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Critiques de Didier Eribon (114)
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Retour à Reims

Le « Retour à Reims » dont il est question est celui de Didier Eribon, l’auteur, qui après la mort de son père retourne enfin là d’où il vient, un milieu ouvrier dans lequel il a grandi, mais dont il a toujours eu honte, expliquant partiellement son exil de trente-cinq ans, le plus loin possible de sa famille.



C’est en regardant la Grande Librairie que j’ai eu envie de lire cet ouvrage dans lequel l’auteur replonge dans son passé. Fils d’un ouvrier et d’une femme de ménage, il parvient à s’extraire de son milieu et à complètement lui tourner le dos. Un rejet de ses origines qui a également contribué au rejet de sa propre famille. Devant d’une part affirmer son homosexualité et ainsi devenir pleinement celui qu’il était, il a d’autre part dû violemment refuser celui qu’il était censé devenir en s’extrayant d’une classe sociale que notre société cherche à cloisonner le plus solidement possible.



Je m’attendais donc à un récit autobiographique poignant basé sur ce questionnement identitaire social et sexuel, un récit familial et intime narré avec le cœur… Sauf que Didier Eribon s’avère être philosophe et sociologue et que c’est principalement son esprit qui prend ici la parole, utilisant des phrases bien réfléchies pour livrer une analyse plus froide que prévue de son propre parcours. L’autobiographie devient en effet très vite un prétexte pour nous livrer une étude sociologique certes intéressante, mais dépourvue de l’empathie que l’auteur avait suscité chez moi lors de l’émission animée par Augustin Trapenard.



Si j’ai accroché aux quelques passages où il s’autorise un témoignage plus intime et que son analyse de la classe ouvrière des années d’après-guerre s’avère intéressante, j’ai regretté l’approche trop théorique, presque distante et parfois prétentieuse de son propre parcours, ainsi que ses digressions politiques visant à expliquer le glissement progressif du vote ouvrier communiste vers l’extrême droite… n’étant pas fan de politique et encore moins de celle de mes voisins français.
Lien : https://brusselsboy.wordpres..
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Retour à Reims

Didier Eribon est philosophe et sociologue. Cet ouvrage est celui d’un parcours, de ceux pour lesquels on ne parierait pas un kopeck quand on connaît le milieu dont il est issu.





Fils d’un ouvrier, et d’une femme de ménage, son parcours scolaire est très atypique, à l’aune de ce qui se pratique dans sa famille. Il fait partie des rares qui échappent, mais pas complètement, à la sélection liée, non aux mérites et aux capacités, mais à l’origine sociale. Et l’auteur insiste sur le fait que cette sélection n’est pas réservée aux années collège et lycée. Une fois passé le Rubicon du baccalauréat, les filières efficaces sont l’apanage d’une élite informée, qui n’ira pas perdre son temps sur les bancs d’une université qui n’est une aporie.



Cette situation hors norme au sein de sa famille le conduit à un rejet, et ce d’autant qu’il est homosexuel, ce qui est une infamie pour ses parents, et l’on imagine la jeunesse de l’auteur visé et atteint à chaque plaisanterie ou insulte à l’égard de « gens comme lui ».



Un parcours douloureux donc, et un ressenti qui n’est pas sans rappeler ce qu’Annie Ernaux a pu partager dans ses écrits, auteur d’ailleurs citée à plusieurs reprises.



On retrouve aussi ce sentiment d’équilibre instable entre deux mondes, volontairement à l’écart de sa famille, mais avec l’impression tenace de ne pas être accepté dans son nouvel environnement, qui pourtant le comble dans son désir de connaissances. C’est la même chose pour ceux dont la famille a du quitter ses terres d’origine, et qui deviennent étrangers à vie que ce soit sur la terre d’accueil ou sur celle qu’ils ont quittée.



Double question de l’identité sociale et sexuelle, sur le modèle d’une auto-analyse sincère.


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Retour à Reims

Tout est-il bon dans l'Eribon ?



Ce que j'ai aimé :

- Un style d'écriture.

- Une certaine sincérité de ton.

- Une lucidité intelligente.

- Une confession émouvante parfois, inspirée par celles de Annie Ernaux.



Ce que je n'ai pas aimé :

- Un constat (de sociologue) implacable, froid et clinique, sans générosité à l'endroit de sa famille - que n'a-t-il été touché par le sourire de l'ange...

- Une attaque en règle contre la personne et l'oeuvre de Raymond Aron qu'il éreinte à l'envi ("aversion contre l'homme", "prose sans relief et sans éclat d'un professeur superficiel" à qui il reproche même la non perception d'une enfance bourgeoise, comme ne l'est pas celle "d'être Blanc ou hétérosexuel". Toujours gênant lorsque l'on se vante à plusieurs reprises d'avoir été (d'être ?) trotskiste. Vaut-il mieux ,encore aujourd'hui, avoir tort avec Eribon que raison avec Aron ?

- Un accent sentencieux, suffisant voire prétentieux : cet humble monsieur qui s'attache à "développer sa propre oeuvre" ne s'abaisserait pas à "adresser la parole ou serrer la main à quelqu'un qui vote pour le Front national".

- Une espèce de complexe de classe persistant, en dépit d'une reconnaissance universitaire internationale ; c'est ainsi qu'il moque l'air entendu des castes qui fréquentent l'opéra ou s'aventurent dans les galeries d'art.

