Credo
Parfois je suis submergé par l'amour de la vie. Quelle beauté, quelle harmonie, quelle unité profonde, quelle complémentarité et solidarité entre les vivants ! Quelle force créatrice pour inventer des myriades d'espèces animales et végétales singulières !
Parfois je suis submergé par la cruauté de la vie, la nécessité de tuer pour vivre, son énergie destructrice, ses conflits, avec toujours le triomphe de la mort. Puis je réussis à réunir, maintenir, lier indissolublement les deux vérités contraires. La vie est cadeau et fardeau, la vie est merveilleuse et terrible. (p. 137)
Mes erreurs
Je veux tout d'abord indiquer que le risque d'erreur et d'illusion est permanent dans toute vie humaine, personnelle, sociale, historique, dans toute décision et action, voire dans toute abstention, et qu'il peut conduire à des désastres. (p. 123)
Une des plus grandes leçons de mes expériences, c'est que le retour de la barbarie est toujours possible. Aucun acquis historique n'est irréversible.
Penser complexe
L'expérience de la grande crise planétaire multidimensionnelle issue de la pandémie de Covid montre de façon évidente la nécessité d'une pensée complexe et d'une action consciente des complexités de l'aventure humaine.(p. 116)
Même les plus riches milliardaires de la planète ne négocient pas avec la mort, et la mort ne leur accorde aucun privilège. Alors pourquoi accumulent-ils sans fin ?
Le mépris, l'indifférence, l'arrogance de classe, de race, de hiérarchie, sont des fléaux de civilisation qui, en imposant l'humiliation, empêchent ceux qui la subissent d'être reconnus dans leur pleine qualité humaine.
[...]
A cette aune, il apparait que bien des protestations, colères, et révoltes populaires, comme le mouvement des Gilets Jaunes, comportent chez leurs participants, pas uniquement certes, mais incontestablement, le besoin d'être reconnus dans leur pleine qualité humaine, ce qu'on appelle dignité.
J'ai découvert le mot qui pour moi porte une des grandes vérités de la vie : poésie.
[...]
Ce que j'appelle l'état poétique, c'est cet état d'émotion devant ce qui nous semble beau ou/et aimable, non seulement dans l'art, mais également dans le monde et dans les expériences de nos vies, dans nos rencontres. L'émotion poétique nous ouvre, nous dilate, nous enchante.
Les catastrophes (et la pandémie du Covid en est une) suscitent deux comportement contraires, l'altruisme et l'égoïsme.
Aujourd'hui, les aspirations à une alternative altruiste et intelligente s'élèvent de toute part. De multiples initiatives concrètes se mettent en place dans la société civile, les entreprises et les organisations, afin de construire un nouveau modèle de civilisation écologique et solidaire.
Un grand nombre de personnes cherchent à agir dans les entreprises et les organisations pour transformer les tendances destructrices des compétitions individuelles et collectives provoquées par la fascination du profit à court terme. Comment ces personnes peuvent-elles agir avec plus de force et d'efficacité ?
Faut-il quitter les entreprises traditionnelles pour se réfugier dans des formes alternatives d'organisation, là où les finalités sont plus en phase avec le bonheur recherché ou faut-il au contraire persister, agir et activer les nécessaires transformations ?
Il s'agit d'envisager ensemble les remèdes à la crise qui soient applicables à tous les niveaux : individuel, collectif, local et global.
Un amour naissant inonde le monde de poésie, un amour qui dure irrigue de poésie la vie quotidienne, la fin d'un amour nous rejette dans la prose.
Le risque d'erreur et d'illusion est permanent dans toute vie humaine, personnelle, sociale, historique, dans toute décision et action, voire dans toute abstention, et peut conduire à des désastres.
Dans le journal "Le Soir" du 25 juin 2021.
Une vie réussie, une vie heureuse, ça n'a pas de sens pour moi.
Le hazard n'est-il que le hazard ?
>Coïncidence ? Providence ? Destin ?
A 20 ans, " quelque chose" m'a prévenu de ne pas continuer à monter ces fameuses marches au bout desquelles une souricière était tendue. Maintenant, ma maman me protège.
[...] Maintenant on ne se parle plus qu'en passant, chacun aime être chez soi, maintenant on est toujours accroché à son travail, il n'y a que la rentabilité qui compte.
La mondialisation aggrave-t-elle la crise sanitaire en crise générale ?
C’est déjà fait. Quand Poutine décide de maintenir la production de pétrole russe, cela
entraîne une baisse des prix en Arabie saoudite et aux Etats-Unis où le Texas risque de
connaître de graves difficultés et peut-être faire perdre Trump à la présidentielle… La panique
touche aussi les financiers, ce qui provoque un krach boursier. Nous ne maîtrisons pas ces
réactions en chaîne. La crise née du virus aggrave la crise générale de l’humanité emportée
par des forces qui ignorent tout contrôle.
