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Citations de Colum McCann (943)


Il détestait la guerre, mais on lui avait dit de la faire, quand il travaillait au PARC (Centre de recherches de Palo Alto). On lui avait demandé bien poliment, figurez-vous. Lyndon B. Johnson voulait avoir le nombre de victimes. Le président des États-Unis. Il n'avait pas idée. Chaque jour, ses conseillers posaient devant lui tous les chiffres et les comptes rendus. Les morts. Les morts dans l'armée de terre. Dans l'armée de l'air. Dans la marine. Chez les civils. Le corps diplomatique. Les hôpitaux de campagne. Les Forces Delta. Le génie militaire. La garde nationale. Les morts. Mais les totaux ne concordaient pas. Quelqu'un foutait la pagaille quelque part. Harcelé par les journalistes, les chaines télé, Johnson réclamait des informations valables. Envoyer un homme sur la lune, il pouvait faire, pas compter les housses mortuaires. Mettre des satellites en orbite, OK, pas fabriquer le bon nombre de croix pour les cimetières. Alors la crème des informaticiens. Des fanas de grosses machines. Une formation express et, la boule à zéro, vous servez votre patrie. « Gloire à toi, mon pays, roi de la technologie.» Les meilleurs seulement avaient été retenus. Des gars de Stanford, du MIT, de l'université de l'Utah, de Davis. Et ses copains de Palo Alto, ceux de l'Arpanet, qui travaillaient pour le rêve. Harnachés, expédiés. Tous blancs. Il y avait d'autres programmes que le sien - pour quantifier le sucre, l'huile, les munitions, les cigarettes, les boites de corned-beef, mais Joshua partait compter les morts.
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Elle repousse le dossier de sa chaise. « J'espère que vous aurez droit à la paix, Alexanda. »
Il reste assis. Elle prend son petit sac à main et le cale sous son bras. Elle s'approche d'Alexanda. Le reste de la pièce se fige. Ils ne se sont pas touchés une seule fois au cours de leurs rendez-vous. Diane Foley et Alexanda Kotey. Aucune raison de le faire. Personne ne s'est approché de lui. Il n'a eu d'autres contacts humains que celui de ses gardiens. Il porte des entraves. Malgré tout, elle ne devrait pas s'avancer vers lui. Pour mille raisons. Dont la moindre n'est pas l'injonction traditionnelle musulmane − qu'elle avait oubliée − en vertu de laquelle les hommes ne peuvent toucher qu'une femme autorisée : seule une mère, une épouse ou une sœur.
Diane s'avance et tend la main. Il la serre.
« Que la paix soit avec vous », dit-elle.
Après qu'elle a quitté la pièce, Kotey reste assis. Un autre silence s'est installé autour de lui. On lui demande ce que serrer la main de Diane a signifié pour lui. Il hoche la tête et joint les mains. [...]
« Elle est comme une mère pour chacun d'entre nous », dit-il.
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Des années plus tard -après l'assassinat de Jim- , John et moi nous sommes aperçus que nous avions appris à le connaître par le récit des autres... En un sens, nous apprenons toujours à le connaître.
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Je devais tirer des conclusions de cette épreuve. Il était évident que notre gouvernement devait se ressaisir. Nous devions faire de la libération de tout citoyen américain enlevé ou injustement détenu une priorité nationale. Notre politique des otages américains devait être amendée afin de faciliter leur retour. Le gouvernement devait – à tout le moins – se montrer compatissant et transparent avec les familles. Avec un peu de dignité et de compréhension, on pouvait déjà avancer à grands pas. Il restait tant à faire pour empêcher les prises d’otage. Il fallait élever le niveau de conscience. Il fallait aussi travailler sur la formation préventive à la sécurité, notamment pour les travailleurs humanitaires et les journalistes, toujours plus ciblés.
En d’autres termes, nous devions aider à l’affirmation d’une prise de conscience nationale, aussi bien au sein de notre gouvernement que dans la population. Notre politique des otages, ces dernières années, n’était pas seulement sous assistance respiratoire : elle avait dépassé la cote d’alerte. Et nous avions besoin d’un réceptacle, d’une organisation pour accueillir au moins certaines solutions. Je ne savais pas très bien par où commencer, mais il y avait des précédents. Parmi eux, une association à but non lucratif nommée Hostage UK dont je me suis inspirée.
