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Citations de D.H. Lawrence (604)


Nous vivons dans un âge essentiellement tragique ; aussi refusons-nous de le prendre au tragique. Le cataclysme est accompli ; nous commençons à bâtir de nouveaux petits habitats, à fonder de nouveaux petits espoirs. C'est un travail assez dur : il n'y a plus maintenant de route aisée vers l'avenir : nous tournons les obstacles ou nous grimpons péniblement pardessus. Il faut bien que nous vivions, malgré la chute de tant de cieux.
Telle était à peu près la situation de Constance Chatterley. La guerre avait fait écrouler les toits sur sa tête. Et elle avait compris qu'il faut vivre et apprendre.
Elle avait épousé Clifford Chatterley en 1917, pendant une permission d'un mois qu'il avait passée en Angleterre. Ils avaient eu un mois de lune de miel, après quoi il était reparti pour le front des Flandres. Et six mois plus tard, il était ramené en Angleterre plus ou moins en morceaux. Constance, sa femme, avait alors vingt-trois ans ; lui, vingt-neuf.
Il avait une merveilleuse emprise sur la vie. Il ne mourut pas ; ses débris semblèrent se rejoindre. Il resta deux ans entre les mains des médecins. Puis on le déclara guéri, et on le renvoya à la vie avec la moitié inférieure de son corps, à partir des hanches, paralysée pour toujours.
C'était en 1920. Ils retournèrent, Clifford et Constance, chez lui, à Wragby Hall, le domaine de famille. Son père était mort, Clifford avait hérité du titre ; il était Sir Clifford, et Constance était Lady Chatterley. Ils vinrent commencer la vie en commun dans le château, un peu à l'abandon, des Chatterley, avec un revenu un peu insuffisant. Clifford avait une sœur, mais elle était partie. Il n'avait pas d'autres parents proches. Son frère aîné était mort à la guerre. Estropié pour la vie, sachant qu'il ne pourrait jamais avoir d'enfants, Clifford revint aux fumeux Midlands pour faire vivre, tant qu'il le pourrait, le nom de Chatterley.
Il supportait assez allégrement son sort. Il pouvait aller et venir dans une petite voiture qu'il manœuvrait lui-même, et il en avait une autre, avec un moteur, pour se promener lentement dans le beau parc mélancolique dont il était en réalité si fier malgré les airs détachés qu'il se donnait en en parlant.
Il avait tant souffert que sa capacité de souffrir s'était quelque peu épuisée. Il restait étrangement vif, et joyeux, et presque gai, avec son beau teint, son air de santé, ses yeux bleu clair, brillants et provocants. Il avait de larges et fortes épaules, des mains puissantes. Il était coûteusement vêtu, portait de belles cravates de Bond Street. Et pourtant sur son visage perçait encore le regard qui épie, l'air un peu absent de l'estropié.
Il avait été si près de perdre la vie que ce qu'il lui en restait lui était merveilleusement précieux. On lisait clairement dans l'inquiet éclat de ses yeux l'orgueil d'être encore vivant après une telle aventure. Mais il avait été si touché qu'en lui quelque chose était mort ; quelques-uns de ses sentiments avaient disparu ; il y avait comme un vide d'insensibilité.
Constance, sa femme, était une belle fille saine et campagnarde avec des cheveux doux et bruns, un corps solide, et de lents mouvements pleins d'une énergie peu commune. Elle avait de grands yeux étonnés, une voix douce et moelleuse, et semblait venue tout droit de son village natal. Ce n'était nullement le cas. Son père était le vieux Sir Malcolm Reid, membre de l'Académie royale de peinture, qui avait eu son heure de célébrité. Sa mère avait été un des membres cultivés de la Société Fabienne, en ces beaux jours un peu préraphaélites. Au milieu d'artistes et de socialistes cultivés, Constance et sa sœur Hilda avaient reçu ce qu'on pourrait appeler une éducation esthétiquement sans conventions. On les avait menées à Paris, à Rome, à Florence, pour leur faire respirer une atmosphère d'art ; et on les avait menées aussi ailleurs, à La Haye et à Berlin, aux grands congrès socialistes où les orateurs parlaient toutes les langues civilisées et où personne ne s'étonnait de rien.
Ainsi les deux jeunes filles, dès leur enfance, avaient vécu à leur aise parmi les théories d'art et les spéculations politiques. Elles étaient à la fois cosmopolites et provinciales, de ce provincialisme cosmopolite qui distingue l'art quand il s'allie à un pur idéal social.
