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Critiques de Cynthia Ozick (37)
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Les papiers de Puttermesser

Cynthia Ozick est une auteure américaine qui réusit toujours à se réinventer et, incidemment, à me plaire. Chaque nouveau livre est une expérience unique. La seule constante ? Un ton légèrement léger, humoristique, malgré parfois des sujets plus sombres. Quand je pense à son humour, évidemment, il n’est pas question d’un sac à blagues mais plutôt de sarcasme, d’ironie du sort, d’une bonne dose d’autodérision. L’humour juif à son meilleur, quoi ! Un autre trait caractéristique d’Ozick, c’est sa grande culture. Quand elle ne fait pas un pastiche ou quand elle ne s’inspire pas d’un pilier de la littérature, comme Henry James ou Franz Kafka, elle creuse l’histoire pour en ressortir les Deux-Magots de Sartre, l’Holocauste ou des éléments obscurs comme une secte juive sortie de l’Antiquité.



Les papiers de Puttermesser, c’est un peu tout ça et encore plus ! Cette fois-ci, on tombe littéralement dans le fantastique. L’héroïne du roman se fait un peu maltraiter par ses supérieurs hiérarchiques et, dans pareille situation, quoi de mieux que faire appel à un golem pour régler ses problèmes. Ainsi appuyée, Ruth Pettermesser, cette fonctionnaire inconnue prendra d’assault la mairie de New York. À travers cela, elle connaitra (tardivement) les tourments de l’amour. Bref, ça va un peu dans toutes les directions, même dans le roman victorien !



Vous aurez compris, Les papiers de Puttermesser est tout un délire. Mais, visiblement, j’en suis sorti enchanté. Je crois bien que je suivrais Ozick dans n’importe lequel de ses délires.
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Corps étrangers

L’Europe. Elle a fait des millions de gens à travers les Âges, et les Américains n’ont pas échappé à son charme, son aura de culture et de sophistication. D’ailleurs, c’était le sujet du roman Les ambassadeurs, de Henry James. Eh bien, un siècle plus tard, l’auteure Cynthia Ozick en propose une réécriture. Toutefois, comme ce fut le cas avec d’autres œuvres dont elle s’est inspirée librement, elle y apporte sa touche personnelle, en a fait une œuvre à part entière.



En effet, elle situe son intrigue dans les années 1950. À cette époque, la donne a changé. Ce n’est plus l’Europe mais plutôt l’Amérique (comprendre ici les Etats-Unis) qui domine le monde. Tant politiquement que culturellement. Partout, ou presque, on carbure aux chansons d’Elvis Priestley et au films mettant en vedette Marolyn Monroe, et les drive-in et le fast-food semblent promis à un bel avenir. Désormais, on vit à l’heure de New York et Hollywood.



N’empêche, le jeune Julian trouve son chemin jusqu’en France, avec la ferme intention d’y rester. Pourquoi ? Ce n’est pas très clair. Alors que l’Amérique est le phare d’un monde nouveau, il se tourne vers le passé, vers une Europe en reconstruction. Lui-même n’est guère mieux, maladif, influençable. Il est se prend d’affection pour Lili une pauvre réfugiée roumaine. Pour tout dire, son origine est assez obscure. Ensemble, ils ont de la difficulté à joindre les deux bouts et survivent grâce à des petits boulots et l’assistance des autres.



Ainsi, la famille dépêche de l’autre côté de l’Atlantique la tante Doris Nightingale pour faire entendre raison à Julian. Mais en vain. On la renvoie là-bas, cette fois on l’adjoint d’Iris, la sœur du jeune homme, mais celle-là se dérobe également, profite de l’occasion pour s’affranchir et décide de rester également sur le vieux continent. De plus, elle s’acoquine avec le Dr Montalbano, une sorte de gourou de médecine naturelle plutôt douteuse.



Décidément, on est bien loin de cette vieille Europe dont Henry James vantait les charmes. C’est que cette réécriture du roman Les Ambassadeurs, ces périgrinations Julian, Iris et tante Do sont surtout l’occasion pour l’auteure de décortiquer les relations familiales complexes, voire dysfonctionnelle. Le patriarche Marvin Nachtigall et son épouse dépressive Margaret, occupés en Californie ou ailleurs, tiennent une place importante dans l’intrigue.



J’ai lu récemment un autre roman de l’auteure, Un monde vacillant, et quelques éléments reviennent, par exemple, un femme dépressive et un ‘’scientifique’’ aux travaux obscurs. C’est une coïncidence ou des thèmes récurrents ?



Dans tous les cas, l’univers de Cynthia Ozick m’interpelle. Il n’est pas d’approche facile, mais j’aime ses personnages plein de zones grises, aux motivations imprécises (ce qui est très proche de la réalité, pas tout le monde a un objectif qui guide constamment ses actions), voire absentes, se laissant emporter par le cours des événements. Souvent, ils sont migrants, cherchent ou se cherchent eux-mêmes. Toujours, ils marchent sur la fine ligne qui sépare la raison de la folie. Ça en fait des individus complets, à part entière.
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Le messie de Stockholm

C’est officiel : je suis en train de devenir un inconditionnel de Cynthia Ozick. J’ai lu quelques uns de ses romans et mon enthousiasme ne démord pas. Au cours de la lecture de ce roman, Le Messie de Stockholm, j’ai éprouvé de légères craintes mais elles se sont envolées rapidement. Ceci dit, je peux comprendre si certains considèrent son œuvre peu accessible. Ses romans et nouvelles ne sont pas du genre à lire en vitesse dans le métro. Ozick, pour créer ses univers réalistes mais décalés, en marge, intellectuels (à défaut de meilleurs termes), puise un peu partout, à commencer chez les écrivains qui l’ont inspirée. Ce roman ne fait pas exception, on y retrouve les thèmes qui lui sont chers, entre autres les Juifs, l’identité et l’intertextualité. Aussi, on y retrouve une fin ouverte qui ne constitue pas vraiment un dénouement. Bref, il s’agit d’une histoire originale et déstabilisante.



