Citations de Claire Fuller (102)
Un livre ne prend vie que lorsqu'il entre en interaction avec un lecteur. Que pensez-vous qu'il se produise dans les creux, les non-dits, dans tout ce qui n'est pas écrit? Le lecteur comble les vides avec sa propre imagination
La où l’on brûle des livres, on finit aussi par brûler des hommes.
(Heinrich Heine)
Le ciel du matin se dégage, la neige tombe sur le cottage. Elle tombe sur le chaume, recouvre la mousse et les trous de souris, lisse les ondulations, comble les creux et les fissures, fond en se posant sur les briques de la cheminée. Elle se dépose sur les plantes et la terre nue du jardin de façade, dessine un monticule parfait, comme moulé sous une tasse, au-dessus du portail moisi. Elle dissimule le toit du poulailler, ainsi que ceux des cabinets et de l'ancienne laiterie, laisse une fine couche sur l'établi et le sol, à l'aplomb d'une fenêtre dont la vitre est brisée depuis longtemps. Dans le potager à l'arrière de la maison, la neige se faufile entre les déchirures de la serre en forme de tunnel, le gel a saisi les plants d'oignons sur dix centimètres de profondeur et racorni les jeunes blettes.
Seuls les choux pommés de l'hiver précédent refusent encore de succomber et recourbent leurs grandes feuilles vertes sur leurs cœurs, vigoureuses, patientes.
(Incipit)
Depuis notre arrivée, mon père dessinait une marque sur le chambranle de la porte tous les matins en se réveillant, mais au bout de seize, il s’arrêta.
« Fini de vivre selon les règles des autres, les heures et les minutes ne décideront plus pour nous, déclara-t-il. L’heure de se lever, l’heure d’aller à l’église, l’heure d’aller au travail… Tout ça c’est fini ! »
Je ne me souvenais pas d’avoir jamais vu mon père aller à l’église, ni même au travail.
« Les dates ne sont là que pour nous rappeler que nos jours sont comptés, que chaque jour qui passe nous rapproche de la mort. À partir de maintenant, Punzel, nous vivrons au rythme du soleil et des saisons. » Il me souleva et me fit voler dans les airs en riant : « Nos jours seront infinis. »
Sur le chambranle de la porte, sous la marque du couteau de mon père, le temps s’arrêta pour nous le 20 août 1976.
"Vous savez ce que je n'oublierai jamais à propos de votre mère ?" l'interroge l'homme.
Julius fait non de la tête. Impossible de se souvenir de son nom à lui aussi.
"L'hiver, les matins où il gèle tellement qu'on en a les couilles pétrifiées, tellement froid que si on a le malheur de se mouiller les doigts, ils collent aux poteaux métalliques, Dot se pointait avec deux ou trois œufs durs dans les poches. Elle me les a passés une fois. Ils étaient chauds. Elle a dit qu'ils me tiendraient les doigts au chaud et qu'ensuite ça me ferait un casse-croute pour plus tard. Ça, c'est une femme avec la tête bien vissée sur ses épaules, je me suis dit. Une femme pleine de bon sens. Une femme bien".
"Ca n'en vaut pas la peine,dit Gil.
Qu'est ce qui n'en vaut pas la peine?
De contrarier quelqu'un que tu aimes.On ne sait jamais quand on le verra pour la dernière fois" (P260)
Flora aurait aimé avoir ses deux parents devant elle pour leur demander pourquoi les mots « paternité » et « maternité », séparés d’une seule lettre, recouvraient pourtant des réalités si différentes.
"Jusqu'au coeur des étés les plus chauds, les arbres dominaient le sentier de leur ombre et les fougères et les herbes suintaient encore d'humidité à travers les rochers . "
J'éprouvais ce sentiment exaltant de me trouver à un seuil, et qu'à tout moment ma vie pouvait basculer dans une direction que je n'avais jamais envisagée ou appréhendée.
Jamais je n'avais songé à ce dont les gens pouvaient bien avoir l'air sous leurs habits ou la complexité de leurs vies qui paraissaient si simples et si parfaites de l'extérieur.
