AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Colum McCann (946)


Le tout premier jour, il était arrivé le cœur en fête. Par la grande entrée. Un moment à savourer. Il s’était acheté un costume chez un tailleur chic de Madison Avenue. Une cravate Gucci. Des mocassins à pampilles. Il était plein d’expectative. Au-dessus des portes dorées était gravé à l’extérieur : « The People are the Foundation of Power. » Il s’était arrêté pour bien s’en imprégner. À l’intérieur, le hall n’était que mouvement et confusion. Des maquereaux, des journalistes, des avocats marrons. Des types aux semelles compensées. Mauves. Des femmes qui tiraient leurs enfants derrière elles. Des clochards endormis dans les alcôves des fenêtres. Son cœur s’était serré à chaque nouveau pas. L’espace d’un instant, le bâtiment avait semblé garder quelque chose de sa gloire – les hauts plafonds, les vieilles balustrades en bois, le sol en marbre, mais plus il avançait, plus il défaillait. Les salles d’audience étaient encore pires qu’à son souvenir. Hébété, abattu, il avait erré un moment sans but. Les couloirs étaient pleins de graffitis. On fumait devant les salles d’audience. On marchandait dans les toilettes. Les procureurs avaient des toges trouées. Des flics véreux écumaient les lieux, à la recherche d’un pot-de-vin. Des adolescents se serraient la main selon un curieux rite. Des pères attendaient avec leurs filles défoncées. Des mères pleuraient sur l’épaule de garçons chevelus. Le cuir rouge des portes capitonnées était déchiré, fendu. Les magistrats avaient des cartables déglingués. Comme un spectre, il avait continué tout droit, pris l’ascenseur, tiré une chaise pour s’asseoir à son nouveau bureau. Trouvé un chewing-gum desséché sous le tiroir.
Commenter  J’apprécie          40
Tu regrettes ton fils disparu, tu te réveilles au milieu de la nuit, tu trouves ta femme en pleurs, tu vas à la cuisine te faire un sandwich au fromage et tu te dis, au moins c’est un sandwich au fromage à Park Avenue, ça pourrait être pire, on aurait pu tomber plus bas, voilà ma prime : un soupir de soulagement.
Commenter  J’apprécie          30
À Yale, quand il était encore jeune, bouillonnant, il était sûr de devenir le centre de la terre, d’exercer toute sa vie une vive influence. À vingt ans, tous les gamins croient ça. L’égocentrisme est un attribut de la jeunesse. Oui, l’empreinte qu’on laissera, c’est ça. Les adultes apprennent tôt ou tard. On creuse un petit trou et on se coule dedans. On surmonte de son mieux le temps qui passe.
Commenter  J’apprécie          40
Tous les jours une marée nouvelle rapportait les mêmes détritus. La racaille : un mot qu’il [le juge] avait longtemps refusé d’employer. Plus maintenant. Car c’est bien ce que c’était, même s’il lui était pénible de l’admettre. De la racaille. La mer laissait sur la rive un chargement de seringues, de sachets en plastiques, de chemises ensanglantées, de capotes, de morveux en tout genre. Il se tapait la lie de la lie. Les gens supposaient qu’il occupait des fonctions prestigieuses, un paradis de cuir et d’acajou dans les hautes sphères du pouvoir, mais grattez un peu, et derrière c’est le vide. Oui, on obtenait les bonnes tables dans les grands restaurants, et la famille de Claire était absolument ravie. Les gens dressaient l’oreille dans les réceptions, se serraient autour de lui, changeaient soudain de niveau de langue. Pas un avantage à proprement parler, mais c’était mieux que rien. C’était censé être un tremplin aussi, vers la Cour suprême ou une autre promotion mais, pour l’instant, cette porte-là ne s’était pas ouverte. En définitive, c’était tout simplement casse-pieds, prosaïque. Le baby-sitting élevé au rang de bureaucratie.
Commenter  J’apprécie          20
C’était une des raisons pour lesquelles Soderberg pensait que cette marche dans le ciel était un coup de génie. Un monument en soi. Cet homme s’était transformé en statue, en vraie statue new-yorkaise, instantanée, dans les airs au-dessus de la ville. Une statue qui se foutait du passé. Le type était monté au World Trade, avait tendu sa corde entre les Twins, les deux plus hauts gratte-ciel du monde. Rien que ça. Le culot. Le sang-froid. La vision.
Commenter  J’apprécie          30
