Citations de Edwige Danticat (28)
Il n'existe pas de pays plus respectueux de la loi qu'Haïti quand les fonctionnaires véreux veulent vous mettre des bâtons dans les roues.
Malgré l'histoire tragique d'Haïti (ou peut-être à cause d'elle), nous avons toujours été fiers de nos origines. La première république noire au monde. La seconde république du Nouveau Monde, après les Etats-Unis. Le premier pays créé à la suite d'une révolution d'esclaves, en 1804, et mis à l'index pendant des décennies pour éviter de donner de mauvaises idées à d'autres.
« Nous devons parler pour nous rappeler chacun que nous ne sommes pas encore dans les ténèbres du sommeil qui sont une mort infinie, comme une caverne obscure. »
« Les Haïtiens sédentaires , les non - vwayajè, vivaient dans des maisons de bois ou de ciment. Ils avaient des balcons circulaires peints de couleurs vives , des toits de zinc, des jardins spacieux , des baies de cactus avec des plantes grimpantes vertes qui serpentaient entre les tiges des cactées. Leurs cours étaient pleines d’arbres fruitiers ——-surtout des manguiers et des avocatiers —— qui fournissaient tout à la fois ombre, nourriture et ornement.
Nous les considérions comme des gens maîtres de leur destin »...
Il pensait à ces mères, ces pères qui se tenaient là, incapables de rien faire d'autre que de regarder. Une fois de plus le pays perdait une génération de jeunes, les uns violents, les autres spectateurs, mais tous dans la ligne de tir, mourants.
Mes bonnes notes au lycée m'avaient confirmé que l'éducation ne servait pas à grand chose lorsque la misère et la déveine vous font la guerre. Je me retrouvais avec mes certificats sous les bras, la bouche sèche et une longue avenue grise et sale devant moi. Il fallait utiliser les gens et les choses avant d'être soi-même utilisé puis rejeté. Telle était ma devise de survie. Aramis l'avait bousculée avec un grand rire.
Il évitait les nouvelles trop heureuses qui auraient pu renforcer l'angoisse de la séparation, les nouvelles trop tristes qui auraient pu nous inquiéter, et toute trace de jugement ou de désapprobation à l'égard de ma tante et de mon oncle, qu'ils auraient pu interpréter comme des sous-entendus signifiant qu'ils nous traitaient mal. Les lettres froides et sans émotions étaient son moyen d'éviter un champ de mines qu'il aurait pu déclencher de loin sans être en mesure de venir au secours des victimes.
Au final, il était impossible d'empêcher sa bonne étoile de tomber des cieux, si c'était ce qu'elle avait décidé de faire.
Des femmes au visage tanné par le soleil vendent d'énormes mangues et des croquants aux cacahuètes faits maison ; des petits garçons en jean coupé courent pour faire voler un cerf-volant rudimentaire, ou bien jouent avec des camions fabriqués à partir de bouteilles en plastique.
« Je ne me souvenais plus à quel point les petits villages pouvaient être paisibles, songea Célimène. J'avais oublié à quel point la simple vue d'une goutte de rosée ou d'un papillon qui danse pouvait vous couper le souffle quand il n'y a rien pour vous en distraire. J'avais oublié la sensation d'être reçue comme un membre de la famille. »
C'est vrai que dans ce foutu pays , on ne diligente pas d'enquête pour un ou deux meurtres. Faute de moyens à la disposition de la police. Mais aussi parce que les gens sont tellement habitués à côtoyer la mort qu'au bout du compte, une vie humaine ne compte que dalle.
if you see a lot of trouble in your life, it is because you were chosen to carry part of the sky on your head.
Le pire de l'amour non partagé, lui avait dit Jessamine, c'était d'être rejeté par un de ses géniteurs. N'était-ce pas aussi douloureux quand on l'était par son propre enfant ?
"Un homme qu'on ne peut pas regarder dans les yeux n'est pas quelqu'un en qui on puisse avoir confiance", avait coutume de dire son père, Granpé Nozial.
"Dans les vieilles légendes, le Tonton Macoute était une sorte de père fouettard, un épouvantail fait de chair humaine. Vêtu d'un bleu de travail, il portait un coutelas et une besace de paille tressée, la macoute. Cette besace lui servait à transporter son casse-croûte, composé des membres des vilains enfants qu'il avait réduits en morceaux. SI TU NE RESPECTES PAS TES PARENTS, LE TOTON MACOUTE T'EMPORTERA."
