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Citations de Edward Saint Aubyn (56)


p210 à 218
Oh, ce petit frisson-là était inattendu ! Jesus avait réussi à attirer son attention. Aucun doute, il méritait un «A» pour la constance de ses efforts, et il faisait assurément meilleur usage de sa langue que lorsqu’il lui murmurait des compliments ineptes depuis l’oreiller voisin, montrant à Meg que sous le tueur sans pitié se cachait un petit garçon timide qui laissait la tendre influence hispanique de sa mère, déjà plus que flagrante dans le choix de son prénom, donner une douceur sifflotante à son accent texan par ailleurs endurci et étouffé par un vieux père terrifiant, ancien militaire, ivrogne, chauffeur routier et adepte des coups de ceinturon. Meg connaissait déjà cette histoire assommante.
Elle se rendit compte quelle n’avait pas soupiré depuis une éternité. C’était peut-être le moment – voire même de pousser un gémissement.
« Ne t’arrête pas, soupira-t-elle en reprenant son souffle. S’il te plaît n’arrête pas. »
S’il s’arrêtait, il allait se mettre à parler. À tout prendre, elle préférait ça, même s’il était tentant de crier sa frustration, tout en se débattant comme une épileptique pour donner l’impression quelle était en pleine extase sexuelle.

…/… « Ah, mon Dieu, comme c’est bon...», grogna-t-elle.
La vitesse avec laquelle elle se lassait de ses amants avait quelque chose d’effarant. J lui avait paru si excitant la nuit d’avant, avec son jeune corps resplendissant, sa concentration fiévreuse digne d’un homme engagé dans une course contre la montre pour désamorcer une bombe atomique, mais qui ne visait là qu’à faire déferler en elle d’incessantes vagues de plaisir. Comment, alors, pouvait-il lui apparaître ce soir comme un mauvais remake ? Ce n’était certainement pas dû au seul fait que Dr Bob ne se trouvait pas cette fois dans la chambre d’a côté, ce qui limitait un peu le plaisir de s’abandonner à des hurlements ostentatoires. Elle n’était pas superficielle à ce point, même si elle avait éprouvé un certain contentement pervers à savoir qu’il était allongé de l’autre côté du mur, livré aux affres de la jalousie ou, pour le moins, de l’insomnie. Dans un monde meilleur, J aurait peut-être tenu quelques semaines, ou bien elle l’aurait gardé au chaud comme une simple opportunité sexuelle à saisir quand bon lui semblait, mais la pression des circonstances allait l’obliger à demander à cet homme un service très particulier. Elle n’aurait pas le temps d’enrober sa demande, si ce n’est pour lui donner l’allure d’une nécessité qui lui brisait le cœur. Elle allait faire couler des larmes aussi muettes qu’abondantes, sincèrement anéantie par le fait d’être obligée, insoutenable fardeau, de lui demander une chose aussi peu naturelle, mais pressentant aussi que, face à ses larmes, J serait désarmé, lui qui avait passé la majeure partie de sa jeunesse entachée de violence à réconforter sa femme battue de mère quand elle pleurait dans un coin de leur pavillon.

…/… Pourtant, elle avait conscience que cet effondrement soudain de son enthousiasme érotique n'était qu’un cas parmi tant d’autres. Tous ses amants dormaient au bord d’un précipice qui semblait se rapprocher à chaque nouvelle liaison. Cette érosion côtière allait-elle s’arrêter un jour ? Ou bien se poursuivrait-elle jusqu’à ce que Meg elle-même bascule dans le gouffre et aille rejoindre ce tas de cadavres désarticulés en bas, sur la plage ?
L’amour n’était que théâtre, bien sûr. Meg en était le metteur en scène éternellement insatisfait, mais aussi la star autour de laquelle tout le spectacle était bâti. Si le premier rôle masculin se retrouvait viré, quelle qu’en soit la raison, il y aurait toujours une doublure pour le remplacer. Les autres membres du casting ne comptaient pas vraiment. Ils n’avaient aucune raison autonome d’exister. C’étaient des multiples de zéro.