- Une homosexualité soulignée de façon omniprésente, vécue comme un long martyrologe, plainte constante d'une persécution continuelle par la société ; comme si la vie affective et sexuelle du mâle hétéro de base ne s'apparentait souvent au parcours du combattant ou à la solitude du coureur de fond.



A cause de tous ces préjugés, je mets généreusement 3/5 à cette (auto) copie.

Je précise cependant que colorier des étoiles n'est pas un jugement arrogant ou présomptueux, c'est un peu la règle du jeu de notre compagnonnage, exprimer, humblement, un ressenti fait d'émotions esthétiques, intellectuelles, sentimentales.

En quelque sorte, pour causer genre Eribon, une autre forme de "subjectivation".

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Vie, vieillesse et mort d'une femme du peuple

Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple est un livre utile, voire indispensable mais j’y reviendrai d’ici quelques traits, quelques lignes et certainement en conclusion.

Didier Eribon accomplit ici une tâche difficile car c’est toujours difficile de parler de soi et soi-même de parler de ses propres parents. Ce qui me touche dans cette démarche c’est de cerner pourquoi il l’a fait, et je me persuade que pour lui cette démarche était nécessaire et qu’en conséquence elle ne pouvait pas lui échapper. Ce qui me ravie dans ce projet c’est qu’il l’a réalisé moins pour lui que pour « Nous », établissant ce concept du « Nous » celui que nous devrions construire ensemble et pourquoi. Comme, de Beauvoir, la belle Simone qui nous a légué son indispensable essai en 1949, le Deuxième Sexe, elle a pourtant échoué en quelque sorte à nous parler de La Vieillesse, un livre de 700 pages, en restant cantonnée plutôt sur une analyse politico/économique, quand on sait que la vieillesse n’est plus entendue comme une force de production, cette analyse ne pouvait pas prospérer alors vers une construction organisationnelle de la défense du « Nous » ; une sorte de structure syndicale de la vieillesse. Laquelle voix audible devant être celle des seuls concernés, soit des vieillards et pour pallier à une foule vieillissante ostracisée dans nos sociétés modernes.

En effet, la vieillesse reste peu appréhendée en littérature puisqu’elle n’est perçue intelligemment que par un/des penseurs entrés en âge dans cette réalité. C’est alors que fragilisés et contraints ils franchissent cette nouvelle étape de vie pour sauter dans l’inconnu dont on ne sait rien ou si peu de choses. C’est par une étude d’archéologie de notre culture et une enquête ethnologique que nous pourrions étudier les strates successives de cet acheminement ; une étude qui pourrait nous amener à réinterroger nos institutions afin qu’elles ne soient pas/plus ces espaces d’isolements où végète désormais, une grande partie de notre population.

Mais attention, ce livre est vivant et même parfois drôle, en tout cas moi j’ai ri ; parce que c’était vrai, parce c’était bien comme ça que ça se passait. En relatant ces épreuves de la vie, l’honnêteté de Didier Eribon donne une certaine dynamique aux éléments. Il est question ici de sa mère. Elle a des absences, au début c’était ou paraissait peu alarmant puis le phénomène s’accentuant, il fallait s’interroger sur la possibilité d’un placement. Mais, chez les uns, la principale intéressée refusait d’y aller et, en maison de retraite : il serait toujours bien temps d’y penser. Oui, mais… Voilà le dilemme tel qu’il se posa pour cette famille et celui qui se pose de plus en plus inévitablement aussi, chez les autres. Suite à son placement, finalement dans un EHPAD près de son domicile, à Reims mais suffisamment loin de sa réalité et de son imaginaire, la dame placée s’évapora. Quand le docteur confie à Didier Eribon la possibilité d’une dégradation rapide de l’état de santé de sa mère, bien que surpris, le fils connaissant sa mère, sa force, sa résistance, la combativité qui a été la sienne tout au long de sa vie. Cette femme de l’assistance publique qui a été placée comme bonne puis qui a vécu le mariage comme une émancipation. Qui a accompli son rôle d’épouse, de mère, et qui a travaillé toute sa vie comme ouvrière dans une usine sans jamais recevoir aucune reconnaissance. Qui a connu une véritable histoire d’amour durant son veuvage, mais bien trop tardivement pour enfin jouir d’une liberté enfin acquise. C’est donc suite à cette rupture vécue comme un dépaysement certes, puis la relégation à l’état de pensionnaire, assujettie aux horaires, à la promiscuité obligée etc… Comment si rapidement, quinze jours à peine, un tel renoncement. Plus envie ; plus envie de manger, plus envie de parler, plus envie de faire, plus envie de marcher, plus envie de vivre tout simplement. Un suicide réfléchi ou un état naturel de dégradation par le renoncement. Je pense que Didier Eribon a vécu là une grande culpabilité due au placement de sa mère, sa mère que finalement il ne reverra pas/plus comme pourtant ils en étaient convenus et que ce sentiment ressenti est le même pour la plupart des familles dans une telle circonstance bien qu’il soit parfaitement injuste ou peu justifié. Pourtant, cette mère pouvait être parfois assez cassante quand elle nourrissait ce sentiment contradictoire quant à la réussite de son fils, entre fierté et jalousie. Et, c’est pourtant bien chez ce fils en particulier qu’elle trouva une oreille attentive et clémente plutôt qu’avec ses trois autres frères.

C’est pourquoi il faudrait repenser la section finale de la vie des seniors afin de les maintenir à un degré acceptable de dignité en fonction de ce qu’ils sont encore et de ce qu’ils ont été. Je me rappelle en ce qui me concerne et pour parler d’une expérience, que mon grand-père et les quelques personnages âgés que j’ai côtoyés étant petite ont été pour moi des personnages importants et structurants.