Tout commence avec Lars Andemening, un critique littéraire dans un journal suédois (la porte d’entrée pour aborder la littérature en général, des auteurs qui sont chers à Ozick), quadragénaire, libre de toutes attaches mais avant tout adopté à la naissance. Depuis longtemps, il entretient la conviction qu’il est né en Pologne et que son père naturel n’est nul autre que l’écrivain Bruno Schulz, assassiné par les nazis pendant la Shoah. Schulz a laissé derrière lui une œuvre importante à défaut d’être prolifique. Toutefois, une partie de cette œuvre est disparue, incluant l’ébauche d’un roman, Le Messie. C’est là que la fiction rejoint la réalité. Et si Le Messie faisait à nouveau apparition sur Terre ?



J’aime comment, sans prétention, des auteurs réussissent à créer un monde, un univers inclusif qui parle d’autres romans, d’œuvres intemporelles, de grands auteurs. À part Schulz, qui occupe une place privilégiée dans Le Messie de Stockholm, le travail de critique de Lars permet d’évoquer Gombrowicz, Kafka, Kis et plusiweurs autres.



Pour en revenir à Lars Andemening, il fait la connaissance d’une libraire, Heidi, et de son mari le docteur Eklund. Ces derniers dénichent le fameux roman perdu, Le Messie. En fait, ils dénichent Adela qui l’amène de Pologne. Elle aussi se prétend fille de Schulz. Évidemment, Lars ne peut l’admettre : lui seul peut être l’enfant naturel du grand écrivain ! Il s’ensuit plusieurs péripéties, quiproquos, remises en questions, etc. Bref, j’avais l’impression qu’on étirait la sauce. Je dois admettre que c’est la partie qui m’a amoindri mon enthousiasme habituel. Vers le milieu du roman, je me demandais où m’amenait Cynthia Ozick. Le livre n’est pas très volumineux (236 pages dans l’édition de poche) mais il m’a paru long. Il faut dire que c’est un de ses premiers romans alors on pardonne.



Puis, passé le deuxième tiers, un rythme nouveau s’impose. Lars se permet un acte de foi : et si Adela disait vrai, si elle était réellement la fille naturelle de Schulz et si Le Messie était son œuvre perdue ? « La bonne nouvelle doit être répandue. Que Le Messie est ici. Qu’il a été découvert. Retrouvé. Qu’il existe. » (p. 190) J’ai l’impression qu’on ne parle plus simplement d’un manuscrit et c’est tout le génie de Cynthia Ozick. Le livre représente un symbole, bien sûr, de ce qui est important à nos yeux. Mais cela pourrait-il représenter le vrai Messie ? Dieu ? La religion ? Toutes les hypothèses sont bonnes. Du moins, c’est ainsi que je l’ai interprété. Ou peut-être ai-je tout faux ? Dans tous les cas, c’est ce que j’aime de ce genre de livres. Ils nous font réfléchir et on en retire ce qu’on veut.
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La galaxie cannibale

La galaxie cannibale s’ouvre sur Joseph Brill, plein d’autosatisfaction médiocre. Certes, il est intelligent, maitrise plusieurs langues, a fondé sa propre école pour juifs sur les bords d’un lac du Midwest américain. Pourtant, il était destiné à accomplir de grandes choses. Jeune, à Paris, il a survécu à la rafle du Vel d’Hiv et à la Shoah. Ça aurait pu tourner au mélodramatique mais c’était mal connaître l’autrice Cynthia Ozick. Que quelques pages, elle va à l’essentiel et continue son histoire. Brill lisait de grands auteurs, s’intéressait à l’astronomie, visait les étoiles. Maintenant, bien des décennies plus tard, il espère que ses pupilles accompliront de grandes choses à sa place – et se souviendront de lui une fois là haut. Toutefois, l’admission de la jeune Beulah Lilt vient le troubler.



Cette fillette ne se démarque pas du tout : elle ne participe pas en classe, ne s’intègre pas à un cercle d’amies. La mère ne semble pas s’en inquiéter et cela trouble encore plus le pauvre Brill qui insiste pour la rencontrer. Leurs échanges débordent du cadre scolaire, Hester Lilt étant philosophe, ils parlent d’histoire, de religion, même de métaphysique. D’ailleurs, le titre, La galaxie cannibale, vient d’un de ces échanges, Lilt s’en servant pour comparer le fonctionnement de l’univers au comportement des individus. Les années passent mais, pour Brill, le temps commence à manquer. Malgré des inclinaisons ou plutôt des affinités intellectuelles avec la philosophe, il se tourne vers la jeune, jolie et fertile assistante-réceptionniste. La réplique de Lilt est foudroyante. « Ce n’est pas une femme que vous voulez. Ce n’est pas un enfant que vous voulez. C’est vous-même. Votre propre continuation. Votre propre rédemption. Vous vous mettez au centre. Vous pensez à la mort. Vous voulez être immortel. » (p. 169)



Et, en effet, l’école Edmond-Fleg n’est plus assez, il lui faut un fils qui saura monter vers les étoiles. Et ce fils semble renfermer les promesses tant désirées… pour le moment. Même une lettre de son successeur, annonçant mille changements, en d’autres mots tout le legs de Joseph Brill ne l’émoit pas autant qu’on aurait pu le croire. C’est plutôt l’ascension de Beulah Lilt, l’inconsidérée, qui le tourmente sans fin. Comment une fille aussi terne a-t-elle pu devenir une artiste peintre particulièrement articulée ? Comment peut-elle passer sous silence toute l’éducation qu’il lui a prodiguée ? C’est un vol ! Hester savait que sa fille accomplirait de grandes choses et l’a tu.