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J’avais vu l’injustice partout. J’avais vu des gens dont la foi s’était brisée. J’avais vu un gouvernement abandonner ses citoyens et laisser les survivants ramasser les débris du naufrage. Des journalistes traités comme de simples poussières. J’avais vu certaines des choses les plus cruelles que des êtres humains peuvent s’infliger entre eux. Et pourtant, derrière tout cela, je savais qu’une ardeur et une bonté illuminaient encore le monde. J’avais rencontré aussi des êtres extraordinairement généreux et compatissants. J’avais aperçu des fissures dans le mur de la bureaucratie. J’avais découvert – et admiré – l’idée selon laquelle on pouvait être optimiste y compris face à la pire des réalités. Rester dans les ténèbres me paraissait lâche et mauvais. Avancer vers la lumière exigerait du courage. Il était beaucoup plus difficile d’être optimiste que pessimiste. L’optimisme existe en dehors de lui-même. Le pessimisme ne fait que se nourrir de lui-même.
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Jim fut l’un des dix-huit prisonniers occidentaux enlevés par le groupe jihadiste Daech. Les terroristes cherchaient à se faire passer pour une faction parmi d’autres, mais leur véritable identité devenait de plus en plus claire, surtout à mesure que les autres otages revenaient et témoignaient. Daech était dirigé par Abou Bakr al-Baghdadi, autoproclamé calife de l’État islamique. Le noyau du groupe des ravisseurs était constitué de trois jihadistes britanniques que les otages eux-mêmes avaient surnommés « les Beatles ».
Heureusement, je n’ai rien su de tout ça pendant la captivité de Jim. Mais les Beatles étaient impitoyables et cruels. (J’ai connu les détails plus tard, grâce aux otages libérés et aux articles n contrôle très strict sur leurs prisonniers. Ils n’hésitaient pas à avoir recours au waterboarding, à les suspendre au plafond par des menottes ou à se servir de câbles pour les frapper sur la plante des pieds. Ils s’habillaient de noir, portaient cagoules et gants, ne montraient jamais leur visage. Ils parlaient avec un fort accent cockney et étaient les pires idéalistes qui soient : fraîchement convertis à l’islam. En tant que Britanniques, ils haïssaient la Grande-Bretagne. Ils avaient honte de leur pays d’origine. Au nombre de leurs obsessions figuraient Guantanamo, Abou Ghraïb, la guerre contre l’islam et l’occupation américaine de l’Irak. Ils maintenaient leurs prisonniers pieds nus, au cas où ils tenteraient de fuir. Ils leur braquaient des pistolets sur la tempe, leur plaquaient des sabres contre la gorge, se livraient à des simulacres d’exécution pour les terroriser. Parodiant la guerre des États-Unis contre le terrorisme, ils utilisaient une technique de crucifixion : une reconstitution de la torture à Abou Ghraïb, par laquelle on force un homme cagoulé à rester debout, les bras écartés. Pas de clous, pas de croix. Mais des coups, incessants. Des techniques de privation de nourriture cruellement appliquées. Et il y avait le waterboarding.
On a dit que les Beatles étaient furieux que Jim et John Cantlie se soient convertis à l’islam – cela venait réduire leur champ des possibles en matière de torture. En effet, selon la loi islamique, la torture d’un musulman par un autre musulman obéit à des règles strictes, qui doivent être strictement appliquées. La torture des otages avait pour but de les humilier et de renforcer leur sentiment d’impuissance. Les bourreaux voulaient semer la panique. Et le message qu’ils entendaient envoyer ne s’arrêtait pas à la cellule où ils retenaient leurs prisonniers – ils souhaitaient que le monde entier connaisse la panique.
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En France, apparemment, les choses se passaient comme dans nul autre pays. Les Français se souciaient énormément de leurs otages. Cela faisait l’objet d’un débat national. On montrait presque tous les soirs leurs visages à la télévision. Leurs noms étaient sur les lèvres des écoliers. Je n’en revenais pas. J’étais admirative, voire jalouse, face à un tel soutien.
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Je commençais à me dire qu’une de nos tragédies, en tant que nation, était notre incapacité à comprendre les conflits étrangers. Trop souvent, nous ne cherchons pas à connaître véritablement notre ennemi. Ajoutez à cela un manque d’empathie et une exploitation hasardeuse des renseignements, et vous obtenez la recette d’un pays qui croit bien faire, quand en réalité il me semble souvent qu’on se tire une balle dans le pied.
Apprendre ce que l’on croit déjà connaître est impossible. C’est un résumé de l’Amérique. Nous croyons savoir. Donc nous n’apprenons pas.