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Retour à Reims

Si Didier Eribon a quitté Reims pour Paris à vingt ans, il s'est surtout déraciné de manière plutôt violente, un exil de trente cinq ans sans nouvelles ou presque pour vivre son homosexualité et son émancipation culturelle dans la philosophie. De retour à Reims à la mort de son père, il revisite son passé à l'aune de ses origines populaires, aborde comment il a résisté au déterminisme social pour devenir un transfuge de classe, intellectuel philosophe et sociologue averti, qui décrit aujourd'hui avec minutie et expertise sociologique le milieu ouvrier des années d'après-guerre, sa soumission de classe et son ethos. La construction de soi, sociale, culturelle, sexuelle ou politique, tout cela a cheminé chez l'auteur par des sentiers encore plus ardus qu'à l'ordinaire : il a fallu du côté de sa sexualité qu'il devienne celui qu'il était, quand du côté social il a du refuser ce qu'il devait être.

Un livre passionnant, qui se réfère tour à tour à Bourdieu, Sartre, Ernaux, Wideman, Genet ou Foucault entre autres, qui peut inviter le lecteur concerné ou curieux à continuer avec l'auteur lui-même, ou avec les autres. En ce qui me concerne ce serait plutôt Bourdieu (si j'en ai le courage).



« Une guerre se mène contre les dominés, et l'École en est donc l'un de ses champs de bataille. Les enseignants font de leur mieux ! Mais ils ne peuvent rien, ou si peu, contre les forces irrésistibles de l'ordre social, qui agissent à la fois souterrainement et au vu de tous, et qui s'imposent envers et contre tout. »
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Retour à Reims

Je viens de relire ce livre, déjà lu à sa parution, et j'ai de nouveau apprécié sa pertinence et son actualité (même si depuis il y a aussi eu Edouard Louis et son "Eddy Bellegueule")

Je connaissais Didier Eribon comme biographe de Michel Foucault, je savais également qu'il avait écrit sur l'homosexualité.

Cette fois c'est un récit personnel que nous propose l'auteur en revenant sur la période de son enfance.

Une enfance qu'il a vécue à Reims dans un milieu ouvrier avec un père manœuvre, une mère femme de ménage et un frère boucher.

Une enfance qu'il a toujours soigneusement cachée une fois qu'il a "réussi" à Paris dans un milieu intellectuel, des souvenirs qu'il a lui-même occultés, une famille qu'il n'a pratiquement plus revue.

C'est à la mort de son père qu'il retourne à Reims et prend le temps de parler avec sa mère.



Davantage qu'un récit autobiographique, Retour à Reims est l'analyse sociologique de la classe ouvrière dans les années cinquante et soixante.

L'usine, le parti communiste, l'alcool en fin de semaine, l'apprentissage le plus tôt possible, l'homophobie,...

Comment Didier Eribon est-il devenu un intellectuel reconnu, professeur de philosophie, théoricien de la question gay ?

Et surtout pourquoi dans son parcours professionnel a-t-il abordé les questions de l'exclusion de nature sexuelle mais jamais de l'exclusion sociale ?



J'ai été très touchée par ce livre très beau et très pudique qui restitue le parcours personnel d'un individu qui a trouvé sa voie d'une manière personnelle, en découvrant la philosophie à l'adolescence, en acceptant son homosexualité, en reniant ses origines sociales.

Ce récit qui fait plusieurs fois référence aux livres d'Annie Ernaux présente en effet de nombreuses similitudes avec Mes années ou La place, c'est la recherche d'une identité et aussi une histoire très intime.

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Retour à Reims

Je me suis aventuré dans ce livre par erreur en n'ayant pas regardé auparavant de quoi il retournait, je croyais me trouver face à un roman et suis tombé sur un essai sociologique et autobiographique. C'est à mille lieues de ce que je peux lire habituellement et je n'aurais sans doute pas franchi le pas volontairement.

Néanmoins, je suis très content de cette erreur car j'ai beaucoup apprécié ce livre. Didier Eribon retrace son parcours et celui de sa famille, la maladie de son père lui permettant de reprendre contact et de rendre visite à sa mère, retour à une vie et une famille desquelles il s'était volontairement éloigné depuis plusieurs dizaines d'années.

L'auteur nous explique comment il n'a eu de cesse de rejeter ce milieu familial dans lequel il était né, de changer de classe sociale malgré toutes les difficultés qu'érigent notre société. Son but: échapper à ce qu'il aurait dû devenir, tourner le dos à un destin tout tracé, revendiquer sa différence et affirmer son homosexualité et la vivre pleinement.

J'ai particulièrement apprécié la description des conditions de vie dans les années 50 et 60 que j'ai trouvé très intéressante ainsi que l'explication de la transformation du paysage politique français et le déplacement du vote ouvrier historiquement à gauche vers l'extrême droite.

J'ai moins aimé les parties traitant de la philosophie proprement dite n'ayant pas les bases pour en comprendre pleinement le sens.

Mais ce texte reste à la portée de tous, il suffit d'avoir la curiosité et l'envie de le découvrir.
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Retour à Reims

Qu'écrire d'intelligent après avoir lu ce fameux "Retour à Reims" ? Juste : lisez-le.

