des pages de développement graphique.
Dans une petite ville proche de la côte ouest des États-Unis, l'aide à domicile demande à Nick Bellamy s'il peut aider son fils pour un devoir sur la guerre de Corée. Il répond qu'il était cuisinier dans l'armée et qu'il a passé le plus clair de son temps à éplucher des pommes de terre, c’est-à-dire une collection d'anecdotes banales et sans intérêt. Il remonte dans sa chambre et fait quelques pompes. Puis il se baisse sous le lit et récupère une liasse de billets de banque sous une latte du plancher. Il redescend et demande à la dame comment va sa femme : elle répond qu'elle mange bien, tout en continuant à lui donner la cuillère. Bellamy dépose une partie de la liasse de billets pour payer pour la semaine, et l'aide le remercie et lui demande de ramener des ampoules basse consommation. Il monte dans son énorme Chrysler et se rend au supermarché. Dans une rue, il touche à peine une voiture de sport, et le conducteur descend furax et agressif le menaçant de poursuite avec son avocat. Quand il se retrouve face au visage de marbre de Nick Bellamy, il se calme puis remonte dans sa voiture, la queue entre les jambes. En cherchant ses produits dans les allées, Bellamy capte des phrases de conversations diverses, essentiellement des gens qui se plaignent pour des futilités. Il ressort une fois ses achats payés, et découvre trois porte-flingues qui l'attendent devant sa voiture.
Nick Bellamy leur indique qu'il sait qu'ils viennent de la part d'Alfonse Gianelli : ils confirment qu'il a raison, et qu'ils espèrent qu'il a bien profité des trente années passées tranquille. Bellamy leur répond qu'il ne va pas se laisser faire, et il frappe direct pour faire mal. Après les avoir estourbis, il pense à demander au moins sonné comment ils ont su où le trouver, mais le type est vraiment dans les vapes. Il retourne chez lui sans tarder : sa maison a été mise à sac. Sa femme Ellen a été abattue, ainsi que l'aide. Il abat les trois truands présents. Il monte récupérer l'argent et les flingues, ainsi que quelques affaires et une photographie pour le souvenir. Il arrose toutes les pièces d'essence, et met le feu en partant. Sur la route, il se souvient de sa jeunesse : une forte tête toujours prêt pour la castagne. Un soldat dur à discipliner, mais très efficace sur le champ de bataille. Un retour à la vie civile, sans bien savoir quoi faire, pour aller s'établir ou zoner à Las Vegas. Un début de carrière comme boxeur dans les matchs à poing nu, pour finir par être repéré par Alfonse Gianelli, un caïd bien établi dans la ville.
Quand ce tome paraît en 2012, il ressemble à un projet développé pour la branche Vertigo Crime de DC Comics, spécialisée dans les polars, en petit format, et en noir & blanc, un projet qui n'aurait pas pu être publié avant la fermeture définitive de cette branche éditoriale. Vertigo Crime avait publié 13 récits complets dans le même format, plus petit que celui d'un comics, avec une couverture rigide. Le lecteur se demande s'il va lire la préface parce qu'elle est imprimée en petits caractères, avec une partie de l'image de couverture en fond de page, ce qui rend certains mots difficiles à déchiffrer. S'il fait cet effort, il découvre un texte qui loue bien sûr la qualité du récit qui va suivre, mais aussi l'expérience qui vient avec les années. Swierczynski explique que tous les vieux sont des survivants, des personnes qui ont l'expérience d'avoir assisté ou vécu de nombreux accidents, de nombreuses tragédies, et qui sont toujours là. C'est assez inattendu et cela place le récit dans un territoire différent de celui du simple dur à cuire qui se bat contre le crime organisé, et triomphe grâce à ses ressources et sa force vitale. Le début du récit correspond exactement à ça. Certes Christos Gage reprend le cliché qui consiste à ce que son héros soit un vétéran d'une guerre, ce qui lui donne des habitudes au combat, et une discipline toute militaire. Mais il apparaît dès la première page qu'il est assez âgé, plus de cinquante ans, peut-être même la soixantaine. Il vit dans un pavillon confortable sans être luxueux, et sa femme est impotente. Il est évident qu'il ne fait pas d'excès, qu'il continue à s'entretenir physiquement, et qu'il juge défavorablement le laisser-aller des gens qu'ils croisent, à commencer par leurs geignements d'enfant gâté.
