Citations de Delphine Minoui (327)
- Tu connais la fameuse blague iranienne ? "Sous le Chah, on buvait à l'extérieur et on priait à l'intérieur. Aujourd'hui, en République islamique, on boit à l'intérieur et on prie à l'extérieur !" s'exclama-t-elle.
Le roman a cet avantage que les récits n'ont pas : il s'aventure sur les chemins de l'imagination, en contournant l'autoroute du réel.
Il aime flâner entre les pages. Feuilleter sans fin. Se perdre entre les points et les virgules. Naviguer sur des territoires inconnus.
- Le livre ne domine pas. Il donne. Il ne castre pas. Il épanouit.
Face aux bombes, la bibliothèque est leur forteresse dérobée. Les livres, leurs armes d'instruction massive.
Une véritable machine à broyer l'Iran moderne était en marche. Au nom d'un danger extérieur, tantôt américain, tantôt israélien, Ahmadinejad avait sciemment déclaré la guerre à son propre peuple. Chaque jour, il peignait un peu plus le pays en noir. Un deuil national permanent qui étouffait jusqu'aux rires. Après avoir embastillé ses derniers bourgeons, il était en train de voler au moindre Iranien l'envie de respirer. De vivre.
« Face à celui qui vous cherche du mal, le rire est une arme invincible ! »
Ici, sur les pentes des collines, face au couchant
Et à la béance du temps,
Près des vergers à l’ombre coupée,
Tels les prisonniers,
Tels les chômeurs,
Nous cultivons l’espoir.
(extrait d’un poème du poète palestinien Mahmoud Darwich, cité dans le roman)
Il demande aux participants de se diviser en petits groupes auxquels il distribue des bouts de carton, découpés sous forme de pièces de puzzle. "Vous avez 45 seconde pour les reconstituer". Au bout du temps imparti, une seule équipe crie victoire. L'instructeur sourit : "Normal, elle était la seule à avoir vu le modèle avant de faire le puzzle." Sa conclusion : "Quand tu n'as pas un plan précis dans ta tête, tes idées sont confuses. Si tu définis tes priorités, tu as moins de chance de te perdre.".
Le court-métrage du jour s'appelle 2 + 2 = 5. L'histoire d'un instituteur qui force ses élèves à répéter l'addition mensongère, sous peine de sanction. Cette fable sur la fabrication du mensonge par la force fait écho à la "fausse formule" évoquée dans l'incontournable 1984 de George Orwell. Le film, signé Bakaka Amiri, un réalisateur iranien en exil, a été téléchargé sur internet. Il porte un message d'espoir : à la fin de la leçon de mathématiques, un écolier blotti au fond de la classe défie l'ordre établi en rayant d'un coup de crayon le chiffre imposé pour le remplacer par un "4" sur son cahier. Tonnerre d'applaudissements dans la salle. Bercée par l'inaudible brouhaha, je lis cette phrase, rédigée en arabe, qui inonde le mur blanc : "Si tout le monde croit en quelque chose, est-ce vrai pour autant ?"
Quel souvenir restera-t-il de cette grotte de papier ? En quatre ans d'encerclement forcé, Bachar al Assad s'est acharné à défigurer la ville. Mais je me dis que, quoi qu'il advienne, ces jeunes héros syriens ont une histoire impérissable à partager. Face aux destructions infligées par les bombes, ils n'ont pas seulement sauvé des livres. Ils ont bâti des mots. Erigé des syntaxes. Jour et nuit, ils n'ont jamais cessé de croire en la vertu de la parole. A son invincibilité. Ils ont rompu le silence, relancé le récit. Construit un langage de paix. Avec leurs ouvrages, leurs slogans, leurs revues, leurs graffitis et leurs créations littéraires, ils ont résisté jusqu'au bout à la métrique militaire, inventé une autre cadence que celle des coups de canon.
Les murs aussi chantent le renouveau. Au détour d'une rue, au bord d'un trottoir éventré, parfois au pied d'une façade dentelée, surgissent des pétales de poèmes, des constellations de pochoirs, des boucliers de mots... Avec ses tubes de peinture, Abou Malek al Chami, le graffeur de la bande, arpente la ville pour y peindre l'espoir en couleurs. Sur une façade déchirée par le souffle d'une explosion, il a croqué une fille de 4 ou 5 ans en robe bleue et jaune. Penchée sur une colline de têtes de morts, elle inscrit de sa main potelée le mot"HOPE", en lettres capitales.
Dans ce sas de liberté qu'ils se sont créé, la lecture est leur nouveau socle. Ils lisent pour sonder le passé occulté. Ils lisent pour s'instruire. Pour éviter la démence. Pour s'évader. Les livres, un exutoire. Une mélodie de mots contre le diktat des bombes. La lecture, ce modeste geste d'humanité qui les rattache à l'espoir fou d'un retour à la paix.
Mais la porte s’est fermée. Et la plume s’est tue avant l’heure. Brisée par la guerre.
Lettre à Babai, mon grand père. Paris été 2014
J ai quitté ton pays sans me retourner. Comment dire adieu à une moitié retrouvée de soi-même ? En ce début d'été 2009, la capitale iranienne pleurait ses martyrs et les cachots débordaient. Le temps d'une élection en trompe-l'oeil, nous étions passés du vert espoir au rouge sang. Le rêve d'un changement s'était brisé contre le mur de la répression. Moi, je signais à contrecoeur la fin d 'un long reportage dont tu détenais le secret. De retour à Paris, je n'ai rien pu écrire. Les mots se disputaient ma page. Entre vécu et ressenti. Journaliste, j'étais redevenue citoyenne. J'avais perdu la distance nécessaire pour raconter. Alors j'ai posé ma plume. Longtemps, bien longtemps, avant de me remémorer ces vers de Hafez qu'un jour tu m'offris en cadeau.
"Celui qui s'attache à l'obscurité a peur de la vague.
Le tourbillon de l'eau l'effraie.
Et s'il veut partager notre voyage,
Il doit s'aventurer bien au-delà du sable rassurant du rivage."
C etait à Paris, un matin de novembre 1997. Je ne le savais pas encore, mais de ce poème, j'allais faire ma profession de foi.
Les livres, ces armes d’instruction massive qui font trembler les tyrans.
Au milieu du fracas, ils s’accrochent aux livres comme on s’accroche à la vie.
Quand toutes les portes se ferment à double tour, ne reste-t-il pas, justement, les mots pour raconter ?
Face aux bombes, la bibliothèque est leur forteresse dérobée. Les livres, leurs armes d’instructions massive.
A pleine voix une femme a chanté : "n'ayez pas peur, n'ayez pas peur. Nous sommes tous ensemble"
« Bachar Al-Assad avait fait le pari de les enterrer tous vivants. D'ensevelir la ville, ses derniers habitants. Ses maisons. Ses arbres. Ses raisins. Ses livres.
Des ruines, il repousserait une forteresse de papier. La bibliothèque secrète de Daraya. »