(mais alors je n'atteins pas le nombre de caractères requis sur Babelio)

(donc, et au risque que ce ne soit pas intelligent, voici pour meubler : )

Didier Eribon, journaliste, philosophe, écrivain, sociologue, retourne dans sa ville natale (Reims, donc) pour la première fois depuis pratiquement trente ans. Il y retrouve sa mère, et tout ce qu'il a fui pour réaliser son rêve d'adolescence : devenir un intellectuel parisien libre de vivre ouvertement son homosexualité. Car dans son milieu ouvrier originel, cela n'était même pas envisageable. Eribon retrace alors les grandes lignes et les petits détails de son passé et celui de sa famille, et transforme son récit autobiographique en essai sur les dominants et les dominés.



Ce que j'ai apprécié, c'est que l'auteur ne fait pas le procès de ses parents, il ne se montre jamais condescendant à leur égard. Au contraire, il recontextualise leur pensée et leur attitude en les inscrivant dans un schéma sociétal et politique (toujours en vigueur aujourd'hui). J'ai énormément aimé cette partie, où il décortique les process mis en oeuvre depuis quarante ans pour annihiler la conscience collective et ringardiser le concept (et le mot) de classe, afin de mieux légitimer la domination de l'ordre social -et ce faisant, de préserver la reproduction sociale. Eribon explique également le basculement d'une part du vote ouvrier du PC vers le rn. Dans une autre partie, il raconte son éveil intellectuel et son affirmation homosexuelle dans un cadre où prévalent l'autoélimination et le conformisme, et sa sincérité et sa détermination m'ont beaucoup touchée.

Toutefois, la lecture de cet essai s'est parfois révélée très ardue pour mon pauvre cerveau, et j'ai dû relire quelques passages plusieurs fois. Mais cet ouvrage est absolument passionnant et éclairant pour qui s'intéresse à la lutte des classes et aux transfuges de classe. Ou tout simplement au monde qui l'entoure.



"Un corps d'ouvrière, quand il vieillit, montre à tous les regards ce qu'est la vérité de l'existence des classes". CQFD.

Donc, comme je l'indiquais là-haut : lisez-le.
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Retour à Reims

Longtemps, ce ne fut pour moi qu’un nom. Mes parents s’étaient installés dans ce village à une époque où je n’allais plus les voir. De temps à autre, au cours de mes voyages à l’étranger, je leur envoyais une carte postale, ultime effort pour maintenir un lien que je souhaitais le plus ténu possible. En écrivant l’adresse, je me demandais à quoi ressemblait l’endroit où ils habitaient. Je ne poussais jamais plus loin la curiosité. Lorsque je lui parlais au téléphone, une ou deux fois par trimestre, souvent moins, ma mère me demandait : « Quand viens-tu nous voir ? » J’éludais, prétextant que j’étais très occupé, et lui promettais de venir bientôt. Mais je n’en avais pas l’intention. J’avais fui ma famille et n’éprouvais aucune envie de la retrouver. »







Ainsi commence « Retour à Reims » le bestseller sociologique de Didier Eribon. L’auteur, philosophe et sociologue, replonge dans son passé et dans le milieu ouvrier dans lequel il a été élevé. Gay dans un monde homophobe, il n’a pas eu d’autre choix que de quitter Reims pour étudier à Paris.



Intellectuel reconnu qui a beaucoup écrit sur la question et l’identité homosexuelle, se vivant comme un transfuge de classe, Didier Eribon se penche sur son identité sociale. « Retour à Reims » est un récit autobiographique poignant, un récit familial intime qui décrit avec précision les mécanismes de la domination et sa reproduction de génération en génération. Dans ce retour dans ce que l’on appelle « la France moche », à la mort de son père, le sociologue interroge son refus d’avoir été un fils d’ouvrier.



Un grand texte politique avec ce retour sur quarante années dans un monde de plus en plus ultralibéral qui a vu le basculement des votes communistes vers le FN.


Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Retour à Reims

Après avoir vu sur Arte le film documentaire Retour à Reims (fragments), j'ai voulu lire le livre pour assembler les pièces manquantes des fragments qui permettent de mieux comprendre pourquoi Didier Eribon a mis si longtemps pour parcourir les quelques cent cinquante kilomètres qui séparent Paris de Reims. Un livre très émouvant et très important qui nous permet de mieux comprendre le fossé entre les élites intellectuelles et les milieux populaires depuis la chute de l'Union soviétique en 1989 et la mondialisation.

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Michel Foucault, 1926-1984

Qu'est ce qui caractérise une bonne biographie ? telle est mon interrogation à la fin de ce livre.

Ici, nous vivons les épisodes de la vie de Michel Foucault par le menu comme on lirait un journal.

Didier Eribon suit Foucault à la manifestation ou au discours près.



Les événements des années 70 défilent avec les protestations de l’ultra-gauche dont il faisait partie : les dissidents soviétiques, le sort des détenus, Klaus Croissant, les boat people, Knobelspiess…

On est surpris de la fascination du philosophe pour la révolution iranienne, “une révolution qui échappait à la politique, ou en tout cas à la politique occidentale”.

Bien sûr, plusieurs intellectuels avouèrent également “cette erreur que nous avons partagée”, mais cet égarement lui sera longtemps reproché.



J’ai pu croiser les intellectuels - Gilles Deleuze, Jacques Lacan, Claude Lévi-Strauss - et m’apercevoir que je ne comprenais plus grand-chose à ce que disaient ceux qui m’avaient fasciné durant mes études.



Nous avons affaire à un livre hommage fait du parcours universitaire et politique, agrémenté de la présentation des livres et de citations plutôt qu'à la biographie de celui dont la motivation était la curiosité “non pas celle qui cherche à s’assimiler ce qu'il convient de connaître, mais celle qui permet de se déprendre de soi-même”.