L’histoire juive, bien qu’elle contienne quelques grands héros, est surtout grouillante d’hommes humbles et résilients (comme Job) ou bien de comiques pratiquant l’autodérision (comme Woody Allen). Dans toute son œuvre, l’autrice américaine Cynthia Ozick penche vers ses derniers. Et c’est marquant dès ses premiers romans, La galaxie cannibale étant son deuxième à être publié. Ses personnages, à commencer par Joseph Brill, sont à la fois très réalistes et très caricaturaux. En effet, bien qu’il soit attachant avec ses espoirs déçus, ses manies dépassées et ses indécisions, surtout ses choix, il peut paraître ridicule. Sa vie pathétique se transforme en parodie et on peut en dire autant des autres personnages. Toutefois, même dans la comédie on peut tirer un enseignement…
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Un monde vacillant

Mon opinion de ce roman, Un monde vacillant, a changé régulièrement au cours de ma lecture, passant de l’intérêt à la curiosité, puis de l’ennui (mais brièvement seulement, je ne voyais plus où cette histoire s’en allait) à l'amusement en passant par la bizarrerie. Au final, j’en garde un bon souvenir mais… il y toujours ce mais qui persiste. Je dirais que ce sont les personnages et la drôle d’atmosphère qu’ils dégagent due à leur cohabitation.



Commençons par le commencement. Les premiers chapitres ont su me captiver, même s’il ne s’y passe pas grand chose. Le lecteur est introduit à Rose Meadows, une jeune femme presque sans attache (orpheline, elle vivait aux crochets d’un distant cousin Bertram, lequel restait soumis à son amante militante Ninel), qui entre au service de la famille Mitwisser, des juifs allemands qui ont fui le régime nazi. C’était en 1935. Un habitué de l’auteure Cynthia Ozick reconnaitra là des thèmes qui lui sont chers.



Les premiers chapitres font des allers-retours entre cette période et les années d’enfance de Rose. Je trouvais étrange qu’on fasse ce bond dans le passé si tôt mais les transitions étaient bien faites. Et ça permet de mieux cerner la protagoniste et, surtout, de sympathiser davantage avec elle.



Je ne peux en dire autant des membres de la famille Mitwisser. Était-ce volontaire ? Non pas qu’ils soient antipathiques, loin de là, mais leur étrangeté et leur excentricité (vues par un simple Américain) détonne. Bien sûr, leur exil est vécu comme un traumatisme. Dans tous les cas, ce le fut pour la mère Elsa, qui sombre dans la dépression. Mais le père Rudolf est trop diffus et absorbé par ses vagues travaux pour s’y attarder. Le karaïsme, un courant obscur du judaïsme, ne peut attendre. (D’abord, je croyais que c’était une pure invention, une fantaisie de l’auteure mais ça existe pour vrai, j’ai vérifié !) Quant à l’aînée de enfants, l’impérieuse Anneliese, elle est trop occupée à tenir la maisonnée.



Et Rose Meadows, dans tout cela ? Son rôle évoluera au fil du temps et des besoins. « Je ne parvenais pas à saisir ce que mes obligations pouvaient être, et quand je tentais de m’en enquérir, la réponse se dissolvait dans le chaos. » (p. 47) Même après deux semaines ! S’occuper de la fillette de trois ans Waltraut ? Contenir l’activité frénétique des adolescents Gerhardt, Heinrich et Wilhelm ? D’ailleurs, ces trois-là, ils me semblaient assez interchangeables. Ou bien soutenir Rudolf dans ses travaux, classer ses livres et taper à la machine ? Finalement, elle devra surtout tenir compagnie et surveiller Elsa qui perd tranquillement contact avec la réalité.



Pour le lecteur, à l’instar de Rose, entrer dans la famille Mitwisser, c’est comme pénétrer dans un univers parallèle. Ce monde quasi-disparu de la Mittleeuropa, transplanté dans un New York de l’Entre-deux-guerre, est un voyage fascinant. Pendant une bonne partie du roman, ce fut suffisant pour moi. Les chocs culturels, les personnages plus grands que nature, forcés de s’adapter à une nouvelle condition, à une nouvelle réalité.



Toutefois, après quelques centaines de pages, j’avais envie d’un peu plus. Les travaux de Rudolf ne semblaient mener nulle part, la famille sombrait dans l’autodestruction, même Anneliese, le pilier, commençait à faire des siennes. Bref, tout devenait noir. L’auteure a brouillé un peu les cartes en ramenant le cousin Bertram. D’abord, je n’en étais pas convaincu mais, finalement, je crois qu’il avait sa place dans cette étrange galerie où deux univers entrent en collision.



Jusqu’à la fin du roman, le destin de la famille Mitwisser, de Rose et de Bertram continueront de s’entremêler dans un enchevêtrement claustrophobique de péripéties à la limite du ridicule… pour le plus grand bonheur du lecteur. Toutefois, avec Cynthia Ozick, il n’y a habituellement pas de « happily ever after ». En ce sens, le dénouement m’a laissé un drôle de gout, un mélange de doux-amer. Quelque part à mi-chemin entre l’échec et la réussite. Si certains y trouvent leur compte, c’est indirectement, par le biais d’un autre personnage. Et cela de la façon la plus inattendue. Ainsi continuera longtemps leur interdépendance.
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Corps étrangers



«Corps étrangers» se déroule de juillet 1952 à janvier 1953 entre Paris, New York et Los Angeles.

Marvin Nachtigall, fils d’un émigrant juif originaire d’un pauvre village de la province de Minsk en Russie, grâce à une bourse, a pu avoir accès à l’Université prestigieuse de Princeton. Il a épousé la soeur d’un de ses riches camarades Margareth Breckinridge. Ils ont deux enfants Julian et Iris et vivent à Los Angeles. Ce pourrait être un parfaite image d’une intégration à l’américaine si tout ne finissait par se déliter autour de lui.



Marvin va faire appel à sa soeur Doris, alors qu’il ne s’est plus préoccupé de son existence depuis bien des années. Il lui demande de se rendre à Paris à la recherche de Julian, son neveu qui se rêve écrivain. Sa mission, le convaincre de rentrer au bercail. Elle ne rencontrera pas Julian, reviendra bredouille et c’est Iris qui ira ensuite rejoindre son frère qui a épousé secrètement Lili, une exilée roumaine (Lili «eut pitié de lui à cause de sa vacuité, il avait pitié d’elle parce qu’elle avait été pleine et qu’on l’avait vidée. (...) Elle avait beaucoup à lui apprendre. Il n’avait rien à lui offrir, hormis le miracle de sa gratitude.p 132)



A cette époque à Paris on rencontre deux sortes d’exilés. Ceux (dont fait partie Julian) qui «cherchaient à faire revivre le passé : un genre de théâtre ivre de lui-même. C’étaient, pour la plupart, de jeunes Américains de vingt ou trente ans qui se disaient «expatriés», alors qu’ils n’étaient que des touristes littéraires en visite prolongée, entichés de légendes sur Hemingway et Gertrude Stein.»