Un de ces trucs qui ne peuvent arriver qu’ici, une de ces journées qui, sortant de l’ordinaire, faisaient oublier la foule des autres. New York dévoilait son âme de temps en temps, elle avait le chic pour ça. C’est une image qui vous agressait, un crime, une horreur, une splendeur, quelque chose de si inattendu que vous hochiez bêtement la tête, bouche bée, incrédule.
Il avait son idée sur la question. Si de tels événements avaient lieu, c’est que cette ville ne s’intéressait pas à l’histoire. L’imprévisible se produisait pour cette raison justement qu’elle se moquait du passé, qu’elle s’immergeait chaque jour dans le présent. New York n’avait pas besoin de croire en elle, comme Londres ou Athènes ; elle ne symbolisait pas le Nouveau Monde, comme Sydney ou Los Angeles. Elle se foutait bien de son rang. Il avait vu un T-shirt avec l’inscription : New York Fuckin’ City. C’était dans un sens comme s’il n’avait jamais existé qu’elle, et il en serait toujours ainsi.
Elle allait constamment de l’avant, qu’importe la veille ou l’avant-veille. Pour ne pas être la femme de Loth changée en statue de sel quand elle s’était retournée vers Sodome. Statufiés, Long Island et le New Jersey.
Il avait souvent dit à Claire que la chronologie s’évanouissait dans les murs. Voilà pourquoi il y avait si peu de monuments. Contrairement à Londres, où l’on trouvait à chaque coin de rue une figure historique, un mémorial, gravés ou sculptés dans la pierre. Il pouvait tout au plus situer une dizaine de statues proprement dites à Manhattan – plantées pour la plupart dans la Literary Walk de Central Park. Mais qui se promenait encore aujourd’hui à Central Park ? À moins d’y aller avec une division blindée, on était mort avant Sir Walter Scott. Personne ne voyait l’utilité de poser sa marque aux grands carrefours, que cela soit Broadway, Wall Street ou autour de Gracie Square. Pour quoi faire ? On ne mange pas les statues. On ne fornique pas avec les monuments. Impossible d’extorquer un million de dollars à un bronze.
Commenter  J’apprécie          20
Mais en définitive il [le funambule] savait que tout dépendait du câble. De lui et du câble. Soixante-quatre mètres de long au-dessus d’un gouffre béant. Les tours étaient conçues pour résister à des oscillations d’un mètre en cas de grand vent. Une violente rafale, un brusque changement de température étaient susceptibles de les faire tanguer. Alors le câble se raidirait et imprimerait des secousses. Un aléa qu’on ne pouvait exclure. S’il marchait, il faudrait résister ou partir en vol plané. Le câble pouvait également se briser, se détacher, et l’un des bouts tranchants décapiter quiconque aurait le malheur de se trouver sur son chemin. Tout devait être étudié avec un soin méticuleux : le tendeur, les moufles, les élingues, l’alignement. On aurait besoin de connaître précisément la résistance des torons. Il voulait une tension de trois tonnes. Mais plus un câble est tendu, plus la graisse a tendance à suinter. Et la graisse est sensible à la chaleur, elle se liquéfie rapidement et ruisselle sur l’acier.
Commenter  J’apprécie          10
L’esprit prend d’excellentes photos, qu’il [le funambule] met dans un album pour entretenir le désespoir. On découpe proprement les bords, on recouvre de film plastique, puis on range l’album qu’on ressortira des décombres de nos vies.
Commenter  J’apprécie          20
Il était à la source des choses et je le comprenais maintenant : Corr était la lumière qui filtre sous la porte, et cette porte lui était fermée. Il ne s’en échapperait que par bribes et il finirait claquemuré derrière ce qu’il avait percé. Peut-être était-ce entièrement sa faute. Peut-être aimait-il les contradictions, les créait-il lui-même pour la simple raison qu’il ne savait pas vivre sans.
Commenter  J’apprécie          10
Nous avons traversé le South Bronx sous le ciel embrasé. Le couchant avait la couleur d’un muscle, strié de rose et de gris. L’œuvre des pyromanes. Les proprios, m’expliquait Corrigan, pratiquaient couramment l’arnaque à l’assurance. Moralité : des rues entières d’appartements et d’entrepôts abandonnés aux braises.