Je n’ai alors pas retrouvé les qualités d'analyse que l’on attend d'un biographe qui tente des hypothèses pour expliquer des choix intellectuels par rapport à des événements de vie.

Ainsi son homosexualité n’est-elle jamais évoquée pour expliquer des orientations de son oeuvre, quand bien même il publiera trois tomes de l’histoire de la sexualité.

Finalement, c’est Georges Dumézil, qui lors de l’oraison funèbre, s’est essayé à rappeler synthétiquement l’importance du philosophe dans les sciences sociales : “L’intelligence de Foucault était littéralement sans borne, même sophistiquée. Il avait installé son observatoire sur les zones de l'être vivant où les distinctions traditionnelles du corps et de l’esprit, de l’instinct et de l'idée paraissent absurdes : la folie, la sexualité, le crime. De là son regard tournait comme un phare sur l’histoire et sur le présent, prêt aux découvertes les moins rassurantes, capable de tout accepter, sauf de s'arrêter à une orthodoxie”.

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Vie, vieillesse et mort d'une femme du peuple

Didier Eribon évoque et analyse

la vie, la vieillesse et la mort de sa mère .

Je n'ai jamais pu entrer dans" retour à Reims",

intimidée et bloquée par son écriture" universitaire".

Là, cette lecture est une évidence .

Je me sens bouleversée, proche de l'auteur,

touchée par ses mots, ses constats,

ses étonnements, ses dépits, ses hontes.

Il observe sa mère: une femme du peuple,

à qui rien n'a été offert d'emblée ,

si ce n'est sa combativité pour résister et exister.

Il a pour elle de la considération, de la rancœur aussi.

Il a dû la fuir pour se construire.

Il fait référence à de nombreux auteurs

pour appuyer son étude.

Il me donne envie de lire ou relire

Bourdieu, Beauvoir, Ernaux, Foucault, Cohen...

Albert Cohen qui supplie

les fils de mères vivantes

de ne surtout pas les mépriser..

L'analyse est philosophique,sociologique, politique,

elle repose sur le vivant,

la réalité de cette mère qui s'efface de la vie sociale.

Son entrée en maison de retraite...

Un monde totalitaire qui marche à la baguette,

broie l'individu, ses désirs, ses besoins propres ..

Comment mobiliser les devenus immobiles?

La parole étouffée par la dépendance..

Ce livre remue, passionne, émeut, questionne

sur la vieillesse de nos proches et la notre qui s'amorce.





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Retour à Reims

C'est en écoutant Edouard Louis se référer à l'ouvrage de Didier Eribon que j'ai eu envie de lire Retour à Reims.

L'auteur, professeur de philosophie et de sciences sociales à l'université d'Amiens, évoque son milieu d'origine: la classe ouvrière. Au travers de son parcours personnel, Didier Eribon revient sur la honte sociale qui l' a habité pendant plus de trente ans et qui l'a conduit à couper les liens avec sa famille. Dans ce livre, à la fois témoignage intime et ouvrage théorique, l'auteur décrypte comment, par l'école, la politique, s'exerce la domination de classe. Il analyse les mécanismes bien rodés des déterminismes sociaux et leurs impacts sur les parcours individuels.

Pour ceux qui apprécient les travaux de Bourdieu ou la démarche introspective de

Annie Ernaux.

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Vie, vieillesse et mort d'une femme du peuple

La voix des oubliés,



Je remercie tout d'abord Babelio et les éditions Flammarion pour ce livre, reçu dans le cadre de la masse critique "NON-FICTION : UN ÉTÉ POUR PENSER" de juin 2023.



L'auteur de cette autobiographie, Didier Eribon, est un philosophe et sociologue français.



Je ne connaissais pas cet intellectuel, mais j'étais intéressée par son ouvrage suite à une publication sur le site de Facebook.



Dans cet essai, il parle de sa mère, de sa vie et des personnes âgées.



Il analyse un peu la vie de sa maman, une femme du peuple, femme de ménage et ouvrière, ; il décrit ses relations épisodiques avec elle, avec ses frères et surtout son déclin et son placement dans un EHPAD, où elle est décédée quelques semaines après son arrivée.



J'en vraiment adhéré aux paroles de ce livre, sur la vieillesse, l'handicap et la mort, les maisons de retraite, où les personnels de santé sont insuffisants.



Le style est clair, la lecture aisée et l'on sent les émotions lors de son récit.



Des soignants et autres professionnels écrivent sur la maltraitance des vieux, le manque de moyens des établissements de soins, la pensée du profit sur le dos des plus fragiles, rien ne change…



Il se veut le porte-voix des personnes âgées qui ne peuvent s'assembler, se syndiquer afin de défendre leurs droits. C'est très beau et je souscrit totalement à cette position.



Par contre, j'ai été déçue par le dernier tiers du livre qui emboîte le pas à une philosophie qui j'ai trouvé personnellement compliquée et difficile à suivre avec des références à des auteurs inconnus pour moi, et un style plus complexe à déchiffrer.



J'aurais aimé que cet auteur analyse plus les idées de sa mère : pourquoi est-elle raciste, pourquoi ne vote-t-elle plus à gauche lors des élections ?



Cela aurait permis de dresser un panorama plus précis des classes populaires, déçues de cette gauche, et qui participent à la montée du Front National. Surtout pour cette génération qui a connu le nazisme et la guerre…



J'aurais aimé qu'il revienne plus sur ses relations avec sa mère, ses frères expliquant peut-être qu'il ne se soit pas rendu aux obsèques de sa mère, alors qu'il lui rendait visite dans l'EPHAD...