«L’autre contingent d’étrangers (dont fait partie Lili la femme de Julian) -- les fantômes -- étaient polyglotte. Ses membres jacassaient dans une dizaine de langues différentes. De leurs bouches jaillissaient toutes les cadences de l’Europe. (...) Ces européens avaient subi l’attaque de l’Europe ; ils portaient le tatouage de l’Europe. On ne pouvait dire d’eux, comme on le disait forcément des Américains, qu’ils appartenaient à une vague d’après-guerre. Ils n’étaient pas d’après-guerre. Bien qu’ils eussent afflué à Paris, la guerre étaient encore en eux.(...) Paris était un lieu de transit.»



Julian et ensuite Iris fuient à l’étranger pour se dégager de l’emprise de leur tyran de père et tenter de prendre leur envol. L’autoritarisme paternel les étouffent. Marvin est dominateur, grossier et méprisant aussi bien avec ses enfants qu’avec sa soeur Doris ou sa femme Margaret qui se réfugie dans une maison de repos.



Dans ce roman tous les personnages se sentent étrangers, étrangers au lieu, au pays dans lequel ils vivent mais aussi étrangers aux autres et à eux-même. On les sent perdus, ne sachant comment agir ou se comporter. Ils se laissent dériver. Confrontés à la réalité ils perdent facilement pied ou engendrent des catastrophes lorsqu’ils tentent d’agir.



Cynthia Ozick, elle-même d’un milieu d’expatriés, sait décortiquer leurs travers et leurs failles d’une plume acérée. Mais si elle reste lucide et parfois impitoyable, elle sait aussi faire preuve de fantaisie et de compassion. Des critiques parle du réalisme fantastique de Cynthia Ozick mais je ne l’ai pas retrouvé dans ce roman. Il était plus présent dans «Un monde vacillant» roman pour lequel j’ai une préférence.



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Lévitation

Lévitation, c’est deux nouvelles, dont la première qui a donné son nom à l’ensemble. On y rencontre un couple de romanciers, Feingold et son épouse Lucy. Ils habitent Central Park West et baignent dans un univers imprégné par l’histoire juive (pourrait-il en être autrement d’un ouvrage de Cynthia Ozick ?), de livres, de culture avec un grand C. Et, quand ils décident d’organiser une soirée, ce sont des convives tout aussi «culturés» qu’ils invitent. Les grands noms ne se présentent pas mais ce n’est pas grave. À un moment pendant la soirée, Lucy a une illumination : c’est comme si le salon où ils se trouvent s’élève dans les airs, c’est comme si on bascule dans un autre monde. Résumé ainsi, ça n’a l’air de rien, étrange, et c’est également mon ressenti. Peut-être la nouvelle est trop courte (à peine 30 pages) ? Ou incomplète ? Les romans de Cynthia Ozick ne sont pas toujours faciles à approcher, le plaisir que j’y trouve est souvent associé à un univers particulier et original qu’à une intrigue soutenue. Pour ce qui est de l’autre nouvelle, j’ai été beaucoup déçu. Non pas qu’elle soit mauvaise, au contraire, c’est plutôt qu’elle avait déjà paru séparément et que, conséquemment, je l’avais déjà lue. C’est Les papiers de Puttermesser. D’abord, je croyais qu’il s’agissait d’une version antérieure, légèrement différente. Mais ça ne semble pas être le cas. Je n’ai plus en ma possession l’autre exemplaire mais, à vue de nez, elles me paraissaient identiques donc j’ai arrêté cette lecture. Je ne répéterai pas ici ma critique. Ceux que ça intéresse, vous pouvez la retrouver facilement.
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Antiquités

Cynthia Ozick se moque de son narrateur, un homme vieillissant et trop conservateur, dont le racisme et l'antisémitisme apparaissent en transparence – tout comme sa misanthropie généralisée. L'autrice ironise sur les corps et les esprits qui prennent de l'âge, le sujet de fond important finalement bien peu (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2022/11/04/antiquites-cynthia-ozick/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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Le châle

Née dans le Bronx, Cynthia Ozick est une écrivaine juive, d’origine russe, vivant toujours à New York. Lauréate de la fondation Guggenheim, de l’American Academy and National Institute of Arts and Letters, elle est considérée comme une « sorte de Flannery O’Connor juive ».



« Le Châle » débute dans un camp de concentration où Rosa cache son bébé, Magda, dans les plis d’un châle. Un bébé qui, à peine née, n’a pas d’espoir, ni de vie et encore moins de pleurs et passe ses journées à sucer ce bout de chiffon pour étancher sa soif et oublier sa faim. Lorsqu’une pensionnaire, morte de froid, lui arrache le châle, le bébé est découvert et l’atrocité est inévitable : un nazi s’en empare et le jette contre les barbelés.

Trente ans après ces évènements, succinctement mais intensivement retracés en une dizaine de page seulement, Rosa est à Miami. Elle vit seule, est toujours en colère contre le monde, la rage au ventre, l’esprit là-bas.



Lorsqu’elle retrouve son châle qui a gardé le goût d’amande et de cannelle de la salive de Magda, Rosa semble toujours plus perdue et désemparée. Elle ne se considère pas comme une survivante, sorte de super-héros ayant réussi à passer à travers les mailles nazies du filet qui retinrent tant de ses compatriotes. Il n’est toujours pas question de faire le deuil de ce bébé tuée. D’ailleurs, Magda est vivante, elle est même médecin dans l’imagination de Rosa. Impossible d’oublier. Rosa n’est pas folle même si c’est l’impression qu’elle donne aux autres. Ce roman est là pour cette raison : témoigner de cette époque. Rosa n’a pas le droit d’oublier, le lecteur non plus…
Lien : http://leranchsansnom.free.fr/
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Les papiers de Puttermesser

Golem de Prague vs Golem de New-York.