…/… Dans le cas de J, la relation se révélerait particulièrement brève, car il ne serait pas opportun d’être vue en sa compagnie une fois qu’il lui aurait rendu ce petit service ; à vrai dire, et c’était plutôt triste, Kevin allait sans doute devoir éliminer tout semblant de trace permettant de remonter jusqu’à elle. Le problème, quand on demandait à des gens d’effacer toutes les traces, c’est qu’ils devenaient eux-mêmes des traces. Qui pour éliminer l’éliminateur ?

…/… Estimant que l’heure du grand cri était sans doute venue, Megan se mit à haleter et à tendre ses muscles. Se surprenant à savourer la sensation d’avoir la tête de J enserrée entre ses cuisses fermes, elle s’arc-bouta et durcit son étreinte. Elle ne put s’empêcher de penser qu’il ne s’était sans doute pas retrouvé en aussi mauvaise posture depuis l’époque de sa formation au combat rapproché au centre de perfectionnement en arts martiaux des Bérets verts. Peut-être qu’en faisant basculer sa tête de manière assez brusque elle pourrait lui briser le cou et balancer son corps inerte sur le tapis, d’un coup de pied. Cette perspective exerçait sur elle une attraction irrésistible. Elle qui était sur le point de mettre en scène l’orgasme le plus simulé de tous les temps, voilà que, sans aucun doute, elle se sentait authentiquement émoustillée par ce petit fantasme.
« Oh, mon Dieu…, gémit-elle en imaginant le craquement de sa nuque brisée. Oh, mon Dieu ! »
Elle serra plus fort les cuisses et leva ses reins encore plus haut. Une simple bascule, soudaine, aurait suffi. « Oh, mon Dieu… je jouis !» s’étrangla-t-elle avec une sidération non feinte.
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p168
Dans une absence de paranoïa sans précédent, il avait tout donné à Cogniccenti, et le pire, c’était que son ennemi, comme il commençait peu à peu à considérer le grand rival de Dunbar, savait qu’il ne pourrait pas s’ouvrir de cette affaire aux deux sœurs : qu’aurait-il pu leur dire ? « J’allais vous trahir, mais maintenant j’ai l’impression que le type auquel je m’apprêtais à vous vendre est en train de me trahir, moi, donc je voudrais le trahir. » Pas le genre de discours à inspirer confiance.
…/… p187
Après trois nuits d’insomnie consécutives, sa pensée était une suite de chutes libres, de spirales sans fin et de fantômes évanescents. Il avait déjà trahi Dunbar, puis les filles en faveur desquelles il avait trahi le père, mais cette fois, il s’était fait doubler par plus traître que lui : Cogniccenti. Sa sécurité financière était menacée, son orgueil de Machiavel blessé, et son esprit agité par les courants contraires mais tout aussi turbulents de la fatigue et de l’agressivité. La seule chose qu’il savait avec certitude, c’est qu’il allait devoir recourir à une action tordue, plus tordue encore que ses adversaires qui l’étaient déjà pourtant au plus haut point, mais dont il avait du mal, contrairement à son habitude, à imaginer les modalités.