Finalement, une belle découverte d'un auteur engagé, mais dont les réflexions purement philosophiques m'ont perdue.
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Retour à Reims

Un essai autobiographique intéressant dans lequel l'auteur, philosophe, professeur d'université, mêle ses souvenirs personnels à des considérations sociologiques générales.



Alors qu'il ne cachait pas son homosexualité, Didier Eribon s'est longtemps efforcé de taire ses origines sociales qu'il exécrait et dont il avait honte. Ce n'est qu'après le décès de son père avec qui il était brouillé, (comme d'ailleurs avec le reste de sa famille), qu'il décida de revenir dans sa ville natale, Reims et d'avoir de longues conversations avec sa mère. Dans cet ouvrage il ose enfin dévoiler le milieu modeste dans lequel il a vécu jusqu'à ses vingt ans. Père manoeuvre porté sur la boisson, mère femme de ménage, frère garçon boucher, grand-mère concierge, habitat dans une cité HLM, l'auteur décrit froidement la vie d'une famille ouvrière pauvre et peu instruite, la sienne. Des conditions précaires et une classe sociale qui ne laissaient présager, pour lui, d'aucune ascension dans la société. Il n'a eu de cesse de s'en échapper afin de poursuivre ses ambitions.



L'auteur raconte toutes les étapes de son parcours personnel, les difficultés auxquelles il s'est heurté, sa résistance et sa combativité. Il y ajoute des réflexions sur les classes, le système scolaire, la fabrication des identités, les genres, la politique, les gouvernements, les dominations sous leurs différentes formes. Il cite et développe les théories de divers philosophes et sociologues qu'ils l'ont inspiré tels Michel Foucault, Pierre Bourdieu, Jean-Paul Sartre, Raymond Aron. J'avoue que certains passages sont parfois ardus et peu accessibles aux lecteurs non initiés.

Didier Eribon fait aussi référence aux récits intimistes, à l'ascension sociale et à la honte qu'a longtemps ressentie Annie Ernaux. Ces parcours peuvent être mis en parallèle tout comme celui d'Edouard Louis, pour lequel Retour à Reims reste une référence primordiale.



J'ai aimé le réalisme et le regard froid que l'auteur porte sur son milieu d'origine mais aussi son effort d'introspection et au final sa sincérité. Il découvre que son brillant parcours s'est construit sur le rejet de son origine sociale. Peut-être après coup éprouve-t-il quelques remords ou regrets...). Et même si je me suis parfois un peu perdue dans ses réflexions sociologiques, j'ai apprécié la lecture de cet ouvrage.



#Challenge illimité des départements français en lectures (51 - Marne)
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Retour à Reims

Didier Eribon me fait penser à l'enfant qu'auraient eut Annie Ernaux et Eric Zemmour. Je m'explique: à la mort de son père, beauf honni, Didier Eribon retourne à Reims et raconte comment et pourquoi il a quitté son milieu familial (ouvrier) qui lui faisait honte. Comme Annie Ernaux, Eribon mêle expérience personnelle et sociologie. Il analyse l'inappétence des jeunes des milieux populaires pour l'école, le vote front national, les goûts culturels... Et il est souvent très lucide. Mais il est surtout très méchant. Et c'est en cela qu'il me fait penser à Eric Zemmour tant on sent chez lui le frustré revanchard. C'est aussi pour cela que j'ai cessé ma lecture à la moitié. Je n'en pouvais plus de son mépris et de son ingratitude. J'ai eu honte pour lui d'avoir à ce point honte de son frère ou de son grand-père. J'ai eu honte pour lui de n'éprouver aucune reconnaissance au fait qu'il ait pu lire Marx et Lénine vautré dans sa chambre (qu'il n'avait pas à partager parce qu'il faisait des études) pendant que ses parents se tuaient littéralement à l'usine. On dirait la dernière scène de Ressources humaines sauf que la violence du petit con envers son père s'exprime de longue. Deux exemples qui m'ont ulcérée. Le premier concerne l'école. Eribon ressasse cette théorie discutable selon laquelle l'école serait une machine à exclure. Il fait remarquer, non sans raison, que ce sont toujours parmi les classes populaires, que les jeunes n'aiment pas l'école. Mais il va plus loin: il prétend que la bourgeoisie agit à dessein, qu'un complot des possédants vise à supprimer toute possibilité, pour les pauvres, de s'élever dans l'échelle sociale. Cependant, une question se pose alors: et lui ? pourquoi et comment a-t-il aimé l'école ? N'est-ce pas par sa propre volonté qu'il a réussi ? N'aurait-il pas pu aider ses frères cadets ? - Ben non, bien sûr. Il avait tellement envie de les fuir qu'il préfère accuser la société. Tellement facile ! Autre malhonnêteté: il explique (très bien, quoi que dans un style ampoulé) que l'élection de François Mitterrand marque à la fois le sommet des aspirations de la classe ouvrière et le début de l'effondrement de celle-ci. Il explique comment les anciens étudiants bourgeois de mai 68 ont dénaturé les aspirations des ouvriers puis leur ont tourné le dos avant de les réduire au silence par leur mépris glacé. Mais il fait là son propre portrait !!! Celui d'un ex gauchiste bobo qui "ne serre pas la main à quelqu'un qui vote FN". Non, vraiment, je ne peux pas continuer. J'ai envie de le gifler.
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Retour à Reims

J'ai voulu lire ce livre après avoir vu le documentaire éponyme, que j'avais trouvé particulièrement éclairant sur la condition ouvrière mais aussi sur l'éducation. Il se trouve que ce livre était dans ma bibliothèque, un de ces livres dont je me demande comment il est arrivé là (je table sur les petits lutins, même si je sais très bien que ce n'est pas crédible).

