Citations de Denis Drummond (54)
Le destin est un loup qui, dans l’ordre des choses humaines, finit par déclencher l’enchaînement des événements qui construisent une fatalité.
L’extrême agitation de ses gestes est pour lui (l'autiste) ce que la canne blanche est à l’aveugle. Son mutisme est un langage sans signe. Sa surdité à l’autre fait que tout, chez lui, doit passer par d’autres sons que les sons. Les yeux sont sa grammaire. C’est par eux qu’il peut encore s’accorder au monde et trouver un jour un chemin de vie.
Lorsqu’une discussion quitte le champ du verbe pour entrer dans celui de la bataille, elle se transforme en dispute. Ce passage de la ligne marque la frontière entre la parole et la violence. L’échange devient âpre, le débat s’envenime, le différend tourne à l’insulte.
La dispute est une controverse dont l’objet peut à tout moment échapper. Elle devient querelle, et la guerre en est la forme ultime.
Les catastrophes déchirent le réel et laissent le monde dans un silence sans force, tracé par la frayeur et le chaos. On leur attribue le signe du divin, la puissance incommensurable de l’ordre naturel qui nous est rappelé depuis la nuit des temps, avec un don de répétition que nous feignons de remarquer.
Certaines, pourtant, affectent profondément le cours des choses, dans l’univers et dans nos vies. Les catastrophes sont un sursaut. Elles nous tiennent un moment en éveil.
Les lumières naissantes s'accompagnent toujours de leurs cortèges d'ombres.
p.121
C'est la première fois qu'on la filme. Elle ne cache pas sa honte. À défaut de larmes, elle égrène ses silences entrecoupés de mots hésitants, que la journaliste commente abondamment.
p.24
Aimer la nature ne veut plus rien dire. On confond tout. Les opinions règnent en maitresses et les petits royaumes s'affrontent comme aux heures les plus obscures. Je crois que cela fait des lustres qu'on aime la nature de même que certains hommes aiment les femmes, pour eux-mêmes et jusqu'à la destruction.
p.185
La structure du vivant se prenait dans l’ellipse du temps. Les doubles hélice d’ADN des graminées et de l’homme d’Atsuma allaient placer la science dans un ailleurs sans lieu. Elles raconteraient une histoire qui défierait les récits, déférait les icônes et donnerait aux mots un sens nouveau. Les lumières naissantes s’accompagnent toujours de leur cortège d’ombres.
Échapper à sa condition ou la subir, s'élever au-dessus de sa nature ou s'y soumettre, lutter contre ses démons ou les laisser envahir sa vie, refuser le mal et agir pour le bien, tous ces choix sont possibles et recourent au libre arbitre.
« Il s’agit bien de la guerre en ce qu’elle échappe à nos regards. » (p. 22)
Le visage de la guerre est le visage de l’homme.
Et ça, Jeanne, je crois que c’est vrai. Aussi vrai que l’esthétique est, par la composition, le seul moyen de voir au-delà de l’immontrable et, par l’écriture, le seul moyen de dire au-delà de l’innommable.
Ce chaos visuel lui paraissait propre à représenter la guerre comme un aboutissement de la "nature morte"; une nature morte sans gibier ni fruit, une nature morte comme l'éternel combat des hommes ivres de leurs démons.
Il n'eut le temps que d'un seul cliché, celui de tous ces regards tendus dans la même direction, exprimant le même saisissement, la même terreur, au point d'effacer toute singularité, exprimant une attraction et un effroi comme s'ils percevaient ensemble, au même moment, avec la même intensité, que la guerre invente des horreurs.
Je crois profondément, ou plutôt je sais que les variations génétiques et la sélection naturelle sont des forces matérielles totalement aveugles. On leur prête bien plus, c'est très humain. Je prends conscience que la capacité des hommes à adopter une théorie dépend de sa compatibilité avec la représentation qu'ils se font du monde et de la place qu'ils y occupent. Darwin en a fait les frais avant d'être finalement reconnu. Voilà que cela recommence. Nos découvertes passent de main en main, ballotées, craintes, adorées, rejetées selon leur concordance avec les images du cosmos et de nous-mêmes que nos rêves et nos peurs ont façonné inlassablement au cours de notre longue migration dans l'espace et le temps. L'homme ne peut s'empêcher de rapprocher le discours de la science sur la création du récit qu'il s'en est fait. Et c'est toujours le récit qui prime. p.179
Sur le chemin, suivi par Makoto et Kenji, Sandra parle à Tom des dates sur lesquelles il l'avait questionnée la veille. En discutant avec lui, elle prend conscience qu'il cherche à comprendre pourquoi son père n'est pas né après lui et s'il serait toujours en vie si Tom était né plus tôt. Sandra est émue. C'est la première fois qu'il évoque son père. Se rapprochant de la falaise comme on ouvre un grand livre, Sandra explique le caractère immuable de la chronologie. Elle prend pour exemple les strates de couleurs différentes qui se superposent dans un ordre permanent, inchangeable, qui est le cours du temps : ce qui est au-dessus est plus récent, ce qui est en dessous est plus ancien ; on ne peut revenir en arrière, ni projeter ce qui a été dans un futur qui n'est pas encore. Tom se tape la paume de la main sur le crâne, s'agite, gémit puis, pointant du doigt une large couche ou deux couleurs se mêlent et se superposent, il s'exclame : « Ça, c'est papa et moi ! » p.60
« La guerre nous apprend des choses qu’on ne sait pas retenir. » (p. 33)
« Il n’eut le temps que d’un seul cliché, celui de tous ces regards tendus dans la même direction, exprimant le même saisissement, la même terreur, au point d’effacer toute singularité, exprimant une attraction et un effroi comme s’ils percevaient ensemble, au même moment, avec la même intensité, que la guerre invente des horreurs. » (p. 5)
La guerre a ses mensonges, ses écrans de fumée, elle sait endormir, faire se lever un soleil dans la nuit, attraper la lune du bout des doigts. Elle porte le masque de la vérité. À défaut de savoir, que peut-on croire ?
Je te serre dans mes bras sans abîmer ton rêve. Tu sentiras chaque jour mon souffle sur ta nuque. Mon souffle et mon odeur refermeront tes poings sur les plis de ton drap. Dors, mon aimée, dors, mon amour, dors en paix, car je retourne à la guerre. Elle est là qui m’attend.
On cherche à éduquer la guerre. On la veut propre. Végétarienne. Quand elle mord et fait couler le sang, c'est un écart de conduite, une régression passagère. L'âge de raison se mérite. Mais la guerre s'amuse des formes qu'on lui prête. On la veut bio, elle sera cannibale. Dents serrées, elle en ricane. Je le vois dans mon objectif. Je crois qu'on la fascine.