Si l’on compare avec la grippe espagnole de 1918-1919 qui fut l’objet d’une véritable
omerta de la part des autorités, les gouvernants ont plutôt joué la transparence… N’est ce pas un effet positif de la globalisation ?
A l’époque de la grippe espagnole, on n’a pas voulu que les populations, et surtout les
combattants, aient conscience du fléau. Cette opacité est impossible aujourd’hui. Même le
régime chinois n’a pu étouffer l’information en punissant le héros qui avait donné l’alerte…
Les réseaux d’information nous ont permis d’être au courant de l’avancée de la pandémie
pays par pays. Mais cela n’a pas déclenché de coopération au niveau supérieur. Seule s’est
déclenchée une coopération internationale spontanée de chercheurs et de médecins. L’OMS
comme l’ONU sont incapables d’apporter les moyens de résistance aux pays les plus
dépourvus.
« On est revenu en temps de guerre » : cette phrase revient souvent pour décrire la
situation de l’Italie et de la France. Vous avez connu cette période. Que vous inspire
cette analogie ?
Sous l’Occupation, il y avait des phénomènes d’enfermement, de confinement, il y a eu des
ghettos… Mais la grande différence avec aujourd’hui, c’est que les mesures de confinement
étaient imposées par l’ennemi, alors que maintenant elles sont imposées contre l’ennemi,
c’est-à-dire le virus. Au bout de quelques mois d’occupation allemande, des restrictions de
ravitaillement ont commencé à apparaître. Nous n’en sommes pas là, bien qu’il y ait des
débuts de panique. Mais si cette crise continue, avec la réduction des transports de
marchandises au niveau international, on peut prévoir un retour des rationnements. Là s’arrête
l’analogie. Nous ne sommes pas dans le même type de guerre.
Pour la première fois depuis 1940, les écoles et les universités ont été fermées…
Oui, mais à l’époque, la fermeture a été très provisoire. La déroute de la France a eu lieu en
juin, au moment où commencent les vacances. En octobre, les écoles étaient rouvertes.
Que peut-on attendre du confinement ? La peur ? La méfiance entre les individus ? Ou,
au contraire, le développement de nouvelles relations aux autres ?
Nous sommes dans une société où les structures traditionnelles de solidarité se sont
dégradées. Un des grands problèmes est de restaurer les solidarités, entre voisins, entre
travailleurs, entre citoyens… Avec les contraintes que nous subissons, les solidarités vont être
renforcées, entre parents et enfants qui ne sont plus à l’école, entre voisins… Nos possibilités
de consommation vont être frappées et nous devons profiter de cette situation pour repenser le
consumérisme, autrement dit l’addiction, la « consommation droguée », notre intoxication à
des produits sans véritable utilité, et pour nous délivrer de la quantité au profit de la qualité.
Notre rapport au temps va probablement changer aussi…
Oui. Grâce au confinement, grâce à ce temps que nous retrouvons, qui n’est plus haché,
chronométré, ce temps qui échappe au métro-boulot-dodo, nous pouvons nous retrouver nous mêmes, voir quels sont nos besoins essentiels, c’est-à-dire l’amour, l’amitié, la tendresse, la
solidarité, la poésie de la vie… Le confinement peut nous aider à commencer une
détoxification de notre mode de vie et à comprendre que bien vivre, c’est épanouir notre
« Je », mais toujours au sein de nos divers « Nous ».
Finalement, cette crise peut paradoxalement être salutaire ?
J’ai été très ému de voir ces femmes italiennes, à leur balcon, chanter cet hymne de fraternité,
« Fratelli d’Italia » (« Frères d’Italie »). Nous devons retrouver une solidarité nationale, non
pas fermée et égoïste, mais ouverte sur notre communauté de destin « terrienne »… Avant
l’apparition du virus, les êtres humains de tous les continents avaient les mêmes problèmes :
la dégradation de la biosphère, la prolifération des armes nucléaires, l’économie sans
régulation qui accroît les inégalités… Cette communauté de destin, elle existe, mais comme
les esprits sont angoissés, au lieu d’en prendre conscience, ils se réfugient dans un égoïsme
national ou religieux. Bien entendu, il faut une solidarité nationale, essentielle, mais si on ne
comprend pas qu’il faut une conscience commune du destin humain, si on ne progresse pas en
solidarité, si on ne change pas de pensée politique, la crise de l’humanité s’en trouvera
aggravée. Le message du virus est clair. Malheur si nous ne voulons pas l’entendre.
Propos recueillis par David Le Bailly et Sylvain Courage