Didier Eribon retrace son parcours, celui de ses parents, sans fards, sans se faire de cadeaux. Ce qu'il a fait, ce qu'il n'a pas fait, ce qu'il regrette aussi, lui qui a choisi de couper les ponts avec ses parents, avec ses frères, et qui s'interroge sur le fait de "revenir à Reims", après le décès de son père. Ecrit ainsi, je ne retranscris pas du tout la complexité de la pensée de Didier Eribon. Je ne retranscris pas son analyse du milieu dans lequel il a grandi, où la violence est quotidienne, ce que je qualifierai de "violence ordinaire", celle que l'on ne voit pas, que l'on ne veut pas voir, qui est "privée", violence exercée sur le corps et le mental des femmes et des enfants. Violence qu'il ne justifie pas : il montre les mécanismes qui peuvent expliquer comment l'on n'en arrive là. Il est question aussi de la violence exercée sur le corps des ouvriers, qui porteront les traces des travaux qu'ils ont effectués, traces qui ne feront que s'accentuer inexorablement en vieillissant, "traces" qu'il vaudrait peut-être mieux que je nomme "séquelles", ou "usure précoce pour cause de travail pénible". La pénibilité au travail a fait débat lors de la réforme des retraites, et certains penseurs politiques nous ont alors asséné leur diagnostique : si un métier est si pénible que cela, alors il faut en changer quand il devient trop dur. Simple. Facile. A dire mais pas à faire.

Le racisme et l'homophobie sont deux autres thèmes qui sont abordés. Didier Eribon rappelle que certains partis "de gauche" ont pu avoir des propos racistes, pour ne pas dire plus. Il démontre aussi que, contrairement à certaines idées reçues, les ouvriers ne votaient pas tous à gauche, mais un bon tiers vote à droite. Il montre aussi le glissement du vote de gauche vers le vote à l'extrême-droite, expliquant les techniques par lesquels ces hommes et femmes politiques les ont attirés vers ce parti, profitant il est vrai du désintérêt des politiques pour eux. Enfin, si tant est qu'ils se soient réellement intéressés un jour au sort des ouvriers. Il nous rappelle que l'autre, l'étranger, a toujours focalisé le mépris, la haine, il est "le bouc émissaire", et ce, déjà, au XIXe siècle, quand des ouvriers italiens sont arrivés en France. Quant à l'homophobie, si je devais écrire une appréciation, je dirai qu'elle est constante, normalisée, banalisée.

En ce qui concerne l'éducation (nationale), je sens que certains ne vont pas apprécier ce que je vais dire. Pourtant, l'éduc nat, je suis dedans depuis l'an 2000. Et ce que Didier Eribon écrit, je l'ai constaté quand j'étais élève. En ces années 80 finissantes, dans le collège où j'étais, l'on ne retenait pas vraiment les élèves dans le système éducatif. Certains quittaient le système scolaire dès la fin de la cinquième - et pas de leur plein gré. Pour nos professeurs, faire des études longues, c'était avoir le bac (combien nous l'ont dit ? Je n'ai pas compté). Enfin, sauf pour les filles, parce que nous serions toutes maman à 18 ans. Bref, certains professeurs cachaient à peine le mépris qu'ils éprouvaient pour nous. Et quand Didier Eribon dit qu'on ne lui a jamais parlé des classes préparatoires, je le rassure, c'est un constat que j'ai fait quand j'ai commencé à enseigner : aucun d'entre nous (=les professeurs du collège où j'enseignais) n'en avaient entendu parler pendant ses années collège et lycée. Rassurant ? Non, pas vraiment.

Alors, un avis est forcément personnel. Je ne regrette pas d'avoir découvert cette oeuvre qui interroge autant.
Lien : https://deslivresetsharon.wo..
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Vie, vieillesse et mort d'une femme du peuple

J'avoue avoir craint de ne pas être à la hauteur d'un texte d'un sociologue et philosophe reconnu, le sentiment de ne pas avoir les "clés" pour lire ce récit.

Pourtant c'est avec un grand plaisir et une émotion de chaque instant que le livre d'ERIBON m'a transporté. Une réflexion d'une grande justesse sur les liens familiaux, sur la vieillesse, sur les choix des enfants pour leurs géniteurs (trices) une fois la dépendance survenue liée à une santé défaillante. Chacun(e) retrouvera des situations et problématiques évoquées (intimes, familiales, sociales, politiques) évoquant sa propre histoire. Seule la dernière partie du livre m'a paru ardue, moi qui n'ai pas fait de grandes études. Un grand merci aux Éditions Flammarion et à Babelio pour cet envoi qui m'a touché durablement.
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Retour à Reims

C’est après la mort de son père, auquel il ne parlait plus depuis des années, que Didier Eribon est retourné à Reims.



Extrait:



"En relisant le beau texte de James Baldwin sur la mort de son père, une remarque m’a frappé. Il raconte qu’il avait repoussé le plus longtemps possible une visite à celui-ci,qu’il savait pourtant très malade. Et il commente: "J’avais dit à ma mère que c’était parce que je le haïssais. Mais ce n’était pas vrai. La vérité c’est que je l’avais haï et que je tenais à conserver cette haine. Je ne voulais pas voir la ruine qu’il était devenu: ce n’est pas une ruine que j’avais haïe."