Je ne sais pas combien de gourdes vaut un Coca-Cola, ou une bière Prestige d’ailleurs. J’accepte le cocktail « offert par la maison » que me tend le barman sexy. Je pars explorer les pièces sombres et vides au premier. Je sors sur le balcon, lieu de toutes les perditions, et je tombe sur un couple en train de fumer un truc qui sent bizarre. La fille se met à rire et lève un bras. Elle glisse une main sous la chemise bleue du garçon, près du col. Sa main bouge, masse le cou de son petit ami. Ils voudraient bien avoir un peu d’intimité, mais je reste plantée là. Le couple finit par partir et je me retrouve seule, sous les étoiles, à siroter mon cocktail et à regarder les gens danser en bas, dans la cour.
Papa sort de la maison, l’air important. Une barbe noire lui mange le visage. Son visage anguleux est le même que le mien. C’est la peur et la distance qui me le font paraître moins familier. Il sort de la douche, ses cheveux sont encore mouillés. Ses fringues pour rester à la maison sont aussi usées que confortables : pull informe, pantalon en coton, vieilles chaussettes en laine. J’ai la nuque qui picote, l’estomac qui se retourne. Sa présence me met toujours mal à l’aise. Il est plus un geôlier qu’un père, pour moi. Je déteste le regard sinistre qu’il porte sur le monde, tout comme sa façon de vouloir à tout prix faire de nous un père et une fille, alors qu’en fait on est de parfaits étrangers l’un pour l’autre.
JE suis assise dans le fauteuil de mon père – un fauteuil de bureau tout abîmé que j’ai traîné jusque devant la maison, sur la terrasse. Il fait son âge : skaï balafré, accoudoirs laissant apparaître un rembourrage qui pique, tissu qui sent son odeur. À moitié abritée du soleil par un acacia, je sirote mon café (corsé, avec une touche de lait), non sans en avoir d’abord versé un peu par terre, comme le fait mon père, pour nourrir nos ancêtres. Dans l’air souffle une brise légère, embaumant l’odeur du café en train d’être torréfié, et les quelques nuages dans le ciel glissent comme des bateaux de pêche sur la mer des Caraïbes. Les conversations des voisins me parviennent par intermittence. De l’autre côté des barreaux de ma prison familiale à Kenscoff, des jeunes filles avec leurs seaux en équilibre sur la tête arpentent les routes de gravier. Des femmes au visage tanné par le soleil vendent d’énormes mangues et des croquants aux cacahuètes faits maison ; des petits garçons en jean coupé courent en cercle pour faire voler un cerf-volant rudimentaire, ou bien jouent avec des camions fabriqués à partir de bouteilles en plastique.
Au bout de l’arc-en-ciel de M. J. Fievre
Quand les mains douces et chaudes de sa petite Rose lui touchèrent enfin le visage, le cerveau d’Odette s’était comme éteint. Le silence et l’obscurité s’épaississaient, devenaient informes. Puis quelque chose parut bouger à l’intérieur de son corps. Était-elle dans l’eau ? Se noyait-elle ? C’était l’impression qu’elle avait, en tout cas. Elle était en train de se noyer au son d’un bruit sec et saccadé. Elle tenta de recracher chaque grain de poussière de sa bouche comme si c’était de l’eau, mais en vain.
Son corps jouait une étrange symphonie. Elle n’avait plus passé de musique classique dans la maison depuis que sa fille l’avait quittée pour épouser quelqu’un de cette église – une protection de plus contre les fantômes, selon eux. Laisser l’enfant faisait aussi partie de leur plan. La fille d’Odette avait redouté le jour où sa propre fille verrait la terre trembler sous ses pieds, juste avant de s’évanouir, puis de se réveiller avec ce don. Car cela s’était plutôt apparenté à une malédiction, pour la fille unique d’Odette. Les souffrances du monde entier étaient devenues siennes. Elle ne pouvait plus lire, écrire ou même écouter la musique classique qu’elle aimait tant sans que ces voix s’immiscent en elle.
Lorsque le tumulte cessa, le grondement sourd reprit de plus belle. Ses oreilles se mirent alors à bourdonner sans relâche, et ses yeux se voilèrent de poussière. Quand finalement elle entendit la voix de sa petite-fille, elle lui parut très lointaine, et faible. Elle vit l’enfant ramper vers elle, en larmes, mais remarqua que son petit corps efflanqué avançait très lentement. L’esprit d’Odette, comme ses yeux, hésitait entre lumière et obscurité. Pendant un instant, elle ne parvint pas à comprendre pourquoi la fillette faisait cela, ni pourquoi elle commençait à sentir des picotements dans ses jambes et sa colonne vertébrale.