À l'âge de quinze ans, on les avait envoyées à Dresde pour étudier la musique entre autres choses. Et elles s'y étaient bien amusées. Elles vivaient librement parmi les étudiants, elles discutaient philosophie, sociologie et art avec les hommes ; elles valaient bien les hommes ; elles valaient plus qu'eux puisqu'elles étaient femmes. Elles partaient en balade dans les bois avec de solides jeunes gens qui portaient des guitares. Elles chantaient les chants des Wandervögel ; elles étaient libres ! Libres ! C'était le grand mot : libres de courir le monde, de parcourir les forêts matinales, avec de vigoureux jeunes gens aux belles voix, libres de faire ce qu'elles voulaient et, surtout, de dire ce qu'elles voulaient. C'était la conversation qui comptait le plus, l'échange passionné de paroles ! L'amour n'était qu'un accompagnement.
Avant d'atteindre dix-huit ans, Hilda et Constance avaient toutes deux essayé de l'amour. Les jeunes gens avec qui elles causaient si passionnément et chantaient si joyeusement et campaient sous les arbres avec tant de liberté, désiraient, cela va sans dire, aller plus loin. Les jeunes filles hésitaient ; mais on avait tant discuté l'amour, on avait tant déclaré qu'il était de première importance ! Et les hommes étaient si humbles, si implorants ! Pourquoi une jeune fille n'aurait-elle pas agi en reine, et fait le don d'elle-même ?
Ainsi elles avaient fait le don d'elles-mêmes, chacune au jeune homme avec qui elle discutait le plus subtilement, le plus intimement. La discussion était la plus grande chose ; l'amour, les rapports charnels n'étaient qu'une sorte de retour à l'instinct, une espèce de réaction. Ensuite, on aimait un peu moins le jeune homme, on avait une légère tendance à le détester comme s'il avait violé une intimité secrète, une liberté défendue. Car toute la dignité d'une jeune fille, toute sa signification dans l'existence ne consistaient qu'en l'accomplissement d'une parfaite, d'une pure, d'une noble liberté. Que pouvait signifier la vie d'une jeune fille sinon le rejet des anciennes et sordides relations entre sexes, de l'ancienne et sordide sujétion ?
Et, de quelque sentimentalité qu'on l'eût peinte, toute cette question de sexe était une des relations, une des sujétions les plus anciennes et les plus sordides. Les poètes qui l'avaient glorifiée étaient surtout des hommes. Les femmes avaient toujours su qu'il y avait quelque chose de meilleur, quelque chose de plus haut. Et maintenant elles le savaient avec plus de précision que jamais. La belle et fière liberté de la femme était supérieure à toute espèce d'amour sexuel ! Par malheur, le point de vue des hommes était si arriéré ! Ils s'entêtaient comme des chiens à vouloir l'acte sexuel.
Et la femme était bien forcée de céder. L'homme était comme un enfant plein d'appétits. Si la femme ne lui cédait pas, il ferait l'enfant, se rendrait insupportable, s'en irait en gâtant ce qui aurait pu être si agréable. Mais une femme pouvait céder à un homme sans céder son moi profond et libre. Les poètes, les gens qui parlent de l'amour ne semblaient pas en avoir assez tenu compte. Une femme pouvait prendre un homme sans s'abandonner vraiment. Au contraire, elle pouvait user de l'acte sexuel pour acquérir un pouvoir sur l'homme. Pendant l'acte physique, elle n'avait qu'à se retenir, laisser l'homme finir et se répandre, sans jouir elle-même. Et puis, elle pouvait prolonger l'étreinte et achever son spasme en ne faisant de lui qu'un instrument.
Quand la guerre éclata et qu'elles furent en hâte rappelées chez elles, les deux sœurs avaient eu toutes deux leur aventure amoureuse. Aucune n'avait jamais aimé un jeune homme sans s'être sentie très près de lui en paroles ; il leur fallait des conversations passionnantes. Le profond, l'extraordinaire, l'incroyable intérêt qu'il y avait à causer passionnément, heure après heure, jour après jour, pendant des mois avec un jeune homme vraiment intelligent ; voilà ce qu'elles n'avaient jamais imaginé avant d'en faire l'expérience ! La promesse paradisiaque : « Tu auras des hommes avec qui tu pourras causer », n'avait jamais été exprimée et elle s'était accomplie avant qu'elles eussent compris tout ce que contenait cette merveilleuse promesse.