Le Golem est recréé dans la Grande Pomme, modelé à partir de la terre des plantes d'appartement d'une fonctionnaire : Ruth Putermesser, créatrice du Golem au féminin.

Le Golem se fait femme et s'attribue le nom de la femme de Socrate : Xanthippe. Sourde-muette, Xanthippe communique par écrit : les papiers ne lui sont pas interdits. Pour une fois, le Golem n'est pas "totalement" privé du don de la parole et la créature crée la créatrice en faisant d'elle, qui n'est qu'une fonctionnaire reléguée au bas de l'échelle sociale, le maire de New-York.



Dès lors que l'aleph est effacé sur le front de Xanthippe, le mythe du Golem s'efface - à mon grand désarroi - pour faire place aux histoires de coeur de Puttermesser - elle tombe amoureuse d'un faussaire - elle revisite la vie sentimentale de George Eliot.



On part sur autre chose, sans transitions - excepté le fait que Cynthia Ozick s'interroge sur la notion de simulacre à travers la figure du faussaire qui passe son temps à "rekonstituer" les grands-maîtres. Le Golem n'est-il pas lui-même un simulacre ? Une "rekonstitution" de l'être humain ?
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Le châle

J'ai lu avant celui-ci un livre qui s'appelait le chagrin des vivants dans lequel au bout du compte je n'ai trouvé ni vrai chagrin, ni vrais vivants. Tout juste des ombres de personnages peu crédibles et peu profonds flottant dans un après-guerre vaguement constellé de tranchées et de jambes de bois. de cette lecture j'ai déjà presque tout oublié - reste le titre. Plutôt joli, plutôt percutant, mais tellement peu adapté. C'est dommage, il faudrait peut-être faire quelque chose avec ce titre.

Et si je le donnais à ce livre là ? Parce que c'est vrai que le châle de Cynthia Ozick est capable de recouvrir pas mal de choses. Indéniablement. Mais le chagrin ? Les vivants ? On pourrait croire que ça colle hein ? Bah zut non en fait, j'ai beau retourner le problème dans ma tête, je crois que ça ne va pas aller non plus...

Ah bon ? Quoi mais pourquoi ? du chagrin on en a pourtant en veux-tu en voilà dans ces pages n'est-ce pas ? Une mère dont on tue l'enfant, pensez-vous, si c'est pas du chagrin ça, et bien sûr, le camp de concentration n'en parlons même pas. Une abomination. Forcément du chagrin donc. Et pis des vivants, il y a bien des vivants dans cette histoire non ? Rosa est vivante, Stella est vivante. Oui je sais mais oui mais non.

Pour le chagrin déjà ça va pas, le mot est trop faible, ici on est au-delà du chagrin, il n'y a pas de mots pour dire où on est d'ailleurs, mais cela se situe bien au-delà croyez-moi. Inqualifiable, indicible, ça c'est des mots, mais est-ce que ça suffit ? Est-ce que ça peut dire tout ce qu'il faudrait dire ? Pas sûr. Ensuite, concernant les vivants, ben pareil, on ne va pas pouvoir dire ça, parce que tout simplement on est très très au-delà du vivant. En effet, ici on n'a pas de vivants mais des survivants. Et le truc, c'est qu'il ne faut surtout pas croire que survivre c'est vivre, ne pas présumer que les survivants sont des vivants. Même rien qu'à regarder les synonymes on se rend compte que ça va pas, indemne, qui est indemne ici ? miraculé ? quelqu'un a vu un miracle ? sain et sauf, tiré d'affaire ? sans déconner on n'y croit pas cinq minutes. Non définitivement, survivre ce n'est plus vivre.



Alors voilà, on va garder le titre de Cynthia Ozick et basta. C'est vrai puisqu'au final elle ne nous parle ni de chagrin ni de vivants, de quoi peut-elle bien nous parler ? Bonne question. le châle, un châle… Mais oui bien sûr, de mode, elle parle de mode, quoi d'autre ? le châle, un accessoire fantastique - quasi magique- qui permet de rester vivant, il réchauffe bien sûr, il cache et dissimule ce que l'on veut protéger, il peut même nourrir si on le suce à la place du sein maternel desséché, il délivre un jus composé de rien si ce n'est de particules d'illusion et d'espérance. Mais ce châle est aussi un linceul, une créature tentaculaire qui a envahi l'esprit de Rosa la séparant du monde des vivants sans toutefois lui permettre de rejoindre celui des disparus, il la maintient dans son rôle de survivante, le seul qu'on lui concède dans cette société dégénérée.

D'autres accessoires vestimentaires vont s'en mêler au fil des pages. Survivante. Stella lui offre une robe. Rayée. Des rayures pour une réchappée des camps ? Vraiment ? Survivante mais élégante. Elle flotte Rosa, elle flotte dans son entre-monde, elle flotte et elle sème des morceaux de tissus comme un tragique Petit Poucet, une culotte par ci, ses bonnes chaussures par là, et puis cette robe rayée. Survivante. Rosa ne peut pas oublier, c'est son drame. Les autres ont déjà oublié, elle n'est plus qu'une survivante. Pas une personne, pas un être humain. Elle est une survivante et elle n'a pas le droit d'être autre chose.