Et plus frappante encore m’a paru l’explication qu’il propose: « J’imagine que l’une des raisons pour lesquelles les gens s’accrochent de manière si tenace à leurs haines, c’est qu’ils sentent bien que, une fois la haine disparue, ils se retrouveront confrontés à la douleur »

La douleur, ou plutôt, en ce qui me concerne- car l’extinction de la haine ne fit naître en moi aucune douleur- l’impérieuse obligation de m’interroger sur moi-même, l’irrépressible désir de remonter dans le temps afin de comprendre les raisons pour lesquelles il me fut si difficile d’avoir le moindre échange avec celui que, au fond, je n’ai guère connu. Quand j’essaie de réfléchir, je me dis que je ne sais pas grand-chose de mon père. Que pensait-il? Oui, que pensait-il du monde dans lequel il vivait? De lui-même? Et des autres? Comment percevait-il les choses de la vie? Les choses de sa vie?

Et notamment nos relations, de plus en plus tendues, puis de plus en plus distantes, puis notre absence de relations? Je fus stupéfait,il y a peu, d’apprendre que ,me voyant un jour dans une émission de télévision, il s’était mis à pleurer, submergé par l’émotion. Constater qu’un de ses fils avait atteint à ce qui représentait à ses yeux une réussite sociale à peine imaginable l’avait bouleversé. Il était prêt, lui que j’avais connu si homophobe, à braver le lendemain les regards des voisins et des habitants du village et même à défendre, en cas de besoin, ce qu’il considérait comme son honneur et celui de sa famille. Je présentais, ce soir là, mon livre, Réflexions sur la question gay et, redoutant les commentaires et les sarcasmes que cela pourrait déclencher il avait déclaré à ma mère: « Si quelqu'un me fait une remarque, je lui fous mon poing sur la gueule."



Familles, familles.. Beaucoup est dit dans ces lignes du début de ce très beau livre, mélange de récit autobiographique, d’essai sociologique et d’auto-analyse.

Car ce qui domine est la volonté de comprendre. Et de comprendre plusieurs choses passionnantes et qui nous concernent tous à un degré divers.



Alors que c’est l’homophobie existant et se manifestant en permanence à l’époque tant dans son milieu familial que scolaire qui l’a conduit à tout faire pour quitter ce milieu, il est passé d’une « honte »à une autre, en changeant radicalement de milieu social . Et il a longtemps et soigneusement caché ses origines ouvrières à ses nouvelles relations intellectuelles…



Je vais bien sûr peiner à expliquer les liens, mais ils sont très finement analysés dans ce récit qui se situe plusieurs niveaux, social, familial, scolaire et politique. Très intriqués bien sûr. Si j’avais quelque espoir que cela serve à quelque chose, je conseillerais cette lecture à notre ministre de l’Education,et à tous nos Enarques pendant que j'y suis, j’ai rarement lu quelque chose qui me parlait aussi bien de l’équilibre très fragile entre exclusion quasi annoncée du système , et chance donnée par le système scolaire( c’est la seule..) . Et pour un qui s’en sort, combien sombrent? Bourdieu en a parlé, bien sûr, mais pas avec cette sérénité et ce recul. Ils se connaissaient bien et il est beaucoup cité dans ce livre, ainsi que bien sûr aussi Foucault dont Eribon a écrit la biographie.



"Je pensais qu'on pouvait vivre sa vie à l'écart de sa famille et s'inventer soi-même en tournant le dos à son passé et à ceux qui l'avait peuplé."





C’est toute l’intelligence de ce récit de montrer, à partir d'un exemple personnel, qu’il n’est jamais trop tard pour percevoir qu’on ne s’affranchit jamais de l’injure ni de la honte, mais qu’il est impératif de comprendre comment on peut quelquefois les utiliser,je le laisse parler ( dans Citations!) Longuement, car il résume clairement, c’est un livre très clair qui parle de choses pourtant si complexes!

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Retour à Reims

Merci à Mariecesttout de m'avoir fait découvrir ce livre et il aurait en effet été bien dommage d'en rester à la honte d'Annie Ernaux. Dans la honte, le milieu est très modeste mais relativement soft et Annie Ernaux n'y dépasse pas le stade descriptif. Ici, le milieu d'origine de l'auteur relève plus d'une description à la Zola, et le rejet de Didier Eribon y est en outre accentué par son homosexualité, qui a été le révélateur initial de son besoin de distance avec le milieu de son enfance. L'intérêt de ce livre est que Didier Eribon ne se contente pas de décrire. Il analyse ses sentiments avec beaucoup de sincérité et sans complaisance pour lui même, et tente à partir de son expérience personnelle de théoriser la notion de classes sociales, son fondement et les conséquences qu'elle implique en terme d'éducation, d'égalité de chances et de choix politiques. On pourrait lui reprocher comme il le reproche lui même à Raymond Aron, qu'il déteste, une subjectivité liée à la condition particulière de sa propre famille, dont il considère comme acquis sa représentativité de la réalité du monde ouvrier, mais cette référence est clairement assumée et présente l'avantage d'être très démonstrative de son point de vue. Les exemples vécus font que cette démonstration sonne très juste. Les références à d'autres auteurs sont un autre intérêt de ce livre, qui incite à d'autres lectures sur le sujet. Un grand livre de sociologie, mentionne l'éditeur. Je confirme et en recommande vivement la lecture.
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