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* p88
Dr Bob raccrocha, sachant que s’il n’arrivait pas tout de suite, Abby viendrait le chercher sans tarder. Son cœur battait fort, son cuir chevelu le grattait, il avait la gorge sèche et des picotements sur la peau. Il était en train de se désagréger ; il n’était plus qu’un corps aux symptômes incontrôlables, rongé par les effets secondaires.
La longue marche dans le couloir menant à la suite royale lui rappela sa lecture de chevet du moment, un ouvrage intitulé Peines cruelles et inhabituelles. Le chapitre qu’il avait terminé dans l’avion décrivait comment, à l’époque du roi Jacques Ier, lorsque la pendaison d’un traître ne s’avérait pas concluante, on le castrait vif et on lui vidait les entrailles avant, de manière peut-être un peu maniaque et superflue, de l’écarteler. Dans cet état de fatigue presque hystérique qui le rendait vulnérable, et où il avait l’impression que l’intérieur de ses paupières était tapissé de papier de verre, le chaos polychrome de la moquette, sous ses pas, conçu pour dissimuler les taches en ayant l’air d’avoir subi tous les désastres imaginables avant même de quitter l’usine, lui évoquait les planches de bois d’un échafaud, d’ores et déjà éclaboussées par le fruit de tortures outrancières. Dr Bob s’adossa au mur quelques instants, et laissa échapper un sanglot involontaire. Il venait de repenser à l’exécution de sir Everard Digby, l’un des hommes impliqués dans la conspiration des Poudres contre le roi Jacques, et qui avait réussi, après que son cœur avait été arraché et brandi à bout de bras par le bourreau avec ce cri : « Ceci est le cœur d’un traître ! », à souffler : « C’est un mensonge ! »
Dr Bob fut tenté de se laisser glisser au bas du mur. Où était donc passée la fierté de sa duperie réussie, l’excitation de ce soudain avantage ? Alors qu’il avait plus que jamais besoin d’invoquer le salopard sans pitié tapi au cœur de son être, voilà qu’il pleurait sur la bravoure et l’intégrité d’un martyr catholique mort depuis des siècles, comme s’il faisait le deuil d’une expérience qu’il n’aurait jamais : celle de se sacrifier au nom d’un principe, d’une communauté, d’un idéal.
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"Tu as donc soumis ton roman avant la date limite", dit Sam.
"Oui," dit Katherine, se demandant ce que ça ferait de coucher avec tous les deux en même temps.
"Oh bien sîr," dit Didier. "Le renommé Elysian. En France, nous avons le Goncourt. Une énorme corruption, c'est pourquoi les règles sont parfaitement claires. Voilà le paradoxe de la corruption : elle est beaucoup plus formaliste que la loi ! Mais ce prix Elysian, "c'est du pur casino".
'J'ai une petite idée,' dit Katherine, bien décidée à persévérer maintenant que Didier avait recommencé à parler. "Peut-être qu'on devrait d'abord boire un verre."