Que pensez-vous qu'il se produise dans les creux, les non-dits, dans tout ce qui n'est pas écrit ?
(...) ce choc que j'avais éprouvé en lisant tes mots qui parlaient de vieillir ensemble quand je n'avais même pas encore envisagé le fait de vieillir tout court (...)
Est-ce que ta mémoire te joue des tours parfois ?
Tu penses à un endroit et tu te rends compte qu'en fait tu y es déjà ?
Une mère ne quitte pas ses enfants ! Des pères quittent leurs enfants tous les jours et personne ne bronche à peinte y a-t-il vaguement une déception de temps en temps. Pourquoi ce serait-il choquant que pour une fois ça vienne d'une femme ? (...) C'est différent pour une mère. - Pourquoi ? parce que les mères sont censées aimer leurs enfants davantage que les pères ? Parce que c'est censé être instinctif ? (p264)
Il est impossible de ne pas devenir ce que les autres croient que vous êtes.
Ecrire ne sert à rien tant que personne ne vous lit, et chaque lecteur voit quelque chose de différent dans un roman, dans un chapitre, dans une ligne. Aucun d'entre vous n'a donc lu Barthes ou Rosenblatt ? Un livre ne prend vie que lorsqu'il entre en interaction avec un lecteur. Que pensez-vous qu'il se produise dans les creux, les non-dits, dans tout ce qui n'est pas écrit ? Le lecteur comble les vides avec sa propre imagination. Mais tous les lecteurs remplissent-ils ces creux comme vous le souhaiteriez, ou bien tous de la même manière ? Bien sûr que non. Je vous ai demandé quel effet produisaient ces lignes et vous m'avez tous répondu en m'expliquant quelles étaient les intentions de Jackson, ce que ces lignes signifient, ou du moins ce que vous croyez qu'elles signifient. Dans certains cas, même là-dessus vous vous trompez. Mais aucun d'entre vous me m'a dit quel effet elles avaient produit sur vous. Ce qu'elles ont suscité dans votre imagination de lecteur. Vous êtes passés à côté de l'essence même de la littérature, de la lecture.
Le monde entier était devenu plus raide, plus abrasif : les draps m’écorchaient la peau, les vêtements m’irritaient, tout comme les gens.
Cela veut dire que le cerveau est capable de prêter foi à deux idées contradictoires en même temps : l'espoir et la peine.
Ce que l'oeil ne voit pas et que l'esprit ignore n'existe pas.
La sonnerie tira Flora d’un sommeil profond. Couché à côté d’elle, Richard avait la tête enfouie sous un oreiller, elle dut lui grimper dessus pour sortir du lit dans le froid et le noir de la chambre. Elle trébucha sur des reliefs de vêtements, des bouteilles vides et des assiettes sales qui jonchaient le sol, ramassa une vieille nappe qu’elle utilisait pour dissimuler les taches de gras laissées sur le canapé par les précédents locataires et s’enroula dedans comme dans une cape. La sonnerie cessa. Flora soupira, et le temps qu’elle ait chassé tout l’air de ses poumons, la sonnerie reprit. Elle tendit l’oreille puis se mit à fouiller parmi les vêtements, tomba enfin sur son jean et son téléphone portable resté dans la poche arrière. Nan s’affichait sur l’écran. Richard roula sur le lit en grognant et Flora alla se réfugier dans la salle de bains.
« Nan ? dit-elle en tirant le cordon de la loupiote et en clignant des yeux ».
— Allô ? Flora ?
— Oh, non, je suis désolée, pardon, j’aurais dû appeler, dit Flora. Joyeux anniversaire avec un jour de retard.
— Merci, dit Nan. Mais je ne t’appelais pas pour ça. »
Le ton de sa voix était paniqué, inquiet, Flora sentit une créature s’insinuer en elle, tapie dans son ventre.
« Qu’est-ce qui se passe ? » La voix de Flora n’était plus qu’un murmure. Elle s’affala sur le linoléum, coincée entre la baignoire et le pied du lavabo. De si près, les volutes et les tourbillons abstraits du motif de la nappe semblaient se transformer en poissons bleu argent nageant sur ses genoux.