Mais heureusement, un beau jour de lessive, par un accroc du châle, un petit yiddish se faufile et vient à rencontre de Rosa. Fabricant de boutons c'est son métier -humour yiddish ça, typique - un bouton pour réparer le châle. Persky, c'est son nom, est un charmant vieux schnock et il est surtout le seul qui voit en Rosa juste une femme, pas une survivante. Il va essayer de la ramener sur le sunny side of the street. Pas facile, mais après tout ça se passe à Miami et du soleil, y'en a par là-bas alors faudra voir... J'ai bien aimé ce vieux polak, j'adore sa façon de parler et il m'a rappelé de bons souvenirs, mais stop ça suffit maintenant, il est temps pour moi de rabattre le châle sur cette histoire.
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Un monde vacillant

Rose Meadows, 18 ans, entre au service des Mitwisser, une famille de juifs allemands réfugiés aux Etats-unis. Après une enfance auprès d'un père, professeur de mathématiques, froid, menteur et joueur, Rose va découvrir la déchéance de cette famille sans le sou, autrefois prospère : Rudolph, le père, est un homme de lettres, spécialiste des Karaïtes, secte juive dissidente de 9ème siècle et ne vit plus que pour ses recherches. Elsa, la mère, spécialiste de physique renvoyée pour sa judéité, refuse l' exil et sa nouvelle langue et tombe peu à peu dans la folie. Anneliese, l'aînée des 5 enfants, qui refuse l'école et gère le foyer. Waltraut, la petite dernière, délaissée par tous et enfin les 3 fils, remuants qui se sont donnés 3 noms. Etrabnge famille dont les uniques revenus proviennent d'un certain James, riche héritier mystérieux.

Nous allons suivre donc cette grande famille tout le temps où Rose sera à leur service.



Les personnages sont nombreux, riches et très bien travaillés. Nous les verrons évoluer au fil du roman en bien comme en mal. Le monde vacille pour chacun et l'avenir ne sera pas forcément celui qu'ils attendaient. Forces déceptions et victoires seront au rendez-vous.

L'auteur aura su peindre un univers qui basculera dans le nazisme, le totalitarisme et le communisme. La tragédie finale n'est qu'une évocation de celle plus grande qui secouera le monde.

C'est une vision du monde très noire qui coule de ce récit sans concessions. Les personnages sont sinistres et le lecteur n'aura qu'une envie : les secouer... mais en vain.

C'est d'une intégration ratée, formidablement décrite, dont il s'agit ici. Les mitwisser n'auront pas su se fondre dans une nouvelle société, occupés qu'ils étaient à essayer de revivre l'ancienne. Les travaux universitaires de Mr mitwisser n'intéressent personne. Ecrasé, réduit à l'anonymat et à l'inutilité, il se sentira comme mort.

Seule note d'espoir, Rose qui ne se laissera pas abattre et poursuivra sa vie, en toute liberté, sans rien devoir à personne, dans un monde moderne où les femmes trouveront peu à peu leur place.



C'est un roman magistral, long,, très long où il ne se passe pas grand chose mais il faut savoir prendre son temps pour en apprécier pleinement le sens.

Chacun peut être étranger, même dans son propre pays.

Les déchirures de l'exil, la misère, les blessures de l'enfance : Cynthia Ozick aura su toucher à des thèmes universels en toute finesse. Le lecteur ne pourra sortir indifférent de cette lecture.


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Le châle

Cynthia Ozick est née en 1928 à New York de parents juifs-biélorusses., elle est américaine, d’origine russe. Ses parents ont quitté la Russie au lendemain de la vague de pogroms qui a succédé à l’assassinat du tsar Alexandre II, en mars 1881. Ils ont ouvert une pharmacie dans le quartier de Pelham bay Park, où ils travaillent avec acharnement. La jeune Cynthia écoute les histoires des clientes de sa mère, et dévore des livres.. Et là, nait sa vocation d’écrivaine.

Le châle est un diptyque composé de deux nouvelles.

« 𝑳𝒆 𝒄𝒉â𝒍𝒆 ». Une jeune polonaise, Rosa Lublin, et sa nièce Stella marchent vers un camp de concentration. Aucun nom de lieu n’est donné. Elle dissimule son bébé Magda, dans son châle ; Rosa n’a plus de lait, Magda, silencieuse et squelettique tête le châle. Le bébé va faire un avec ce châle, va grandir tant bien que mal, jusqu’à environ quinze mois... Stella la nièce de Rosa, 14 ans, vole le châle parce qu'elle a froid et parce qu'elle envie cette enfant... Et l’innommable va alors se produire.

Cette première nouvelle est pudique, ne s’attarde pas trop sur l’atrocité de la vie dans le camp mais centre beaucoup sur l’amour maternel et la jalousie. Elle est quasi insoutenable. Le moment le plus choquant de l’histoire, est la description de la façon que l’un des officiers nazis ramasse Magda… alors qu’elle crie « maman ».

« Rosa ». Quarante ans plus tard, Rosa, survivante du camp, vit – si l’on peut dire – dans une maison de retraite, entretenue par Stella, en Floride. Rosa ne peut et surtout ne veut pas oublier. Un jour, elle reçoit un paquet. A l’intérieur : le châle dans lequel, elle cachait sa petite fille, Magda.

Cette partie m’a paru relativement plus fade, l'écriture n'est pas fluide et m’a gênée, même si elle est forte en réflexions.

Un choc pour la première nouvelle et une lecture en demi-teinte pour la seconde..
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Le rabbi païen

Les personnages de ces nouvelles sont issus de la communauté juive américaine des années 50-60, comme l’est leur auteure. Cynthia Ozick n’est pourtant pas tendre avec eux, elle nous les montre souvent plein de rancœur, de jalousie, dans leur incapacité au bonheur, ils sont prisonniers de leurs certitudes et s’opposent à celles des autres, malgré tout, parfois parait un peu de tendresse. D’une très belle écriture, vive et imagée mais implacable ; Elle aborde des thèmes que l’on pourrait croire propre à la culture juive et à ses questionnements : Le poids de la religion et ses interrogations métaphysiques (« Le rabbi païen » (une nouvelle épistolairement fantastique)), la perte de l’identité culturelle (« Le traducteur introuvable » (le yiddish, une langue morte ?)), la recherche de la reconnaissance sociale (« la femme du docteur » (familles, je vous hais !)) etc., mais on comprend bien que ces thèmes et ces personnages sont universels, ce qui fait la force et la richesse de ce recueil. Une belle découverte pour moi, faite au hasard des allées de ma médiathèque familière. 4* donc. Allez salut.



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Corps étrangers

Cynthia Ozick fait partie des auteurs qui ne me laissent pas indifférente : ses sujets ne sont pas simples, mais son écriture est de qualité.

Dans ce roman à plusieurs voix, il est surtout question du déracinement, du refus d'appartenance à une hérédité trop lourde à porter...et en même temps, incapacité à se faire une place dans une nouvelle société.