(ma traduction de la version néerlandaise du livre)
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Il y a tellement de bruit autour de "Le livre de cuisine du Palais" que je pense qu'il vaut mieux que je vienne moi-même. Il semblerait que j'aie écrit un roman incroyable, ce qui doit sûrement être vrai, même si j'avais l'intention d'écrire un livre de cuisine. Quand on pense à toutes les personnes qui se donnent tant de mal pour écrire un grand roman, c'est amusant que je l'aie fait sans m'en rendre compte.

(ma traduction de la version néerlandaise)
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Que faire d'autre sinon accorder trop de signification aux choses? dit Patrick d'un ton léger. Dans quel monde misérable, étroit et morne vivrions-nous si nous ne le faisions pas ? D'ailleurs, est-ce possible? Il y a toujours une signification plus profonde à ce qui transparaït au premier abord.
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Florence ouvrit la porte coulissante et ressortit sur la terrasse, s'étonnant d’être aussi prévisible, tout en se demandant si elle ne faisait pas plutôt ce qu'elle avait prédit afin de se donner raison.
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- Je vais vous confier un secret, Garry : chaque instant est un morceau d'histoire. Le temps qu'on s’en rende compte, il est déjà passé. Ce fameux imposteur, le « présent », disparaît dans l'écart cognitif. Attention à l'écart !
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Il n’y avait rien à faire pour améliorer ce lieu, hormis s’en extraire. Dunbar s'imagina en train d’être effacé, comme des graffitis obscènes qu'un maître essuierait sur son tableau noir avant d'y écrire la formule triomphale d’une vallée absolument vide.
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Quelle zone du cerveau s’illumine-t-elle lorsque le lecteur rencontre pour la première fois Mr Darcy et son odieuse fierté ? La critique littéraire peut-elle se permettre d’ignorer ce qui se passe dans le complexe amygdalien du lecteur quand Elizabeth Bennet rejette sa première demande en mariage ? C’est une vérité universellement reconnue : tout sujet désireux d’acquérir une réputation de sérieux doit nécessairement faire appel à la neuro-imagerie…
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Une fois établi le séquençage du génome humain, il s’était avéré que celui-ci contenait vingt-trois mille gènes, à peu près autant qu’un oursin, mais beaucoup moins que les quarante mille gènes du riz.
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Il appartenait, comme Olivia, à une génération qui avait la sensation d’être née sur une planète irrévocablement endommagée par l’avidité et l’ignorance des hommes. La génération précédente avait certes été préoccupée par la menace de l’annihilation nucléaire, mais pour Francis, qui n’avait que cinq ans à la chute du mur de Berlin, il n’y avait clairement pas besoin d’une guerre pour dévaster la biosphère ; il suffisait tout simplement de continuer comme ça…
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Il était tellement soulagé d'avoir un malheur ordinaire que , parfois, il aurait voulu le dire au monde entier, comme ces personnages dans les comédies musicales qui se lèvent et se mettent à chanter pour que tout le bus entende.
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 La serveuse était sans espoir. Julia était sans espoir. Eleanor était sans espoir. Même Mary finalement était sans espoir et ne l’empêcherait pas de regagner sa chambre meublée seul et sans aucune sorte de consolation. Ce n’étaient pas les femmes qui étaient à blâmer, c’était le pouvoir de ses propres illusions : l’idée qu’elles étaient là avant tout pour lui être utiles.
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À mesure qu’il montait péniblement dans sa chambre meublée, de minuscules combles aménagés en soupente au cinquième étage d’un étroit immeuble victorien de Kensington, Patrick semblait régresser à travers l’histoire de l’évolution, se courbant davantage à chaque étage, jusqu’à poser ses poings sur le tapis du dernier palier, comme un hominidé des premiers temps qui n’a pas encore appris à se tenir debout dans la savane africaine et ne fait que de rares et craintives expéditions hors de la protection des arbres.
- Putain, marmonna-t-il, alors qu’il reprenait son souffle et se redressait au niveau de la serrure.
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Patrick ressentit soudain ces émotions passées comme une oppression physique. Il passa son doigt à l’intérieur de son col pour s’assurer qu’il ne cachait pas un nœud coulant.
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Il aimait toujours sa grand-mère, même si elle ne leur laissait pas la maison. Son visage était un réseau de rides gagnées à force d’essayer d’être bonne, de se soucier de choses gigantesques comme notre planète, ou l’univers, ou les millions de gens nécessiteux qu’elle n’avait jamais rencontrés, ou du jugement de Dieu qu’elle allait rencontrer bientôt. Il savait que son père ne pensait pas qu’elle était bonne, et minimisait le fait qu’elle avait tellement envie de l’être. Il répétait à Robert qu’ils devaient aimer sa grand-mère “malgré tout”. Voilà pourquoi Robert savait que son père avait cessé de l’aimer. 
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Peut-être y a avait-il du vrai dans cette idée, mi-futile, mi-profonde, qu’on doit désespérer de la vie pour être capable de comprendre sa valeur réelle.
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Patrick sortit son smoking de la valise et le jeta sur le lit, s’y jetant lui-même à sa suite. Une note glissée sous la plaque de verre de la table de nuit avertissait : “Pour éviter toute déception, il est conseillé aux clients de retenir leur table.” Lui qui, toute sa vie, avait essayé d’éviter les déceptions se maudit de ne pas avoir découvert la formule plus tôt.
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Il était là dans son cercueil comme un paquet cadeau que quelqu’un aurait commencé à déballer avant de le laisser en plan.
– Mais c’est papa, susurra Patrick, affectant l’incrédulité et se tournant, les mains jointes, vers un ami imaginaire. C’est trop ! Vous n’auriez pas dû. 
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