Des gangs de gamins occupaient les carrefours, où les feux restaient en permanence au rouge. D’immenses flaques d’eau stagnaient devant les bouches d’incendie. Un bâtiment de Willis Street à moitié effondré sur la chaussée. Des chiens errants fouillaient prudemment les décombres. Une enseigne au néon, cramée, se maintenait toute droite. Des camions de pompiers nous ont dépassés, puis deux voitures de flics qui se suivaient de près. Ici et là, des silhouettes émergeaient de l’ombre, des sans-logis avec des caddies pleins de fils électriques. On aurait dit des pionniers sur la route du lointain Ouest, poussant leurs chariots dans les plaines de la nuit.
— Qu’est-ce qu’ils font ?
— Ils pillent les bâtiments. Ils éventrent les murs et ils revendent les câbles de cuivre. Ça leur rapporte vingt cents le kilo, quelque chose comme ça.
Commenter  J’apprécie          10
Il aimait les endroits qui manquent de lumière. Les docks. Les asiles de nuit. Les coins de rue aux pavés brisés. Il traînait souvent avec les ivrognes de Frenchman’s Lane et de Spencer Row. Il apportait une bouteille, faisait passer. Lorsqu’elle revenait à lui, il buvait une rasade d’un geste exagéré et s’essuyait la bouche du revers de la main, comme un vrai pochetron. Ils voyaient bien qu’il n’y tenait pas vraiment, qu’il attendait sagement son tour. Je suppose qu’il se croyait à sa place. Les plus rosses se payaient sa tête mais il s’en fichait. Bien sûr qu’ils se servaient de lui : un morveux qui se mouchait dans les chaussures des pauvres. Mais il avait toujours trois sous en poche qu’il voulait bien donner, alors ils l’envoyaient chercher une autre boutanche à l’épicerie, et des cigarettes à l’unité. (…)
Ils ont fini par la lui faire, sa place. Il se glissait dans le paysage, se fondait dans la masse. Il les accompagnait à l’asile de Rutland, se vautrait contre le mur, écoutait leurs histoires : de longues divagations enracinées dans ce qui ressemblait à une tout autre Irlande. C’était pour lui un apprentissage : il s’immisçait dans leur misère comme s’il cherchait à se l’approprier. Il buvait. Fumait. Jamais il ne mentionnait son père, ni à moi ni à personne. Mais l’absent était là comme une évidence. Corrigan le délayait dans une bouteille de sherry, le recrachait tel un brin de tabac qui vous brûle la langue.
Commenter  J’apprécie          10
Emballé de papier brun, un paquet l’attendait sur ses draps. Je le lui ai jeté. Il a haussé les épaules, passé un doigt hésitant sur la ficelle qu’il a retirée. C’était une nouvelle couverture, une Foxford d’un bleu tendre. La déroulant jusqu’en bas du lit, il a regardé maman en hochant la tête.
Elle lui a caressé la joue de ses doigts repliés.
— Plus jamais, tu m’entends ?
L’incident était clos, mais deux ans plus tard il donnait cette couverture-là encore à un sans-logis, par une de ces nuits glaciales où, sur la pointe des pieds, il descendait l’escalier et filait au bord du canal. Son équation était simple : d’autres en avaient plus besoin que lui, et il acceptait par avance d’être puni. J’ai pris là ma première leçon de ce qu’il deviendrait, de ce que je constaterais plus tard chez les marginaux de New York, putes, rabatteurs et sans-espoir – tous ceux qui s’accrocheraient à lui comme à l’étoile de la miséricorde, plantée au-dessus d’un sac à merde qui porte le nom de monde.
Commenter  J’apprécie          10
Les journées passent avec une lenteur perverse. Même le jour est long à s’éteindre. On dirait qu’un présent éternel remet sans cesse l’avenir à plus tard. Walker prend le temps en horreur. Il tourne la pendule face au mur. Le seul jour qu’il reconnaisse est le dimanche, parce que, par la fenêtre, il voit les gens qui vont à l’office. Il est agacé par leurs dents blanches, leur joie, l’assurance avec laquelle ils tiennent leur bible sous le bras. À les voir marcher ainsi sur la pointe des pieds, on croirait que les gospels les portent déjà. Ils vont à l’église pour faire monter leurs voix vers des cieux impuissants. Chanter leur aveuglement à l’unisson. Dieu n’existe que dans le bonheur, se dit Walker, ou au moins la promesse du bonheur.
Commenter  J’apprécie          120
Il fixe le plafond, son corps est une chambre noire de néant, creuse, vide. Il admet la nécessité du chagrin – si le chagrin s’efface, le souvenir aussi.
Commenter  J’apprécie          30