Je retiendrai - et je partage- 2 phrases de la 4ème de couverture:

"Personnages sans ancrage, corps étrangers à tout ce qui les entoure, ils déambulent dans l'existence comme des êtres en sursis"

"Cynthia Ozick explore le déracinement historique et intime de ces nouveaux Juifs errant, et impose sa puissance romanesque hors du commun."
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Le châle

« Elle tourna et retourna la boîte – c’était une boîte rectangulaire. Le châle de Magda ! Le lange de Magda. Le linceul de Magda. Le souvenir de l’odeur de Magda, parfum sacré du nourrisson perdu. Assassiné. Jeté contre la clôture, barbelée, griffée d’épines, électrifiée ; gril et grille ; fournaise, une enfant incendiée ! »



Magda, l’enfant, le nourrisson, tenant à peine sur ses jambes, n’est pas légitime dans le camp de concentration dans lequel elle se trouve. Alors quand elle se retrouve sans son châle, elle est vite repérée puis effroyablement exécutée.



Rosa, la mère, ne s’en remettra jamais. A jamais bouleversée, elle erre. Elle erre dans ses pensées, dans sa vie. Elle n’oublie pas, elle construit sa réalité.



« - Madame ? dit le directeur.

- Monsieur, vous avez des barbelés autour de votre plage.

- Vous avez une chambre ici?

- Non, ailleurs.

- Alors en quoi cela vous regarde-t-il ?

- Vous avez des barbelés.

- Pour empêcher la racaille d’entrer.

- En Amérique, ce n’est pas le lieu du barbelé en haut des clôtures !

Le directeur abandonna la rédaction de ses notes

- Veuillez vous retirer, dit-il Retirez-vous, je vous en prie.

- Il n’y a que les nazis qui attrapent les innocents derrière des barbelés, dit Rosa. »



Elle ne parvient pas à trouver une raison d’être comme tout le monde : dans les normes du quotidien. Le pauvre Persky tente bien de la ramener à la réalité en lui offrant des séances de drague mémorable [extrait] :



« - Qu’est-ce que vous voulez ?

Il découvrit ses dents.

- Un rendez-vous.

- Vous êtes marié.

- Marié mais sans femme.

- Vous en avez une.

- C’est une façon de parler. Elle est folle.

Rosa dit :

- Je suis folle aussi.

- Qui le dit ?

- Ma nièce.

- Qu’est-ce qu’une inconnue peut en savoir ?

- Une nièce n’est pas une inconnue.

- Mon propre fils est un inconnu. Une nièce sans aucun doute. Venez, j’ai ma voiture tout près. Climatisée, on fera un tour.

- Vous n’êtes pas un gamin, je ne suis pas une gamine, dit Rosa.

- Ce n’est pas à moi que vous le prouverez, dit Persky.

- Je suis quelqu’un de sérieux, dit Rosa. Ce n’est pas mon genre de vie^de me promener pour aller nulle part.

- Qui a dit nulle part ? Je pensais aller quelque part.

Il réfléchit.

« Mon club du troisième âge. Très sympathique belote.

- M’intéresse pas, dit Rosa. J’en ai rien à faire des nouveaux gens.

- Alors, au cinéma. Vous n’aimez pas les nouveaux, on vous en trouvera des morts. Clark Gable, Jean Harlow.

- M’intéresse pas.

- Une promenade à la plage. Marcher au bord de l’eau, ça vous dit?

- Je l’ai déjà fait, dit Rosa.

- Quand ?

- Ce soir. A l’instant.

- Seule ?

Rosa dit :

- Je cherchais quelque chose que j’ai perdu.

- Pauvre Lublin, qu’est-ce que vous avez perdu ?

- Ma vie. »



…même si, malgré elle, des soupçons de réalité la gagnent : « Un fil de gratitude se tendit dans sa gorge. Il comprenait presque ce qu’elle était : pas un bouton ordinaire. »



Ce livre est troublant. Le premier passage, celui du camp, est effroyablement génialement écrit. J’ai eu froid dans le dos. La suite de la lecture me parut ensuite relativement plus fade même si forte en réflexion.



A vous de me dire



Finem Spicere,



Monsieur Touki.
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Le châle

Il est triste le livre de Cynthia Ozick, il est triste parce que je n'ai pas d'autre mot que triste pour qualifier le triste.



Le souvenir de l' "avant", l'horreur du "pendant" et la détresse de l' "après"



"Avant n'est qu'un rêve. Après c'est de la blague. Seul pendant demeure. Et appeler cela une vie c'est un mensonge"



Il est triste le livre de Cynthia Ozick ,

il est triste le livre de Magda

Il est triste le livre de Stella

il est triste le livre de Rosa



il est beau le livre de Cynthia Ozick



(lire également "la douleur" de Marguerite Duras)

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Un monde vacillant

Heir to the Glimmering World


Traduction : Jacqueline Huet/Jean-Pierre Carasso





Il y a une quinzaine d'années, j'ai visionné le "Kafka" de Soderbergh, avec un Jeremy Irons tout bonnement fascinant. Décrire l'ambiance qui baigne ce film, directement inspiré du "Procès", est impossible. Disons qu'il ressemble à un rêve éveillé particulièrement glauque et brumeux. (Il est d'ailleurs, si mes souvenirs sont bons, réalisés en noir et blanc, ce qui contribua beaucoup à le faire échouer au box-office américain.)


Eh ! bien, l'atmosphère qui règne dans "Un Monde Vacillant" m'a beaucoup rappelé le film de Soderbergh. Non qu'il s'agisse d'un roman noir ou pessimiste : il n'y a même rien de kafkaïen là-dedans. Mais, bien que son action se déroule intégralement aux Etats-Unis, "Un Monde Vacillant" distille de façon déroutante un souffle venu de l'antique Europe de l'Est, celle qui s'abîma dans la guerre de 14.