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Les plus grandes joies viennent après coup. Avec le temps, les rétroviseurs ont tendance à se nettoyer. J’adore compulser les vieux albums photos. J’aime à rouvrir le passé et à m’y replonger quelques instants. C’est une forme de nostalgie, bien sûr, mais la nostalgie nous fait toucher du doigt le présent. Nous sommes une accumulation de parcours.
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Pas à pas, pense Jaslyn, nous trébuchons dans le silence, à petits bruits, nous trouvons chez les autres de quoi poursuivre nos vies. Et c'est presque assez.
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Il rentrait le lendemain à Dublin, après l'incinération, pour jeter ses cendres dans la baie. Il ne voyait aucune nostalgie là-dedans, ça semblait naturel. Le ramener à la maison. Il marcherait sur le rivage, attendrait la marée montante, puis il disperserait ses cendres au vent. Cela n'était pas du tout contraire à sa religion. Corrigan n'avait jamais évoqué d'enterrement d'aucune sorte, et Ciaran était sûr qu'il préférait l'air à la terre.
Il aimait son frère, disait-il, car il aidait les gens à devenir ce qu'ils croyaient impossible. Il pinçait un coin secret de leur cœur, les envoyaient où ils n'imaginaient pas. Même mort, il y arriverait encore. Corrigan voyait en Dieu l'une des dernières grandes explorations. Les hommes et les femmes pouvaient essayer des tas de trucs, mais le vrai mystère serait toujours ailleurs. Il allait jeter ses cendres et les laisser se poser où elles voudraient.
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Je n'ai pas répondu et il a souri, un sourire où se lisait toute la tristesse du monde. Et il a fait signe au barman d'apporter deux autres Bloody Mary.
- Il faut que j'y aille.
- Je les boirai tout seul.
Un pour lui, un pour son frère.
- Comme vous voudrez.
- Oui, a-t-il dit.
Deux PV m'attendaient sur le pare-brise: un pour stationnement interdit, l'autre parce que mon phare était cassé. J'ai failli tomber à la renverse. Avant de démarrer, je suis revenue devant la vitrine et, une main en visière, j'ai regardé en vitesse. Le menton sur ses bras croisés, Ciaran discutait au comptoir avec le serveur. Je me suis figée quand il a jeté un coup d’œil et j'ai tourné la tête. Des roches sont enterrées profondément dans le sol et, malgré tous les tremblements de terre, elles ne verront jamais la surface.
L'amour fait peur, je crois.
Peur.
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Il est en deux secondes l'essence du mouvement, il peut faire ce qu'il veut. Dehors, dedans son corps, dans le bonheur d'appartenir à l'air, sans passé, sans avenir - et les caprices jaillissent sur le fil. Il transporte sa vie d'une extrémité à l'autre. Bientôt il n'aura plus conscience de respirer, et il le sait.
La beauté pour motivation. Le ravissement ultime d'une marche. Tout réécrire depuis là-haut. D'autres possibles à forme humaine. Par-delà les lois de l'équilibre.
Être un instant sans corps et venir à la vie.
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Les écouter revient un peu à écouter un arbre - en scrutant bien l'écorce, on trouve toujours la marque de l'eau.
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L'existence d'une presse libre est au cœur même de nos démocraties. Tous les jours, pourtant, dans le monde entier, des journalistes sont emprisonnés et détenus. Pourquoi diable les abandonnerait-on ?
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Beaucoup de monnaie circule dans le monde, mais aucune n'a autant de valeur qu'un être humain. Aussi la question du retour des otages est-elle une des plus profondément litigieuses que je connaisse.
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En France, apparemment, les choses se passaient comme dans nul autre pays. Les Français se souciaient énormément de leurs otages. Cela faisait l'objet d'un débat national. On montrait presque tous les soirs leurs visages à la télévision. Leurs noms étaient sur les lèvres des écoliers. Je n'en revenais pas. J'étais admirative, voire jalouse, face à un tel soutien.
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De surcroît, la réalité est que nous nous soucions moins de nos humanitaires, de nos conducteurs d'ambulance bénévoles ou de nos journalistes que de nos soldats.
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Il s'aperçut qu'il riait mais il ne savait pas trop s'il devait s'amuser dans cette ville étrange, sur cette plage étrange, dans cette solitude étrange.
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Citant Rumi, poète persan : Hier j'étais intelligent, et je voulais changer le monde. Aujourd'hui je suis sage, et j'ai commencé à me changer moi-même.
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