1. Lors de l'offensive de 1917 dans les Flandres, les armées britanniques subirent de très lourdes pertes.

2. Midlands : région du centre de l'Angleterre dont la partie ouest, aussi appelée le Pays Noir, est une vaste zone industrielle qui s'est développée à partir du bassin houiller.

3. Bond Street : rue du centre de Londres, célèbre pour ses boutiques élégantes.

4. D'inspiration socialiste, mais rejetant toute action révolutionnaire violente, la Fabian Society, fondée en 1884, était ainsi nommée d'après le général romain Quintus Fabius Maximus surnommé « Cunctator » (« Temporisateur ») à cause de sa tactique essentiellement défensive contre Hannibal. Les Fabiens préconisaient une évolution progressive de la société et cherchaient avant tout à influencer les sphères gouvernementales en leur proposant des idées par leurs nombreux essais et pamphlets. Proches des premiers Trade Unions, ils contribuèrent à la création du parti travailliste. Parmi leurs membres les plus célèbres il y eut George Bernard Shaw, Keir Hardie, H.G. Wells, Sidney et Béatrice Webb.

5. Les préraphaélites : nom que se donnèrent en 1848 un groupe de peintres et de critiques très liés à Ruskin, parmi lesquels J.E. Millais, D.G. Rossetti et W. Holman Hunt. Ils voulaient revenir à la pureté de la peinture du Quattrocento contre ce qu'ils considéraient comme l'influence corruptrice de Raphaël.
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Souvent les meilleurs cœurs sont les plus difficiles. Ce sont des ours mal léchés qu'il faut manier avec adresse.
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Mais le garde, avait compris qu'il n'y avait rien à faire, que l'on ne peut pas se débarrasser de sa solitude, et qu'il faut vivre avec elle. Par instants, mais par instants seulement, le vide est comblé. Mais, ces instants-là, on doit les laisser venir. On doit consentir à sa solitude, y consentir toute sa vie. Et, quand ils se présentent, accepter les instants de plénitude. Mais on doit les laisser venir, on ne peut pas les commander.
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Les hommes étaient bien tous les mêmes, ils oubliaient l'essentiel. Ils perdaient la tête, et ils s'attendaient qu'on les suive au ciel, eux et leurs zizis.
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"Elle sentait qu’elle était arrivée au but le plus primitif de sa nature, et qu’elle était essentiellement sans honte. Elle était soi-même, dépouillée et sans honte. Ce fut un triomphe, presque une gloire. C’était donc ainsi ! C’était là la vie !"
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Et, une fois encore, elle s'étonna de cette sorte de ravissement où il était plongé. Elle ne comprenait pas cette beauté qu'il trouvait en elle, à toucher son corps nu, cette sorte d'extase de beauté. Seule la passion peut le comprendre, et , quand la passion est absente ou morte, alors le grand coup magnifique que donne la beauté est incompréhensible, et même un peu méprisable; beauté chaude, vivante du toucher, tellement plus profonde que la beauté de la vue...Très loin, au fond d'elle-même, elle sentit palpiter quelque chose de nouveau, émerger une nudité nouvelle...
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- Les gens capables d'union intime avec les autres sont les seuls qui semblent ainsi solitaires dans l'univers, dit Constance. Les autres sont un peu gluants ; ils collent à la masse, comme Giovanni.
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D.H. Lawrence
Comme la vie est étrange ! Quand elle donne une chose, elle en reprend une autre.