Jorge Lucas dessine dans un registre très réaliste avec des traits de contour secs, des traits de texture tout aussi secs. Il suffit de regarder le visage de Nick Bellamy pour se faire une idée de son âge, avec ces rides marquées. Les autres personnages donnent l'impression de photographies dont le contraste aurait été poussé à fond pour passer en noir & blanc. Le lecteur regarde des individus plausibles, avec des tenues vestimentaires réalistes et variées, adaptées au climat, ou à l'occupation de celui qui la porte. Les personnes en train de faire leur course au supermarché ont tout de normal, sans être banales, et les trois porte-flingues se remarquent par leurs lunettes de soleil et leur posture, sans être caricaturaux. Lucas dessine les décors, avec la même approche réaliste, laissant supposer qu'ils ont pu être tracés à partir de photographie, mais avec un travail remarquable pour les rendre lisibles. En outre, au fur et à mesure de la progression de l'angle de vue dans une séquence, le lecteur comprend que Jorge Lucas n'a pas réalisé un travail de reportage photographique sur site, et qu'il dessine bel et bien le décor, en fonction du positionnement des personnages. Il peut ainsi jeter un coup d'œil dans les pièces du pavillon et se faire une idée de leur aménagement et de leur ameublement, puis parcourir quelques-uns des rayons du supermarché.
Jorge Lucas est tout autant investi dans la description de l'affrontement physique de Nick Bellamy contre les trois hommes de main. Le lecteur peut voir la violence des coups portés : Bellamy ne fait pas dans l'esthétique, mais dans l'efficace. Il sait que ces individus ont leur jeunesse pour eux, et qu'il lui faut mettre en œuvre ce que l'expérience lui a appris, les mettre KO tout de suite, ne leur laisser aucune chance de réagir. Les coups s'enchaînent avec logique, le lecteur pouvant établir le mouvement d'une case à l'autre. Il en va de même quand Bellamy se sert d'une arme à feu pour abattre les intrus dans sa maison : efficace, net et sans bavure. Le récit se compose de 6 chapitres, et le deuxième raconte l'histoire personnelle de Nick Bellamy 30 ans plutôt. Le lecteur regrette vite le format plus petit de ce comics, les dessins apparaissant un peu trop denses. D'un côté, cela transcrit bien l'impression que Nick Bellamy est un peu à l'étroit dans ce monde ce qui l'incite à cogner sur les murs (et les personnes), mais de l'autre côté le lecteur éprouve l'impression de perdre les détails. La reconstitution de Las Vegas est plus vraie que nature, et le lecteur éprouve l'impression de s'y trouver, de voir les enseignes lumineuses innombrables, de rentrer dans des pièces trop éclairées et trop bruyantes, de se sentir agressé par des apparences trop clinquantes et trop factices.
Durant les trois premiers chapitres, Christos Gage développe ses personnages et son intrigue avec un art consommé. Il montre comment Nick Bellamy met à profit les acquis de l'expérience, anticipe les coups foireux et les mouvements d'Alfonse Gianelli et ses sbires. Il le voit reprendre contact avec son ex-femme, divorcée depuis 30 ans. Il apprécie comment le scénariste montre que les années n'ont pas effacé l'intimité qui a existé entre eux, et comment le temps a arrondi les angles. Il découvre la jeunesse de Nick Bellamy, individu ayant conscience d'être doué pour faire souffrir les autres et pour les éliminer. Gage montre comment il rentre dans le lard de tout ce qui se trouve sur sa route, incapable d'un autre mode relationnel, extériorisant sa rage sous cette forme de violence. Les dessins montrent un adulte interagissant avec d'autres adultes, sans exagération des sentiments ou des postures. Le lecteur ressent une forte empathie pour cet individu décidé, efficace, sachant mesurer ses actes pour un impact maximal, et il prend grand plaisir à voir se dérouler le casse au cours duquel Nick Bellamy roule Gianelli dans la farine et lui subtilise 2 millions de dollars, avec l'aide de 2 comparses. Malheureusement, Christos Gage ne peut pas s'empêcher de jouer dans l'escalade pour la deuxième moitié de son récit. Au fur et à mesure, Nick Bellamy semble retrouver une vigueur d'un individu de 30 ans, supportant des blessures grave sans avoir besoin de reprendre son souffle, effectuant des actions spectaculaires, avec une augmentation du suspense efficace, mais de moins en moins réaliste, malgré le soin toujours élevé apporté aux dessins.
L'introduction bien noire de Duane Swierczynski oriente les attentes du lecteur quant au récit qui va suivre. Jorge Lucas réalise des dessins réalistes et secs à souhait, en parfaite adéquation avec la nature du récit. Dans un premier temps, l'écriture de Christos Gage est elle aussi en parfaite adéquation avec un héros âgé encore en bonne forme physique, efficace, sans être cynique, comprenant très bien la situation dans laquelle il se trouve. Dans sa deuxième moitié, le récit rejoint le déroulement d'un film d'action plus classique, dans le genre gangster, semblant oublier ce qui faisait la spécificité du personnage principal, pour privilégier le spectaculaire.
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