Nous sommes pourtant en 1935 lorsque l'héroïne - qui est aussi la narratrice - du roman se voit contrainte d'entrer au service de Rudolf Mitwisser, un Juif berlinois que la prise du pouvoir par Hitler en Allemagne a jeté dans l'exil avec sa famille. Rose Meadows, tel est son nom, vient de perdre le seul parent qu'il lui restait : son père. Un père bien insouciant (et même indigne, si vous voulez mon avis !) qui la laisse seule et sans un sou, à la charge d'un cousin maternel (Bertram) certes sympathique mais qui songe à se marier ... Comme Rose, vaguement amoureuse de Bertram, n'apprécie guère celle qui prétend l'épouser, c'est avec soulagement qu'elle accepte l'offre des Mitwisser.


Du premier entretien, Rose a conclu que le poste proposé était un emploi de gouvernante pour les jeunes enfants Mitwisser. Mais elle va se rendre compte très vite que ses attributions sont beaucoup plus éclectiques.


Traumatisée par leur départ d'Allemagne, Mme Mitwisser - Elsa - est tombée dans une espèce de folie à éclipses qui la fait repousser Waltraut, la plus jeune de ses filles, presque un bébé pourtant, et passer toutes ses journées à faire des patiences, allongée sur son lit. Les rênes domestiques de la maison sont entre les mains de la fille aînée, Anneliese, d'un an plus jeune que Rose. Entre les deux filles, quatre garçons turbulents dont les prénoms changent tout le temps, s'américanisant au gré de leurs humeurs et semant le doute dans l'esprit de Rose.


Et puis, bien sûr, dans son bureau, le professeur Mitwisser qui parle un anglais si protocolaire qu'on en sourit bien souvent et qui travaille depuis une éternité sur un vaste ouvrage relatif à l'hérésie des Karaïtes, juifs qui affirmaient que la Torah devaient être lue (et observée) à la lettre.


Au coeur de cette étrange maisonnée qui donne très vite au lecteur l'impression étouffante d'un galop de chevaux déments dans un vase clos, Rose commence par se poser nombre de questions. Surtout celle-ci : qui assure les finances des Mitwisser puisque l'Etat américain ne les a jamais pris en charge ?


Ce roman, on pourrait aussi le comparer à un gros écheveau de laine, se dévidant interminablement mais sans lasser le lecteur curieux. La relativité de l'importance que nous accordons aux choses, les ravages provoqués par l'exil forcé en terre étrangère, l'impossibilité d'oublier le passé et, partant, l'obligation soit de l'intégrer à notre futur, soit de se laisser manger par lui ... voilà quelques uns des thèmes traités ici par Cynthia Ozick. Cela donne parfois l'impression d'un grenier en désordre où il faut, pièce par pièce, rassembler le puzzle de toute une existence mais, si l'on y parvient, on reste admiratif devant la technique de la romancière. D'autant que le livre présente une chute finale pour le moins inattendue.


J'ajouterai qu'Ozick a beaucoup d'humour : son récit de l'hérésie karaïte et des recherches du professeur Mitwesser réjouira tout le monde et tout particulièrement l'athée et l'agnostique.


Un auteur à lire, donc. La prochaine fois, je prendrai néanmoins l'un de ses premiers romans. Ce sera peut-être plus simple de s'y plonger car, je l'avoue, au début du texte, j'ai connu quelques difficultés. A bon entendeur ! ;o)
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La galaxie cannibale

Joseph Brill est le principal d'une école primaire religieuse judaïque dans le Midwest dont il est l'âme, le garant et, pour tout dire, le père fondateur. Miraculé de la rafle du Vél' d'Hiv', qui lui a pris toute sa famille, hormis trois sœurs dénommées, en manière de sobriquet, les ABC- rapport aux premières lettres de leur prénom, il a voulu créer une école dont l'enseignement refléterait ses propres principes, nourris d'une sorte de noblesse et d'une antiquité jumelles, fusion du savoir de l'Europe et de la sagesse de Sion, Madame de Sévigné prenant le thé avec Maimonide. L'homme, vieux garçon, est très à cheval sur les principes de sélection des juvéniles candidats, il ne saurait tolérer des cancres et des fainéants dans cette école qui est un peu son bébé. La seule entorse qu'il s'est permis aux tables de la Loi de l'établissement est l'admission d'une enfant - dont le mutisme, la timidité et le manque d'éveil confinent à la débilité, par égard pour les brillants états de service intellectuels de sa génitrice. 



La Galaxie cannibale est le portrait attachant d'un individu un peu rigide, marqué par les drames de l'histoire, qui se donne tout entier dans un projet pédagogique épousant la méthode d'apprentissage qu'il a créé et qui révèle l'attachement viscéral pour la foi de ses ancêtres et sa filiation intellectuelle avec la haute culture du pays dont il s'est exilé. On appréciera l'évocation d'un Paris fantasmé et quelques pages remarquables sur le musée Carnavalet et la sublime correspondance de Madame de Sévigné et sa fille la Comtesse de Grignan. 
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Le messie de Stockholm

Lars Andemening est un critique littéraire, tenant la modeste chronique littéraire du lundi, au lectorat plutôt confidentiel, d'un journal ayant ses locaux dans un immeuble vétuste. L'homme s'évertue à produire des critiques sur des romanciers d'Europe centrale et du bloc de l'est d'une importance indéniable, mais dont tout le monde, en Suède, semble se contrefiche. Orphelin, guère reconnu dans son travail, il s'invente un destin d'enfant réfugié, fils d'un authentique auteur et graphiste polonais, victime de la Shoah, Bruno Schultz. Son activité professionnelle, ses goûts littéraires, sa parenté d'emprunt, l'emmène à côtoyer la modeste librairie d'une immigrée allemande, qui ne tarde pas à rentrer dans ses vues, flatter ses lubies, en lui dénichant, au compte-goutte, des documents ayant trait à ce père d'élection.



Le style de Cynthia Ozick, discrètement assaisonné d'humour, la figure tutélaire d'un écrivain à l'œuvre singulière et au destin tragique, laissaient présager un moment de lecture sympathique et intéressant, quoique sans prétention. Nenni, très vite le récit c'est envasé dans le marécage de l'ennui, le lecteur se perdant dans les brumes de l'indéterminé et du vague.
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