L'ÉTALON.
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« Et vous avez des regrets ? demanda Connie.
- En un sens, répondit-il en levant les yeux au ciel. Je croyais en avoir fini avec tout cela. Et voici que j’ai recommencé.
- Recommencé quoi ?
- À vivre.
- À vivre ! reprit Connie en frémissant.
- La vie, oui, on ne peut pas y échapper. Sinon, autant mourir. Je dois donc accepter d’être brisé de nouveau. »
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Tu m'aimes en ce moment plus que tu n'aurais jamais pensé m'aimer. Mais qui sait ce qui arrivera quand tu te mettras à y réfléchir?
page 297.
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La plupart des femmes n'aiment jamais.

( Mrs Bolton )
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La Nef de mort


X

Le flot s’abaisse, et le corps comme un coquillage usé
émerge étrange et beau.
Et la petite nef rentre au port, hésitante et confuse
sur le flot rose,
et l'âme frêle en sort, rentres dans sa maison
le cœur rempli de paix.

Le cœur s’élance en paix nouvelle
de l'oubli même.

Ah construisez votre nef de mort, construisez – la !
car vous en aurez besoin.
Car le voyage en oubli vous attend.


//Traduit de l’anglais par J.J. Mayoux
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on aime qui on veut. mais aimer un homme et l'estimer sont deux choses différentes.
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ceux qui ont un coeur ne tiennent ni à l'argent , ni à ce qu'il procure et le laissent à ceux qui n'ont qu'un pauvre petit coeur.
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Il redescendit dans l'ombre et la retraite du bois. Mais il savait que la retraite du bois était illusoire. Les bruits industriels en troublaient la solitude; les lumières aiguës, bien qu'invisibles, la raillaient. Il n'y avait plus de solitude pour personne, plus de retraite. Le monde ne tolère plus d'ermites. Et maintenant il avait pris cette femme et attiré sur lui un nouveau cycle de douleur et de condamnation. Car il savait par expérience ce que cela voulait dire.
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L'amour n'est pas un désideratum, c'est une émotion qu'on ressent ou qu'on ne ressent pas, selon les circonstances.
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- Et vous êtes mineur ! s'écria-t-elle avec surprise.
- Oui. Je suis descendu dans le puits à dix ans.
Elle le regarda avec une consternation émerveillée.
- A dix ans ! Ce devait être dur ?
- Question d'habitude. On vit comme les souris et le soir on met le nez dehors pour voir ce qui se passe.
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- Tu ne penses qu'au bien-être, mère, cria-t-il. C'est la doctrine des femmes sur la vie... la tranquillité et le confort physique. Je méprise ça.
- Ah vraiment ! répliqua sa mère. Et toi, tu éprouves un mécontentement divin ?
- Ça m'est égal que ce soit divin ou non. Mais au diable ton bonheur ! Pourvu que la vie soit féconde, peu importe qu'on soit heureux ou non. Ton bonheur m'assommerait, j'en ai peur.
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« Ne me donnez rien de fixe, d’assis, de statique. Ne me donnez pas l’infini ou l’éternel : rien de l’infinité, rien de l’éternité. Donnez-moi le calme, le blanc bouillonnement, l’incandescence et la froideur du moment incarné : le moment, la chair vive de tout changement, de toute hâte et de toute opposition : le moment, le présent immédiat, le Maintenant. »


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Il lui fallut être passive et consentante comme une esclave, physiquement une esclave. Léchée par les flammes dévorantes de cette passion, quand le feu sensuel lui pénétrait le ventre et la poitrine, elle crut vraiment qu'elle allait mourir ; mais d'une mort sublime et merveilleuse.
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