« Elle tourna et retourna la boîte – c’était une boîte rectangulaire. Le châle de Magda ! Le lange de Magda. Le linceul de Magda. Le souvenir de l’odeur de Magda, parfum sacré du nourrisson perdu. Assassiné. Jeté contre la clôture, barbelée, griffée d’épines, électrifiée ; gril et grille ; fournaise, une enfant incendiée ! »
Magda, l’enfant, le nourrisson, tenant à peine sur ses jambes, n’est pas légitime dans le camp de concentration dans lequel elle se trouve. Alors quand elle se retrouve sans son châle, elle est vite repérée puis effroyablement exécutée.
Rosa, la mère, ne s’en remettra jamais. A jamais bouleversée, elle erre. Elle erre dans ses pensées, dans sa vie. Elle n’oublie pas, elle construit sa réalité.
« - Madame ? dit le directeur.
- Monsieur, vous avez des barbelés autour de votre plage.
- Vous avez une chambre ici?
- Non, ailleurs.
- Alors en quoi cela vous regarde-t-il ?
- Vous avez des barbelés.
- Pour empêcher la racaille d’entrer.
- En Amérique, ce n’est pas le lieu du barbelé en haut des clôtures !
Le directeur abandonna la rédaction de ses notes
- Veuillez vous retirer, dit-il Retirez-vous, je vous en prie.
- Il n’y a que les nazis qui attrapent les innocents derrière des barbelés, dit Rosa. »
Elle ne parvient pas à trouver une raison d’être comme tout le monde : dans les normes du quotidien. Le pauvre Persky tente bien de la ramener à la réalité en lui offrant des séances de drague mémorable [extrait] :
« - Qu’est-ce que vous voulez ?
Il découvrit ses dents.
- Un rendez-vous.
- Vous êtes marié.
- Marié mais sans femme.
- Vous en avez une.
- C’est une façon de parler. Elle est folle.
Rosa dit :
- Je suis folle aussi.
- Qui le dit ?
- Ma nièce.
- Qu’est-ce qu’une inconnue peut en savoir ?
- Une nièce n’est pas une inconnue.
- Mon propre fils est un inconnu. Une nièce sans aucun doute. Venez, j’ai ma voiture tout près. Climatisée, on fera un tour.
- Vous n’êtes pas un gamin, je ne suis pas une gamine, dit Rosa.
- Ce n’est pas à moi que vous le prouverez, dit Persky.
- Je suis quelqu’un de sérieux, dit Rosa. Ce n’est pas mon genre de vie^de me promener pour aller nulle part.
- Qui a dit nulle part ? Je pensais aller quelque part.
Il réfléchit.
« Mon club du troisième âge. Très sympathique belote.
- M’intéresse pas, dit Rosa. J’en ai rien à faire des nouveaux gens.
- Alors, au cinéma. Vous n’aimez pas les nouveaux, on vous en trouvera des morts. Clark Gable, Jean Harlow.
- M’intéresse pas.
- Une promenade à la plage. Marcher au bord de l’eau, ça vous dit?
- Je l’ai déjà fait, dit Rosa.
- Quand ?
- Ce soir. A l’instant.
- Seule ?
Rosa dit :
- Je cherchais quelque chose que j’ai perdu.
- Pauvre Lublin, qu’est-ce que vous avez perdu ?
- Ma vie. »
…même si, malgré elle, des soupçons de réalité la gagnent : « Un fil de gratitude se tendit dans sa gorge. Il comprenait presque ce qu’elle était : pas un bouton ordinaire. »
Ce livre est troublant. Le premier passage, celui du camp, est effroyablement génialement écrit. J’ai eu froid dans le dos. La suite de la lecture me parut ensuite relativement plus fade même si forte en réflexion.
A vous de me dire
Finem Spicere,
Monsieur Touki.
Lien :
http://monsieurtouki.wordpre..