Il n’est venu ici qu’une seule fois, dans cette jungle d’acier, à quatre étages de profondeur sous Grand Central, au cœur du cœur de la ville. Les plafonds sont bas, les galeries étroites, le sol miné par le suintement des tuyaux de vapeur. C’est à cause de la chaleur que ce lieu s’appelle la Route de Birmanie – le nom est gribouillé en graffiti à l’entrée grimaçante de ces boyaux. Treefrog sait parfaitement qu’ils sont habités par des hommes et des femmes dont il doit se méfier. Il n’est pas des leurs, il est seulement de passage, lui qui vit encore dans un minimum de lumière. Il les a vus, les vrais damnés. Les uns tapis sous des banquettes jonchées de vêtements, d’autres perchés sur des poutres métalliques, d’autres encore cachés dans des réduits, ou bien terrés sous des canalisations éventrées. Des hommes et des femmes blessés, dans leur lazaret pour sans-abri. Il y a sept niveaux de tunnels en tout – il a entendu parler de meurtres et d’agressions au couteau, là, au fond.
Commenter  J’apprécie          30
Tu as déjà eu cette impression, lui demande-t-elle pendant qu’il lui masse les épaules, que leurs yeux te déchirent quand tu passes dans la rue ? Tu sais, tu passes et c’est comme s’ils te découpaient en rondelles. Comme si leurs yeux étaient des lames de rasoir.
Commenter  J’apprécie          20
Elle s’assied sur les marches de l’escalier de secours, à l’abri des regards. Elle baisse une bretelle de sa robe et lève la tête face au soleil dans l’espoir vain de rivaliser avec son mari quant à la couleur de sa peau. Le patron d’une boutique de la 125e Rue vient de lui refuser d’essayer un chapeau. Il a fait une moue dégoûtée. Il avait entendu parler d’elle : quand on vit avec un nègre, lui a-t-il dit, on le devient soi-même. Il ne voulait pas de cheveux de nègre dans ses chapeaux. C’était pas bon pour le commerce. Il a prononcé ces mots avec l’écume aux lèvres, et son regard s’est durci. « Je veux bien vous en vendre un, a-t-il dit, mais pas question de l’essayer. »
Commenter  J’apprécie          100
Dans le tunnel du chemin de fer, le travail est plus facile que sous l’eau, mais tout aussi dangereux : des hommes y laissent leur vie quand des paquets de dynamite explosent entre leurs mains, leurs corps sont déchiquetés, leurs pouces volent si haut qu’on croirait qu’ils font du stop pour aller au ciel.
Commenter  J’apprécie          10
Plus tard, au cinéma, il est obligé de se mettre au fond de la salle et, pendant le film, Le Roman comique de Charlot et Lolotte, les têtes lui cachent les moulinets de la canne de Charlot. L’égalité de l’ombre n’existe que dans les tunnels. Le premier syndicat intégré d’Amérique a été celui des travailleurs sous air comprimé. C’est seulement sous terre, il le sait bien, que la couleur est abolie, que les hommes deviennent des hommes.
Commenter  J’apprécie          30
Et puis, à huit heures dix-sept, alors que Nathan Walker tourne le dos à la paroi, Rhubarbe Vannucci fait sa première tentative de phrase complète en anglais. Il en est à la moitié de son mouvement avec sa pelle, une épaule levée, l’autre baissée. Sans que Walker le voie, un trou minuscule vient d’apparaître dans la paroi, point fragile dans le lit du fleuve. L’air sous pression s’y engouffre en sifflant. Vannucci attrape un sac de foin pour combler la brèche, mais tout autour la terre part en tourbillon, l’air s’échappe, et l’orifice s’élargit. Au début, il est gros comme le poing, puis comme un cœur et comme une tête. L’Italien, impuissant, voit le jeune Noir projeté en arrière. Walker ne tient pas au sol. Il glisse vers le trou qui s’agrandit, il est aspiré à l’intérieur, sa pelle d’abord, puis ses deux bras tendus, suivis de la tête, jusqu’aux épaules, et là, son corps est arrêté et fait bouchon. Le haut du torse est prisonnier du limon tandis que les jambes sont toujours dans le tunnel. Walker se trouve face à la caillasse et au sable du fleuve. L’air qui s’échappe lui pousse les pieds. Il a les jambes aspirées dans un tourbillon de limon. Vannucci s’approche de la fuite et saisit Walker par les chevilles pour essayer de le tirer vers le bas. Pendant ce temps-là, les deux autres s’avancent, et ils entendent les paroles de l’Italien se répercuter autour d’eux :
« Air fout l’camp ! Merde ! »
Commenter  J’apprécie          20



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Colum McCann Voir plus

Quiz Voir plus

Quizz Harry Potter

Qui est Nicolas Flamel ? ( HP1 )

Un ami d’Hagrid
Un mangemort
Un ami immortel de Dumledore
Aucune de ces réponses

6 questions
48 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur cet auteur

{* *}